Histoire culturelle de l'Europe

Solange Arber

Les mots de l’espace, l’espace des mots. Spatialité et créativité de la traduction littéraire entre le français et l’allemand

Article

Résumé

La question de la spatialité, plus particulièrement le problème de l’expression du déplacement dans l’espace, occupe une place importante dans les réflexions sur la traduction entre le français et l’allemand, du fait des différences structurelles entre ces deux langues. L’article commence par donner un aperçu des principales contributions sur le sujet, depuis l’ouvrage fondateur d’Alfred Malblanc jusqu’aux avancées récentes en linguistique cognitive. Les procédés mis en avant par la traductologie, comme la transposition et le chassé-croisé, sont ensuite confrontés à la pratique de traducteurs et traductrices littéraires à travers l’analyse d’extraits d’œuvres traduites. Ces exemples amènent à considérer les choix de traduction non seulement comme l’application de procédés, mais aussi et surtout comme le fruit d’un processus d’interprétation, d’imagination et de recréation du texte par le traducteur ou la traductrice.

Abstract

The question of space, more specifically the problem of how motion in space is expressed, occupies a significant place in the theories about translation between French and German, because of the structural differences between these two languages. The paper begins by giving an overview of the main contributions to this discussion, from Alfred Malbanc’s seminal work to recent advances in cognitive linguistics. The procedures put forward by translation studies, such as transposition and chassé-croisé, are then confronted with the practice of literary translators through the analysis of examples from translated works. These examples enable one to regard translation choices non only as the result of procedures, but also and more importantly as the result of the translator’s process of interpreting, imagining, and recreating the text.  »

Texte intégral

Cet article aborde les rapports spatiaux, et plus spécifiquement les déplacements dans l’espace, dans les traductions littéraires entre l’allemand et le français. La question de la spatialité est un problème majeur, voire fondateur des études sur la traduction entre langues germaniques et romanes. L’ouvrage de référence de Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet ne s’ouvre-t-il pas sur le récit d’un voyage en voiture sur les autoroutes canadiennes1 ? Nous avons donc affaire à une question étudiée depuis le milieu du XXe siècle par la stylistique comparée puis par la traductologie2, et qui trouve des prolongements plus récents en linguistique cognitive. Tout en se référant à quelques-uns de ces travaux afin d’éclairer ses analyses par une modeste rétrospective de quelques réflexions traductologiques et linguistiques sur la spatialité, le présent article se situe dans le champ de la traductologie littéraire3 et opte pour une approche descriptive d’œuvres de traducteurs ou de traductrices de l’allemand et du français. Il s’agit en effet de s’interroger sur les procédés présentés dans les manuels de traduction et de voir s’ils se retrouvent dans le cadre de traductions littéraires professionnelles. Sont-ils systématiquement employés dès lors qu’il ne s’agit pas de fournir des exemples à visée théorique ou prescriptive ? L’étude des œuvres peut-elle révéler de nouvelles manières de traduire et mettre ainsi en lumière la créativité propre à la traduction ?

Notre corpus se compose de plusieurs traductions d’œuvres narratives françaises et allemandes du XXe siècle, sélectionnées en fonction de la forte présence de descriptions spatiales dans le texte source. Le matériau rassemblé par les traducteurs allemands Elmar et Erika Tophoven dans le cadre de la traduction transparente4 a fourni le point de départ de cette étude. Les observations consignées dans leurs archives sont mises en regard de traductions dans le sens allemand-français, qui sont comparables en termes de genre littéraire et d’époque, mais qui présentent une plus grande diversité d’auteurs et de traducteurs. Les extraits ont été sélectionnés pour leur valeur d’exemples et ne prétendent pas dresser un panorama exhaustif. Quand deux traductions co-existent, leur analyse permet une comparaison dont le but n’est pas de couronner l’une aux dépends de l’autre, mais de mettre en regard les différentes solutions adoptées. Sans suivre cette méthodologie, puisque nous n’étudions pas une traduction dans son entier, nous appliquerons les principes de la « critique productive » d’Antoine Berman5, où il ne s’agit pas tant de pointer les défauts que d’étudier les choix opérés et la composition du texte traduit, considéré comme une œuvre à part entière.

Nous présenterons d’abord des principaux apports traductologiques sur le sujet de la spatialité dans le domaine de la traduction entre le français et l’allemand et les mettrons en perspective avec certaines avancées de la linguistique cognitive. Puis nous confronterons ces acquis théoriques à la pratique des traducteurs et traductrices littéraires, en nous appuyant sur des exemples de traductions dans un sens comme dans l’autre. Il s’agira de voir dans un premier temps quelles difficultés sont rencontrées et en quoi les procédés traductologiques permettent de les surmonter. Puis nous étudierons comment les écarts dans le système de représentation de l’espace entre le français et l’allemand peuvent nourrir l’invention des traducteurs et traductrices, qui utilisent leur interprétation du texte et leur imagination pour créer leurs propres représentations spatiales avec les moyens linguistiques de la langue cible.

Un problème traductologique

Il convient pour commencer de dresser un bref historique du traitement de la spatialité en traductologie, et plus précisément de l’expression du déplacement en allemand et en français, à travers quatre ouvrages principaux publiés dans les deux langues.

Alfred Malblanc

L’ouvrage fondateur d’Alfred Malblanc a paru dans sa première version en 1944, ce qui en fait l’un des tout premiers de la discipline6. Il a ensuite connu un remaniement et plusieurs rééditions entre les années 1950 et 1970, sous le titre Stylistique comparée du français et de l’allemand : essai de représentation linguistique comparée et étude de traduction. Cette deuxième version est marquée par le développement des études traductologiques, sous l’égide notamment de Vinay et Darbelnet, Alfred Malblanc ayant entretemps publié leur Stylistique comparée du français et de l’anglais dans la collection qu’il dirigeait aux éditions Didier, « Bibliothèque de stylistique comparée ». Dans sa version originale de 1944, son livre mettait la question du déplacement à l’initiale de la réflexion sur les différences structurelles entre le français et l’allemand. Le premier chapitre aborde en effet la traduction du verbe français « entrer » par plusieurs verbes allemands :

Le navire entre dans le port. Das Schiff fährt in den Hafen hinein
L’enfant entre dans la chambre. Das Kind tritt in das Zimmer hinein
L’oiseau entre dans le buisson. Der Vogel fliegt in den Busch hinein7

Ces exemples montrent que la direction du mouvement, l’entrée, est exprimée par le préverbe « hinein », tandis que le verbe allemand indique la modalité du déplacement, différente selon les cas : « fahren » pour un bateau (« naviguer »), « treten » pour un enfant (« marcher »), « fliegen » pour un oiseau (« voler »). Il en va de même pour le mouvement de sortie, exprimé cette fois par le préverbe « hinaus » :

Le navire sort du port. Das Schiff fährt aus dem Hafen hinaus
L’enfant sort de la chambre. Das Kind tritt aus dem Zimmer hinaus
L’oiseau sort du buisson. Der Vogel fliegt aus dem Busch hinaus8

Alfred Malblanc commente ce phénomène, révélateur selon lui d’attitudes opposées par rapport au réel, rendu intelligible de manière fondamentalement différente dans les deux langues :

Grâce à son système intact de préfixes et de particules, l’allemand met en relief les rapports de lieu, de temps, de circonstances et aussi d’idées, toutes les associations naturelles ou devenues naturelles qui se trouvent dans le premier tableau de la représentation. Il demande plus à l’expression et le français demande plus à l’intuition, à la lumière qui jaillit par synthèse du contexte9.

Deux concepts clés sont mobilisés pour décrire ces deux manières de verbaliser l’espace, le verbe signe et le verbe image :

Le verbe français « entrer » est donc un verbe où est venu s’abstraire en un signe de mouvement, en une idée, une image beaucoup plus riche dans la perception sensible. Il y a des nombreux verbes allemands gardant l’image, le caractère de l’action exprimée et qui n’ont en face d’eux qu’un verbe français « signe », ou du moins dans lequel ne revit que d’une façon lointaine et beaucoup moins précise l’image sensible originale10.

Au-delà des analyses teintées de psychologie des peuples, une des raisons principales de cette différence entre les deux langues tient au fait que l’allemand a conservé un système de préverbes transparents, contrairement au français où l’on ne reconnaît plus le sens concret originel des lointaines racines latines11. Pour compenser ce déficit d’images, le français peut recourir à ce qu’Alfred Malblanc nomme des verbes métaphores, par exemple « aborder », « chevaucher » ou « emprunter12 ».

Alfred Malblanc tire des conclusions de ses observations pour la traduction du français vers l’allemand et vice-versa :

Pour traduire en allemand le verbe français « entrer » ou son opposé « sortir », il faut se demander qui entre ou sort et quelle est la nature de l’entrée ou de la sortie. Si dans les deux cas la nature est la même, un même verbe l’indiquera ; c’est la particule qui changera et signifiera le sens du mouvement, l’entrée ou la sortie. […] Inversement on traduira ces verbes allemands par « entrer » et « sortir », mais si le contexte exige une précision, il faudra écrire « entrer en marchant, en voiture, à cheval, en volant, en rampant, en grimpant, etc. », « sortir en marchant, en voiture, à cheval, en volant, en rampant, en grimpant, etc13. »

Ces phénomènes de traductions seront théorisés dans l’ouvrage de Vinay et Darbelnet, où est proposée la célèbre typologie des sept procédés de traduction principaux (emprunt, calque, traduction littérale, transposition, modulation, équivalence, adaptation). La catégorie de la transposition désigne le fait de traduire en changeant de catégorie grammaticale, en l’occurrence en passant d’un préverbe à un verbe ou vice-versa. Plus spécifiquement, la dernière remarque de Malblanc sur l’ajout d’un gérondif pour préciser le mode de déplacement correspond à la technique du « chassé-croisé ». L’auteur reprend ce concept dans les versions ultérieures de son ouvrage, mais curieusement il ne s’en sert pas pour décrire le procédé traductologique lui-même, mais le mouvement général qu’il attribue au fonctionnement divergent des deux langues :

[U]n chassé-croisé se produit dans l’esprit de l’allemand et du français. C’est l’énoncé de la réalité qui suggère à l’allemand le jugement. C’est l’énoncé du jugement qui rappelle au français le réel. Disons que l’allemand va du fait à l’idée et que le français va de l’idée au fait, ou du moins que le français semble aller de l’idée au fait, car tout peut se passer et se passe souvent comme si le français avait d’abord vu le fait, puis l’avait jugé en lui-même et exprimé ensuite le fait par ce jugement et qu’il faille alors pour le lecteur ou l’entendeur redescendre de ce jugement au fait14.

Si de telles généralités ressortissent davantage de la spéculation que de l’analyse linguistique, l’ouvrage d’Alfred Malblanc n’en a pas moins contribué à donner une place importante à la question de la spatialité dans la réflexion traductologique, non seulement entre le français et l’allemand, mais plus largement entre les langues romanes et germaniques.

Mario Wandruszka

La comparaison entre ces deux familles de langues correspond à la perspective adoptée par Mario Wandruszka, linguiste autrichien, dans son ouvrage de 1969 intitulé Sprachen: vergleichbar und unvergleichlich. Originale pour l’époque, sa méthode consiste à analyser les différences stylistiques entre les langues germaniques et romanes à partir d’un vaste corpus de traductions littéraires. Deux chapitres en particulier abordent les rapports spatiaux, avec les verbes de position (chapitre 20) et de déplacement (chapitre 29). On y retrouve les mêmes constats que chez Malblanc, concernant cette fois non seulement l’allemand et le français, mais aussi l’anglais, l’italien, l’espagnol et le portugais : « L’allemand et l’anglais ajoutent sans cesse un préverbe de direction au verbe, tandis que dans les langues romanes la direction est comprise dans le verbe lui-même15. » Toutefois, Wandruszka n’en conclut pas à une différence fondamentale d’appréhension du réel :

La direction prise par le mouvement (ang. out, all. hinaus) est indiquée par le verbe dans les langues romanes (f. sortir, i. uscire, e. salir, p. sair), le mode de déplacement (ang. to go, all. gehen) n’est pas exprimé dans les langues romanes : il va de soi, il est clairement sous-entendu de manière implicite. Ce n’est pas une raison pour conclure hâtivement à un « caractère plus abstrait » des langues romanes et « plus concret » des langues germaniques : l’implicite est loin d’être abstraction. Ce que les langues germaniques disent ici en deux mots n’est pas exprimé de manière moins claire, moins parlante dans les langues romanes avec un seul mot16.

Le linguiste autrichien considère que la description du déplacement n’est pas moins concrète dans les langues romanes ; celles-ci font seulement davantage appel à l’implicite, à l’encyclopédie du lecteur qui imaginera sans difficulté le bateau naviguer, l’enfant marcher et l’oiseau voler, pour reprendre les exemples de Malblanc, sans qu’il soit besoin d’utiliser le verbe correspondant. Là où leurs deux analyses se rejoignent, c’est sur le rôle du latin comme substrat des langues romanes, quoique Wandruszka s’exprime de manière très prudente sur le sujet :

Mais pourquoi les langues romanes font-elles si peu usage de ce procédé de composition verbale, de cette possibilité d’exprimer une représentation complexe par l’association d’un verbe et d’une particule verbale ?
Ici aussi on doit en rester à quelques suppositions tout à fait insuffisantes. Le latin disposait de deux possibilités pour donner au verbe un complément de direction : l’ajout d’un adverbe […] ou bien d’un préfixe […]. C’est un système très ouvert, tout à fait comparable à la composition verbale germanique. Pourquoi les langues romanes s’en sont-elles détournées ?
Peut-être est-ce à cause de l’usure et de la dégradation phonétique des prépositions et préfixes latins. […] Peut-être que la réduction phonétique des prépositions et préfixes a conduit à déplacer l’expression de la direction davantage dans le verbe lui-même, à se servir de plus en plus de purs verbes de direction
17.

En ce qui concerne le procédé spécifique du chassé-croisé, Mario Wandruszka en donne plusieurs exemples, tels que : « ang. She dances out ; all. Sie tanzt hinaus ; f. Elle sort en dansant ; i. Esce con passo di danza ; e. Sale como bailando ; p. Sai toda saltitante18 ». Le concept est introduit, sans que Vinay et Darbelnet soient directement cités :

Les langues romanes rendent ce type de représentation complexe – mode de déplacement exprimé par le verbe, direction par le préverbe – en inversant les rôles : direction exprimée par le verbe, mode par l’ajout d’un gérondif, participe, adverbe ou complément circonstanciel. La linguistique comparée a trouvé un joli nom pour cette permutation des rôles, elle appelle cela un « chassé-croisé », du nom de la figure de danse dans laquelle les mouvements des couples se croisent19.

Peter Blumenthal

L’analyse de traductions est également employée par Peter Blumenthal pour comparer les deux systèmes linguistiques dans son ouvrage de 1987, Sprachvergleich Deutsch-Französisch, dont une édition remaniée et augmentée a été publiée dix ans plus tard. Il y note une prédilection générale pour la spatialité en allemand, qui a tendance à décrire les déplacements de manière beaucoup plus précise que le français :

La comparaison de traductions ne cesse de mettre en lumière le fait que le texte allemand accorde plus d’attention à la spatialité que le français. Dans la représentation d’un état de fait, l’allemand a tendance à souligner une composante spatiale dans le complexe général des informations, laquelle n’apparaît pas en français. Pour chaque cas particulier, on peut se contenter d’explications ad hoc (idiomatismes, lexicalisation, préférence de l’allemand pour des constructions sans valence, concrétisation en allemand des conjonctions au sémantisme vide à et de, préférence du français pour les « adjectifs relationnel », goût individuel du traducteur, etc.). Mais le fait que de tels facteurs particuliers conduisent avec une certaine régularité à la spatialisation de l’énoncé en allemand et seulement à titre d’exception en français ne peut pas être vu comme une accumulation insignifiante de hasards linguistiques20.

Les phénomènes psychiques ou immatériels sont également envisagés en allemand à travers le prisme de rapports spatiaux. C’est le cas par exemple de la représentation des regards, assimilés à des déplacements par les préverbes et prépositions allemandes, alors que les verbes français comme « regarder » n’incluent pas cette dimension21. Les tendances divergentes du français et de l’allemand dans l’expression des rapports spatiaux s’expliquent selon Blumenthal par deux facteurs : d’une part la différence entre un lexique allemand motivé, dont les racines transparentes peuvent être combinées de multiples manières, et un lexique français arbitraire ; d’autre part la différence entre la représentation concrète du mouvement en allemand et l’abstraction du français, plus économe en détails22. Comme Wandruszka, il ne croit pas néanmoins que ces divergences de surface entraînent des pertes significatives au niveau du contenu de l’information et souligne le rôle de l’implicite et du contexte :

Malgré tout, on peut se permettre de supposer que, dans les deux sens de traduction, le lecteur français arrive grâce au contexte et à sa propre connaissance du monde à une image générale des faits similaire à celle du lecteur de la version allemande plus explicite23.

Marcel Pérennec

La question de la traduction de la spatialité est aussi abordée dans de nombreux manuels, en particulier en France où l’enseignement des langues étrangères comporte une part importante de traduction. L’ouvrage du linguiste Marcel Pérennec, paru dans les années 1990, est destiné à la formation des étudiants d’allemand et futurs traducteurs ou traductrices. Ici, l’analyse des structures linguistiques et les procédés de traduction sont abordés dans la perspective pragmatique de l’enseignement du thème et de la version. On peut encore y percevoir une certaine influence d’Alfred Malblanc par le fait que le livre accorde également une place de choix au problème de la spatialité, auquel le premier chapitre est consacré. S’appuyant sur les acquis de la linguistique comparée et de la traductologie depuis quatre décennies, Pérennec explique comment s’abstenir de calquer des structures non-idiomatiques dans la langue cible, mais aussi comment varier les procédés de traduction afin d’éviter des maladresses et des lourdeurs stylistiques :

En règle générale, la préposition et, lorsqu’elle peut être suivie du datif ou de l’accusatif, le cas suffisent à exprimer les relations directionnelles (wohin?), de passage (wodurch/worüber?), d’origine (woher?).
Le problème auquel est confronté ici l’enseignant de traduction est double : en thème, il doit familiariser ses élèves avec les structures allemandes pour éviter les énoncés comme : Er ging laufend die Treppe hinunter.
En version, il doit mettre en garde contre le recours systématique à la proposition gérondive en + participe présent, qui alourdit souvent la traduction
24.

Bien qu’il ne soit pas nommé, le procédé du chassé-croisé est représenté visuellement par des flèches qui se croisent. Mais Pérennec critique le fait qu’il se réduise souvent à l’emploi d’une tournure gérondive, ce qui était le cas chez Malblanc. Or cette solution, bien que pratique, n’est pas toujours des plus heureuses, y compris au niveau des sonorités et du rythme. Ce qui est intéressant ici, c’est que toute une génération d’étudiants a manifestement appris cette tournure chez Malblanc et l’a utilisée dans ses copies jusqu’à produire un effet de saturation nécessitant d’enseigner des alternatives. Pérennec met donc l’accent sur des exemples qui ne recourent pas à un gérondif, mais à des compléments circonstanciels, à deux verbes coordonnés ou bien à un groupe infinitif :

Ein alter Wagen klapperte um die Ecke. Une vieille voiture tourna au coin de la rue dans un bruit de ferraille25.
Sie hat nach Amerika geheiratet. Elle a épousé un Américain et est allée s’installée en Amérique26.
Er hilft der Frau in den Mantel. Il aide la femme à mettre son manteau27.
Er eilte über den Platz. Il se dépêcha de traverser la place28.

L’apport de la linguistique cognitive

Il est intéressant de confronter les réflexions traductologiques fondatrices que nous venons de présenter à la recherche actuelle en linguistique cognitive. Loin de prétendre dresser un état de la recherche dans un domaine dont nous ne sommes pas spécialiste, la prise en compte de quelques-uns de ces travaux vise à faire dialoguer différentes approches de la langue et de la traduction qui trop souvent s’ignorent. Nous nous concentrerons sur l’un des principaux représentants de la linguistique cognitive, Leonard Talmy, qui établit une typologie des langues en fonction de la manière dont elles expriment la localisation et les déplacements dans l’espace29. Bien qu’il parte d’exemples en anglais, en espagnol et en langue amérindienne atsugé, ses conclusions peuvent s’appliquer à l’allemand et au français et se recoupent sur plusieurs points avec les observations des traductologues et contrastivistes qui l’ont précédé. Nous nous référerons aussi aux travaux menés par Sabine de Knop, qui concernent plus spécifiquement le couple allemand-français. Sans entrer dans le détail d’analyses qui dépassent le cadre de cet article, nous pouvons retenir quelques idées essentielles permettant d’approfondir les points déjà soulevés.

Ce que Talmy appelle « Motion event », c’est-à-dire le phénomène du mouvement, se décompose en quatre aspects essentiels : l’objet en mouvement (« Figure »), l’état du mouvement, selon s’il s’agit d’un déplacement ou d’une localisation (« Motion »), le chemin parcouru (« Path ») et l’arrière-plan par rapport auquel on se situe (« Ground »)30. À cela s’ajoutent plusieurs facteurs coextensifs au mouvement, dont la manière et la cause31. Or chacun de ces facteurs est exprimé par des éléments linguistiques différents en fonction des types de langues. Talmy distingue trois modèles principaux, mais nous mettons de côté le troisième qui concerne les langues amérindiennes. Le premier modèle regroupe des langues comme l’anglais ou le chinois et se caractérise par le fait que le verbe y exprime en général l’état du mouvement (« Motion ») ainsi que sa manière ou sa cause, tandis que la composante du chemin (« Path ») est exprimée par des satellites verbaux32. Il s’agit du groupe des langues dites « satellite-framed », auquel appartient aussi l’allemand. Le français en revanche, comme toutes les langues romanes, est « verb-framed », c’est-à-dire que le verbe y exprime l’état du mouvement (« Motion ») et le chemin (« Path »)33. Bien souvent ces langues ne disposent pas de satellites pour exprimer d’autres composantes34.

Le modèle de Talmy a été beaucoup discuté et ne résume pas à lui seul tout ce champ de recherche, dont il n’est qu’un représentant parmi d’autres. En ce qui concerne l’allemand, Sabine De Knop a publié des travaux importants s’appuyant sur la grammaire de construction et posant la question des applications de ces modèles pour l’apprentissage des langues étrangères35. Elle s’est également intéressée, avec Françoise Gallez, aux différences dans l’expression de la manière du mouvement entre l’allemand et le français et à leurs conséquences pour la traduction :

La force de la langue allemande réside dans sa grande flexibilité lui permettant de combiner l’expression du chemin et de la manière dans des groupes compacts ou synthétiques, à savoir des verbes composés, des adverbes composés ou des groupes prépositionnels. Les difficultés de traduction des expressions allemandes du mouvement dans une langue romane découlent directement du caractère synthétique de celles-ci, qui rassemblent le chemin et la manière dans une seule expression (composée). Les langues romanes préfèrent des expressions plus analytiques de ces deux dimensions, séparant clairement le chemin de la manière, et omettant même souvent l’expression de la manière36.

Les analyses en linguistique cognitive rejoignent donc l’observation générale faite par tous les traductologues depuis Malblanc, à savoir le fait qu’en allemand ce sont le préverbe, la préposition et le cas qui indiquent le chemin du mouvement (« Path »), tandis qu’en français c’est le verbe lui-même. Et alors qu’en allemand le verbe peut, et même doit préciser la manière dont l’objet se meut37, il faut en français pour cela recourir à un complément ou bien faire passer cette information dans l’implicite.

Une autre idée mise en avant par Talmy permet d’ailleurs d’éclairer cette question de l’implicite, qui donne souvent aux traducteurs et traductrices l’impression de faillir s’ils ne rendent pas toutes les nuances de l’original :

Il semble y avoir un principe général selon lequel si un concept apparaît dans le verbe ou dans le satellite, alors il est mis relativement à l’arrière-plan en termes d’attention. On peut l’exprimer de manière relativement discrète, tandis que s’il est exprimé ailleurs, comme dans un nom, ou une proposition, ou un syntagme ou un gérondif quelconque, alors il est ipso facto mis au premier plan, il attire davantage l’attention sur lui. Jusqu’à présent nous avons pu dire que toutes les langues sont simplement équivalentes, que dans tous les cas il y a un phénomène universel de ce qu’est la structure sémantique, le phénomène de mouvement avec ses composantes et ses relations particulières. Et chaque langue a simplement sa propre manière, ou sa propre catégorie typologique, d’afficher ces composantes là où elle les met. Mais il y a une différence. Il s’avère que, quelle que soit la manière dont la langue arrange ses composantes, ce qu’elle met dans le verbe et dans le satellite est mis en arrière-plan, et cela on ne peut pas le capturer dans une autre langue, dans une langue qui procède de manière différente38.

Ce phénomène de mise en relief des éléments non verbaux explique que les traducteurs et traductrices de l’allemand se trouvent souvent confrontés à un choix cornélien, déjà évoqué par Blumenthal39, entre la sous-traduction, qui omet certaines données du texte source, et la sur-traduction, qui en visant l’exhaustivité met trop l’accent sur des informations d’arrière-plan.

La linguistique cognitive permet enfin d’apporter une distinction importante entre mouvement effectif et mouvement fictif40. Le mouvement fictif consiste, selon Leonard Talmy, en ce que « quelque chose qui est identifié sur le plan factuel comme stationnaire est néanmoins représenté comme mobile, que ce soit par une sorte de visualisation ou bien par la formulation littérale de la phrase41 ». Plusieurs types de mouvements fictifs sont identifiés et donnent lieu à des typologies de représentations, souvent élaborées à partir de l’anglais alors que « toutes les langues n’ont pas de mouvement fictif au même endroit42 ».

Dans un article de 2008, Sabine De Knop et René Dirven présentent des cas de mouvement fictif en allemand en soulignant le fait que c’est l’accusatif qui est utilisé pour décrire un objet statique comme s’il était en mouvement : « Der Weg läuft durch ein Naturschutzgebiet », « Der Rhein fließt von der Schweiz durch drei Bundesländer bis in die Niederlande43 ». Les auteurs parlent aussi de mouvement métaphorique : tandis que le mouvement fictif implique de concevoir mentalement un trajet à parcourir et conserve des éléments spatiaux tels que la source et le but du déplacement, les exemples suivants ne contiennent plus de référents à des lieux physiques et opèrent par projection de notions abstraites sur le plan concret du mouvement : « Die Lehrerin hat die Klasse in drei Gruppen eingeteilt », « Der Schüler vertieft sich in die Aufgaben », « in eine andere Sprache übersetzen44 ». Plus récemment, Sabine De Knop propose une autre catégorisation en distinguant le « mouvement réel » (« actual motion ») du « mouvement non-réel » (« non-actual motion ») et du « mouvement abstrait » (« abstract motion45. ») Le mouvement non-réel concerne des exemples où un verbe de mouvement est utilisé alors qu’aucun mouvement n’a lieu : « Der Tisch geht bis in die Ecke » ; « Maria setzt Vertrauen in ihren Freund ». Le mouvement abstrait correspond quant à lui à l’utilisation d’un verbe n’exprimant pas de mouvement mais associé à une préposition suivie d’un accusatif : « Maria beißt in den Apfel », « Maria übersetzt den Text ins Deutsche ».

Il ne s’agit pas d’entrer, dans le cadre de cet article, dans le détail de ces différents modèles, qui sont évoqués afin de nourrir notre étude sur les traductions littéraires entre le français et l’allemand. Il sera notamment intéressant d’observer les éventuelles différences dans la traduction du mouvement selon si celui-ci est effectif, fictif ou métaphorique. Ainsi, les concepts de la linguistique cognitive apportent de nouvelles pistes d’analyse, tout en confirmant et en approfondissant des réflexions traductologiques menées depuis des décennies.

Les mots de l’espace

Avant même ces avancées récentes, le problème de la traduction des rapports spatiaux et plus particulièrement des déplacements entre le français et l’allemand a été bien balisé par la traductologie tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle. Les procédés de la transposition et du chassé-croisé, proposés par Vinay et Darbelnet pour l’anglais, ont pu être appliqués avec profit à la traduction de l’allemand et des ouvrages destinés à la formation des étudiants (et potentiels futurs traducteurs et traductrices) détaillent différentes manières de les employer. Mais comment sont-ils utilisés en dehors du cadre universitaire ? Notre corpus de traductions littéraires présente de nombreux exemples analogues à ceux étudiés par les linguistes et traductologues cités précédemment.

Transpositions et mouvements fictifs

L’allemand, étant une langue « satellite-framed », possède la faculté de décrire des itinéraires complexes à l’aide d’un seul verbe de base complété de plusieurs prépositions et préverbes, comme nous pouvons le voir dans cet extrait du roman de W. G. Sebald Les Anneaux de Saturne :

Der Fußpfad führt um den Verhack herum durch eine Ginsterböschung auf die Anhöhe der Lehmklippe hinauf und dort in geringer Entfernung von dem stets von Einbrüchen bedrohten Rand des festen Landes zwischen Adlerfarnen hindurch, von denen die größten mir bis an die Schultern reichten46.

La traduction de ce type d’énoncés en français, langue « verb-framed », nécessite dans la plupart des cas d’opérer une transposition des prépositions en verbes47. Le traducteur Bernard Kreiss trouve ainsi parmi une vaste palette de verbes de mouvement des équivalents retraçant au plus près ce chemin à travers la campagne :

Contournant l’abattis, le sentier franchit un talus couvert de genêts puis grimpe jusqu’au sommet de la falaise argileuse qu’il longe à faible distance du bord de la terre ferme, menacée d’effondrement par endroits, à travers des fougères dont les plus grandes m’arrivaient à hauteur d’épaules48.

Le sentier en question étant en réalité immobile, nous avons affaire à un mouvement fictif, plus précisément à ce que Talmy appelle un « chemin de co-extension » (« co-extension path49 »), où un objet fixe est représenté comme si une figure mobile en parcourait l’étendue. Comme le montre l’exemple ci-dessus, ce type de formulation peut être rendu par un mouvement fictif équivalent en français, moyennant la transposition des satellites en verbes.

Ce n’est pas toujours le cas en revanche en ce qui concerne la représentation des regards. Comme le notait déjà Blumenthal50, l’allemand a tendance à spatialiser ces derniers, c’est-à-dire à les exprimer en termes de mouvements métaphoriques. C’est moins le cas en français, comme l’atteste cet exemple tiré d’un autre roman de W. G. Sebald, Austerlitz, traduit par Patrick Charbonneau :

Bisweilen habe er auf seinen Wegen, ermüdet oder um sich nach der Himmelsrichtung zu orientieren, bei den tief in das Gemäuer hineingelassenen Fenstern hinausgeschaut über die wie Packeis ineinanderverschobenen bleigrauen Dächer des Palais oder hinunter in Schluchten und schlachtartigen Innenhöfe, in die nie noch ein Lichtstrahl gedrungen sei51.
Parfois dans ses pérégrinations, fatigué ou cherchant à s’orienter, il avait regardé par les fenêtres percées dans les épaisses murailles, dominé les toits gris plomb se chevauchant et s’encastrant comme les glaces chaotiques d’une banquise, ou plongé le regard dans les gouffres et les puits de cours intérieures où jamais encore le moindre rayon de lumière n’avait pénétré52.

Les nombreux préverbes du texte source (« hinein », « hinaus », « ineinander », « hinunter ») sont transposés dans le texte cible par une riche gamme de verbes d’action pouvant évoquer le même mouvement (« percées », « se chevauchant », « s’encastrant »). C’est ce que Malblanc appelle des verbes-métaphores, par lesquels le français compense son déficit de spatialité53. Il y a ainsi un processus de métaphorisation à l’œuvre dans les deux langues, mais qui ne s’opère pas de la même façon. Cependant, on constate que le verbe « hinausschauen » est traduit par « regarder par », la préposition « par » signifiant ici « à travers » et exprimant donc bien un mouvement. Il s’agit là d’un exemple dans lequel le français, langue « verb-framed », a lui aussi recours à un satellite. La préposition « über », qui poursuit en allemand la description du chemin parcouru par le regard, est traduite par le verbe « dominer », qui fait disparaître le mouvement dans le texte français. Celui-ci réapparaît cependant plus loin avec le verbe « plonger ». Le traducteur français dispose finalement de moyens linguistiques variés pour rendre le mouvement métaphorique du regard, depuis l’équivalent direct « regarder par la fenêtre », jusqu’à l’utilisation d’un verbe statique comme « dominer » qui évoque de manière abstraite la posture de surplomb de la figure, en passant par la description imagée du mouvement descendant de son regard. Le procédé traductologique de la transposition permet ainsi d’exprimer le déplacement à l’aide d’un verbe métaphorique, mais aussi de se départir de cette dimension concrète du mouvement, moins présente en français.

Chassé-croisé

Le procédé du chassé-croisé est particulièrement employé quand il s’agit de préciser la modalité d’un déplacement (« manner of motion »), ce qui pose des difficultés particulières dans le sens allemand-français54. Le français a pour cela souvent recours à une tournure gérondive, comme c’est le cas dans l’extrait ci-dessous du Terrier de Kafka traduit par Olivier Mannoni :

[…] in meinen Träumen schnuppert dort oft eine lüsterne Schnauze unaufhörlich herum55
[…] dans mes rêves il arrive fréquemment qu’un museau poussé par la convoitise vienne tourner autour en flairant sans arrêt56.

Avec sa tendance à alourdir la phrase, le gérondif se prête particulièrement à des cas où il est nécessaire de mettre en relief l’information, comme ici pour appuyer la convoitise d’un petit animal venant s’attaquer à des réserves de nourriture.

Les sonorités répétitives de ce type de tournure peuvent aussi être mises à profit comme ressource stylistique. Dans le récit de Robert Walser La Promenade, une longue phrase décrit la pérégrination du narrateur avec pas moins de treize circumpositions (« neben… vorbei », « an… vorbei »)57. Le premier traducteur, Bernard Lortholary, reproduit cet effet d’accumulation à l’aide de huit participes présents (« longeant », « côtoyant », « passant… devant »)58. Dans sa traduction ultérieure, Marion Graf choisit de mettre davantage en facteur commun le gérondif (« tout en passant », « passant »), qui n’apparaît que trois fois sur tout le passage59. Chez elle, l’accumulation provient moins du gérondif lui-même que de la répétition du même verbe et de la même préposition (« devant »).

Comme le note Marcel Pérennec, le chassé-croisé ne se résume pas à l’emploi d’un gérondif. C’est notamment le cas pour un verbe comme « reiten », qui signifie « aller à cheval ». Celui-ci est utilisé à plusieurs reprises dans un passage d’un roman d’Ilse Aichinger, où sont évoqués les dragons de la chanson militaire « Die blauen Dragoner ». Exactement comme dans les exemples étudiés par Malblanc, les deux versions françaises existantes traduisent le verbe « einreiten » par « entrer à cheval » :

Die blauen Dragoner hielten an. Sie waren in eine versunkene Stadt eingeritten60.
Le chant des dragons bleus fut coupé net. Ils étaient entrés à cheval au cœur d’une ville engloutie61.
Les dragons bleus s’immobilisèrent. Ils étaient entrés à cheval dans une ville engloutie
62.

Mario Wandruszka aurait pu argumenter ici que, les dragons étant un corps de cavalerie, l’on pourrait faire l’économie du complément circonstanciel et compter sur les connaissances historiques du lecteur pour se représenter le moyen de locomotion adéquat. Toutefois le verbe « reiten » est répété tout au long du passage, désignant tantôt les dragons, tantôt les nuages défilant dans le ciel. On comprend donc pourquoi les traducteurs ont préservé la référence explicite au cheval, qui ne se réduit pas à un simple automatisme de traduction. À un autre endroit du texte, lorsque le verbe apparaît dans un sens figuré pour introduire l’analogie des nuages avec les dragons, la traduction française récente de Denis Denjean et Uta Müller ose une solution plus littérale, ne recourant pas au procédé habituel du chassé-croisé :

Die Wolken reiten quer über Weizen- und Schlachtfelder und über die verschütteten Steinbaukästen, die Städte genannt werden63.
À cheval, ils traversent les champs de blé et les champs de bataille, ils traversent ces jeux de construction renversés qu’on appelle des villes64.
Les nuages cavalent à travers les champs de blé et les champs de bataille, à travers les pierres écroulées de ces jeux de construction qu’on appelle villes
65.

Tandis que la première traductrice, Marielore Rouveyre, a opéré la transposition de la préposition en verbe, traduisant « quer über » par « traverser » et adjoignant à celui-ci le complément « à cheval » pour préciser le mode de déplacement, la deuxième traduction utilise de manière poétique le verbe « cavaler », dont l’étymologie renvoie au cheval. Contrairement au procédé du chassé-croisé, cette solution n’est pas adaptée à tous les contextes, d’ailleurs elle n’est pas employée pour traduire « einreiten ». Le caractère métaphorique de la description, qui se situe cette fois sur le plan stylistique et non linguistique car nous avons bien affaire à un mouvement effectif, celui des nuages se déplaçant dans le ciel, ouvre le champ des traductions possibles.

Sous-traduction et sur-traduction

À l’opposé du chassé-croisé, dont le but est de saisir dans la langue cible tous les signifiants de la langue source en opérant une double transposition, en particulier dans le sens allemand-français, il arrive souvent que des signifiants soient ou bien laissés de côté ou bien ajoutés dans le passage entre ces deux langues où l’expression du mouvement suit des schémas différents. Les analyses de Talmy montrent que dans les langues romanes le verbe n’est le plus souvent pas accompagné d’un satellite indiquant la nature du mouvement : il y a donc un déficit d’information constitutif par rapport aux langues germaniques. Ce phénomène s’observe tout particulièrement quand il s’agit de traduire en français des mouvements fictifs ou métaphoriques, comme dans cette phrase tirée à nouveau du roman d’Ilse Aichinger :

[…] schrie der Zeitungsjunge über die Kreuzung66.
[…] cria le petit marchand de journaux du carrefour67.
Les cris du petit crieur de journaux traversaient le carrefour
68.

La première traduction élude complètement la question du mouvement. Si l’on y perd du point de vue stylistique, force est de constater que le sens reste à peu près équivalent. La seconde traduction en revanche réussit à ressaisir le mouvement en français en opérant un chassé-croisé original où le verbe allemand (« schreien ») devient le sujet de la phrase (« les cris »). Un autre exemple apparaît peu après où se combine la question de la description spatiale du regard et celle de la traduction difficile de la particule « hin », qui décrit la direction du mouvement :

Mißträuisch äugte er zu dem Blinden hinüber69
Il lorgnait l’aveugle avec méfiance70
Méfiant, il observait l’aveugle
71

Ici, tous les traducteurs ont opté pour faire passer dans l’implicite ce mouvement métaphorique du regard qui traverse le carrefour séparant le marchand de journaux de l’aveugle. Cela va dans le sens de Peter Blumenthal, qui observe une tendance générale de l’allemand à spatialiser des énoncés, à l’inverse du français.

Pour la traduction du français à l’allemand, la prise en compte de ces différences de structure et d’usage est indispensable si l’on veut obtenir un texte cible ne calquant pas le mode d’expression du français, « qui privilégie des verbes de mouvement et de localisation plus abstraits et tend à incorporer le chemin dans le verbe lui-même, tandis que l’allemand – et dans une certaine mesure aussi l’anglais – a tendance à spécifier plus concrètement les événements de déplacement et de localisation72 ». La traductrice Erika Tophoven a consigné de nombreux exemples où elle a eu recourt à des particules de mouvement (« hin », « herbei », « hinüber ») en traduisant Tu ne t’aimes pas de Nathalie Sarraute :

Mais aurions-nous tant voulu la retrouver, notre invisibilité73 [...].
Aber hätten wir unsere Unsichtbarkeit wieder so sehr herbeigewünscht, wenn74[...].
Vous choisissez un regard profond, halluciné [...] fixé sur des lointains qu’aucun autre regard ne peut atteindre75 [...].
Ihr wählt einen tiefen, erleuchteten Blick, der in die Ferne gerichtet ist [...] dorthin, wohin kein anderer Blick vordringt 76[...].
Nous essayons d’envoyer des arguments plus subversifs 77. [...]
Wir versuchen, zerstörerische, schockierende Argumente hinüberzuschicken 78[…].

Dans chacun de ces exemples, une traduction plus littérale du verbe français aurait été possible. Mais le choix de la « sur-traduction » par l’ajout de signifiants conduisant à spatialiser l’énoncé tient compte des habitudes linguistiques de l’allemand tout en apportant davantage de consistance stylistique au texte traduit.

L’espace des mots

La traduction littéraire pose non seulement la question du sens, mais aussi celle du style. C’est pourquoi les procédés que nous avons passés en revue ne suffisent pas à rendre compte de toute l’invention déployée par les traducteurs et traductrices dans la recréation d’un texte littéraire.

Limites des procédés traductologiques

Les considérations stylistiques, le rythme et l’euphonie de la traduction amènent parfois à se départir des procédés traductologiques. Dans ce nouvel exemple tiré du Terrier de Kafka, Olivier Mannoni aurait pu utiliser un chassé-croisé pour traduire « schleppte mich hinaus » (« je suis sorti en me traînant »), avec un résultat beaucoup moins élégant que la traduction sans transposition pour laquelle il a opté :

Einigemal wollte ich in der Verzweiflung körperlicher Ermüdung von allem ablassen, wälzte mich auf den Rücken und fluchte dem Bau, schleppte mich hinaus und ließ den Bau offen daliegen79.
À quelques reprises, dans le désespoir que m’inspirait la fatigue physique, j’ai voulu abandonner tout cela, je me suis roulé sur le dos et j’ai maudit le terrier, je me suis traîné jusqu’à l’extérieur en le laissant derrière moi, grand-ouvert80.

Le traducteur allemand Elmar Tophoven, qui avait lu avec attention l’ouvrage d’Alfred Malblanc, a également constaté que les procédés ne pouvaient s’appliquer de manière universelle. Sur l’une de ses fiches réalisées lors de la traduction de « Disent les imbéciles » de Nathalie Sarraute, le traducteur a noté « Malblanc ! » car la phrase en question lui rappelait les exemples donnés par ce dernier pour la traduction du verbe « entrer » en allemand :

NS/dli 27/14 2 210
Dans ce havre où elle est entrée
In diesem Hafen, wo
in den sie gesegelt ist.
in den sie sich begeben /
zurückgezogen hat
W Malblanc81!

Cette fiche fait état d’une première tentative de traduction qui applique le principe de la concrétisation du mouvement en allemand par l’emploi de la préposition « in » suivie de l’accusatif et du verbe « segeln » pour décrire le mode de déplacement d’un bateau (« manner of motion »). Néanmoins le traducteur y renonce au profit de verbes moins spécifiques, c’est-à-dire ne comportant pas la modalité du mouvement (« sich begeben », « sich zurückziehen »). C’est parce que le sujet de la phrase n’est en réalité pas un bateau, mais un personnage féminin entrant dans un havre métaphorique. On retrouve ici la question du caractère fictif ou métaphorique du mouvement, qui invite à dépasser le cadre des procédés préétablis.

Choix stylistiques

Contemporain du développement de la traductologie à partir des années 1960-1970, Elmar Tophoven était à l’affût de solutions créatives dont il espérait tirer des leçons générales sur l’art de traduire. C’est pourquoi il rédigeait de nombreuses fiches de traduction, qu’il partageait ensuite avec ses collègues dans l’espoir de susciter un échange d’expériences fructueux. Il raconte ainsi une conversation avec Paul Celan qui lui a fait découvrir un nouveau procédé :

À ce propos, voici un exemple que j’ai redécouvert en examinant les fiches sur Entre la vie et la mort et qui correspond à une suggestion d’amélioration que Paul Celan avait faite lors de l’une de nos dernières rencontres. Dans le roman, il est reproché au jeune écrivain d’avoir choisi une certaine personne comme modèle d’une description. Le jeune romancier se défend contre ce soupçon et dit à propos de la description en question : « Je n’ai pris ça nulle part. Je l’ai pris n’importe où... ». Le premier résultat de la traduction avait poussé trop loin le déploiement interprétatif de « prendre » : « Ich habe es nirgendwo abgeguckt. Es ist mir irgendwo aufgefallen... ». Pour éviter des interprétations de verbe trop audacieuses, Paul Celan avait suggéré, lors de l’inspection du fichier fin 1969, de se contenter ici de l’auxiliaire « haben » et du préfixe séparable « her », si bien que ce passage fut changé en : « Ich habe es nirgendwo her. Ich habe es überall her... ». Ce procédé à valeur générale méritait bien d’être noté avec un minimum de contexte et d’être ainsi mis à disposition82.

La première version de Tophoven fait appel à des verbes dont le sens est beaucoup plus spécifique que celui du français « prendre ». Grâce à l’emploi du préverbe « her », qui exprime une notion générale d’origine, Celan réussit à reproduire la concision et la répétition du français.

L’emploi de satellites comme les préverbes apparaît donc comme une ressource stylistique majeure pour la traduction du français à l’allemand. Erika Tophoven, qui a repris après la mort de son mari la traduction de Nathalie Sarraute, y a fréquemment recours, en particulier quand il s’agit de lier entre eux une suite de verbes :

Bien sûr, sinon, s’il n’y a en eux rien qui se tende, rien qui saisisse, emporte, amasse, conserve83. [...]
Freilich, sonst, wenn nichts in ihnen sich ausstreckt, zugreift, fortschafft, ansammelt, aufbewahrt84. [...]
Et ils les ont reçus [...] ils les ont retenus [...] détenus
85 [...].
Und sie haben diese Worte aufgenommen [...] behalten [...] festgehalten86. [...]

L’utilisation de verbes à préverbes sert à apporter une cohérence morphologique et rythmique à l’énumération. Dans le cas du second exemple, la répétition d’une même base verbale associée à différents préverbes compense la perte de l’assonance présente en français. Si l’on s’éloigne ici de la question du mouvement, beaucoup de ces préverbes n’étant pas utilisés dans un sens spatial, l’on constate que la traduction de la spatialité peut servir de modèle pour d’autres types de problèmes.

Interpréter, imaginer, recréer

Nous avons jusqu’à présent beaucoup parlé des mouvements fictifs ou métaphoriques, qui ouvrent aux traducteurs et traductrices une large palette de solutions créatives. Il ne faut toutefois pas négliger les mouvements effectifs, qui peuvent également nécessiter d’aller au-delà de la simple application de procédés traductifs. Elmar Tophoven raconte une anecdote intéressante à propos des romans d’Alain Robbe-Grillet, qui lui demandent de se représenter précisément, à partir des indices textuels, l’espace parcouru par les personnages, afin de pouvoir le recréer de manière cohérente dans sa traduction :

J’avais remarqué plus d’une fois qu’au début d’un livre, après quelques pages, la mention d’un détail quelconque dans l’image me forçait à transformer la façon dont mon imagination avait déjà fixé tout le tableau, parce que celui-ci était inversé. Par exemple : un escalier longeait dans mon imagination le mur extérieur d’une maison pour mener de bas en haut jusqu’au premier étage, puis quelqu’un montait l’escalier et tournait à droite pour entrer dans la maison. Ce détail m’amena à ne pas faire monter l’escalier d’en bas à gauche vers en haut à droite, comme je me l’étais imaginé, mais à corriger l’image, car seul un escalier montant de la droite vers la gauche permet d’entrer dans la maison par la droite. Mon bonhomme, en tournant à droite, serait tombé de l’escalier87.

Pour Elmar Tophoven, c’est le fait qu’Alain Robbe-Grillet est gaucher qui explique cette inversion de l’espace dans son cerveau de droitier. Ainsi, même les mouvements effectifs les plus simples passent par le prisme de trois opérations essentielles à la traduction : interpréter, imaginer, recréer. Chacune d’entre elles favorise l’expression de la subjectivité et de la créativité personnelle du traducteur ou de la traductrice.

Les exemples précédents nous ont déjà permis de voir comment la traduction vers l’allemand peut utiliser les mots de l’espace, comme les préverbes, pour travailler l’espace des mots. S’agissant maintenant de la traduction vers le français, les possibilités créatives ne sont certes pas les mêmes, du fait des différences structurelles entre les deux langues, mais elles n’en sont pas moins marquantes. Le traducteur ou la traductrice peut ainsi recourir à des ajouts basés sur son interprétation du texte et venant renforcer l’image qu’il s’agit de recréer. Dans sa traduction d’Austerlitz de W.G. Sebald, Patrick Charbonneau choisit ainsi de traduire la simple préposition « durch » par le terme beaucoup plus évocateur d’« entrailles » :

Austerlitz erzählte weiter, daß er [...] viele Stunden schon durch dieses steinerne Gebirge geirrt sei, durch Säulenwälder, an kolossalen Statuen vorbei, treppauf und treppab88.
Austerlitz me relata que [...] il avait erré de nombreuses heures dans les entrailles de cette montagne de pierres, parcourant des forêts de colonnes, passant près de colossales statues, montant et descendant des escaliers89.

Ce développement créatif est rendu possible par le contexte de l’extrait, où l’immense bâtiment parcouru par le personnage est représenté comme un monstre de pierre. De tels choix de traduction originaux reposent toujours sur une interprétation du texte source, tout à la fois étayée et subjective. C’est ce que n’hésite pas à faire Marion Graf dans La Promenade de Robert Walser :

Hier im Waldinnern war es still wie in einer glücklichen Menschenseele [...]. Tiefer drang ich hinein [...].
Es war so feierlich im Wald, daß köstliche Einbildungen sich wie von selber des empfindlichen Spaziergängers bemächtigten. Wie machte mich die süße Waldstille glücklich!
Von Zeit zu Zeit drang von außen her einiger schwacher Lärm in die Abgeschiedenheit und reizende, liebe Dunkelheit hinein90.
Ici, dans la forêt, le silence faisait penser au tréfonds d’une âme humaine enchantée [...]. Je m’y enfonçai [...].
Sous le couvert des arbres, la solennité était telle que de plaisantes imaginations s’emparaient comme d’elles-mêmes du promeneur impressionnable. Comme le doux silence de la forêt me pénétrait de bonheur !
De temps en temps, dans cette retraite et dans ma chère et délicieuse pénombre, un faible bruit filtrait du dehors
91.

La traduction de « im Wald » par « sous le couvert des arbres » pourrait à première vue rappeler les tendances déformantes à l’allongement et à l’ennoblissement dénoncées par Antoine Berman92. En réalité, si on la resitue dans le passage, il apparaît que la traductrice ressaisit par-là les fils d’un réseau sémantique qui dépeint la forêt comme un espace clos, séparé, protégé du monde extérieur par le dôme des arbres. Le préverbe « hinein », répété deux fois, ainsi que « im Waldinnern », contribuent à évoquer cette image, recréée en français par d’autres moyens et à d’autres endroits : « au tréfonds », « sous le couvert des arbres », « pénétrait ». Ce faisant, un glissement s’opère de l’espace physique de la forêt à l’espace psychologique du narrateur qui y projette ses « imaginations ».

Conclusion

L’étude de la spatialité dans des traductions littéraires entre le français et l’allemand nous a amenée à passer en revue un grand nombre de facteurs, des plus linguistiques aux plus littéraires. L’apport de la linguistique cognitive, que nous n’avons fait qu’esquisser, a permis de prolonger les acquis de la traductologie en détaillant les différentes manières d’exprimer l’espace selon les types de langues et les catégories de mouvements. Mais le caractère littéraire du corpus nécessitait de ne pas s’arrêter aux mots de l’espace, pour explorer également l’espace des mots, c’est-à-dire le champ créatif ouvert non seulement par le passage d’une langue à l’autre, mais aussi par le jeu de la composition littéraire.

La traduction de la spatialité nous invite pour finir à réfléchir à la spatialité de la notion de traduction elle-même, conçue dans la tradition occidentale comme passage et franchissement93. Un dernier exemple tiré du roman d’Ilse Aichinger en offre une image saisissante :

In der Mitte der Gasse lag auf dem grauen Pflaster ein offenes Schulheft, ein Vokabelheft für Englisch. Ein Kind mußte es verloren haben, Sturm blätterte es auf. Als der erste Tropfen fiel, fiel er auf den roten Strich. Und der rote Strich in der Mitte des Blattes trat über die Ufer. Entsetzt floh der Sinn aus den Worten zu seinen beiden Seiten und rief nach einem Fährmann: Übersetz mich, übersetz mich94!
Au milieu de la rue, sur l’asphalte gris, un cahier de classe était ouvert, un cahier de vocabulaire anglais. Quelqu’enfant devait l’avoir perdu. L’ouragan fit tourner ses pages. Lorsque la première goutte tomba, elle tomba sur la raie rouge. La raie rouge qui divise les feuilles de tous les cahiers de vocabulaire déborda. Saisi d’horreur, le sens s’enfuit des mots inscrits de chaque côté. Alors il appela un passeur : Traduisez-moi ! Traduisez-moi95 !
Au milieu de la rue, sur les pavés gris, gisait un cahier ouvert, un carnet de vocabulaire anglais. Un enfant avait dû le perdre, la tempête le feuilletait. La première goutte qui tomba, tomba sur le trait rouge. Et le trait rouge au milieu de la feuille sortit de son lit. Épouvanté, le sens quitta les mots de part et d’autre et appela un passeur : fais-moi passer, fais-moi passer
96 !

Le verbe allemand « übersetzen » signifie à la fois « faire passer » et « traduire ». Dans un cas le mouvement est effectif, dans l’autre métaphorique97. Une différence grammaticale permet de faire la distinction : le préverbe « über » est séparable quand il s’agit du verbe de déplacement, inséparable au sens figuré. Bien que la première version française soit donc plus juste de ce point de vue-là, ce passage illustre parfaitement l’assimilation de la traduction à une traversée. Plus encore, il matérialise le dépassement des cadres linguistiques, le débordement du sens qui est au cœur de la traduction, a fortiori la traduction littéraire.

Notes

1Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet, Stylistique comparée du français et de l’anglais, méthode de traduction, Paris, Didier, coll. « Bibliothèque de stylistique comparée », 1958.

2La traductologie est née au début des années 70, la stylistique comparée dans les années 1940. [Note des éditrices]

3« La traductologie est une discipline hybride : son objet est tout autant la pratique de la traduction en tant qu’elle met en jeu des opérations langagières et cognitives que les conditions pragmatiques et socio-culturelles de cette pratique et son résultat. En ce sens, elle embrasse les dimensions linguistique, littéraire (et esthétique), et socio-culturelle de l’acte de traduction et de la traduction elle-même. » Maryvonne Boisseau, « De la traductologie aux sciences de la traduction ? », Revue française de linguistique appliquée, XXI-1, 2016, p. 9‑21. Ici p. 14.

4La traduction transparente est une méthode de documentation réflexive du processus traductif élaborée par Elmar Tophoven. Voir Solange Arber, Genèses d’une œuvre de traducteur. Elmar Tophoven et la traduction transparente, Tours, Presses universitaires François Rabelais, coll. « Traductions dans l’histoire », 2023.

5Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Gallimard, 1994.

6Alfred Malblanc, Pour une stylistique comparée du français et de l’allemand, essai de représentation linguistique comparée, Paris, Didier, 1944..

7Ibid., p. 11.

8Ibid.

9Ibid., p. 15.

10Alfred Malblanc, Stylistique comparée du français et de l’allemand : essai de représentation linguistique comparée et étude de traduction, 4e éd. revue, Paris, Didier, coll. « Bibliothèque de stylistique comparée », n˚ 2, 1968, p. 67.

11Alfred Malblanc, Pour une stylistique comparée du français et de l’allemand, essai de représentation linguistique comparée, op. cit., 1944, p. 15 ; Alfred Malblanc, Stylistique comparée du français et de l’allemand, op. cit.1968, p. 75.

12Alfred Malblanc, Stylistique comparée du français et de l’allemand..., op. cit., 1968, p. 76.

13Ibid., p. 67.

14Ibid., p. 74.

15« Das Deutsche, das Englische geben immer wieder dem Verbum einen Richtungszusatz bei, während in den romanischen Sprachen die Richtung im Verbum selbst enthalten ist. » Mario Wandruszka, Sprachen: vergleichbar und unvergleichlich, München, R. Piper & Co, 1969, p. 459. Notre traduction.

16« Die Richtung, in die die Bewegung geht (e. out, d. hinaus), wird in den romanischen Sprachen durch das Verb bezeichnet (f. sortir, i. uscire, s. salir, p. sair), die Art der Bewegung (e. to go, d. gehen) bleibt in den romanischen Sprachen unausgedrückt ; sie ergibt sich hier von selbst, sie ist eindeutig implizit mitverstanden. Man sollte deshalb nicht voreilig von einem „abstrakteren Charakter“ der romanischen Sprachen, einem „konkreteren Charakter“ der germanischen sprechen: Implikation ist noch lange nicht Abstraktion. Was die germanischen Sprachen hier mit zwei Wörtern sagen, wird in den romanischen Sprachen nicht weniger deutlich, nicht weniger anschaulich mit einem einzigen Wort gesagt. » Ibid., p. 460. Notre traduction. Voir aussi p. 467.

17« Warum aber machen die romanischen Sprachen so wenig Gebrauch von diesem Verfahren der Verbalkomposition, von dieser Möglichkeit, eine komplexe Vorstellung durch die Verbindung eines Verbums mit einer Verbalpartikel wiederzugeben. Auch hier kommt man über ein paar ganz unzureichende Vermutungen nicht hinaus. Das Lateinische besaß zwei Möglichkeiten, dem Verbum einen Richtungszusatz zu geben, durch ein Adverb […] oder durch ein Präfix […]. Das war ein ganz offenes Programm, durchaus vergleichbar der germanischen Verbalkomposition. Warum haben die romanischen Sprachen sich davon abgewandt? Vielleicht ist der lautliche Verbrauch und Verschleiß der lateinischen Präpositionen und Präfixe daran schuld. […] Vielleicht hat die phonetische Reduktion der Präpositionen und Präfixe den Anstoß dazu gegeben, den Ausdruck der Richtung mehr in das Verbum selbst zu verlegen, sich mehr und mehr reiner Richtungsverben zu bedienen. » Ibid., p. 475‑476. Notre traduction.

18Ibid., p. 460.

19« Eine solche komplexe Vorstellung – die Bewegungsart im Verbum, die Bewegungsrichtung im Verbzusatz – wird in den romanischen Sprachen so wiedergegeben, daß die Rollen vertauscht werden : die Bewegungsrichtung im Verbum, die Bewegungsart in einem hinzugefügten Gerundium, Partizip, Adverb oder Adverbiale […]. Für diesen Rollentausch hat die vergleichende Sprachwissenschaft einen hübschen Namen gefunden, sie nennt es ein „chassé-croisé“, nach der Tanzfigur, in der die Bewegungen der Paare einander überkreuzen. » Ibid. Notre traduction.

20[« Es] fällt im Übersetzungsvergleich immer wieder auf, daß der deutsche Text dem Räumlichen mehr Aufmerksamkeit schenkt als der französische. Bei der Darstellung eines Sachverhalts neigt das Deutsche zur Hervorhebung einer – im Französischen nicht in Erscheinung tretenden – räumlichen Komponente im Gesamtkomplex der Informationen. Für jeden Einzelfall lassen sich ohne weiteres Sondererklärungen finden (idiomatischer Sprachgebrauch, Lexikalisierung, deutsche Bevorzugung valenzfreier Konstruktionen, deutsche Konkretisierung der semantisch leeren Konjunktionen de und à, französische Vorliebe für “adjectifs relationnels”, individueller Übersetzergeschmack usw.). Daß solche Einzelfaktoren aber im Deutschen mit einer gewissen Regelmäßigkeit zur Verräumlichung der Aussage führen und im Französischen nur ausnahmsweise, kann nicht als belanglose Anhäufung von sprachlichen Zufällen gedeutet werden. » Peter Blumenthal, Sprachvergleich Deutsch-Französisch, 2., édition revue et augmentée, Tübingen, M. Niemeyer, coll. « Romanistische Arbeitshefte », n˚ 29, 1997, p. 67. Notre traduction.

21Ibid.

22Ibid., p. 70‑71.

23« Trotz alldem darf man für beide Übersetzungsrichtungen die Vermutung wagen, daß der französische Leser aufgrund des Kontextes und seiner eigenen Weltkenntnis zu einem ähnlichen Gesamtbild des Sachverhalts gelangt wie der Leser der expliziteren deutschen Version. » Ibid., p. 71. Notre traduction.

24Marcel Pérennec, Éléments de traduction comparée français-allemand, Paris, Éditions Nathan, 1993, p. 12‑13.

25Ibid., p. 14.

26Ibid.

27Ibid., p. 15.

28Ibid.

29Leonard Talmy, « How Languages represent Motion events: Typologies and Universals », in Ten Lectures on Cognitive Semantics, Leiden/Boston, Brill, coll. « Distinguished Lectures in Cognitive Linguistics », 2018, p. 317‑336.

30Ibid., p. 317.

31Ibid., p. 318.

32Ibid.

33Ibid., p. 322.

34Ibid., p. 331.

35Sabine De Knop, « Expressions of motion events in German: an integrative constructionist approach for FLT », CogniTextes. Revue de l’Association française de linguistique cognitive, vol. 20, 2020, https://journals.openedition.org/cognitextes/1882.

36« The strength of the German language is its great flexibility in the combination of path and manner expression in compact or synthetic groups, e.g. compound verbs, compound adverbs or prepositional groups. Translation difficulties of German expressions of motion into a Romance language very much result from the synthetic character of these expressions conflating path and manner in one (compound) expression. Romance languages favour more analytic expressions of these two dimensions, clearly separating path from manner, often even omitting the expression of manner. » Sabine De Knop et Françoise Gallez, « Manner of motion: A privileged dimension of German expressions », International Journal of Cognitive Linguistics, 2-1, 2011, p. 25‑40, ici p. 35. Notre traduction.

37« In the German motion and posture expression there is an obligation to specify the manner of motion, which does not pertain to French (or even the Germanic language English). » Ibid., p. 27.

38« There seems to be a general principle that if some concept shows up in the verb or satellite, it is relatively backgrounded there in attention. You can express it with relative backgrounding, whereas if it is expressed anywhere else, like in a noun or a phrase or a clause or a gerund of any sort, then it is ipso facto foregrounded, it is more called to attention. Up to this point we might have said that every language is simply equivalent, in that in every case there’s a universal phenomenon of what the semantic structure is of the motion event with its components with their particular relations. And every language simply has its own way, or its own typological category, for displaying those components where they put them. But there is a difference. It turns out that whatever way the language has for where it puts its components, whatever it puts in the verb and satellite, that gets bakgrounded, and you can’t capture that in another language, in a language that does it differently. » Leonard Talmy, « How Languages represent Motion events: Typologies and Universals », op. cit., p. 331‑332. Notre traduction.

39Peter Blumenthal, Sprachvergleich Deutsch-Französisch..., op. cit., p. 71.

40Voir Aurélie Barnabé, « Expression verbale du mouvement fictif et effectif », Corela. Cognition, représentation, langage, 14‑2, 22 novembre 2016, https://journals.openedition.org/corela/4641.

41« [S]omething which factively is assessed as stationary is nevertheless somehow represented, either in some visual sensing manner or literal wording of a sentence, as moving. » Leonard Talmy, « Fictive Motion in Language and “Ception” », in Ten Lectures on Cognitive Semantics, op. cit., p. 128. Notre traduction.

42« [N]ot every language will have fictive motion in the same place ». Ibid. Notre traduction.

43Sabine De Knop et René Dirven, « Motion and Location Events in German, French and English: A typological, contrastive and pedagogical approach », in Sabine De Knop et Teun De Rycker (dir.), Cognitive Approaches to Pedagogical Grammar: A Volume in Honour of René Dirven, Berlin/New York, De Gruyter Mouton, 2008, p. 310.

44Ibid., p. 313‑314.

45Sabine De Knop, « Expressions of motion events in German », op. cit.

46Winfried Georg Sebald, Die Ringe des Saturn, Francofrt/Main, S. Fischer, 2012, p. 83.

47« It does not surprise that French as a verb-framed language cannot take several ground satellites, but expresses part of this trajectory by a different verb each time, which can take one satellite only […], whereas English and German can specify the complex ground trajectory with one verb and several satellites. » Sabine De Knop et René Dirven, « Motion and Location Events in German, French and English », op. cit., p. 301.

48Winfried Georg Sebald, Les Anneaux de Saturne, traduit par Bernard Kreiss, Paris, Gallimard, 2003, p. 92.

49Leonard Talmy, « Fictive Motion in Language and “Ception” »..., op. cit., p. 140.

50Peter Blumenthal, Sprachvergleich Deutsch-Französisch..., op. cit., p. 67.

51Winfried Georg Sebald, Austerlitz, Francfort/Main., S. Fischer, 2013, p. 47‑48.

52Winfried Georg Sebald, Austerlitz, traduit par Patrick Charbonneau, Paris, Gallimard, 2006, p. 48.

53Alfred Malblanc, Stylistique comparée du français et de l’allemand, op. cit., p. 76.

54« In the translations the German satellite particle for the path of motion will be expressed by the main verb in French, the manner of motion will be expressed in French by a gerund or an adverbial […]. As the manner of motion is more scarcely expressed in French the translated construction will sound rather unnatural. » Sabine De Knop et Françoise Gallez, « Manner of motion », op. cit., p. 32.

55Franz Kafka, « Der Bau », in Sämtliche Erzählungen, Cologne, Anaconda Verlag, 2007, p. 564.

56Franz Kafka, Le Terrier, traduit par Olivier Mannoni, Paris, L’Herne, 2009, p. 10.

57Robert Walser, « Der Spaziergang », in Seeland, Zurich, Suhrkamp, 1986, p. 102‑103.

58Robert Walser, La Promenade, traduit par Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, 1987, p. 40‑41.

59Robert Walser, « La Promenade », in Seeland, traduit par Marion Graf, Carouge-Genève, Zoé, 2005, p. 89‑159.

60Ilse Aichinger, Die größere Hoffnung, Francfort/Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 1982, p. 57.

61Ilse Aichinger, Le Grand espoir, traduit par Marielore Rouveyre, Paris, Gallimard, 1956, p. 89.

62Ilse Aichinger, Un plus grand espoir, traduit par Denis Denjean et Uta Müller, Lagrasse, Verdier, 2007, p. 81.

63Ilse Aichinger, Die größere Hoffnung..., op. cit., p. 56.

64Ilse Aichinger, Le Grand espoir..., op. cit., p. 87.

65Ilse Aichinger, Un plus grand espoir..., op. cit., p. 79.

66Ilse Aichinger, Die größere Hoffnung..., op. cit., p. 17.

67Ilse Aichinger, Le Grand espoir..., op. cit., p. 26.

68Ilse Aichinger, Un plus grand espoir..., op. cit., p. 24.

69Ilse Aichinger, Die größere Hoffnung..., op. cit., p. 18.

70Ilse Aichinger, Le Grand espoir..., op. cit., p. 26.

71Ilse Aichinger, Un plus grand espoir..., op. cit., p. 25.

72« The problem of French-speaking learners can perhaps be better understood if one takes into account the preferential conceptualizations of French, which privileges more abstract motion and location verbs and tends to incorporate the path in the verb itself, whereas German – and to some extent also English – tends towards a more concrete specification of motion and location events. » Sabine De Knop et René Dirven, « Motion and Location Events in German, French and English », op. cit., p. 305.

73Nathalie Sarraute, Tu ne t’aimes pas, Paris, Gallimard, 1991, p. 117.

74Nathalie Sarraute, Du liebst dich nicht, traduit par Erika Tophoven, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1992, p. 120.

75Nathalie Sarraute, Tu ne t’aimes pas..., op. cit., p. 118.

76Nathalie Sarraute, Du liebst dich nicht..., op. cit., p. 121.

77Nathalie Sarraute, Tu ne t’aimes pas..., op. cit., p. 119.

78Nathalie Sarraute, Du liebst dich nicht..., op. cit., p. 122.

79Franz Kafka, « Der Bau », op. cit., p. 567.

80Franz Kafka, Le Terrier..., op. cit., p. 15.

81Archives Tophoven, Straelen. © Erika Tophoven.

82« Hierfür ein Beispiel, das ich bei der Durchsicht der Entre la vie et la mort-Zettel wiederentdeckte und das einen Verbesserungsvorschlag wiedergibt, den Paul Celan bei einer unserer letzten Begegnungen gemacht hatte. In dem Roman wird dem jungen Schriftsteller vorgeworfen, sich bei einer Beschreibung eine bestimmte Person als Modell ausgewählt zu haben. Der junge Romancier wehrt sich gegen diesen Verdacht und sagt über die erwähnte Beschreibung: “Je n’ai pris ça nulle part. Je l’ai pris n’importe où...”. Beim ersten Übersetzungsergebnis “Ich habe es nirgendwo abgeguckt. Es ist mir irgendwo aufgefallen...” hatte die auffächernde Deutung von “prendre” zu weit geführt. Zur Vermeidung allzu kühner Verbinterpretationen hatte Paul Celan bei der Besichtigung des Zettelkastens Ende 1969 vorgeschlagen, hier mit dem Hilfsverb “haben” und der trennbaren Vorsilbe “her” vorliebzunehmen, sodaß diese Stelle verändert wurde zu: “Ich habe es nirgendwo her. Ich habe es überall her...”. Dieser allgemein gültige Kunstgriff verdiente es wohl, mit einem Minimum an Kontext aufgezeichnet und so verfügbar gemacht zu werden. » Elmar Tophoven, « Vorlektüre-Spontanglossar-Nachlese », in Wolfgang Pöckl (dir.), Europäische Mehrsprachigkeit: Festschrift zum 70. Geburtstag von Mario Wandruszka, Tübingen, Max Niemeyer, 1981, p. 451‑452. Notre traduction.

83Nathalie Sarraute, Tu ne t’aimes pas..., op. cit., p. 25.

84Nathalie Sarraute, Du liebst dich nicht..., op. cit., p. 26.

85Nathalie Sarraute, Tu ne t’aimes pas..., op. cit., p. 81.

86Nathalie Sarraute, Du liebst dich nicht..., op. cit., p. 84.

87« Ich hatte mehr als einmal bemerkt, daß ich am Anfang eines Buches, nach ein paar Seiten, durch die Erwähnung irgendeines zum Bild gehörenden Details genötigt wurde, in meiner Vorstellung das ganze schon fixierte Bild umzubauen, weil es seitenverkehrt entstanden war. Zum Beispiel: eine Treppe führte in meiner Vorstellung an der Außenwand eines Hauses von unten nach oben zum ersten Stock, dann ging jemand die Treppe hinauf und bog oben nach rechts ins Haus. Dieses Detail veranlaßte mich, meine Treppe nicht von links unten nach rechts oben ansteigen zu lassen, wie ich es mir vorgestellt hatte, sondern das Bild zu korrigieren, denn nur, wenn eine Treppe von rechts unten nach links oben führt, kann man nach rechts ins Haus gehen. Mein Mann wäre, nach rechts gehend, von der Treppe gefallen. » Elmar Tophoven, «Relationen zwischen den Künsten als Schlüssel zum Verständnis moderner literarischer Werke», 1966, p. 15. Archives Tophoven, Straelen. Notre traduction.

88Winfried Georg Sebald, Austerlitz..., op. cit., p. 47.

89Winfried Georg Sebald, Austerlitz..., op. cit., p. 45.

90Robert Walser, « Der Spaziergang », op. cit., p. 105.

91Robert Walser, « La Promenade », op. cit., p. 111.

92Antoine Berman, La Traduction et la Lettre ou l’Auberge du lointain, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 56 et suivantes.

93Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français : essai sur les origines de la traduction en France, Paris, Belin, coll. « L’Extrême contemporain », 2012, p. 86 et suivantes.

94Ilse Aichinger, Die größere Hoffnung..., op. cit., p. 56.

95Ilse Aichinger, Le Grand espoir..., op. cit., p. 87.

96Ilse Aichinger, Un plus grand espoir..., op. cit., p. 79.

97Voir les exemples cités plus hauts. Sabine De Knop et René Dirven, « Motion and Location Events in German, French and English », op. cit., p. 313‑314 ; Sabine De Knop, « Expressions of motion events in German », op. cit.

Pour citer ce document

Solange Arber , « Les mots de l’espace, l’espace des mots. Spatialité et créativité de la traduction littéraire entre le français et l’allemand », Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], n° 5, « Les hommes, les espaces, la nature : enjeux traductologiques », 2023, URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php_id_2452.html

Quelques mots à propos de : Solange Arber

Solange Arber est maîtresse de conférences en Études germaniques à l’université de Picardie Jules Verne. Ses domaines de recherches sont la traduction littéraire, la génétique des traductions et l’histoire des traducteurs et traductrices. Elle a publié en 2023 un ouvrage issu de sa thèse intitulé Genèses d’une œuvre de traducteur. Elmar Tophoven et la traduction transparente (PUFR).