Petite enfance en danger : le rôle ambigu des nourrices dans l’ancienne société italienne
Résumé
Depuis une trentaine d’années, l’histoire de l’enfance et en particulier de l’enfance abandonnée dans l’Italie de la Renaissance et de l’époque moderne a été un sujet largement débattu par les chercheurs. Tout d’abord, avec une approche démographique liée à la mortalité infantile. Grâce à l’exploitation de très riches archives, notamment hospitalières, les historiens se sont penchés sur des questions communes. Toutefois, certains aspects liés à l’enfance et propres à l’histoire italienne, méritent, dans une approche non pas seulement quantitative, d’être mieux analysés. Dans l’Italie moderne les enfants trouvés - faute de place dans les hôpitaux - étaient souvent mis en nourrices à la campagne chez des femmes, qui, elles-mêmes, afin de pouvoir travailler, n’hésitaient pas à envoyer leurs enfants à l’hôpital des enfants abandonnés. Très pauvres, ces femmes étaient considérées comme un mal nécessaire. À la suite de la disparition de nombreux enfants mis en nourrice, l’hôpital romain du Santo Spirito mit en place un système de reconnaissance des enfants, imité promptement ailleurs : un tatouage. Malgré cela, il arriva qu'à la mort de l’enfant mis en nourrice, cette dernière le remplace par un autre enfant (le sien par exemple), en falsifiant le tatouage, afin de continuer à toucher le salaire. Le problème des disparitions d’enfants placés en nourrice, connu aussi dans d’autres pays, est bien attesté dans les différentes archives consultées par l’auteur. En 1668 par exemple, dans l’Archivio Diocesano de Gênes, une lettre d’accusation qui porte les noms de 32 signataires, dénonce l’archiprêtre Rolando Lagomarcino qui tirait profit des nourrices en charge des exposés de l’hôpital, en leur vendant « un peu de sel, de pain, de vin et d’ail », et encaissait ainsi les polices d’assurances (polisse) avec lesquelles étaient taxés les salaires des exposés et, en accord avec les nourrices, attestait que les exposés décédés étaient encore en vie.
Abstract
For at least thirty years, the history of childhood and in particular of abandoned children in Italy during the Renaissance and Early Modern Times has been an important subject of investigation, especially with a demographical approach linked to infant mortality. Thanks to significant investigations of copious hospital archives (mainly the Innocenti archives in Florence), historians were able to explore some common questions. However, some specific topics linked to infancy and Italian history deserve, not only in a quantitative approach, a better focus. In Early Modern Italy abandoned children - when they failed to go to the foundlings hospital- were often sent to a wet nurse in the country; in order to work, these same women did not hesitate to send their children to the foundlings hospitals. These women were very poor and considered the lesser evil. After the disappearance of several children sent to wet-nurses, the Roman foundlings hospital of Santo Spirito, created a system to control the survival of the children, which was quickly imitated elsewhere: a tattoo. Despite this, it happened that when a child sent to wet-nurse died, the wet nurse replaced him or her with another child (in general her own), generally with a fake tattoo, to continue to receive the salary. The problem of the disappearance of children sent to the wet nurses is well known in other countries, and is well documented in the archives I investigated in Italy. For example in 1668 in the Archivio Diocesano of Genoa we can find an accusation letter signed by 32 witnesses. This letter indicts the reverend Rolando Lagomarcino who was making profits from the wet nurses of the local foundlings hospital by selling these women “some salt, some brad, some wine and garlic”. By so doing, he collected the “insurance policies” of the salary due to the wet nurses and through an agreement with them, he certified that the children were still alive.
Table des matières
Texte intégral
1Depuis une trentaine d’années, l’histoire de l’enfance et en particulier de l’enfance abandonnée dans l’Italie de la Renaissance et de l’époque moderne a été un sujet largement débattu par les chercheurs (E. Becchi)1, avec surtout une approche démographique liée à la mortalité infantile (G. Da Molin)2. L’essor de la démographie historique, partie de « L’école des Annales » en France, incite de nombreux chercheurs à explorer des terrains jusqu’à cette époque vierges, alors que les sources d’archives avaient un potentiel encore intact. Grâce en particulier à l’exploitation de très riches archives hospitalières, surtout celles des Innocenti à Florence (voir C. Klapisch-Zuber, L. Sandri et P. Gavitt)3 les chercheurs se sont penchés sur des questions communes à leurs collègues européens (Annales de Démographie Historique 1973, 1994, puis 2001 et 2012 pour le bilan des recherches)4. Toutefois, certains aspects liés à l’enfance et propres à l’histoire italienne, méritent, dans une approche non pas seulement quantitative, d’être à nouveau analysés et mis à jour.
2Dans l’ancienne société italienne les enfants trouvés – faute de place dans les hôpitaux – étaient souvent mis en nourrice à la campagne chez des femmes, qui, elles-mêmes, afin de pouvoir travailler, n’hésitaient pas à envoyer leurs enfants à l’hôpital. Très pauvres, ces femmes étaient considérées comme un mal nécessaire. À la suite de la disparition de nombreux enfants mis en nourrice, l’hôpital romain du Santo Spirito mit en place un système de reconnaissance des enfants, un tatouage ou marquage au fer, imité promptement ailleurs. Malgré cela, il arriva qu’à la mort de l’enfant mis en nourrice, cette dernière le remplace parfois par un autre enfant (le sien par exemple), en falsifiant le tatouage, afin de continuer à toucher le salaire. Le problème des disparitions d’enfants placés en nourrice, connu aussi dans d’autres pays, est bien attesté dans les archives que nous avons consultées et constitue une question sociale bien connue par la classe dirigeante de l’époque, sur lequel elle fermait parfois les yeux.
3Dans cette étude nous allons donc nous intéresser à cet aspect particulier de la mise en nourrice des enfants abandonnés chez des femmes pauvres hors de l’orphelinat, sachant, comme on le verra plus tard, que la mise en nourrice et la survivance des enfants placés croise de gré ou de force, un autre sujet « sensible » : celui de l’infanticide5. Il est nécessaire toutefois de retracer rapidement les modalités de la mise en nourrice et les aspects que les chercheurs ont, au fil des années, pu mettre en avant au sujet de cette pratique.
4Au fil de cette analyse, nous traiterons du petit enfant et de sa nourrice, deux « entités » entrelacées, qui nous permettront de mettre en lumière des changements de sensibilités, des pratiques et des témoignages propres à l’ancienne société et aujourd’hui, de fait, disparus. Seule la mémoire orale des « contes de famille », désormais quasiment perdue, nous permet encore de rencontrer des histoires de mise en nourrice d’enfants abandonnés au début du XXe siècle.
Prémisses et problématiques
5Pour les sources sur l’enfance et la mise en nourrice en Italie nous sommes débiteurs des travaux pionniers de Christiane Klapisch-Zuber. Depuis ses travaux dans les années 1970, nous savons comment les enfants envoyés en nourrice sont souvent des fils d’esclaves ou de servantes qui peuvent apporter « la détérioration d’un précieux capital »6, celui du lait de leurs mères. Comme l’écrira plus tard Olwen Hufton, dans l’ancienne société il y avait trois types de femmes qui mettaient leurs enfants en nourrice : les aristocrates, les citadines des classes moyennes et les femmes des milieux modestes qui devaient travailler et ne pouvaient pas allaiter. Cela implique qu’il y avait aussi différents types de nourrices et que progressivement « tout en bas de l’échelle des nourrices se trouvaient des femmes qui servaient dans les orphelinats […] dans certaines régions, l’allaitement fit partie des expédients dont vivaient les pauvres »7. Hufton toutefois n’évoque pas une quatrième catégorie de nourrices, des femmes parmi les plus pauvres, qui s’occupent des enfants trouvés provenant de l’hôpital.
6Les études sur Florence de Christiane Klapisch-Zuber croisent celles de l’historien américain Richard Trexler, qui aborde, lui aussi au début des années 1970, toutes les questions qui, encore aujourd’hui, se trouvent au centre du débat sur l’enfance, la mise en nourrice et l’infanticide8. Dans un article pionnier, Trexler, données à l’appui, argumente que l’infanticide a été un fait répandu dans la région de Florence entre 1400 et 1500. Le point de départ de son analyse est la fondation en 1445 de l’Hôpital des Innocenti à Florence, l’Hôpital des Enfants Trouvés, et du système des balie, les nourrices, ainsi que le haut taux de mortalité des enfants, en particulier des filles confiées aux nourrices hors de l’hôpital9. C’est ainsi que Trexler, pour la première fois, a considéré des aspects de l’infanticide jamais exploités auparavant, ceux liés aux nourrices et aux étouffements, mais aussi à une présumée sélection sexiste dans la suppression volontaire/involontaire des nourrissons. Trexler conclut son analyse en essayant de montrer que l’infanticide a été, pour cette microsociété, un crime sexiste qui semble viser en particulier les filles mais aussi un problème de survivance dans une époque dominée par les famines lorsque la mort d’un enfant peut passer inaperçue. Ce qu’a bien mis en évidence encore Christiane Klapisch-Zuber lorsqu’elle affirme que
La petite fille ne recevait pas des soins équivalents à ceux qu’on accordait à ses frères, au moins dans les périodes difficiles ou dans les milieux qui se débattaient dans la misère. Il est possible que, sans aller jusqu’à l’abandon, les familles pressées par la famine aient pu laisser s’établir une mortalité féminine supérieure à celle des garçons »10.
7Cette thèse, qui relie celle chère aux historiens proches de l’histoire quantitative et de l’histoire du genre, doit être prise en compte. Toutefois, les sources que nous avons consultées permettent de ne pas aborder seulement l’histoire quantitative mais de prendre en compte d’autres aspects, comme le souligne Marie-France Morel :
Les explications simples et mécanistes (misère, dépravation des mœurs, surpopulation, indifférence) sont insuffisantes : il faut insister sur la diversité des conditions locales […] et privilégier des modèles complexes, où se croisent l’honneur des femmes et des familles, le rôle de l’Église et celui de l’État, ainsi que la qualité de l’offre d’accueil en institution11.
8Nous pouvons en conclure que les enfants provenant des classes plus aisées, notamment de la bourgeoisie citadine et marchande, dont Florence représente un exemple éclairant, sont mis en nourrice chez des femmes, qui, elles-mêmes, afin de pouvoir travailler, n’hésitent pas à envoyer leurs enfants à l’hôpital. Plus généralement, l’abandon au XVe siècle et la mortalité qui régnait dans les hôpitaux pour enfants trouvés, montre un flux abondant d’enfants emmenés dans ces institutions, en particulier dans les années de disette alors que les parents ne peuvent plus nourrir leurs enfants. Comme l’écrit encore Christiane Klapisch-Zuber :
Même en dehors de conditions aussi exceptionnelles, cependant, la misère, le veuvage, le service domestique auquel étaient contraintes des femmes dans le dénuement nourrissaient le flux des abandons. Il n’était pas rare qu’une pauvresse justifiât son geste par le fait que pour survivre elle devait vendre sa force de travail comme servante ou son lait comme nourrice : à Florence, l’allaitement rétribué par un quelconque père de famille point trop impécunieux excluait en effet qu’un autre enfant tétât le même sein, et la femme qui en était réduite à prendre un bébé en nourrice devait choisir entre son enfant et celui de la famille qui la payait. Les plus désespérées portaient le leur aux hospices, d’autres moins démunies le plaçaient à leur tour chez une nourrice plus pauvre qu’elles12 .
9À titre comparatif, en France, Montaigne, dans les Essais, se souvient de ses enfants décédés en nourrice, et il écrit « ils [mes enfants] meurent tous en nourrise »13. Dans le même esprit, au XVIIe siècle, l’avocat angevin Pierre Audouys note scrupuleusement dans son livre de raison la naissance, le baptême et le départ en nourrice de ses huit enfants. Sur huit, cinq meurent avant cinq ans dont trois en nourrice et, comme l’écrit François Lebrun, il ne semble pas s’interroger « émotionnellement » sur ces décès consécutifs14. Plus tard, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), qui eut lui-même de Thérèse Levasseur cinq enfants déposés à l’Hospice des Enfants Trouvés de Paris par la sage-femme Mlle Gouin15, écrit dans L’Émile : « Le lait peut être bon et la nourrice mauvaise. Il importe qu’elle soit saine d’âme ainsi que de corps […] si l’on prend une femme vicieuse, je ne dis pas que l’enfant contractera ses vices, mais je dis qu’il en pâtira »16. Plaidant pour que les mères allaitent elles-mêmes leurs enfants, une pratique quasiment inconnue dans les classes sociales aisées, Rousseau montre toute l’ambigüité de cette époque : il envoie ses propres enfants à l’hôpital – un geste qui ressemble à un véritable abandon – et il prône l’allaitement maternel contre l’allaitement effectué par une nourrice. Contradiction – à nos yeux – que celle d’une société dont les paramètres éducatifs et pédagogiques semblent si loin des nôtres : en Italie, jusqu’au début du XXe siècle de nombreux enfants de la bourgeoisie étaient allaités par des nourrices.
10Comme en témoigne Rousseau, mise en nourrice et allaitement sont indissociables : tel est le but de cette activité, nourrir le nourrisson et – pouvons-nous ajouter – faire en sorte qu’il survive au déplacement depuis l’hôpital jusqu’à la nourrice et qu’il y reste jusqu’à un âge bien au-delà de ce que l’on peut considérer comme « la petite enfance ». Les statistiques dont nous disposons (à Florence comme à Paris ou en province) sont claires : à Paris au XVIIIe siècle de 25 à 40% des nourrissons envoyés chez des nourrices y meurent. La question de la labilité du child care entre care et neglect de la petite enfance revient constamment dans la mise en nourrice17. Manque d’hygiène, fatigue du voyage fait dans de mauvaises conditions par le nouveau-né, difficultés d’adaptation au nouveau lait, mauvaise foi de la nourrice qui allaite plusieurs enfants en même temps…18. Un véritable parcours semé d’embûches.
Nourrices et enfants en danger dans l’Italie moderne
11Comme nous l’avons évoqué, des études françaises – notamment s’appuyant sur les registres de placement de l’Assistance de Paris – se sont focalisées sur la mortalité élevée des enfants trouvés. Dans les principales villes, l’activité de la mise en nourrice était règlementée par des organismes ou bureaux. Drame social, la mort de cette « catégorie » d’enfants, se faisait en plusieurs actes. Le premier était l’épreuve de l’hôpital, suivi de l’hécatombe de l’envoi en nourrice à la campagne, notamment en Normandie et en Picardie dans les jours suivants l’abandon. On relève ici la proximité entre le parcours des enfants trouvés et des enfants « bourgeois » envoyés en nourrice19. Cette dynamique semble inévitablement se reproduire ailleurs.
12L’Italie, comme un observateur français le remarque au milieu du XIXe siècle, « est la partie d’Europe où les enfants trouvés sont devenus le plus proprement l’objet de la charité publique »20 car, comme l’écrit John Boswell pour le XVe siècle, « en l’espace d’un siècle, la quasi-totalité des grandes villes européennes devaient se doter d’une institution publique réservée aux enfants exposés, même s’il est vrai que les États méridionaux suivirent ce courant bien plus rapidement que les régions septentrionales »21.
13En Italie, le pays qui a les plus précoces exemples d’assistance publique pour l’enfance abandonnée, le modèle est l’hôpital des Innocenti (Innocents) à Florence, devenu aujourd’hui un musée et une institution encore active dans le monitorage de l’enfance22. Depuis sa fondation au XVe siècle, il abrite des archives et de remarquables œuvres d’art23. Toutefois il faut aller jusqu’à Rome pour comprendre la notion et la mise en place de cet assistanat avec l’hôpital du Santo Spirito fondé en 1198 par le pape Innocent III (1198-1216) au bord du Tibre. Très vite cet établissement devint aussi un lieu de refuge pour les enfants abandonnés avec l’institution de la ruota (le tour) qui permet de les abandonner anonymement.
L’hôpital du Pammatone à Gênes
14Prenons comme exemple la fondation d’un l’hôpital moins connu des chercheurs, celui du Pammatone à Gênes, fondé en 1471, où nous avons mené des sondages, malgré les difficiles conditions d’accès à ses archives fermées au public24. Dans les statuts de sa fondation, Pammatone ne s’intéresse pas à l’accueil des exposés, même si le problème de la gestion des enfants abandonnés s’est présenté très tôt. Pammatone était gouverné par quatre magistrats, dits protecteurs. Sa fondation est contemporaine à celle de plusieurs dispensaires semblables en Italie. Pammatone et sa magnificence sont décrits dans les mémoires de plusieurs voyageurs étrangers. En 1765, l’astronome Joseph Jérôme Lalande (1732-1807), note :
On y reçoit aussi tous les enfants trouvés ; les garçons y restent jusqu’à ce qu’ils soient en âge de travailler, les filles y restent toute leur vie ; _ il y a un conservatoire pour elles, quand elles ont passé 12 ans : le nombre des enfants trouvés y monte actuellement à plus de 3,000, tant au-dedans de l’hôpital qu’au dehors25.
15On voit bien quel grand défi a représenté la gestion du nombre croissant d’enfants exposés. L’exposition des enfants se produit de différentes façons et les témoignages qui confirment cette thèse ne manquent pas. Une lettre conservée dans ces archives atteste que plusieurs témoins entendirent un enfant pleurer, et celui-ci, une fois retrouvé, a été ensuite exposé à l’hôpital, ce qui est jugé toujours mieux que de « le jeter » : « udimmo un bambino che piangeva [e decidemmo di] esporlo all’ospedale, che era meglio che gettarlo via »26. Un autre document nous transmet l’histoire d’une femme, Isabella Siri, incarcérée car elle a été découverte avec un enfant caché dans son tablier : « si ritrovò lasciasse un bambino che portava nascosto in nel scosale, senza consignarlo a persona alcuna ». L’enfant, baptisé sur le chemin par un prêtre, a été ensuite conduit au Pammatone. Cependant, peu après, un enfant mort d’environ trois mois est retrouvé sur le même chemin. L’officier qui rédige la lettre soupçonne que ladite Isabella se charge d’apporter les enfants au Pammatone pour le compte d’autres femmes comme gagne-pain. Il s’agit probablement d’une « meneuse », car, comme elle-même l’a déclaré, elle en a déjà emmené au moins deux à l’Hôpital27.
16Mais quel était le destin d’un exposé une fois entré à l’hôpital ? Il était secouru, baptisé et visité plusieurs fois par un médecin, surtout pour vérifier qu’il n’était pas atteint de syphilis. Comme le décrit Jacques Gélis, les jours qui suivent l’arrivé de l’exposé à l’Hôpital sont les plus dramatiques. Souvent, l’établissement d’accueil n’a pas suffisamment de place : « Les plus faibles des enfants meurent de faim ; pour éviter l’hécatombe on emmène les survivants en charrette de par la ville, en faisant appel à la commisération des femmes qui allaitent »28.
17Sur le modèle du Santo Spirito à Rome, l’Ospitale génois est aussi pourvu d’une ruota (tour)29 appelée ici le plus souvent curlo, où les femmes peuvent en toute discrétion abandonner les enfants, des nouveau-nés mais fréquemment aussi des enfants de 8 ou 9 ans30. On ne connaît pas la date précise de l’introduction du tour au Pammatone, mais d’après les documents, on sait qu’il a rencontré des résistances et la nécessité de mettre quelqu’un de garde près du tour se fait pressante. Comme le relate une étude basée sur les données d’une petite paroisse rurale de l’arrière-pays de Chiavari, Tasso, en relation avec Pammatone car ayant fourni de nombreuses nourrices « externes » à l’hôpital, le résultat d’une enquête conduite en 1654 montre que l’anonymat des parents qui déposent les enfants dans la ruota est la condition essentielle de son existence. Autrement ils préfèrent les « noyer », terme souvent employé pour indiquer l’infanticide : « già si è tralasciato cioè di far la guardia al curlo, perché si è provato che chi arriva a portar qui i figlioli, possa anche faccilmente affogarli se si vede in pericolo di essere scoperto »31.
18Déjà, en 1539, le nombre des putti a tellement augmenté que l’hôpital manque de nourrices « lattatrici, balie, o sia mame in sufficientia » et de nombreux enfants en meurent32. En 1574, les exposés sont au nombre de huit cents ; nombreux étaient ceux qui étaient déposés malades à l’hôpital par les parents qui ne revenaient pas les chercher. Malgré les mesures prises (comme, par exemple, essayer d’arrêter le flux des femmes vagabondes venant des campagnes pour abandonner des enfants à l’hôpital), ce nombre ne cessera pas de croître. C’est au cours du XVIIe siècle que, parallèlement à l’essor d’autres établissements caritatifs, Pammatone devient l’institution par excellence des trovatelli à Gênes. Les archives nous transmettent les situations les plus désespérées, comme celle d’une femme, veuve, tombée enceinte « par disgrâce » et par « commerce illicite » qui, à travers les mots du curé de son village, supplie l’hôpital de l’héberger car ses trois frères veulent la tuer, peu importe où elle se trouve33. On voit ainsi comment Pammatone exerce aussi une action judiciaire et criminelle avec un magistrat qui veille sur les pratiques et les comportements. L’Hôpital connaît également de graves crises au cours du XVIIIe siècle, lors de son surpeuplement, aggravé par une série d’épidémies de grippe, sans oublier la dysenterie (rarement mentionnée), due aux mauvaises conditions d’hygiène, qui fut l’une des principales causes de décès des enfants en bas âge à cette époque en Europe. Nous pouvons comparer ces causes de décès avec celles des Innocenti à Florence à la fin du XVe siècle où, selon Philip Gavitt, à part la peste, le lien entre nourrices et mortalité infantile ou maladie semble bien réel34.
19Un autre témoignage montre l’indigence de deux époux malades et atteints du morbo gallico – la syphilis ou « mal français » qui cause aussi de nombreux décès de nourrissons ou des malformations – qui ne peuvent pas aller chercher leur enfant gardé à l’Hôpital : « Pietro Pendolae la moglie, malaticci, mal conci, e cascaticci, per gl’infettion gallica, non possono venire [all’Ospedale] »35. Mais la syphilis atteignait aussi les nourrices, qui pouvaient transmettre la maladie à travers le lait ; les enfants risquaient donc de naître avec la maladie ou de l’attraper pendant le sevrage36.
20Autre fléau, le manque de lait, à cause du nombre croissant d’exposés et de la quantité insuffisante de nourrices qui poussa les Protettori du Pammatone à risquer en 1732 une solution audacieuse : acheter six chèvres afin d’allaiter les enfants, avec, paraît-il, d’excellents résultats37. Rappelons qu’à cette époque la puériculture en était à ses débuts et que le seul lait qui se rapprochait de celui de la mère (considéré comme du sang et non pas comme un sérum) était le lait de chèvre et non pas le lait de vache. L’espérance de vie pour ces enfants était faible, mais pour Pammatone il faudrait envisager une étude avec des données quantitatives plus précises38.
21Déjà, en 1531 en France, des lettres patentes de François Ier demandent une enquête sur la mortalité de la multitude d’enfants abandonnés à l’Hôtel-Dieu à Paris, étant donné la difficulté pour leur trouver de la nourriture, et le nombre croissant d’enfants qui mourraient après abandon39. Comme l’écrit Da Molin, encore en plein XIXe siècle, le tour du Pammatone ainsi que celui de Turin étaient appelés « petits cimetières » et à Gênes « de 1848 à 1863, il y eut […] 220 enfants morts par an, soit 40% des admis ». Il se demande alors : « s’agissait-t-il d’enfants morts nés et abandonnés dans le tour, pour éviter à leurs parents le registre d’état civil et les funérailles, ou s’agissait-t-il d’avortements et infanticides ? »40.
22La sensible augmentation du nombre d’exposés au Pammatone pourrait être expliquée par les changements relevés dans les dépouillements sériels que nous avons réalisés dans les registres des baptêmes de cet Hôpital. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, ces registres mentionnent seulement que l’enfant est exposé, comment il a été appelé, et qui sont son parrain et sa marraine. À partir de 1670, on insiste toujours sur la légitimité de l’enfant baptisé en précisant les noms des parents et la paroisse d’origine afin de montrer que l’enfant est né d’un mariage légitime. Ce changement ouvre la voie à la possibilité que Pammatone soit devenu officiellement, sur le même exemple que celui étudié par Sandra Cavallo à Turin41, un lieu de « dépôt » après la naissance d’enfants légitimes par des parents trop pauvres pour les nourrir, ce qui peut avoir contribué à l’augmentation exponentielle du nombre des exposés. Ces données renforcent la thèse de Lucia Sandri, selon laquelle l’abandon en institut est la formule choisie par les classes sociales les plus démunies tandis que les plus aisées envoyaient les enfants en nourrice42.
Un système bien rodé ? L’abandon, les nourrices, les intermédiaires
23Les sources génoises qui dévoilent ce système sont variées et relèvent du croisement de plusieurs archives. En 1668 les archives du diocèse (Archivio Diocesano) gardent une lettre d’accusation portant les noms de 32 signataires. Elle dénonce l’archiprêtre Rolando Lagomarcino qui tirait profit de l’activité des nourrices en charge des exposés de l’hôpital, en leur vendant « un peu de sel, de pain, de vin et d’ail », et qui encaissait ainsi les polices d’assurances (polisse) avec lesquelles étaient taxés les salaires des exposés et, en accord avec les nourrices, attestait que les exposés décédés étaient encore en vie43. En effet les prêtres s’assuraient de la provenance des orphelins pour l’admission à l’hôpital, attestant que l’enfant avait été baptisé dans leur paroisse. Souvent ils certifiaient aux autorités de l’hôpital les réelles conditions de misère de la mère ou du père de l’enfant abandonné ; cette lettre pouvant être écrite aussi par des proches de la famille, ou par des mères veuves qui, après s’être remariées, ne voulaient pas garder leur enfant avec elles. C’est au travers des mêmes procédures que nous découvrirons les fedi demandées aux nourrices qui s’apprêtaient à élever les orphelins provenant du Pammatone. La médiation dans la mise en nourrice, telle l’action entreprise par le curé, atteste la gestion de leur part des moments de crise, particulièrement lorsque les femmes abandonnent leurs enfants pour ensuite les récupérer comme nourrices. Autre figure importante dans cette médiation, celle du massaro, un intermédiaire qui agit au sein de la communauté et qui a le contrôle financier des biens, se chargeant lui-même parfois d’accompagner les enfants du village à l’hôpital comme cela a été bien analysé dans la région de Venise44.
24Ainsi, les enfants génois sont envoyés de préférence à la campagne – normalement dans les villages de l’arrière-pays à l’est de Gênes, entre Camogli et Levanto, chez des nourrices payées par Pammatone –, généralement pour y rester jusqu’à l’âge de onze ans environ45, ce qui ne constitue pas toujours une garantie de survie pour ces enfants. Il y encore beaucoup de lacunes sur la provenance des nourrices externes, même si les archives montrent une prévalence du Levant de la République. Un tableau qui remonte à 1814 confirme ces données fragmentaires et une prévalence de la Val Fontanabuona, l’arrière-pays de Chiavari, à l’est de Gênes. Ces lieux étaient à la fois le théâtre de nombreux abandons et en même temps des lieux d’accueil des enfants trouvés. L’air était salubre mais les disettes se succédaient. Les conditions de vie dans ces montagnes de l’arrière-pays étaient tellement difficiles qu’au XIXe siècle on constate un dépeuplement dû à l’émigration vers l’Amérique46. Le tableau de la mise en nourrice esquissé par Sandra Cavallo dans la région de Turin entre 1600 et 1700, atteste que certaines communautés contrôlaient l’accueil des enfants comme une ressource économique à travers de solides réseaux. Dans ces régions, les enfants exposés mis en nourrice restent dans la communauté en participant à l’économie agricole et en se mariant sur place, particulièrement au sein des familles les plus aisées47.
25Les conditions insalubres n’étaient pas le seul danger : le noble mémorialiste génois Andrea Spinola (1562 ?-1631) écrit autour de 1620 dans ses Ricordi que les nourrices (nutrici) ne doivent pas dormir avec les enfants, sous peine de les étouffer48. Le risque d’étouffement des nourrissons dans le lit des parents ou des nourrices est un danger constant qui rapproche l’accident de l’infanticide, comme Trexler l’avait déjà remarqué, ce que nous nous contenterons d’évoquer en passant49. Sur un versant plus politique, Spinola aborde aussi la question de l’exploitation des exposés une fois qu’ils ont atteint l’âge de travailler et envisage de les envoyer en Corse – à l’époque sous la domination génoise – comme colons ou d’en faire des apprentis au profit de la République : charpentiers, calfats, rameurs ou mousses50.
Destins de survivants
26Habituellement, les filles (qui ont une dot donnée par l’hôpital) et les garçons (qui ne peuvent compter que sur leurs bras) séjournent longtemps chez les nourrices, qui deviennent ainsi une véritable famille, augmentant en conséquence les chances de l’hôpital de ne plus devoir s’occuper d’eux une fois devenus adultes. Il était toutefois courant que vers douze ans l’enfant rentre alla casa, pour travailler au profit de l’établissement. Il y a aussi un aspect jusqu’ici négligé de la mise en nourrice, celui des femmes plus âgées auxquelles on confie les enfants déjà sevrés51. Le fonctionnement du baliatico (la mise en nourrice) a été amplement étudié par Claudio Schiavoni sur le modèle romain bien documenté du Santo Spirito, nous donnant un des tableaux les plus complets du fonctionnement de la mise en nourrice en Italie52. A Rome, l’hôpital accueillait en permanence entre 20 et 40 nourrices pour assister les nouveaux arrivés. Parmi elles, certaines s’occupaient uniquement de préparer les pappe (bouillies) des enfants plus âgés. Il y a aussi d’autres tâches peu ragoûtantes, comme éradiquer les poux. Maintes fois, on remarque que les nourrices internes sont des mères qui elles aussi avaient abandonné leurs enfants à l’hôpital où ensuite elles sont allées travailler. Curiosité lexicologique peu anodine, les putti étaient enregistrés comme filius m.ignotae (fils de mère inconnue), mais, en oubliant le point qui abrège le mot « mère », le terme devient filius mignotae d’où la locution typiquement romaine encore employée aujourd’hui de figlio di una mignotta (fils de garce). Les nourrices, qui allaitent parfois de deux à quatre enfants à la fois, sont souvent elles-mêmes des orphelines de l’hôpital, figlie di casa, et elles représentent environ la moitié des nourrices qui travaillent pour le Santo Spirito. Elles restent souvent toute leur vie au service de l’hôpital comme filles de salle ou domestiques. A Gênes, on se souvient encore de la dernière au service du Pammatone, dans les années soixante du siècle dernier.
27Les nourrices de lait ne perçoivent qu’un salaire très bas et sont considérées comme un mal nécessaire. Pour résumer : après approximativement deux semaines, les enfants sont envoyés, jusqu’à l’âge d’environ onze ans, a balia à l’extérieur, le plus souvent à la campagne où l’air est plus salubre. Pour contrôler ces nourrices « externes », l’administration du Santo Spirito nomme un Commissario Visitatore dei Projetti (appelé aussi balio à partir du mot balia, nourrice)53. Le rôle de cet homme est souvent mis en cause : les fraudes et les connivences avec les nourrices révèlent à Rome un partage de prébendes des salaires convenus. Le balio devient parfois une sorte de « protecteur » corrompu qui garantit à ces femmes de continuer à gagner de l’argent. Quelquefois certaines femmes jouent les « entremetteuses », et les procès contre elles ne sont pas rares à Rome au XVIIIe siècle. C’est pour cette raison qu’avec le temps les administrateurs préfèrent embaucher d’anciennes filles de la maison vivant à la campagne (évidemment mariées et installées elles-mêmes une fois qu’elles ont atteint l’âge adulte), jugées plus fiables que les Romaines « sales et tricheuses ». On connaît généralement leur profil, leur condition et, mères à leur tour, elles sont aidées par leurs enfants durant la longue marche jusqu’à Rome – parfois 50 kilomètres – sur des chemins souvent périlleux et longs, afin d’encaisser le salaire et, en amont, pour se faire embaucher par l’hôpital. Les salaires décroissent au fur et à mesure que l’enfant grandit.
Signes de reconnaissance
28Ces témoignages nous renvoient parfois un tableau fort peu agréable : des nourrissons déplacés chez des nourrices comme du bétail, parfois échangés, objets de fraude. Michel Foucault a écrit comment « dans l’ancien système, le corps des condamnés devenait la chose du roi, sur lequel le souverain imprimait sa marque » mais aussi comment ensuite il devient un « bien social, objet d’une appropriation collective et utile »54. Foucault nous rappelle aussi que les corps des condamnés étaient marqués sur la joue ou sur l’épaule, dans une sorte de dressage du corps, et plus récemment ce même type de marque a été gravé sur les prisonniers des camps nazis. Nous pourrions en tirer la conclusion que comme les corps des condamnés, ceux des enfants trouvés et des nourrissons n’appartiennent pas aux sujets mais à l’État et par conséquent à l’hôpital. Suite à la disparition de nombreux enfants mis en nourrice, le Santo Spirito met en place un système de reconnaissance des enfants, imité ailleurs : une incision sous le pied, en forme de double croix, fixée par la fumée d’une bougie.
29A l’hôpital de la Pietà de Venise – connu aussi pour avoir eu à son service pendant quarante ans Antonio Vivaldi comme maître de chapelle – les signes corporels étaient infligés aux enfants par le ferro focuso (fer rouge) même si pendant une longue période – entre 1668 et 1783 – cette méthode fut abrogée car considérée comme un tourment inutile, une opération de « basse chirurgie », de fait une brûlure au troisième degré effectuée sur le talon qui pouvait entraîner des infections. À la Pietà de Venise, le débat sur l’utilité de la marcatura prend une certaine ampleur, mais elle est restaurée en 1790 sur le bras gauche, non plus à l’aide du fer mais avec un tatouage probablement à l’encre de chine, qui sera à nouveau et définitivement aboli en 1807, les administrateurs optant alors pour un petit cordon de soie au cou de l’enfant avec un pendentif en plomb orné d’une image de la Vierge. En 1817 les abus sont tellement nombreux que la Pietà tente de restaurer le tatouage mais cette fois-ci l’avis contraire des médecins va enterrer définitivement le marquage des exposés55.
30Ailleurs le débat est aussi d’actualité. Cette technique est décrite par Giuseppe Pallavicino, administrateur du Pammatone, auteur en 1741 d’une lettre sur le sujet :
Ledit signe […] était pratiqué dans l’Hôpital du Santo Spirito à Rome, où les créatures exposées étaient tatouées dès leur arrivée, par incision avec une fine lame avec laquelle on coupait la peau, d’où sortait un peu de sang, rapidement arrêté avec de l’huile et du noir de fumée qui laissait une marque indélébile56.
31À Gênes, c’est à partir de 1679 que, sur l’exemple de Rome, on ordonne d’imposer à l’exposé (appelé aussi figlio naturale, « fils naturel » ou spurio, ou bastardo, « bâtard »), un tatouage indélébile sur le bras gauche ou sur la cuisse57. Giuseppe Pallavicino regrette que le segno imprimé sur la cuisse des enfants disparaisse au bout d’un certain temps, ce qui permet les fraudes et les substitutions d’enfants morts58.
32Les archives du Pammatone sont malheureusement d’accès très difficile. Une remarquable étude de Carlo Gatti59 a croisé ces archives avec celles de la paroisse d’un village situé dans les Apennins Ligures, connu pour être l’un des lieux privilégiés d’envoi des enfants génois en nourrice, Santa Margherita di Tasso dans la Val Fontanabuona. Gatti relève de hauts taux de décès des exposés envoyés en nourrice (baliatico). En croisant les sources du Pammatone avec celles de cette paroisse, il est possible de connaître avec précision les noms des nourrices et des exposés entre 1760 et 1790. Ces données montrent comment l’envoi de l’exposé à la campagne devient de plus en plus fréquent – faute d’avoir assez de balie sur place – afin de diminuer le taux de mortalité interne à l’hôpital, qui montait grosso modo jusqu’à deux tiers des enfants à la fin du siècle. Dans cette paroisse d’accueil, les curés notent aussi les exposés dans le liber mortuorum ; ils ne sont enregistrés parmi les « vivants » (status animarum) que s’ils restent vivre longtemps avec la famille. Entre 1714 et 1723 par exemple, sur 800 habitants recensés, 14 sont des exposés qui font désormais partie intégrante de la communauté, et entre 1760 et 1779 leur nombre augmente jusqu’à 25. Dans cette communauté, la pratique répandue ailleurs pour les familles de prendre un enfant quand l’un des leurs meurt est aussi courante. Les données croisées sont assez claires : entre 1760 et 1790, sur 100 enfants trouvés du Pammatone, 32 meurent les premiers jours du séjour, et les autres partent en nourrice à l’extérieur. Sur un total de 500 enfants envoyés dans ce village, 7 sur 10 ne terminent pas leur séjour, tandis que dans l’hôpital seulement 2 sur 10 atteignent l’adolescence. Ces éléments sont proches d’autres statistiques et problématiques comparables en Italie et à l’étranger. La question que les chercheurs se posent est de savoir si les balie nourrissaient les enfants avec leur lait. Au début du XIXe siècle, en Ligurie, les exposés sont toujours distribués dans les mêmes villages et rien ne semble avoir changé dans les pratiques de mise en nourrice de l’hôpital.
33En ce qui concerne nos sondages, des sources provenant d’autres archives ont pu renforcer ces thèses en croisant d’autres éléments liés à l’aspect « criminel ». Le problème des disparitions d’enfants placés en nourrice est bien attesté dans les archives du Pammatone. Une lettre de dénonciation anonyme adressée à l’Hôpital, écrite autour de 1735, inculpe une nourrice, Caterina Peragella, qui touche le salaire « si faceva lecito scuottere » pour un enfant décédé depuis trois ans ; l’accusateur souhaite que des crimes pareils ne soient plus tolérés car pour cette fraude il n’y a eu aucune pénitence, « penitenza, ne corretione ». Le délateur est fort probablement un prêtre, puisque les religieux sont les intermédiaires et garants dans ce type d’affaires. Il déclare que Caterina a essayé de lui extorquer la garantie qui permet à la nourrice d’avoir la garde d’un autre enfant, « una fede per prendervi un’altro figlio da latte », et, n’ayant pas réussi, elle a menti à l’archiprêtre d’un autre village, Camogli, « fingendosi di essere di quella Parochia », en déclarant une fausse identité comme membre de cette paroisse60. Un autre exemple, qui remonte à 1668 environ, se trouve dans l’Archivio Diocesano61. C’est une lettre d’accusation qui porte les noms de 32 signataires, dénonçant l’archiprêtre Rolando Lagomarcino, de la Pieve di Bargagli. L’ecclésiastique est accusé d’avoir pratiqué l’usure, le commerce de tout type de bétail comme les moutons, les bœufs les chèvres et les porcs, « negotia in ogni genere di bestiami come pecore e buoi, capre e porci », d’avoir fréquenté les tavernes et les abattoirs, ne célébrant que « parfois » la messe. Enfin la lettre nous renvoie une image très forte et symbolique, car ce prêtre agirait « con mani fumanti di sangue di animali immondi », avec les mains fumant du sang d’immondes animaux. Il agit comme un épicurien (vita epicurea), « non insegnando ai bambini la vita cristiana », car il n’enseigne pas aux enfants la vie chrétienne. In fine, ledit Prete Lagomarcino tire aussi profit des nourrices car il leur vend, en trichant sur le poids et la quantité, un peu de sel, de pain, de vin et d’ail, « perche vendendo ad esse un poco di sale, pane, vino, et aglio mancanti nella giusta misura, e peso », et il encaisse les polices d’assurances (polisse) avec lesquelles sont taxés les salaires des exposés. Last but not least, en accord avec les nourrices, « fa con fedi apparire che sono in vita », il atteste que les exposés décédés sont encore en vie. Le réseau criminel qui se construit autour des enfants envoyés en nourrice est ici évident.
34Autre exemple : une lettre qui vient de Ruta, un petit village dans les hauteurs de Camogli, village de marins près de Gênes. Le courrier, envoyé en 1734, est anonyme mais les nombreux détails donnés par le délateur peuvent facilement conduire à son identité. Très obséquieux, l’auteur informe le magistrat du Pammatone de la manière dont un certain Gaetano Peragallo de la paroisse de Ruta, lui confia que sa fille âgée d’un an avait été enterrée « dans cette église ». Mais l’auteur de la lettre découvre que la petite fille est encore vivante et qu’à sa place a été enterré un enfant du Pammatone ; c’est à cause de cela qu’il transmet au Magistrat la cartella (la fiche) de cet enfant afin de prouver comment ledit Gaetano, probablement le mari d’une nourrice, aurait fait semblant d’avoir encore à charge « un fils » du Pammatone. Cette fois-ci, on retrouve le fléau des échanges d’enfants, faute d’enregistrement des décès, afin de continuer à percevoir le salaire de l’Hôpital. L’auteur de la lettre pourrait être le curé de Ruta, car il connaît de nombreux détails sur l’enfant enterré et il garde aussi la fiche prouvant la tutelle de l’enfant, comme intermédiaire entre l’hôpital et les nourrices. Les passages les plus saillants de cette lettre méritent d’être traduits :
Puisque les empêchements de la présente lettre ne me permettent pas de vous rendre mes respects, je le ferai avec la plume. Je vous informe également que Gaetano Peragallo, fils de feu Bartolomeo de cette Paroisse, en l’an 1732, le 27 octobre, me dit que sa petite fille âgée d’un an était décédée et que ladite fille a été enterrée dans cette église. Maintenant, ayant moi-même découvert que ce n’était pas sa petite fille à lui qui était morte, car elle est encore vivante, mais qu’au lieu de cette fille, dans la même période un enfant de cet Hôpital [du Pammatone] était mort, enfant dont je vous transmets ci-joint la fiche, et étant donné que ledit Gaetano au lieu dudit enfant de cet Hôpital montrait son propre fils, quasi du même âge disant qu’il était le fils de l’Hôpital […]62.
35Le danger de la mauvaise foi des nourrices et de leurs complices est bien connu, comme nous l’avons déjà vu avec des dynamiques similaires ailleurs. Pourtant la procédure d’embauche d’une nourrice est bien réglementée. Une relation adressée aux administrateurs du Pammatone en 1806, à l’époque napoléonienne, précise le protocole :
La nourrice qui veut obtenir un enfant à allaiter doit pouvoir fournir une attestation de son curé qui déclare qu’elle est saine, et de bonnes mœurs […] et qui indique aussi quand elle a accouché et si l’enfant est vivant ou mort […] ensuite elle devra se faire visiter par une sage-femme avec laquelle elle devra venir se présenter ici. Le Recteur [du Pammatone] après avoir lu la lettre du curé, entendu la relation de la sage-femme et interrogé la nourrice, s’il l’estime apte, signe une attestation qu’il lui donnera ; ensuite un chirurgien visitera l’enfant et s’il l’estime en bonne santé le donnera à la nourrice avec le linge nécessaire pour sa layette […]63.
36Enfin, dans un registre sera noté le nom de la nourrice, de son mari, la date, le nom et l’âge de l’exposé. La finalité de ces démarches nous semble évidente : le portrait de ces femmes qui s’est dessiné au fil des siècles n’est pas très édifiant. Tomaso Garzoni l’écrit déjà en 1585 dans la célèbre La piazza universale. En aigu observateur de la société, il témoigne comment, habituellement, elles privent de lait les enfants et ne les gardent pas comme il conviendrait64. Un contemporain de Garzoni, Scipione Mercurio (1540-1615), écrit dans le traité Degli errori popolari d’Italia, quelles caractéristiques physiques et morales doit avoir la nourrice, ni trop jeune ni trop mûre, entre 20 et 33 ans, robuste mais pas grosse, avec une poitrine généreuse, sans oublier qu’elle ne doit pas garder l’enfant au lit la nuit65. La balia est aussi devenue un sujet populaire au théâtre : en 1564 la nourrice est au centre d’une intrigue d’échanges d’enfants dans la pièce de Girolamo Razzi, un contemporain de Mercurio.
37L’Église, dans les synodes locaux, s’intéresse aussi aux nourrices, par crainte principalement que les enfants étouffés, accidentellement ou non, n’aient pas encore été baptisés. Le sujet est vaste et mérite une discussion approfondie66.
38Rien d’étonnant, donc, à ce que les comportements des nourrices soient de plus en plus contrôlés. Au XVIIIe siècle, la justice des Etats italiens contrôle de plus en plus fréquemment ces pratiques, alors qu’elle ne semble pas l’avoir fait auparavant. Un exemple emblématique nous est donné par une lettre datée de 1743 et envoyée au Magistrat du Pammatone par le Capitaine de Justice Tomaso Spinola. Les faits se déroulent à Sestri Ponente, aux portes de Gênes, et concernent Teresa Bruzona, une ancienne nourrice du Pammatone, laquelle, tombée enceinte, a essayé d’avorter ; découverte avant de commettre ce « délit », le Capitaine de justice la met en garde à vue jusqu’au jour où elle accouche. Il estime qu’elle peut rester au Pammatone avec son enfant et servir en tant que nourrice, « in cui potrà anco servire in qualità di nutrice », car le père naturel de l’enfant, « il supposto reo della gravidanza », lui aussi homme miserabilissimo, ne pourra pas payer les frais de pension à l’hôpital67. Ainsi l’infanticide manqué, dans une politique d’enfermement, rendra service à la République et à l’hôpital toujours en manque de nutrici.
39Une autre enquête datant de 174268, adressée de Rapallo par le Capitaine de Justice Antonio Fieschi au Magistrat du Pammatone, dévoile le rapport qui existe entre les nourrices recrutées par Pammatone pour nourrir les enfants de la rota (tour) et le risque d’infanticide ou de disparition. L’instruction, très complexe, porte sur deux nourrices qui auraient noyé deux enfants dans une rivière, le Bogo « in cognitione delli due stati affogati nel torrente del Bogo ». Fieschi a convoqué les deux nourrices afin de pouvoir les interroger, mais l’affaire s’avère bien plus sordide. Le « commerce » des exposés dévoile le rôle d’un réseau criminel, car l’une de ces femmes, Angela Castrussa, avait donné sa licence (« data licenza »), à sa cousine Cattarina Castrussa pour qu’elle puisse obtenir d’un prêtre la fede, une attestation, et prendre l’un de ses exposés chez elle. Mais un jour, Cattarina et sa complice, une certaine Virginie (la deuxième nourrice) disparaissent subitement, après que les corps des enfants ont été retrouvés dans la rivière. Les gens murmurent qu’elles sont parties après les avoir volontairement noyés. Le scénario montre comment il pouvait y avoir des commerces de cartelle, de fiches d’enregistrement des enfants du Pammatone chez les balie, avec pour intermédiaire un certain Pietro Pron, commerçant. Un enfant exposé de l’hôpital, dont le Capitaine a pu retrouver la mère, a été ensuite enlevé. L’officier est persuadé que Virginia est co-responsable de ces actes criminels délibérés, ce que semble confirmer sa fuite soudaine après la mort de l’enfant. Spinola n’hésite pas à qualifier ces actes d’infanticides : « comprendo essere quasi certo che la sud.ta Virginia possi essere corea di sudetti infanticidi, anche per la fuga istantanea alla morte, con la pubblica voce sopra decantanta ». Les deux femmes habitaient ensemble une maison près d’une forêt, mais personne ne sait si elles gardaient réellement ces deux enfants. En raison de ces points obscurs, Fieschi décide d’interroger aussi les familles et les enfants des deux femmes, âgés de 5 à 10 ans environ, abandonnés à leur tour dans cette maison après la fuite des deux femmes. Ainsi se conclut la lettre de ce fonctionnaire de la République, dans l’attente que le procès instruit ait une suite, dont malheureusement nous ne connaissons pas les résultats, faute d’autres sources.
Conclusion
40Autrefois le destin pouvait être cruel à plusieurs reprises pour de nombreux enfants : abandonnés dès la naissance, s’ils survivaient au tour de l’hôpital, puis, franchie la porte de l’institution d’accueil, s’ils survivaient aux premiers jours du séjour, ils étaient envoyés a balia chez des nourrices à la campagne. Le voyage pouvait être fatal. Toutefois, leur avenir, une fois arrivés à destination, n’était pas assuré non plus : les nourrices, très pauvres, pouvaient être impliquées dans des trafics d’échanges d’enfants ou, dans des cas extrêmes, pouvaient les supprimer. De ces enfants disparus à jamais, un diligent fonctionnaire de l’hôpital se préoccupe de temps en temps, et on voit alors apparaître prêtres, nourrices, fonctionnaires, tous impliqués, chacun à son niveau.
41Comme cela a été écrit dans une étude parue en 1994, si survivre au tour de l’hôpital, aux premiers jours suivant l’entrée, au voyage et au séjour chez la nourrice n’est pas un fait acquis, « neuves (sont) en revanche la mesure du fléau et la volonté d’y remédier »69. En effet, le Siècle des Lumières correspond en Europe à une prise de conscience – avec toute la contradiction constatée chez Rousseau – de la classe dirigeante et, en général, à une amélioration des conditions de vie des enfants et de leur prise en charge par la société. Les progrès médicaux mettent en cause et interdisent même des pratiques jusque là peu étudiées comme le tatouage ou le marquage au feu, qui méritent une étude comparative à l’échelle européenne. Les nourrices à la campagne, malgré une mortalité toujours élevée, soulagent le fardeau des hôpitaux. La chaîne de la misère dans la mise en nourrice reste toutefois au XIXe siècle un problème non résolu, alors que la mortalité infantile est toujours élevée. Si de nombreux enfants trouvés ont survécu à ces effroyables expériences c’est, selon une thèse discutable mais logique, uniquement parce que les naissances d’enfants susceptibles de devenir des « enfants trouvés » étaient toujours aussi élevées70.
42Les archives italiennes consultées révèlent, autour de l’enfant exposé, des pratiques de réseautage – parfois criminelles, parfois de tutelle – qui impliquent plusieurs couches de la société ; chacun à son échelle essaye d’y gagner quelque chose ou de faire son travail : la nourrice, son conjoint, l’entremetteuse, le magistrat, le curé, la communauté. Tous autour de l’enfant, cet infans qui, par définition, « ne parle pas », et qui est donc incapable de décider de son destin, et qui pourtant représente un capital précieux pour la société, car son parcours de vie ou de mort est indissociablement lié à celui de sa « mère de lait », la nourrice.
Notes
1 E. Becchi (a cura di), Infanzie, dans Quaderni Storici, 57, 1984 ; E. Becchi, I bambini nella storia, Roma-Bari, Laterza, 1994 ; E. Becchi, D. Julia (a cura di), Storia dell’infanzia. Dall’Antichità al Seicento, Roma-Bari, Laterza, 1996 ; Histoire de l’enfance en Occident, 2 tomes, Paris, Seuil l’Univers Historique, 1998 pour la traduction française.
2 G. Da Molin, Nati e abbandonati: aspetti demografici e sociali dell’infanzia abbandonata nell’età moderna, Bari, Cacucci, 1993 et Trovatelli e balie in Italia, secc. XVI-XIX: atti del convegno Infanzia abbandonata e baliatico in Italia, Bari, 20-21 maggio 1993, Bari, Cacucci, 1994.
3 C. Klapisch-Zuber, L. Sandri, voir infra ; P. Gavitt, Charity and children in Renaissance Florence. The Ospedale degli Innocenti 1410-1536, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1990.
4 Annales de Démographie Historique, maintenant ADH. ADH « Enfant et Sociétés » 1973 ; ADH 1994 ; ADH 2001-2 « Enfances. Bilan d’une décennie de recherche » ; ADH 2012-1 « De si fragiles enfants. Mortalité fœtale, néonatale en infantile en Europe (XVIIIe-XXe siècles).
5 La question a été largement débattue dans : E. Taddia, L’infanticide à Gênes à l’époque moderne, thèse de doctorat, sous la direction de Dominique de Courcelles, ENS, Lyon, 2007.
6 C. Klapisch-Zuber, « Parents de sang, parents de lait : la mise en nourrice à Florence (1300-1530) », dans Annales de Démographie Historique « Mères et Nourrissons », 1984, p. 42.
7 O. Hufton, « Le travail et la famille », dans N. Zemon Davis, A. Farge (sous la direction de), Histoire des femmes en Occident. 3. XVIe- XVIIIe siècles, Paris, Plon, 1991, p. 49.
8 R. C. Trexler, «Infanticide in Florence: new sources and first results» dans History of Childhood Quarterly, I, 1973, p. 98-116.
9 Sur les enfants abandonnés à Florence, voir R. C. Trexler, « The Foundlings of Florence, 1395- 1455 », dans History of Childhood Quarterly, I, 1973, p. 259-284.
10 Op. cit., p. 111. Pour une approche démographique de l’infanticide et de la sélection sexiste voir les travaux plus récents de Gregory Hanlon et en particulier sur la Toscane, « L’infanticidio di coppie sposate in Toscana nella prima età moderna », dans Quaderni Storici, 113, 2003, p. 453-498.
11 M.-F. Morel, « Époque Moderne », Annales de Démographie Historique, Enfances. Bilan d’une décennie de recherches, 2001-2, p. 28.
12 C. Klapisch-Zuber, « L’enfant, la mémoire et la mort dans l’Italie des XIVe et XVe siècles » dans E. Becchi, D. Julia, op. cit., p. 231-232.
13 Montaigne, Les Essais, édition de Pierre Villey, Paris, Quadrige PUF, 1988, Livre II, chap. VIII, p. 389.
14 Voir le chapitre « La place de l’enfant dans la société française depuis le XVIe siècle », dans F. Lebrun, Croyances et cultures dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil « Points Histoire », 2001.
15 Il y a peu de renseignements sur les enfants de Rousseau emmenés à l’hospice. Une récente recherche sur ces enfants dans les archives de cet hospice est consultable dans F. Bocquentin, Jean Jacques Rousseau, femme sans enfants ? Essai sur l’analyse des textes autobiographiques de Jean-Jacques Rousseau à travers « sa langue des signes », préfaces de Tanguy L’Aminot et d’Armand Hotimsk, Paris, L’Harmattan, 2003.
16 J.-J. Rousseau, Emile [ms. Favre], dans Œuvres complètes. Préface de Jean Fabre. Introduction, présentation et notes de Michel Launay, Paris, Seuil, 1971, tome 2, p 436.
17 R. Derosas, « Suspicious deaths: household composition, infant neglect, and child care, in nineteenth-century Venice », De si fragiles enfants. Mortalité fœtale, néonatale et infantile en Europe (XVIIIe-XXe siècles), Annales de Démographie Historique, 2012-1, p. 95-126.
18 D. Lett, M.-F. Morel, Une histoire de l’allaitement, Paris, Éditions de la Martinière, 2006.
19 J.-P. Bardet, C. Martin-Dufour, J. Renard « La mort des enfants trouvés, un drame en deux actes », Annales de Démographie Historique, 1994, p. 135-150.
20 L. A. Labourt, Recherches historiques et statistiques sur l’Intempérance des classes laborieuses, sur les enfants trouvés, Paris, Librairie de Guillaumin et Cie, 1848, p. 98.
21 J. Boswell, Au bon cœur des inconnus. Les enfants abandonnés de l’Antiquité à nos jours, traduit de l’anglais par Jean-Emmanuel Dauzat, Paris, Gallimard, 1993 p. 284.
22 https://www.istitutodeglinnocenti.it/
23 Catalogo della Mostra Il Rinascimento dei bambini. Gli Innocenti e l’accoglienza dei fanciulli tra Quattrocento e Cinquecento. Firenze, Istituto degli Innocenti, 2007.
24 Le seul ouvrage de référence sur Pammatone est celui de C. Carpaneto Da Langasco, Pammatone. Cinque secoli di vita ospedaliera, Genova, Ospedali Civili, 1953. Pour ces archives : G. Regesta, E. Taddia (a cura di), L’antico ospedale di Pammatone e il suo archivio dimenticato. Un patrimonio all’origine del moderno San Martino, Atti del Convegno, Viareggio, Torre di Legno Editore, 2009 et sur les enfants exposés dans le même ouvrage : E. Taddia «La vita appesa a un filo: medicina e bambini esposti nella ruota a Pammatone » dans G. Regesta, E. Taddia, op. cit., p. 41-58.
25 J. J. Lalande, Voyage d’un François en Italie, fait dans les Années 1765 _ 1766, à Venise, Paris, chez Desaint, 1769, tome huitième, p. 490.
26 AOG (Archivio degli Ospedali Riuniti, ancien Pammatone), FFER I, n.111, E. VIII, -10, (1675-1722), 1703, 23 febraro.
27 Ibid., Lettera, Voltri, li 18 aprile 17 (?)4.
28 J. Gelis, L’arbre et le fruit. La naissance dans l’Occident moderne, XVIe-XIXe siècle, Paris, Fayard, 1984, p. 427. Sur les enfants trouvés mais aussi sur leur voyage vers les familles d’adoption voir B. Pullan, « Orphans and Foundlings in Early Modern Europe », dans B. Pullan, Poverty and charity in Europe, Italy, Venice, 1400-1700, London Variorum, 1994, p. 5-28.
29 La reconnaissance officielle du tour est très tardive en France par rapport à l’Italie, comme l’atteste le décret impérial du 19 janvier 1811 (A.F IV 516 pl 13998) dont un fac-similé se trouve au Musée de l’Assistance Publique de Paris. A Paris, il cessera de fonctionner en 1861.
30 AOG, E.VIII (1643-1656).
31 C. Gatti, Madri e figli in una comunità rurale del ‘700, Milano, Giuffré, 1983, p. 94. La source citée est AOG, Registro Storico n. 7, Relazione di G. B. Chiavari, 10 luglio 1654.
32 AOG, Décret du 28 janvier 1539 dans CS 43, p. 83.
33 AOG, FFER I, n. 111, E. VIII, 10, (1675-1722), lettre non datée, signée par « R. Vincenzo Corona Paroco di N. Sig.ra dell’Incoronata ».
34 P. Gavitt, «Infant death in late medieval Florence. The smothering hypothesis reconsidered», dans C. Jorgensen Itnyre (edited by), Medieval Family Roles. A book of essays, New York and London, Garland Publishing, 1996, p. 147.
35 AOG, FFER I, n.111, E. VIII, 10, Lettera, Rapallo, 8 luglio 1708.
36 Ce problème a été analysé par D. I. Kertzer, « Syphilis, foundlings and wet nurses in nineteenth-century Italy », Journal of Social History, Spring, 32, 1999, p. 589-602. Au début du XXe siècle à Paris, le problème était encore d’actualité : « En 1910 les maladies vénériennes, sont encore responsables directement à Paris de 111 décès dont 74 chez les enfants âgés de moins d’un an. En fait, la plupart des médecins estime que la syphilis provoque indirectement 3,000 à 4,000 décès par an à Paris. A l’Hospice des Enfants Assistés, le Pr. Parrot qui voyait succomber presque tous les enfants atteints de syphilis, puisqu’ils ne pouvaient être confiés à des nourrices de peur de les contaminer, eut l’idée de faire installer une nourricerie d’ânesses dans l’enceinte de l’hospice. Les jeunes syphilitiques devaient téter directement au pis de l’ânesse, dont le lait se rapproche le plus par sa composition du lait de femme. La nourricerie fonctionnera de 1881 à 1893 avec des résultats fort médiocres […] », dans Musée de l’Assistance Publique de Paris, Catalogue, Cahors, Imprimerie France Quercy, 2004, p. 125.
37 C. Carpaneto Da Langasco , op. cit., p. 179.
38 Comme celle entreprise dans la Venise du XVIIe siècle par C. Povolo, « Dal versante dell’illegittimità. Per una ricerca sulla storia delle famiglie: infanticidio ed esposizione d’infante nel Veneto nell’età moderna », dans L. Berlinguer, F. Colao (a cura di), Crimine giustizia e società veneta in età moderna, Milano, Giuffrè, 1989, p. 95.
39 Lettres patentes de François Ier ordonnant une enquête sur la mortalité des enfants à l’Hôtel-Dieu (14 Juillet 1531). Le parchemin se trouve au Musée de l’Assistance Publique de Paris actuellement fermé au public.
40 G. Da Molin, « Les enfants abandonnés dans les villes italiennes aux XVIIIe et XIXe siècles », ADH « Mères et Nourrissons », 1983, p. 107.
41 S. Cavallo, «Bambini abbandonati e bambini in deposito a Torino nel Settecento», dans Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle. Actes du Colloque International organisé par la Società Italiana di Demografia Storica, la Société de Démographie Historique, l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, l’Ecole Française de Rome, le Dipartimento di Scienze Demografiche (Università di Roma la Sapienza) le Dipartimento Statistico (Università di Firenze), Roma, 30-31 janvier 1987, Ecole Française de Rome, 1991, p. 341-376. Voir aussi sur Milan : M. Canella, L. Dodi, F. Reggiani (a cura di), Si consegna questo figlio. L’assistenza all’infanzia e alla maternità dalla Cà Granda alla provincia di Milano (1456-1920), Milano, Skira, 2008.
42 L. Sandri, « Baliatico mercenario e abbandono dei bambini alle istituzioni assistenziali: un medesimo disagio sociale? », dans G. Muzzarell, P. Galetti, B. Andreoli, (a cura di), Donne e lavoro nell’Italia Medievale, Torino, Rosenberg _ Sellier, 1991, p. 93.
43 ASDG, Crim., fz. 405.
44 G. Cappelletto, «Infanzia abbandonata e ruoli di mediazione sociale» dans Quaderni Storici, 53, Sistemi di carità: esposti e internati nella società di Antico Regime, a cura di Edoardo Grendi, p. 419-443.
45 C. Gatti, op. cit., p. 20.
46 La relation entre conjoncture économique, expositions et baliatico dans le pays de Chiavari entre XIXe et début du XXe siècle a été analysée dans une étude de E. Bianchi Tonizzi, « Esposti e balie in Liguria tra Otto e Novecento: il caso di Chiavari », dans Movimento Operaio e Socialista, “Discoli e vagabondi. Il controllo dell’infanzia nell’Italia liberale”, 1-anno VI, 1983 (nuova serie), p. 7-31.
47 S. Cavallo, « Strategie politiche e famigliari intorno al baliatico. Il monopolio dei bambini abbandonati nel Canavese tra Sei e Settecento », Quaderni Storici, 53, op. cit., p. 383-420.
48 BUG (Biblioteca Universitaria di Genova). SPINOLA, Andrea, Dizionario Filosofico, MS. B VIII, 27, f. 211, cap. « Mamme o sian nutrici ».
49 J’en ai largement débattu dans ma thèse citée supra.
50 Sur Spinola et sa vision des enfants trouvés voir : E. Taddia, « Un débat politique et moraliste sur l’enfance abandonnée à Gênes. Andrea Spinola et le manuscrit Ricordi (vers 1624) », dans Enfants perdus, enfants trouvés. Dire l’abandon en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, sous la direction de Florence Magnot-Ogilvy et Janice Valls-Russel, Paris, Garnier, 2015, p. 161-175.
51 L. Sandri, « Baliatico… », op. cit.
52 C. Schiavoni, « Il problema del baliatico nel brefotrofio dell’Archiospedale di Santo Spirito in Saxiain Roma tra ‘500 ed ‘800 », dans G. Da Molin (a cura di), Trovatelli e balie in Italia, secc. XVI-XIX, Atti del Convegno Infanzia Abbandonata e Baliatico in Italia (secc. XVI-XIX), Bari, 20-21 maggio 1993, Bari, Cacucci, 1994, p. 73-108.
53 Notons que le balio désigne aussi le mari de la nourrice.
54 M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 129.
55 C. Grandi, « P come pietà: i segni corporali dell’identità istituzionale sugli esposti di Santa Maria della Pietà di Venezia (secoli XVII-XIX) », dans C. Grandi (a cura di), Benedetto chi ti porta maledetto chi ti manda. L’infanzia abbandonata nel Triveneto (secoli XV-XIX), Treviso, Edizioni Fondazione Benetton - Canova Editore, 1997, p. 242-256.
56 AOG, Registro Storico n. 5, Relazione presentata da Giuseppe Pallavicino su “Come debba regolarsi per il segno degli esposti nel curlo”, 22 dicembre 1741, cité dans C. Gatti, Madri e figli in una comunità rurale del ‘700, Milano, Giuffrè, 1983, p. 99. La traduction de ce texte et des suivants est le fait de l’auteur de l’article.
57 AOG, FFER I, n.111, E. VIII-10 (1675-1722).
58 AOG, Registro Storico n. 5, cité dans GATTI, Carlo, op. cit., p. 99.
59 C. Gatti, op. cit.
60 AOG, FFER II, n. 112, E. VIII-10 (1722-1762).
61 ASDG, Crim., fz. 405.
62 AOG, FFER II, n. 112, E. VIII, 10 (1722-1762). Ruta li nove maggio 1734.
63 C. Gatti , op. cit, Appendice, Reg. Stor. 30.
64 T. Garzoni, La piazza universale di tutte le professioni del mondo, a cura di Paolo Cherchi e Beatrice Collina, Torino, Einaudi, 1996, « Delle comari e delle balie, o balii, o nutrici », p. 1341. Cet ouvrage consiste en un ensemble de 155 « discorsi », chacun dédié à une profession, pour un total d’environ 400 métiers. La piazza universale connut un grand succès éditorial et a été traduit aussi en français.
65 S. Mercurio, Degli errori popolari d’Italia. Libri sette, dell’Eccellentissimo Sig. Scipione Mercurii Filsofo, Medico, e Cittadino Romano, parte prima, Padova, Francesco Balzetta, 1645, p. 406-407 et Girolamo Razi, La Balia, comedia di Messer Girolamo Razzi, Fiorenza, appresso Giunti, 1564.
66 Voir à ce propos ma thèse, op. cit.
67 AOG, FFER II, n. 112, E. VIII, 10, (1722-1762). (Lettera, Sestri di Ponente li 30 8bre 1743, Tomaso Spinola Capitano).
68 Ibid.
69 J.-P. Bardet, C. Martin-Dufour et J. Renard, op. cit, p. 135.
70 D. I. Kertzer, Sacrificed…, op. cit., p. 153.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Elena Taddia
ENS Lyon
Elena Taddia a obtenu en 2017 un doctorat d’Histoire à l'ENS Lyon avec une thèse sur l’infanticide à Gênes à l’époque moderne ; elle a été en 2010 Boursière Wellcome Trust (Londres) en histoire de la médecine (la naissance de la médecine légale de la petite enfance). Ses publications sur l’histoire hospitalière et l’enfance abandonnée comprennent : avec G. Regesta le volume L’antico ospedale di Pammatone e il suo archivio dimenticato : XV-XX. Un patrimonio all’origine del moderno San Martino, Viareggio, Torre di Legno, 2009 ; « Un débat politique et moraliste sur l’enfance abandonnée à Gênes. Andrea Spinola et le manuscrit Ricordi (1620 env.) » dans Enfants perdus, enfants trouvés : dire l’abandon en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, sous la direction de F. Magnot-Ogilvy et J. Valls-Russell, Paris, Garnier, 2015.