Histoire culturelle de l'Europe

Aleksi Moine

Langues de la religion et langues de la poésie : luthériens, orthodoxes et oralités poétiques dans la paroisse d’Ilomantsi au XIXe siècle

Article

Résumé

Située à la frontière entre orthodoxie et luthéranisme, la paroisse d’Ilomantsi en Carélie se trouve au carrefour de plusieurs langues : finnois, carélien, suédois, russe et slavon d’Église. Elle est également connue pour son important corpus de poèmes oraux traditionnels collectés au xixe siècle. Ces poèmes sont associés par différents acteurs à des croyances vernaculaires souvent qualifiées de païennes ou superstitieuses. J’étudie dans cet article les discours et les attitudes à l’égard des pratiques poétiques orales et le rapport de celles-ci à la religion, qu’il s’agisse du christianisme officiel ou bien de croyances vernaculaires. En cela, je montre comment les questions de poésie orale et de religion dans la paroisse d’Ilomantsi révèlent des problèmes sociaux et politiques qui s’étendent à l’échelle du pays dans un contexte de développement du sentiment national en Finlande.

Abstract

The parish of Ilomantsi in North Karelia is situated at the crossroads of languages—Finnish, Karelian, Swedish, Russian, and Church Slavonic—and religions—Orthodox and Lutheran Christianity. The parish is also renowned for its large corpus of traditional oral poems collected in the 19th century. Various actors associated these poems to vernacular beliefs that they described as pagan or superstitious. I study in this article discourses and attitudes towards the practices of oral poetry and their relation to religion, be it the official Christianity or a set of vernacular beliefs. Thus, I show how the questions of oral poetry in the parish of Ilomantsi echo larger social and political issues that concern the whole country in a context of growing nationalism in Finland.

Texte intégral

1Finland, Karelia, Finnish, Swedish, Russian, Church Slavonic, Lutherian Christianity, Orthodox Christianity, 19th – 20th centuries, oral poetry

2La poésie orale1 comme la littérature orale échappent à toute définition nette et assurée : du fait même de leur oralité, elles sont toujours dynamiques et en mouvement2. La voix humaine peut revêtir différents aspects – parole proférée, psalmodiée ou bien encore chantée –, et toute sa puissance peut s’exprimer dans le cadre des traditions religieuses, par exemple incantations magiques ou cantiques sacrés3. La parole permet ainsi aux membres d’une même communauté de partager un moment de communion, mais aussi de s’adresser aux entités non humaines, quelles qu’elles soient. C’est d’autant plus vrai dans le cas du christianisme, religion du livre et du mot sacré de Dieu, et en particulier de l’Église luthérienne, où la connaissance individuelle des textes sacrés et la pratique du chant sont essentielles aux rituels religieux.

3La poésie orale ne peut pas se réduire au modèle de la poésie écrite, puisqu’elle a toujours lieu dans le cadre d’une performance corporelle, particulière et concrète, une situation de communication qui engage le producteur, poète ou chanteur, et son auditoire4. Ceux-ci partagent souvent une même compréhension des règles de la performance, qu’ils reconnaissent comme telle. Dans le cadre du rituel religieux, ces performances concrètes, qu’elles soient collectives ou individuelles, engagent l’individu dans son corps et dans sa voix. Les différentes pratiques poétiques et religieuses, ces ensembles de gestes et d’énoncés qui se répètent régulièrement, laissent des traces dans le corps et dans la mémoire. La religion n’est pas seulement un ensemble de dogmes et de préceptes défendus par une institution, c’est avant tout un ensemble de pratiques qui sont vécues directement par les individus. C’est donc à la religion telle qu’elle est vécue à travers les pratiques individuelles et les actes ordinaires de la vie quotidienne que je m’intéresse dans cet article5. L’étude de la religion « ordinaire », telle que la désigne Albert Piette6, se fait à travers l’observation des détails de la vie quotidienne, ce qui est complexe dans le cas d’une étude historique où les sources sont limitées.

4Je me propose en effet dans cet article de réexaminer le rapport entre les pratiques poétiques orales et les pratiques religieuses dans l’histoire culturelle de la paroisse d’Ilomantsi, située en Carélie du Nord, à la frontière orientale de la Finlande avec la Russie. Dans la Finlande du xixe siècle, la poésie orale recouvrait des réalités diverses. D’une part, il existait une parole poétique consacrée par l’Église, à savoir les psaumes et cantiques chantés collectivement lors de la messe mais aussi de manière individuelle, et, d’autre part, les collecteurs de matériaux folkloriques se sont intéressés aux traditions orales profanes existant dans les villages, notamment aux poèmes et chants épiques, lyriques, et incantatoires. La paroisse d’Ilomantsi est intéressante pour notre sujet à deux égards principalement, puisqu’elle comportait (et comporte toujours) une importante minorité orthodoxe au sein d’une majorité luthérienne et qu’elle est une des régions situées sur le territoire de la Finlande où le plus de poèmes traditionnels ont été collectés7. Cette richesse poétique a souvent été associée à la forte présence d’orthodoxes dans la paroisse et soulève la question des rapports entre les deux communautés.

5Je ne m’attarderai pas ici sur la description de la réalité concrète des performances poétiques orales, mais je m’attache davantage aux discours tenus sur ces différentes pratiques poétiques et religieuses et aux attitudes de divers membres de la société à leur égard, pour mettre au jour les tensions qui ont pu exister entre ces différentes attitudes. Comment donc s’articulent, dans le contexte particulier d’Ilomantsi, d’une part les représentations qu’ont les Églises, les autorités politiques et les élites culturelles du pays des pratiques religieuses et linguistiques, et d’autre part la réalité quotidienne de ces pratiques et les représentations qu’en ont les paroissiens eux-mêmes ? S’il s’agit avant tout de faire la micro-histoire culturelle d’une paroisse donnée, l’étude montre également que ces questions ont des implications politiques, sociales et culturelles plus larges dans le contexte du nationalisme finlandais et des collectes de matériel folklorique au xixe siècle.

6Les monographies consacrées à l’histoire de la paroisse d’Ilomantsi s’appuient en grande partie sur les archives officielles de l’État et des Églises. Si je fais référence à ces études, mon article s’appuie cependant davantage sur diverses sources qui permettent de construire une histoire de l’ordinaire, qui sont les souvenirs des paroissiens eux-mêmes et permettent de faire entendre leur voix. Ces sources sont pour la plupart conservées dans les archives de la Société de littérature finnoise (Suomalaisen Kirjallisuuden Seura, ci-après SKS), en particulier les archives de poésie populaire (Kansanrunousarkisto, ci-après KRA).

7Après une brève présentation du contexte politique et culturel de la Finlande du xixe siècle, je procéderai en deux temps. Je m’intéresserai d’abord à la manière dont la différence entre les Églises luthérienne et orthodoxe s’est appuyée sur une question linguistique, en montrant les implications sociales et politiques de cette question, et notamment en ce qui concerne le statut de la parole poétique consacrée par l’Église. Pour cela, je m’appuie sur les études historiques mentionnées plus haut, ainsi que sur une série de 22 entretiens effectués par des étudiants de théologie dans les années 1960 sur les pratiques religieuses dans les dernières décennies du xixe siècle et les premières du xxe siècle, pour aborder le point de vue des paroissiens8. Les 22 personnes interrogées, nées entre 1876 et 1912 et issues de groupes sociaux divers, présentent un regard rétrospectif sur leurs pratiques et leur compréhension de l’histoire de la paroisse. Je m’attacherai dans un second temps à étudier la parole poétique profane traditionnelle, souvent associée à des pratiques dites superstitieuses, des croyances populaires qualifiées de « païennes ». À travers la lecture de récits de voyage et de lettres de certains collecteurs de folklore (notamment Elias Lönnrot, August Ahlqvist, D. E. D. Europaeus), j’aborderai le point de vue des collecteurs sur la question. La perspective émique des paroissiens sera, quant à elle, donnée par une lecture attentive des récits folkloriques, de genres très variés, allant de l’histoire de la paroisse aux récits de guérison miraculeuse, en passant par des histoires de fantôme, collectés tout au long de la période étudiée9. Nous n’avons malheureusement que peu d’informations sur le contexte de la collecte de ces récits, notamment sur les informateurs à la source de ces récits.

De l’autonomie à l’indépendance : le nationalisme finlandais à la recherche des origines

8J’étudie dans cet article la période qui s’étend de 1809 à 1939, pendant laquelle la Finlande a connu d’importants bouleversements sociaux, politiques et économiques. En 1809, à l’issue de la guerre de Finlande, la partie orientale du royaume de Suède a été annexée à l’Empire russe pour devenir le grand-duché autonome de Finlande. La Finlande est alors devenue pour la première fois une entité politique distincte de la Suède, ce qui a permis selon Derek Fewster10, le développement d’un mouvement nationaliste finlandais, à l’image des nationalismes européens. Ainsi, à la suite de la révolution russe en 1917, la Finlande a obtenu son indépendance, suivie d’une lourde guerre civile opposant Blancs et Rouges.

9Tout au long du xixe siècle, les élites intellectuelles du pays ont entrepris un long travail de construction d’une identité nationale finlandaise, en s’appuyant, par opposition à la Suède et à la Russie, sur la culture populaire de langues finnoise et carélienne11. C’est en particulier la « poésie populaire [litt. du peuple] » (kansanrunous) qui a attiré l’attention des intellectuels d’Helsinki. C’est un terme qui n’est pas sans poser de difficulté, du fait de l’ambiguïté même du concept de kansa en finnois12. En effet, celui-ci fait à la fois référence aux classes populaires, c’est-à-dire principalement à la classe des paysans (synonyme de rahvas) et à la nation, au peuple entendu dans un sens politique (kansakunta). Pour les intellectuels, la nation finlandaise devait ainsi se fonder, dans une inspiration herderienne, sur une culture, c’est-à-dire une histoire, une langue et une littérature communes. Il n’existait en effet, au début du xixe siècle, ni de langue finnoise standardisée ni de littérature vernaculaire développée. Dès la fin du xviiie siècle, certains savants se sont intéressés à la poésie orale traditionnelle (De Poesi Fennica de Henrik Gabriel Porthan, 1766-1778) et aux mythes qu’elle exprimait (Mythologia Fennica de Christfried Ganander, 1789)13, mais ce n’est que quelques décennies plus tard que les collectes de folklore ont véritablement pris leur essor, principalement à partir des années 1830. En 1831 a été fondée la SKS, qui soutenait financièrement les collecteurs de folklore, et la publication en 1834 de la première version de l’épopée du Kalevala par Elias Lönnrot a inspiré de nombreux jeunes étudiants à partir sur ses traces, à l’instar d’August Ahlqvist ou de D. E. D. Europaeus. Les poèmes qui suscitaient le plus l’intérêt des collecteurs sont les poèmes mythologiques, en particulier épiques et incantatoires, construits sur le mètre kalévaléen (ainsi nommé d’après l’épopée de Lönnrot), à savoir un tétramètre trochaïque fondé sur un système d’allitérations et de parallélismes, mais un certain nombre de poèmes lyriques ont également été collectés.

10Une idéologie linguistique est au fondement de cette activité de collecte : pour les premiers collecteurs, les chants traditionnels, parce qu’ils ont des traits archaïques, conservent le passé. Ils s’opposeraient à la poésie écrite dans la mesure où ils auraient une origine naturelle et collective : la langue kalévaléenne serait donc la langue naturelle du peuple finnois14. Dans les écrits de Lönnrot, la langue poétique est ainsi présentée comme une langue sacrée, et c’est en partie sur la base de cette langue qu’une langue standard sera forgée, ainsi que le mythe de la « fennitude » (suomalaisuus)15. C’est donc vers les contrées situées à l’est du grand-duché, notamment la Carélie, que se sont tournés les pas des collecteurs de folklore, qui construisaient de cette manière une image idéalisée de la région16. Cette idéalisation de la Carélie qui a servi à la construction d’une nation finlandaise s’est faite cependant au détriment des populations caréliennes. Les Caréliens ont ainsi tantôt été considérés comme finlandais, tantôt comme russes, selon les intérêts politiques des uns et des autres17. La diversité des voix régionales, locales, individuelles, a été tue, au profit d’une image rêvée de la Finlande, dans une forme d’appropriation culturelle ou d’effacement des singularités18. Ces voix sont aujourd’hui perdues, et je ne suis moi-même pas en position de les faire entendre, mais il est important d’être conscient de ces rapports entre collecteurs et informateurs dans l’écriture de l’histoire de la Finlande.

Ilomantsi, entre deux États et deux Églises

Une paroisse frontalière : le paysage linguistique et religieux d’Ilomantsi

11Ilomantsi n’est pas une entité unique et homogène, mais un espace changeant aux frontières instables. Plusieurs entités administratives se sont superposées au cours de l’histoire et les conflits entre Suède et Russie ont souvent modifié le tracé et le statut des frontières. Les origines administratives de la paroisse d’Ilomantsi remontent au xve siècle, lorsqu’elle s’est détachée de Sortavala pour former une pogosta propre – une entité administrative payant des impôts à Novgorod. Au cours des siècles, les conflits dans la région ont conduit à d’importants mouvements de populations. Les habitants orthodoxes de langue carélienne ont ainsi au xviie siècle en grande partie quitté la région qui était sous domination suédoise pour éviter le service militaire et les impôts, laissant la place aux protestants de la région de Savo, qui parlaient, quant à eux, un dialecte oriental du finnois. Au xviiie siècle, les tensions de la grande colère (Isoviha) ont conduit certains orthodoxes à s’installer à nouveau sur le territoire de la paroisse19. Au xixe siècle, la paroisse était ainsi majoritairement luthérienne mais comportait une minorité orthodoxe importante, environ 19,9 % de la population en 185020. Notons d’emblée que les termes de luthérien et d’orthodoxe que j’emploie pour désigner les religions et les populations qui les pratiquent sont dans ce contexte récents et ne correspondent pas à l’usage vernaculaire de l’époque. Comme le rappellent les personnes interrogées dans les entretiens, avant la Seconde Guerre mondiale, les orthodoxes étaient appelés venäläiset ou ryssät, « Russes »21, ou encore kreikkalaiset, « Grecs », par les luthériens, tandis que les luthériens étaient souvent dénommés ruotsit, « Suédois », par les orthodoxes22. Cette appellation ne correspond cependant pas à une différence ethnique ou linguistique, puisque luthériens comme orthodoxes étaient locuteurs de dialectes de langues fenniques, finnois ou carélien : à la rigueur, la différence entre les deux religions pouvait correspondre à la différence entre savo et carélien.

12Selon Ismo Björn, la religion était, au sein de la paroisse, un facteur de séparation plus important que la langue23. La langue jouait toutefois un rôle de marqueur social. La différence essentielle entre, d’une part, les säätyläiset, les membres des classes sociales plus élevées (clergé et administration), et, d’autre part, les paysans n’était pas seulement socio-économique mais aussi linguistique : du côté luthérien, les premiers étaient souvent suédophones et les seconds, finnophones24. Cette différence linguistique a marqué les esprits des paroissiens, qui se rappellent que le pasteur Lackström (1884-1898) avait eu une langue fortement influencée par le suédois : des termes comme nästyykki (« mouchoir », suédois näsduk) et talriikki (« assiette », suédois tallrik) auraient ainsi trouvé leur place dans le dialecte vernaculaire sous son influence25. Un autre informateur dit des pasteurs qu’ils « parlaient la langue écrite. Personne ne parlait notre patois »26 : même lorsqu’ils parlaient la même langue, à savoir le finnois, la différence sociolinguistique était importante. Cela a pu influencer la conduite des paroissiens, qui, pour certains, faisaient preuve d’une certaine timidité à l’égard du clergé et n’osaient pas communiquer avec lui27. Le clergé orthodoxe était, en revanche, russophone. Une partie des habitants était bilingue, même s’il est difficile d’en mesurer la part exacte au xixe siècle. Parmi les marchands itinérants de la région, les laukkuryssät, « Russes aux sacs », principalement originaires du côté russe de la frontière, on pouvait compter quelques orthodoxes d’Ilomantsi28 : la maîtrise du russe était indéniablement un atout important qui permettait les relations commerciales à l’extérieur de la paroisse, et que maîtrisaient davantage les orthodoxes que les luthériens.

13Pour compléter le tableau du paysage religieux d’Ilomantsi, mentionnons encore l’existence de divers courants au sein de chaque Église. D’une part, une communauté de vieux-croyants29 s’est installée à l’est d’Ilomantsi au cours du xviie siècle, fuyant les persécutions de l’Église orthodoxe en Russie. Deux monastères existaient encore au xixe siècle, à Mekri et Pahkalampi, mais ils étaient déjà abandonnés au début du xxe siècle. Les vieux-croyants formaient leur propre communauté, où l’on parlait russe et considérait les chants et poèmes profanes comme un péché. D’autre part, différents mouvements piétistes se sont développés à la fin du xixe siècle au sein de l’Église luthérienne. Malgré leur influence grandissante sur l’ensemble du territoire de la Finlande, ils ne se sont pas enracinés à Ilomantsi durant la période étudiée, même si le fondateur de l’un de ces mouvements, Henrik Renqvist, en était originaire. Sans doute la coexistence de deux Églises au sein de la paroisse a-t-elle pu minimiser l’intérêt pour d’autres mouvements religieux30.

Langues, religions et politique

14Dans leur lutte pour le contrôle du territoire, la Suède et la Russie se sont appuyées sur la question religieuse, dès les débuts de la conversion de la Carélie au christianisme au xiiie siècle. Sous la domination suédoise au xviiie siècle, les orthodoxes minoritaires avaient le droit de pratiquer leur religion. Le statut juridique de l’Église orthodoxe a changé en 1809 lorsque la Finlande a rejoint l’Empire russe, dont l’orthodoxie était la religion officielle. Les oppositions politiques n’ont pas été sans influence sur les pratiques religieuses, en particulier dans leur aspect linguistique.

15En effet, depuis la Réforme, la langue vernaculaire a pris de l’importance dans l’Église luthérienne : il était nécessaire que chacun ait un accès direct aux textes sacrés et les sermons avaient donc lieu en finnois. Du côté orthodoxe, la messe était traditionnellement en slavon d’Église. Toutefois, dès la fin du xviiie siècle, le pope orthodoxe Sapinoff expliquait parfois ses sermons en finnois31, mais c’est surtout à partir des années 1860, sous le pope Albinski, que le finnois a pris une place importante dans les services à l’église orthodoxe, même si popes fennophiles et russophiles ont alterné. Le dernier service en vieux-slavon à l’église d’Ilomantsi a eu lieu en 1933.

16Le statut de la langue vernaculaire pour l’Église luthérienne a eu des implications très vastes sur l’ensemble de la société finlandaise et notamment l’éducation. Il fallait connaître les textes sacrés, mais aussi les psaumes et cantiques chantés lors de la messe : l’alphabétisation s’est donc développée par le travail de l’Église. C’était d’abord aux parents qu’incombait la responsabilité d’enseigner la lecture et l’écriture à leurs enfants, tâche difficile puisque beaucoup de paysans étaient eux-mêmes illettrés et ne voyaient pas l’intérêt de cet apprentissage. Les paroissiens se sont même longtemps opposés à la création d’une école, en raison des coûts supplémentaires que cela causerait32. C’est donc d’abord sous la forme de kiertokoulu, « écoles tournantes » installées pour quelques semaines dans chaque village, que s’est faite l’éducation des paroissiens à partir du début du xixe siècle. On organisait une fois par an dans chaque village des kinkerit, cérémonies pendant lesquelles le clergé vérifiait les connaissances des paroissiens. La connaissance des textes sacrés ne jouait pas un rôle aussi important pour les orthodoxes, ce qui peut expliquer leur plus faible alphabétisation, au début du xixe siècle, ainsi que l’absence de livres orthodoxes en finnois, tout le matériel étant principalement de langue russe. Étant donné que les exigences étaient moindres pour les orthodoxes, l’Église luthérienne redoutait la possible conversion, par paresse, de ses membres vers l’orthodoxie, conduisant ainsi à l’établissement des mêmes exigences (lecture, écriture, catéchisme) pour tous à la fin du xviiie siècle33. L’Église orthodoxe a ainsi tenté de développer son propre système éducatif à partir des années 1830 mais c’est surtout dans les années 1850 avec les kiertokoulut que la situation s’est améliorée. Des questions se sont posées également sur l’enseignement du russe. Des écoles de langue russe ont ainsi été fondées en 190434. Pour certains, l’apprentissage du russe permettait une mobilité sociale valorisée, mais ces écoles étaient aussi vues comme un moyen de russification dans une période où le nationalisme finlandais était en hausse. Un informateur explique cependant qu’aucun des élèves de l’école ne s’intéressait au russe et que personne ne l’a donc appris35.

17Dans les années 1870, l’enseignement s’est davantage institutionnalisé avec la création d’une véritable école primaire, kansakoulu. C’était une école confessionnelle luthérienne, mais les élèves orthodoxes y étaient accueillis : les cours de catéchisme étaient séparés, mais pas ceux d’histoire biblique36. La création des écoles a porté ses fruits : à la fin de la période étudiée, l’illettrisme était moindre. En témoigne l’existence de la bibliothèque, fondée en 1857, avec principalement une collection de littérature religieuse, mais aussi quelques journaux. Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1880 que les emprunts se sont multipliés, si bien qu’il n’y avait parfois plus aucun livre à emprunter37.

18Toute activité de lecture n’était pas religieuse : les mouvements socialiste et communiste avaient aussi leur influence sur la paroisse et sur le rapport des habitants à l’Église. De manière générale, les dissensions politiques semblent avoir eu plus d’importance dans les relations entre paroissiens à la fin du xixe siècle que les différences religieuses à proprement parler, même si elles se recoupaient en partie. Les orthodoxes soutenaient ainsi en général davantage le tsar jusqu’à l’indépendance38. Après la guerre civile, le paroissien orthodoxe Jussi Karhapää a été exécuté, haï de tous parce qu’il était considéré comme russificateur39. Avec la montée du nationalisme, la fennisation des noms de famille à consonance russe pouvait permettre d’effacer l’appartenance à l’Église orthodoxe, même si c’était plutôt rare40. Cette fennisation se voit aussi dans le choix des prénoms donnés aux enfants orthodoxes41. Il n’y avait cependant pas de consensus sur la meilleure manière de le faire : on a ainsi pu reprocher aux orthodoxes de ne pas choisir des noms provenant de la mythologie finnoise42. L’imbrication de la langue et de la religion dans la politique se voit ainsi à différentes échelles et a eu des répercussions jusque dans la vie quotidienne et l’identité même des paroissiens.

Langues et religions vécues : pratiques vernaculaires

19Si pour l’Église luthérienne il était important de connaître les textes sacrés et de participer aux cérémonies à l’église, les paroissiens eux-mêmes avaient des rapports variables aux pratiques religieuses et ne les vivaient pas nécessairement de la manière attendue par la hiérarchie de l’Église.

20Ceux qui habitaient dans les villages les plus reculés devaient se rendre à l’église d’Ilomantsi dès le samedi soir, ce qui explique qu’une grande partie d’entre eux ne venaient qu’une fois par an. Le retour pouvait être aussi difficile et il fallait partir avant la fin du dernier sermon si l’on ne voulait pas faire la queue pour le bac43. Il y avait dans les villages des écoles du dimanche (pyhäkoulu) qui permettaient d’avoir un rapport à l’enseignement sacré toutes les semaines. C’était quelqu’un du village qui savait chanter, lire et écrire, que l’on choisissait comme enseignant44, ce qui souligne l’importance accordée au chant dans la pratique religieuse luthérienne.

21L’attention des paroissiens lors de la messe était tout aussi variable et a laissé des souvenirs différents aux personnes interrogées. Selon certaines d’entre elles, les paroissiens étaient attentifs pour la plupart et chantaient lorsqu’il le fallait, tandis que certains dormaient sans qu’on ne les réveille45. D’autres en revanche avaient une attitude moins exemplaire :

Comme certains vicaires avaient une voix faible, surtout au fond de l’église, certains s’endormaient. Le sacristain allait les réveiller. Leurs voisins aussi leur donnaient des coups de coude. Pendant le sermon il y avait des dizaines de dormeurs. Le sacristain ne réveillait que ceux qui étaient au milieu de l’église. S’endormir à l’église, c’est une tare familiale. Il y avait une maison dont tous les habitants s’endormaient à l’église. Les voisins disaient quand ils allaient à l’église : « Bah les voilà qui vont encore à l’église pour dormir »46.

22Ici est soulevée, non sans humour, une raison pour laquelle le pasteur se devait d’avoir une voix qui porte. Plusieurs informateurs soulignent en outre les talents des Caréliens en chant et mentionnent la présence de bons chanteurs dans leur paroisse47. Dans certaines familles, le chant et la lecture des textes religieux pouvait aussi occuper une partie du quotidien à la maison, surtout dans les villages les plus reculés48.

23Aller à l’église n’était pas seulement un acte de foi. C’était aussi un acte social. Après le service, le prêtre lisait les annonces : comme il n’y avait ni journal49, ni radio50, il était important de se rendre à l’église pour être au courant des décisions politiques qui pouvaient affecter la vie quotidienne des paroissiens. Il était possible également pour les jeunes de faire des échanges commerciaux au fond de l’église pendant la messe51, et le prêtre pouvait aussi être objet de moqueries52 : la religion n’était pas une chose si sacrée que cela pour les paroissiens.

24Les descriptions des messes orthodoxes sont moins précises dans nos sources. On peut mentionner ici la présence dans certains villages reculés principalement, de bâtiments de prière, de chapelles appelées tsasounas (du russe časovnja, « chapelle »53), qui permettaient à chacun d’exercer sa piété. On n’y tenait cependant pas de service religieux. Certains informateurs luthériens évoquent des moqueries à l’égard des orthodoxes, notamment en raison de leurs chants qui étaient en russe et donc incompréhensibles54. Dans l’ensemble, les traditions populaires des orthodoxes étaient cependant respectées par les luthériens, même si elles suscitaient l’étonnement ou l’incompréhension.

Poésie kalévaléenne et religion vernaculaire

Orthodoxie, sorcellerie, paganisme : le point de vue des Églises

25Les membres du clergé luthérien ne voyaient pas du même œil les pratiques religieuses populaires des orthodoxes. Celles-ci ont ainsi pu servir d’argument dans la lutte politique entre les deux Églises. La description des orthodoxes comme païens ou superstitieux est courante, à la fois dans les écrits des membres du clergé et dans la tradition orale. Le terme de paganisme est utilisé dans une stratégie de condamnation des orthodoxes et permet de souligner l’altérité de l’autre groupe et de nier leur appartenance à la chrétienté, rappelant en cela les premières fonctions du concept55.

26C’est notamment le cas à la fin du xviiie siècle, où le pasteur Anders Norrgren s’est farouchement opposé aux orthodoxes, dont il redoutait une mauvaise influence sur les luthériens56. Le pasteur a par exemple condamné des pratiques de magie blanche dans la vieille église abandonnée de la paroisse, où ont été retrouvées des feuilles d’étain accrochées à des ficelles, probablement pour éloigner des maladies57. Si Norrgren était particulièrement acharné contre les orthodoxes, c’est moins le cas pour ses successeurs mais la représentation des orthodoxes comme païens a continué. En effet, leurs pratiques religieuses différaient de celles des luthériens, en particulier celles qui concernaient le respect dû aux défunts. Le cimetière était ainsi pour les orthodoxes un endroit particulièrement important, peut-être même plus intime que la tsasouna58. Il était courant de s’y rendre avec de la nourriture à partager avec les défunts, ce qui pouvait être considéré comme une pratique magique par les luthériens59. Les rituels funéraires comportaient également des moments d’expression poétique, les lamentations. Celles-ci étaient plus courantes dans la Carélie russe qu’en Carélie du Nord. Un certain nombre de lamentations ont été recueillies à Ilomantsi, mais elles concernent davantage le mariage que l’enterrement. Il semblerait que leur pratique n’ait pas été très développée dans la région, sans doute à cause de l’influence de l’Église luthérienne. Toutefois, il faut ici rappeler que les collecteurs n’étaient pas particulièrement intéressés par ce genre de poésie orale et qu’il s’agit plus de hasards de collectes60.

27L’Église orthodoxe ne semble pas non plus avoir eu une attitude particulièrement favorable aux traditions populaires, bien que souvent la persistance de la considérable tradition orale des orthodoxes ait été expliquée par la désinvolture ou la négligence de leur Église61. Pekka Hakamies montre qu’il existe surtout des exemples de condamnation des chants oraux profanes par l’Église orthodoxe, notamment en Ingrie au xixe siècle62. Il est donc peu vraisemblable que la surreprésentation des orthodoxes dans les corpus de chants collectés s’explique par le rapport de l’Église à ces traditions. Leur plus faible alphabétisation et leur moindre exposition à la modernisation ont pu en revanche causer leur plus fort attachement à un mode de vie traditionnel et aux pratiques orales poétiques qui y étaient liées.

L’idéalisation d’Ilomantsi par les élites intellectuelles

28La richesse du corpus de poèmes kalévaléens de la paroisse d’Ilomantsi a échappé à Elias Lönnrot lors de son premier voyage en 1828. Il décrit, dans son récit de voyage, Ilomantsi comme une région difficile d’accès, dont la géographie, et en particulier le nombre important de lacs, rend dangereux le voyage vers les villages où se trouvent les poètes de valeur63. Le collecteur s’attarde un instant sur le paysage religieux de la paroisse :

Les habitants finnois d’Ilomantsi qui sont orthodoxes [litt. de religion russe] forment environ le tiers des habitants de la paroisse. Malgré la différence de religion, ils ont pour la plupart acquis la capacité à lire. Beaucoup ont une petite collection de livres finnois et, à la manière de leurs frères luthériens, avec lesquels ils vivent en accord, ils les lisent avec application. Je doute que quiconque, d’un côté ou de l’autre, ait jamais condamné l’autre religion en louant la sienne propre, comme cela peut arriver, comme sujet de discorde quotidien, en Europe du sud dans les régions où deux peuples appartenant à des religions différentes vivent près l’un de l’autre ou bien mêlés ensemble64.

29Nous pouvons voir ici une forme d’idéalisation de la Finlande par rapport au reste de l’Europe : les différentes religions cohabiteraient en paix et les habitants passeraient leur temps dans les églises les uns des autres. Sans doute n’y avait-il pas de conflits majeurs entre les deux communautés, mais l’harmonie décrite par Lönnrot est probablement une erreur de perception, les orthodoxes devant légalement respecter encore le calendrier luthérien et ses jours de fête.

30Lönnrot s’est rendu une seconde fois à Ilomantsi en 1838. Dans une lettre à son ami Carl Henrik Ståhlberg65, il décrit ce deuxième séjour succinctement et mentionne la présence de nombreux chanteurs de poèmes traditionnels. Une seule mérite selon lui son entière attention, Mateli Kuivalatar, qu’il désigne comme seule « véritable chanteuse » (oikia laulaja) et auprès de laquelle il a passé deux jours à prendre en note des « chants anciens » (vanhoja lauluja) dans ses carnets. Le jugement de Lönnrot sur la qualité des chanteurs est ainsi principalement déterminé par ses attentes et son espoir de trouver le fonds ancien de l’histoire de la nation finlandaise.

31C’est surtout après les voyages des collecteurs August Ahlqvist et D. E. D. Europaeus en 1845 et 1846 que la richesse de la paroisse a été mise au jour. Europaeus suit le chemin et les conseils de Lönnrot : il indique lui-même au début de son récit de voyage qu’il ne commence son périple qu’à partir d’Ilomantsi. De même que Lönnrot, Europaeus est intéressé par les chanteurs exceptionnels qui connaissent un nombre considérable de poèmes :

Je n’ai rencontré de vrai chanteur que dans ce village [Megrijärvi], Simana Sissonen. J’avais fait chanter quelques personnes dans les villages précédents, mais mon butin était faible, ce qui peut s’expliquer par mon inexpérience et par la peur du peuple. Mais de Sissonen, j’ai obtenu un nombre considérable de poèmes, et de meilleur ou d’aussi bon que lui, je n’en ai trouvé aucun après, à l’exception de sa sœur Irina à Weitsyrjä près de Korpiselkä, chez qui je suis allé cette année début mai et qui m’a chanté, comme Simana, près de 70 poèmes66.

32C’est une manière courante de présenter la tradition populaire. Seuls sont nommés les poètes exceptionnels qui se détachent par leur savoir phénoménal. Les collecteurs ne s’intéressaient pas à l’identité des chanteurs mais considéraient que les chants traditionnels naissaient de manière naturelle au sein du peuple et en représentaient ainsi l’authenticité et la simplicité67. Les récits mythologiques et les pratiques magiques en particulier (qui donc s’opposaient aux pratiques chrétiennes du point de vue des collecteurs) intéressaient les chercheurs : M. A. Castrén considère par exemple que la magie est la première étape du développement des croyances religieuses et mythologiques finlandaises mais regrette que le christianisme ait empêché la maturation de la mythologie68. Le christianisme est ainsi souvent vu comme un ajout ultérieur à la véritable culture finnoise, et à la recherche de l’archaïsme correspond celle de la pureté.

33La pureté du peuple finnois ou carélien a pu s’interpréter en termes raciaux également, comme le montre le cas de l’anthropologue Gustaf Retzius, satisfait de son voyage en Carélie en 1873, où la population paraissait plus aryenne que dans le reste de la Finlande69. Lors de son voyage, il a pris un certain nombre de photographies des habitants de la paroisse et a notamment mis en scène un joueur de kantele, l’instrument à cordes traditionnel de la région baltique, Jaakko Parppei70, ainsi devenu un archétype qui a vécu dans la tradition narrative orale :

Il peut, avec raison, se vanter que les « messieurs de Helsinki » l’aiment bien. Elias Lönnrot a passé plusieurs journées à écouter les histoires du vieux bonhomme, le savant suédois Retzius a pris quelques photographies de lui, et presque chaque année le vieux reçoit une ou deux visites. Dans quelle mesure le christianisme a vaincu dans cet « homme du vieux peuple » les superstitions païennes, il est difficile de le décider avec certitude, car comme il est dur d’oreille, il est impossible de s’adonner à de plus longues conversations avec lui. Sans doute est-il de la tête aux pieds une vieille antiquité, que l’esprit du temps n’a pas grandement modifié71.

34Jaakko Parppei est l’incarnation même de l’idéal du vieux chanteur recherché par la plupart des collecteurs. Il connaît des chants et des incantations, qui lui permettent de guérir et d’aider des gens en détresse, il sait jouer du kantele mais il ne sait pas lire. Il apparaît comme doté d’une mémoire prodigieuse qui lui permet de retenir les différents poèmes. C’est un représentant des anciens temps mais ses croyances sont toutefois jugées comme des superstitions. Cela ne l’a pas empêché pour autant d’avoir des responsabilités à l’église et dans la commune : sans doute que les « superstitions païennes » ne constituent pas l’ensemble de la vie du personnage mais seulement une facette qui intéressait particulièrement les collecteurs.

35Ceux-ci ont un rapport double et ambigu aux poèmes qu’ils collectent et aux pratiques qui y sont associées. En effet, d’une part, ils sont à la recherche de ce patrimoine culturel indispensable à leurs yeux pour construire une culture et une nation finlandaises, mais d’autre part, ils condamnent ou méprisent ces pratiques qui ne sont pas en accord avec les principes de l’Église luthérienne qu’ils suivent eux-mêmes, et défendent la nécessité de l’instruction du peuple. Ahlqvist déplore ainsi dans son récit de voyage : « les idées contemporaines ont commencé à s’enraciner et la capacité à lire s’est développée au sein du peuple, mais cela ne servait pas notre affaire [l’étude des poèmes anciens] »72. Cette opposition entre modernité et tradition est visible de manière claire dans un exemple donné par Lönnrot :

Il faut se rappeler que le vieux Kainulainen avait été autrefois l’un des meilleurs chasseurs de la région et que sa chance à la chasse dépendait en grande partie, selon sa croyance superstitieuse, de la faveur des dieux de la forêt, dont il savait mieux que les autres émouvoir l’esprit par ses chants. Ces chants avaient été maintenant comme donnés en héritage à son fils aîné, même si celui-ci, sous l’effet de l’éducation de notre époque, ne les considérait plus comme aussi efficaces que ses ancêtres. Il semblait plutôt les tenir pour un héritage laissé par son père, qui lui rappelait au mieux l’époque de son enfance, où ils s’étaient imprimés dans sa mémoire73.

36Bien que cet extrait ne concerne pas Ilomantsi mais la paroisse proche de Kesälahti, il montre le rapport que Lönnrot entretenait avec ces chants qui l’intéressent. Lönnrot prend de la distance à l’égard de ces croyances, qu’il considère comme « superstitieuses ». Il note cependant le rapport aux dieux de la forêt et la pratique des incantations se lit ainsi dans le cadre d’un échange avec les dieux, comme une pratique religieuse païenne préchrétienne. Les effets de l’éducation se voient dans le rapport que le fils entretient avec ces chants : il n’y croit plus, ou du moins c’est le discours qu’il tient au collecteur, et c’est le rapport affectif à l’enfance et au père décédé qui importe ici. Ce sont souvent des souvenirs des temps passés qui sont racontés par des personnes âgées à de jeunes collecteurs.

37Cela explique donc également que le trope de la disparition de la poésie orale traditionnelle soit si répandu dans la rhétorique propre à Ilomantsi74. Les poètes disparaissent, et la poésie avec eux : les collecteurs de traditions orales ne s’intéressent pas tant que cela à la réalité de la vie de la paroisse et aux « poèmes nouveaux » qui ne correspondent pas aux épisodes mythiques du Kalevala, aux pratiques de fêtes, chants et danses des jeunes. Ils ne s’intéressent pas non plus aux « chants spirituels » (hengelliset laulut)75, qui font pourtant partie des pratiques orales quotidiennes de certains paroissiens.

Vers une perspective émique

38Après avoir exploré les rapports des Églises et des collecteurs à la poésie orale profane, passons au regard des paroissiens eux-mêmes, autant que cela est possible avec les sources que nous avons. Des éléments sur les rapports entre informateurs et collecteurs peuvent être glanés des documents laissés par les collecteurs. Ce qui ressort du récit de Lönnrot, c’est une incompréhension méfiante à l’égard des collecteurs. La performance particulière à laquelle s’adonnent les paroissiens avec Lönnrot sort de l’ordinaire et l’on se demande ce qu’il notait dans son carnet et pourquoi76. Les paroissiens ne semblent pas montrer le même intérêt que les collecteurs pour les poèmes traditionnels. La paroisse était en effet plutôt pauvre, et le travail agricole était important pour la survie de chacun : les habitants avaient besoin de travailler pour (sur)vivre et n’acceptaient souvent de chanter que lorsqu’ils étaient payés pour le travail qu’ils ne pouvaient effectuer77. On peut observer dans cette attitude une certaine incorporation du discours luthérien sur la morale du travail, mais aussi sur la perte de temps que représentent les chants profanes, qui ne sont pas des textes religieux.

39Une autre cause possible de la méfiance des informateurs est le statut même des textes collectés, en particulier celui des incantations. « En effet, les chanteurs de poèmes finlandais n’ont pas encore perdu la peur de devoir rendre des comptes de leurs chants », écrit Lönnrot78. Les incantations ne sont pas acceptées par l’Église et les souvenirs de procès pour sorcellerie sont sans doute encore vifs dans la mémoire collective. Il n’est donc pas possible de transmettre les incantations à n’importe qui. Cela est d’autant plus important que ces incantations peuvent perdre leur pouvoir si elles sont mal transmises : il était donc possible de taire quelques vers de ces chants ou d’en ajouter d’autres.

40La sorcellerie apparaît également dans les récits oraux collectés dans la paroisse. Il semble que dans la parole collective, la sorcellerie soit associée à l’orthodoxie davantage qu’au luthéranisme – mais là encore, il est difficile d’en expliquer la raison, les données sur les informateurs étant minimes. Les sorciers sont la représentation même de l’altérité, comme le montre un récit racontant les différents déménagements d’un paroissien entre plusieurs villages :

Mais comme ici il fallait avoir peur des grands sorciers « russes » du village de Sonkaja, qui faisaient apparaître tout seuls par magie jusqu’à des serpents dans les habitations humaines, il est reparti s’installer au village de Jaakkima dans la paroisse de Koitere79.

41L’altérité est encore plus clairement soulignée si l’on prend en compte le trope des sorciers « lapons », ce qui peut faire référence aux Sames ou à des groupes ayant le même mode de vie. Il peut s’expliquer par le passé de la Carélie. La région était en effet autrefois habitée par des Sames, comme la toponymie l’indique. Le nom même d’Ilomantsi provient en effet probablement d’une langue same et signifie « le plus haut »80. Au xixe siècle, les Sames ne vivaient plus en Carélie, mais leur présence dans les récits traditionnels est encore remarquable. Ils servent en quelque sorte de contrepoint au christianisme :

Les sorciers de Laponie conduisaient autrefois les rennes sauvages dans les pièges des chasseurs en gesticulant dans les sapins de la forêt profonde. Une fois, un sorcier agissait pour faire venir des rennes, mais comme le camarade du chasseur s’est mis à rire en le voyant faire, le sorcier n’a pas réussi à conduire la créature jusqu’au piège (dans la ligne). Alors le sorcier a dit à celui qui poursuivait la bête, je vais maintenant donner plus de gibier, car j’ai toujours fait venir les rennes, depuis l’autre côté des collines81.

42Il est intéressant de voir dans cet exemple la triple distance à l’égard de la sorcellerie : distance temporelle, indiquée par le marqueur temporel « autrefois », distance géographique ou ethnique, mais aussi distance ironique individuelle, puisque le chasseur rit de voir les gesticulations du sorcier. Il s’agit de la représentation d’une religion ancienne, de croyances antiques en la magie, qui est présentée comme éloignée de la vie quotidienne des informateurs en 1911.

43Les croyances des paroissiens montrent en outre un rapport complexe à la religion chrétienne, qui est présente dans leurs récits et discours mais coexiste avec des éléments populaires qui n’appartiennent pas au dogme de l’Église. On trouve ainsi de nombreux récits sur le vetehinen, être de l’eau, qui menace les gens en barque82. Le diable, piru, apparaît comme le père d’enfants velus et noirs83. Dieu et les figures chrétiennes sont en revanche protectrices. Il n’était pas nécessaire de prononcer une longue incantation, quelques vers pouvaient suffire par exemple lorsque l’on partait à la chasse, dans la forêt84. Les incantations étaient un moyen de protection ou guérison plus complexe, qui permettent d’entrer en communication avec les entités invisibles : des divinités préchrétiennes comme Ukko ou Väinämöinen ou le Dieu chrétien, Jésus ou la Vierge Marie85. Les difficultés de la vie quotidienne et l’absence de médecine moderne dans la paroisse expliquent la persistance de pratiques de médecine populaire encore longtemps au xxe siècle. Toutefois, comme Ulla Piela le remarque, la place des incantations dans ces pratiques de médecine populaire perd de son importance86.

44Les pratiques vernaculaires des habitants d’Ilomantsi, et les représentations qu’ils avaient de leurs habitudes linguistiques et religieuses, sont donc riches et complexes. Elles mêlent des influences différentes et montrent souvent une forme de distance à l’égard des différents discours officiels, d’agentivité, de choix faits par les paroissiens. Ce rapport ambigu aux croyances et aux pratiques se voit aussi dans quelques récits humoristiques. On peut rire en utilisant le nom de Dieu ou autres paroles chrétiennes, mais en général celui qui se moque de Dieu est puni dans les récits : l’humour ne va donc pas trop loin87.

Conclusion

45Je me suis intéressé dans cet article aux représentations des pratiques religieuses et langagières des habitants d’Ilomantsi au xixe siècle et dans les premières décennies du xxe siècle. La paroisse d’Ilomantsi est exemplaire, puisqu’elle montre comment des discussions qui ont pu occuper les élites du pays au xixe siècle se sont matérialisées et concrétisées à l’échelle de l’individu et de la communauté.

46J’ai montré d’abord que la parole poétique consacrée par l’Église (luthérienne en particulier) se trouve au fondement de différences et de différends entre orthodoxes et luthériens : la pratique de cette poésie orale qui appartient au domaine de la liturgie chrétienne reconnue par l’Église a des implications sociales et politiques importantes, notamment avec la question de l’alphabétisation de la population. Langues et religions sont bien souvent des instruments dans les rapports de pouvoir pour le contrôle d’un territoire, et ces rapports de pouvoir peuvent influencer les pratiques mêmes, comme le montre par exemple le choix de passer du slavon d’église au finnois dans les liturgies orthodoxes. Toutefois, si la religion et la langue standardisée sont des moyens d’asseoir la domination de l’État, jamais celle-ci n’est complète. Les populations interprètent les préceptes et les dogmes selon leurs propres cadres de pensée, ce qui donne naissance à une pluralité de religions possibles et actualisées par les pratiques. Les traditions se construisent de manière polyphonique : la paroisse d’Ilomantsi est au carrefour de plusieurs influences, et loin de séparer les langues et les religions, les frontières sont poreuses. La Carélie n’est pas une région périphérique qui aurait gardé la pureté des temps anciens.

47Je me suis ensuite intéressé précisément à la place de la poésie orale traditionnelle et à son rapport à la religion dans les discours de divers acteurs. La parole poétique est au centre de la relation entre collecteurs et informateurs. La langue des élites et la langue vernaculaire se rencontrent ainsi par moments, lors des performances organisées autour de la personne du collecteur. Associée au paganisme, comprise comme superstition, cette poésie traditionnelle a suscité l’intérêt des collecteurs venus d’Helsinki. La concentration sur les poèmes oraux mythologiques montre toutefois une forme de désintérêt à l’égard de la réalité quotidienne, vécue, des habitants d’Ilomantsi, qui avaient une pratique du chant et de la lecture dans différentes langues et différents contextes. Pour bien comprendre la valeur de ces poèmes dans la société où ils ont été recueillis, une désacralisation peut être nécessaire. Les paroissiens avaient une pratique de la parole poétique vivante et multiple, qui ne se limitait pas à un genre particulier, et ils pouvaient prendre de la distance ironique à l’égard de ces chants comme à l’égard des collecteurs. Si ces différentes pratiques sont un gage de la vitalité de la parole poétique qui revêt plusieurs formes, leur étude permet de mettre au jour des rapports de pouvoir entre différents acteurs de la société du xixe siècle, rapports qui influencent encore notre perception de ces poèmes.

Notes

1 Je remercie Sébastien Cagnoli ainsi que les deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires précieux sur une version antérieure de cet article.

2 Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Éditions du Seuil, Collection Poétique, 1983, p. 47.

3 Ibid., p. 87.

4 Voir par exemple Richard Bauman, Verbal Art as Performance, Prospect Heights, Waveland Press, 1984 (2e éd.), p. 7-14.

5 Voir à cet égard Meredith McGuire, Lived religion. Faith and practice in everyday life, Oxford, Oxford University Press, 2008.

6 Albert Piette, Le fait religieux. Une théorie de la religion ordinaire, Paris, éd. ECONOMICA, Collection Études Sociologiques, 2003, p. 76-77.

7 Environ 1500 poèmes collectés à Ilomantsi entre les années 1820 et 1930 ont été publiés dans le corpus des Suomen Kansan Vanhat Runot, Helsinki, SKS, 1908-1948, 1995. Consultable sur : https://skvr.fi/.

8 Kirkollisen kansanperinteen arkisto, yleiskysely (Archives des traditions populaires religieuses, questionnaire général, ci-après KKA 1).

9 Ces récits sont conservés dans les archives de la SKS, il y en a près de 900 pour la paroisse d’Ilomantsi.

10 Derek Fewster, Visions of Past Glory. Nationalism and the Construction of Early Finnish History, Helsinki, SKS, 2006, p. 92.

11 Le carélien est une langue fennique très proche mais distincte du finnois. Ces distinctions entre langues et dialectes sont cependant modernes.

12 Pour une discussion détaillée de la question terminologique, voir Niina Hämäläinen / Kati Mikkola / Ilona Pikkanen / Eija Stark, « Miten kansasta tulee vernakulaari? Kansanrunoudentutkimuksen, kirjallisuushistorian ja kansankirjoittajien tutkimuksen kansakuva 1820-luvulta 2010-luvulle », Elore, no 17, vol. 1, 2020, p. 37-59. Consultable sur : https://doi.org/10.30666/elore.89069.

13 Pour une histoire des premières étapes de la recherche sur la poésie folklorique, voir Jouko Hautala, Suomalainen kansanrunouden tutkimus, Helsinki, SKS, 1954.

14 Voir la thèse de Juhana Saarelainen, Runous, tieto ja kansa. Elias Lönnrotin ajattelu ja toiminta aikalaisfilosofian kontekstissa, Turku, 2019.

15 Lotte Tarkka / Heidi Haapoja-Mäkelä / Eila Stepanova, « Kalevalaisuus, kieli-ideologiat ja suomalaisuuden myytit », in Ulla Piela / Pekka Hakamies / Pekka Hako (dir.), Eurooppa, Suomi, Kalevala. Mikä mahdollisti Kalevalan?, Helsinki, SKS, Kalevalaseuran vuosikirja 98, 2019, p. 79-106.

16 Voir à cet égard par exemple Pekka Suutari (dir.), Karjala-kuvaa rakentamassa, Helsinki, SKS, 2013.

17 Pertti Luntinen, « Karjalaiset suomalaisuuden ja venäläisyyden rajalla », in Pauli Kurkinen (dir.), Venäläiset Suomessa 1809-1917, Helsinki, SHS, 1985, p. 125-159.

18 Heidi Haapoja-Mäkelä, « Silencing the Other’s Voice? On Cultural Appropriation and the Alleged Finnishness of Kalevalaic Runo Singing », ETNOLOGIA FENNICA, no 47, vol. 1, p. 6-32. Consultable sur : https://doi.org/10.23991/ef.v47i1.84255.

19 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia. Enon, Ilomantsin ja Tuupovaaran historia vuoteen 1860, Pieksamäki, Enon, Ilomantsin ja Tuupovaaran paikallishistoriatoimikunta, 1991, p. 99-111, 135-145. Pour une histoire précise des relations entre orthodoxes et luthériens, voir en particulier Ismo Björn, Ryssät ruotsien keskellä: Ilomantsin ortodoksit ja luterilaiset 1700-luvun puolivälistä 1800-luvun puoliväliin, Joensuu, Joensuun yliopisto, 1993.

20 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia, op. cit., p. 150.

21 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 75 ou 14, 188, par exemple.

22 SKS KKA 1. Ilomantsi 2, 10. Les orthodoxes du côté finlandais de la frontière pouvaient aussi être appelés « suédois » par les orthodoxes du côté russe, alors que tous appartenaient à la même Église. Les différences entre villages étaient ainsi importantes : les habitants de Kuolismaa appelaient « russes » ceux de Liusvaara, parce qu’ils travaillaient davantage du côté russe, mais tous se sentaient caréliens (SKS KKA 1. Ilomantsi 8, 103).

23 Ismo Björn, « Kuka puhuu Karjalasta, puhuiko kukaan Karjalaa? », in Pekka Suutari (dir.), op. cit., p. 404-437.

24 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia, op. cit., p. 193.

25 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 39.

26 « He puhuivat kirjakieltä. Kukaan ei käyttänyt murretta », SKS KKA 1. Ilomantsi 19, 266.

27 SKS KKA 1. Ilomantsi 21, 291.

28 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia, op. cit., p. 301-303.

29 Les vieux-croyants sont des orthodoxes russes qui ont refusé les réformes du patriarche Nikon en 1666-1667 et se sont ainsi séparés de l’Église orthodoxe russe.

30 Ismo Björn, Ilomantsin historia, Keuruu, Otava, 2006, p. 90.

31 Ismo Björn 2013, « Kuka puhuu Karjalasta », art. cit., p. 415, cite la thèse d’Adolphus Henricus Winter, Dissertatio historica de ecclesiis Careliae Sueciae Graecam religionem profitentibus, publiée en 1796.

32 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia, op. cit., p. 525-529.

33 Ibid., p. 535.

34 Ismo Björn, Ilomantsin historia, op. cit., p. 193.

35 SKS KKA 1. Ilomantsi 2, 8.

36 SKS KKA 1. Ilomantsi 23, 324.

37 Ismo Björn, Ilomantsin historia, op. cit., p. 233.

38 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 75-76.

39 SKS KKA 1. Ilomantsi 11, 153.

40 C’est un phénomène plutôt répandu en Finlande sous l’autonomie, mais plus souvent dans le sens suédois-finnois.

41 Eija-Helena Kettunen, « Ortodoksien etunimikirjoa Ilomantsissa 1920–luvulta vuoteen 1946 », in Seppo Knuuttila et al., op. cit., p. 137-146.

42 Ibid., p. 141.

43 SKS KKA 1. Ilomantsi 14, 181.

44 SKS KKA 1. Ilomantsi 3, 35.

45 SKS KKA 1. Ilomantsi 19, 265.

46 « Kun kappalaiset jotkut olivat vienoäänisiä, varsinkin peräpuolella jotkut tahto nukkua. Suntio kävi herättämässä. Myös vierustoverit kyynäspäillään nykäs. Saarnan aikana oli kymmennii nukkujjii. Suntio herätteli vain keskellä kirkkoa istujia. Kirkossa makkaaminen on sukuvika. Yhen talon eläjät kaikki makas kirkossa. Naapurit sanovat näiden mennessä kirkkoon: ”Tuas männööt kirkkoon makkoomaan” », SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 60. Traduction personnelle. Toutes les traductions qui suivent sont des traductions personnelles.

47 SKS KKA 1. Ilomantsi 3, 19, et 4, 60.

48 SKS KKA 1. Ilomantsi 3, 21.

49 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 56.

50 SKS KKA 1. Ilomantsi 13, 175.

51 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 60.

52 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 40.

53 Article « tsasouna », in Suomen Sanojen Alkuperä, op. cit.

54 SKS KKA 1. Ilomantsi 4, 76-77.

55 Maijastina Kahlos, « Pagan/Paganism », in David G. Hunter / Paul J.J. van Geest / Bert Jan Lietaert Peerbolte, Brill Encyclopedia of Early Christianity Online, 2020. Consulté le 2 juin 2021 sur : http://dx.doi.org.libproxy.helsinki.fi/10.1163/2589-7993_EECO_SIM_00002502.

56 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia, op. cit., p. 450.

57 Ibid., p. 581.

58 Hannes Sihvo, « Karjalan kalmistojen lumoissa. Kyläkalmistot karelianismin maisemassa », in Jorma Aho / Laura Jetsu, op. cit., p. 85-96.

59 Ismo Björn, Ryssät ruotsien keskellä, op. cit., p. 99.

60 Stig Söderholm, « Itkuvirsiperinne ja Suomen Pohjois-Karjala: rituaali-itkennästä folklorismiin », in Seppo Knuuttila / Pekka Laasonen, Runon ja Rajan teillä, Helsinki, SKS, Kalevalaseuran vuosikirja 68, 1989, p. 175-187, en particulier p. 181-184.

61 Pekka Hakamies, « Runotraditiot ja etnis-uskonnollinen raja Ilomantsissa », in Jorma Aho / Laura Jetsu, op. cit., p. 182-189.

62 Ibid., p. 186.

63 Elias Lönnrot, « Vaeltaja eli muistelmia jalkamatkalta Hämeessä, Savossa ja Karjalassa », in A. R. Niemi, Elias Lönnrotin matkat, I osa, vuosina 1828-1839, Helsinki, SKS, 1902, p. 105.

64 « Ne Ilomantsin suomalaiset asukkaat, jotka ovat venäjänuskoisia, muodostavat noin kolmanneksen pitäjän asujamista. Huolimatta uskonnonmuutoksesta ovat useimmat heistä itse harjoittaneet lukutaitoa. Monella on pieni kokoelma suomalaisia kirjoja, ja näitä he luterilaisten veljiensä tavoin, joiden kanssa elävät hyvässä sovussa, ahkerasti lueskelevat. Luulenpa tuskin, että koskaan kummallakaan puolella on tapahtunut sellaista toisen uskon tuomitsemista ja oman uskon ylistelyä kuin se, joka usein jokapäiväisenä riidan aiheena esiintyy etelä-Euroopassa niissä paikoin, missä kahteen eri uskontunnustukseen kuuluvaa kansaa asuu lähellä toisiaan tai sekaisin », ibid., p. 105-106.

65 Elias Lönnrot, « Lettre du 12 octobre 1838 à Ståhlberg », in A. R. Niemi, op. cit., p. 407-408.

66 « Tässä kylässä [Megrijärven] tapasin vasta kunnon laulajan Simana Sissosen. Muutamia olin edellisissäkin kylissä laulattanut, mutta saalis oli vähä, johon tottumattomuuteni ja rahvaan pelko oli syynä. Vasta Sissoselta sain kelpolailla runoja, sillä häntä parempaa, eikä vertaistakaan löytynyt sen jälkeen, paitsi hänen sisärtänsä Irinaa Weitsyrjässä likeellä Korpiselkää, jonka luona kävin tänä vuonna toukokuun al’ussa, ja joka niinkuin Simanakin, lauloi minulle lähes 70 runoa ». D. E. D. Europaeus, « Lyhyt kertomus matkustuksestani (Vv. 1845-6) », in A. R. Niemi, D. E. D. Europaeuksen kirjeitä ja matkakertomuksia, Helsinki, SKS, 1903, p. 1.

67 Niina Hämäläinen et al., art. cit., p. 42. Voir aussi Juhana Saarelainen, op. cit.

68 Matthias Alexander Castrén, « M. A. Castrénin kertomus runonkeruumatkastansa Venäjän-Karjalassa v. 1839 » (trad. du suédois), in A. R. Niemi, Runonkerääjiemme matkakertomuksia 1830-luvulta 1880-luvulle, Helsinki, SKS, 1904, p. 11.

69 Ismo Björn, Suur-Ilomantsin historia, op. cit., p. 151.

70 Riitta Raatikainen, « Ilomantsin pitkä kuva », in Seppo Knuuttila et al., op. cit., p. 176–192

71 « Syystä kyllä saattaa hän kerskata, että ”Helsingin herrat” hänestä paljon pitävät. Elias Lönnrot viipyi ukon pakinoilla useita päiviä, ruotsalainen tiedemies Retzius on ottanut häneestä pari valokuvaa, ja melkein joka vuosi käy yksi ja toinen matkoillaan ukkoa tervehtämässä. Missä määrässän on tuossa ”vanhan kansan miehessä” kristinoppi voittanut pakanallisia taikaluuloja, on vaikea varmuudella päättää, sillä kovakorvaisuuden tähden on mahdotonta enää antautua hänen kanssansa pitempiin puheihin. Arvattavasti on hän kiireestä kantapäähän vanha muinaisuus, jota ajan kenki ei ole sanottavasti muodostellut », SKS KRA. Kuopion lyseon toverik. IV. 1. 1886.

72 « Tämä kyllä todistaa, että nykyisemmät mietteet ovat jo alkaneet juurtua, ja luku-taito enennyt kansassa, vaan näistä ei meidän asialla ollut etua », August Ahlqvist, « A. Ahlqvistin kertomus runonkeruumatkastansa Viipurin läänissä v. 1854 », ibid., p. 214.

73 « On muistaminen, että vanha Kainulainen aikoinaan oli ollut seudun parhaita metsämiehiä ja että hänen metsästäjä-onnensa suureksi osaksi ajan taikauskoisen luulon mukaan riippui metsän-jumalien suosiosta, joiden mielen hän muita paremmin osasi lauluillaan liikuttaa. Nämä laulut olivat nyt menneet ikäänkuin perintönä hänen vanhimmalle pojalleen, vaikkei tämä tosin ajan valistuksen vaikutuksesta enää pitänyt niitä yhtä tehoisina kuin hänen esi-isänsä. Hän näytti pikemmin pitävän niitä isän jättäminä peruina, jotka paraiten palauttivat hänen mieleensä lapsuudenajat, jolloin ne kaikki olivat painuneet hänen muistiinsa », Elias Lönnrot, op. cit., p. 49-50.

74 Seppo Knuuttila, « Katoava kansanrunous Ilomantsi-retoriikan erityispiirteenä », in Jorma Aho / Laura Jetsu, op. cit., p. 190-203.

75 Elias Lönnrot, op. cit., p. 25.

76 Ibid., p. 99.

77 Ibid., p. 103.

78 « Sillä suomalaisista runolaulajista ei vielä ole se pelko kadonnut, että heidän runonsa mahdollisesti ovat sitä laatua, että he niistä joutuvat edesvastuuseen », ibid., p. 65.

79 « Mutta täällä kun oli peljättävä Sonkajan suuria velhoja ”venäläisiä”, jotka noituivat yksin käärmeitäkin ihmisasunnoihin, muutti hän takaisin Koiteren Jaakkimaan », SKS KRA. Kuopion lyseon toverik. IV. 26. 1886.

80 Ismo Björn, « Miten Ilomantsista tuli Ilomantsi », art. cit., p. 61.

81 « Lapinnoidat ajoivat ennen petroja erämiesten ansoihin isoilla korpikuusilla hosuen. Kerran ajoi noita niinikään petroja, mutta kun pyytömiehen toveri sen nähdessään naurahti, ei noita saanutkaan otusta ansaan (rihmaseen). Siitä sanoi noita ajattajalle, että annan nyt lisää antia, sillä minä olen tuonut petrat aina, tunturivaaran takaa asti », SKS KRA. Lukkarinen, J. b)1344. 1911.

82 SKS KRA. Lukkarinen, J. b)1310. 1911.

83 SKS KRA. A. Lämsä 533. 1937.

84 SKS KRA. Kaarle Krohn 8354. 1885.

85 Aleksi Moine, « Des mots et des corps. Parole divine et orthodoxie populaire dans la Carélie du xixe siècle », Études finno-ougriennes, no 48, 2017, p. 243-260. Consultable sur : https://doi.org/10.4000/efo.7335.

86 Ulla Piela, « Luonto ja muuttuvat maailmat kansanlääkinnässä », in Hilkka Helsti / Laura Stark / Saara Tuomaala, Modernisaatio ja kansan kokemus Suomessa 1860-1960, Helsinki, SKS, 2006, p. 277-331.

87 SKS KRA. Pirttilahti, Johan 11. 1937.

Pour citer ce document

Aleksi Moine, «Langues de la religion et langues de la poésie : luthériens, orthodoxes et oralités poétiques dans la paroisse d’Ilomantsi au XIXe siècle», Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], Revue d'histoire culturelle de l'Europe, Langues et religions en Europe du Moyen Âge à nos jours, Langue, religion, identités nationales aux XIXe et XXe siècles,mis à jour le : 24/03/2022,URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=2335

Quelques mots à propos de : Aleksi Moine

Ancien élève de l’École normale supérieure, Aleksi Moine est actuellement doctorant en folkloristique et étude des religions à l’université d’Helsinki. Sa thèse porte sur les incantations finnoises de Carélie du Nord au xixe siècle, qu’il étudie à travers le prisme de la corporéité et du christianisme vécu. Il est notamment l’auteur de « Des mots et des corps. Parole divine et orthodoxie populaire dans la Carélie du xixe siècle », Études finno-ougriennes, no 48, 2017, p. 243-260. Consultable sur : a href="https://doi.org/10.4000/efo.7335.