E. Plebani, E. Valeri, P. Volpini, Diplomazie. Linguaggi, negoziati e ambasciatori fra XV e XVI secolo, FrancoAngeli, Milan, 2017
1Cet ouvrage collectif jette un regard averti sur la pratique diplomatique italienne des XVe et XVIe siècles. Son but déclaré : rompre avec les cloisonnements imposés par l’historiographie traditionnelle et promouvoir une plus importante mise en dialogue des recherches concernant des périodes historiques proches, mais artificiellement séparées (p. 9).
2Les auteurs proposent une réflexion sur le fonctionnement de l’action diplomatique au prisme des réseaux relationnels, du climat politique et social et de la formation culturelle de l’ambassadeur, mais aussi au regard de ses intérêts personnels ou de ses inquiétudes. Or ces éléments (les relations, leur formation) sont fluctuants, car il s’agit tantôt d’humanistes ou d’hommes de droit, tantôt de membres de la noblesse ou de riches marchands. Pourtant, au fil de la lecture de l’ouvrage, on remarque que leur modus operandi s’habille des mêmes formes et des mêmes langages.
3Le centre du discours, nous l’avons compris, est le diplomate. Plus précisément, on parle de l’agent politique dans sa mobilité. En effet, le volume choisit de mettre de côté la thématique de la diplomatie « résidentielle », pour se concentrer sur l’activité de ces émissaires qui voyagent d’un État à l’autre de la péninsule et vers les cours européennes. Or il s’agit d’un point particulièrement intéressant : quand l’ambassadeur quitte « l’Italie », surtout - dans les cas examinés dans l’ouvrage - pour l’Espagne ou pour la France, la mission et le voyage ne font qu’un. Il y a là une condition supplémentaire digne de remarque, car l’ambassade est investie d’une valeur nouvelle, le rapport à « l’autre ». Tout en les percevant, tous sans distinction, comme des ennemis, des envahisseurs et surtout des barbares, les princes et les gouvernements italiens reconnaissent, cependant, la nécessité de parvenir à une entente avec les « étrangers » ; mais ils gardent d’importantes réserves sur le fond des relations. Aux diplomates envoyés dans ces cours de composer avec ces contradictions, ce qu’ils font avec succès. Ces hommes se font médiateurs dans le passage d’un modèle à un autre, à l’intérieur d’un monde en pleine transformation. À travers leur action culturelle et diplomatique, le regard « italo-centré » accepte de franchir les Alpes et abandonne, en partie, sa force centripète (Isabella Iannuzzi, « La diplomazia della cultura : Pietro Martire di Anghiera, un umanista italiano al servizio dei Re Cattolici », p. 85-113).
4Le point d’appui de la réflexion est la missive. À travers l’étude de la correspondance diplomatique, les huit contributions, toutes en langue italienne, nous donnent un aperçu de la grande valeur attribuée à ces missions au sein de la communauté (la cour, le sénat, la curie) ; et cela à une époque où les ambassades n’ont pas encore de caractère systématique et où les rôles remplis par les diplomates se présentent comme très fluctuants et peuvent se multiplier (Luciano Piffanelli, « Tra crisi territoriale e necessità di negoziazione : alcune riflessioni sul commissarius seu orator (Firenze, XV secolo) », p. 41-60).
5Il est question donc d’évoquer les difficultés auxquelles se trouvent confrontés ces hommes qui opèrent comme des équilibristes sur le fil des négociations, en suspens entre accords conclus et accords rompus (Eleonora Plebani, « “Nihil est occultum quod non reveletur”. La diplomazia fiorentina e la ricerca di nuovi assetti di potere durante la guerra di Ferrara (1482-1484) », p. 61-83). On montre la manière dont ils jonglent entre l’alliance avec un parti et les relations économiques maintenues avec son adversaire et dont ils les justifient (Renzo Sabbatini, « Interessi economici e ragioni diplomatiche. Lucca tra Francia e impero “in tante revolutioni delle cose di Italia” », p. 161-183). En outre, sont étudiés ici les liens entre les ambassadeurs et leurs princes. Les seigneurs instruisent eux-mêmes leurs agents, savent employer les codes du langage et du cérémonial courtisans et parviennent (ou non) à consolider leurs rapports avec les cours étrangères (Paola Volpini, « Linguaggio e cultura politica di Cosimo de’ Medici nelle contese per la precedenza », p. 185-199). De plus, on observe les manières dont les agents se plaignent quand ces instructions tardent à arriver (toujours) et comment ils réussissent à tirer leur épingle du jeu quand leur seigneur change de camp (plus ou moins) à l’improviste (Elena Valeri, « Un letterato ambasciatore : la missione di Baldassarre Castiglione in Spagna durante le guerre d’Italia (1524-1529) », p. 115-138).
6De surcroît, nous le savons, la correspondance de ces hommes exprime un point de vue précis à un moment historique souvent critique dans lequel ils sont impliqués directement. Il s’agit alors d’explorer les stratégies de communication et les langages employés dans la rédaction des missives et d’observer comment « l’émotivité » peut, parfois, y « faire irruption » (Isabella Lazzarini, « Le scritture dell’ambasciatore. Informazione e narratività nelle lettere diplomatiche (Italia, 1450-1520 ca. », p. 17-39).
7On s’attarde également à étudier ces moments dans lesquels la figure du mandant et celle de son agent se fondent l’une dans l’autre : c’est le cas des rencontres princières, qui se multiplient au XVIe siècle. La présence physique du prince, déjà reconnue sur le champ de bataille, devient un atout lors des pourparlers et semble confirmer la haute considération que l’on a de cet art qu’est la négociation (Noemi Rubello, « “La présence des princes” : gli incontri tra sovrani come momenti d’eccezione nei rapporti diplomatici tra gli Stati (XVI secolo) », p. 139-160).
8En conclusion, il s’agit d’un ouvrage enrichissant et agréable à la lecture. Le seul manque à relever, peut-être, dans ces pages, est l’absence de la perspective de « l’autre ». Le sujet est l’activité du diplomate qui voyage, qui se trouve face à la différence, qu’elle soit d’ordre culturel, politique ou économique et cela à une époque à laquelle la pratique diplomatique est encore en gestation (p. 13 et passim). C’est pourquoi nous aurions aimé retrouver également une illustration de la perception que l’on a de ces hommes au sein des cours qui les accueillent. Mais cela n’enlève rien à la valeur de l’ouvrage. En renouvelant la problématique liée à la diplomatie italienne des siècles XVe et XVIe et en abandonnant les barrières chronologiques imposées par l’historiographie traditionnelle, cet ouvrage ouvre de nouvelles et très stimulantes perspectives de recherche.
9Valeria Caldarella Allaire