Traduire le monde andin dans Yawar Fiesta de José María Arguedas
Résumé
Dans les romans de José María Arguedas (1911-1969), le lexique quechua est très présent : les emprunts faits à la langue indigène concernent principalement la faune et la flore des Andes, les croyances populaires, les manifestations culturelles ou encore l’organisation sociale andine. Ces insertions permettent à José María Arguedas de faire entendre un « bruissement du quechua » dans la langue espagnole. Nous nous proposons d’étudier comment cette présence est restituée dans les traductions françaises, italiennes et américaines, notamment pour mettre en avant les différentes stratégies employées par les traducteurs d’Arguedas. »
Abstract
In the novels of José María Arguedas (1911-1969), the Quechua vocabulary is highly present: loans from the indigenous language mainly refer to Andean fauna and flora, popular beliefs, cultural events and the social organisation of the Andes. These encapsulations enable José María Arguedas to conjure up a "whisper of Quechua" within the Spanish language. This paper examines how this linguistic and literary feature is conveyed in the French, Italian and American translations of Arguedas’ novels, with a particular focus on the different strategies used by his translators. »
Table des matières
Texte intégral
L’année 2011 a vu naître au Pérou une polémique révélatrice du rapport complexe qu’entretient le pays avec son histoire : d’abord présentée comme l’année du centenaire de la « découverte » du Machu Picchu, elle a finalement été désignée officiellement comme l’année du « Centenaire du Machu Picchu pour le monde1 ». Le flou de cette formulation cache, pour certains, des enjeux idéologiques ; Carlos García-Bedoya, professeur de littérature à l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos (Lima), voit dans cet intitulé la célébration d’un point de vue occidentalisé sur le Pérou et rappelle que l’année 2011 aurait également pu donner lieu à une autre commémoration : celle du centenaire de la naissance de l’écrivain, ethnologue, traducteur et poète péruvien José María Arguedas (1911-1969)2. À ses yeux, préférer le symbole que représente, pour le monde, le Machu Picchu, à celui que constitue, pour la nation péruvienne, l’écrivain originaire de la sierra du sud s’explique par une logique qui exclut le monde andin :
En choisissant de célébrer le Machu Picchu, on répète le vieux idéologème qui monumentalise en de simples ruines, en un pur passé, ce qui est indigène ; cela est très attractif pour le touriste péruvien ou étranger, mais doit être abandonné au nom du progrès. Incas, oui, Indiens, non : admirons le legs des civilisations préhispaniques disparues, invisibilisons la culture andine vivante dont le symbole paradigmatique est justement Arguedas3.
Ces quelques lignes suffisent à rendre compte de la reconnaissance encore fragile au Pérou de la culture indienne, qui se voit parfois sacrifiée à une lecture « exotisante » qui lui préfère un passé inca. Lorsque Carlos García-Bedoya décrit Arguedas comme un « symbole paradigmatique » de la culture andine, il ne fait en réalité que reprendre une vision largement répandue qui célèbre le bilinguisme espagnol-quechua de l’écrivain ainsi que son engagement à faire connaître la culture andine comme l’illustration d’un modèle de synthèse nationale réussie. L’écrivain issu du monde des criollos4, revendiquant avec fierté le fait de s’exprimer à la fois en quechua et en espagnol, est ainsi devenu un symbole d’unité pour la société péruvienne. Loin de fixer la culture andine dans un « pur passé », l’écrivain-ethnologue a, au contraire, travaillé à rendre visible sa vitalité. Ses écrits, scientifiques comme artistiques, ainsi que ses traductions poursuivent un même objectif : révéler l’altérité indienne.
Arguedas tente de rompre avec une tradition indigéniste qui décrivait l’Indien de façon extérieure, sans avoir appréhendé le monde andin de l’intérieur, sans s’y être immergé ou sans avoir tenté d’en épouser la lecture du monde. C’est pourquoi, dans son œuvre, la nature tient une place fondamentale : Arguedas, en effet, fait sienne la cosmovision quechua qui place l’homme, non pas au centre du monde, mais à place égale avec la faune et la flore. C’est en ces termes que Françoise Aubès décrit la poétique qui sous-tend l’œuvre romanesque d’Arguedas :
Dans ce monde de fêtes, de musique, d’entraide et de croyances l’homme n’est pas le centre du monde mais partie d’un système harmonieux car le monde n’est pas divisé en genres étanches ; y domine non pas une relation anthropocentrée mais holistique et panthéiste. Cette vision d’un monde d’harmonie et fluidité, où tout circule, se retrouvera dans tous ses romans et tous ses essais ethnologiques. L’homme – le personnage – n’est jamais seul au centre du monde ; le monde ne l’entoure pas, il est le monde, comme la fleur, l’insecte, la montagne vénérée5.
Ainsi retrouve-t-on dans la plupart des textes arguédiens une attention toute particulière portée à la nature, une présence évoquée à la fois en espagnol et en quechua. La singularité de la création par Arguedas de ce qui a été désigné comme un « espagnol quechuisé6 », un « quechuañol7 » ou encore une « langue hybride », voire une « écriture bilangue8 » vient notamment de cette présence de la langue quechua dans la langue espagnole : cette dernière offre l’hospitalité à la langue indigène.
Yawar Fiesta est le premier roman de José María Arguedas : publié en 1941, ce texte met en scène les diverses réactions que suscite l’interdiction de la yawar fiesta, la fête du sang, la corrida indienne. C’est une plongée dans le monde andin, mais aussi une représentation très juste de la distance qui le sépare du monde de la côte et des criollos. Comme le souligne Cecilia Hare,
Yawar Fiesta est le roman de la dichotomie et de l’incompréhension qui existe entre le Pérou amérindien et andin, et le Pérou occidental et côtier. Il nous montre l’âme indienne dans ses aspects les plus lumineux mais aussi les plus sombres, ainsi que sa perplexité face au monde occidental9.
Le personnage principal de Yawar Fiesta est la « masse » formée par les Indiens : le roman est une fresque mettant en scène des voix collectives, et il dresse le tableau d’une culture andine bien vivante, qui perdure grâce à sa capacité de transculturation. La langue de Yawar Fiesta est ouvertement diglossique. Le récit est constellé de mots quechuas : le lexique indigène contribue à créer un effet de langue quechua dans la langue espagnole. Lors de sa publication, Yawar Fiesta s’est vu reprocher par certains son inintelligibilité : une des lettres de José María Arguedas fait état notamment d’une critique d’Alfredo Tauro désapprouvant son travail linguistique qu’il considère comme une entrave à la création artistique. Dans une autre lettre, datée du 25 septembre 1941, Arguedas évoque les raisons pour lesquelles son roman n’a pas obtenu les faveurs d’un concours littéraire : Yawar Fiesta serait inintelligible pour qui n’aurait pas vécu parmi les Indiens10. Enfin, dans une lettre adressée à l’éditeur Carl Hausen datée du mois de janvier 1959, Arguedas regrette que son roman ne puisse être traduit, une impossibilité qui aurait pour cause l’étrangéité du texte originel dont l’univers culturel serait trop éloigné de la culture européenne11. L’écrivain assure en effet que « ce n’est pas le thème mais le style qui rend inaccessible Yawar Fiesta à un lecteur étranger12. » Les raisons qui empêchent Yawar Fiesta de traverser les frontières tiennent à l’écriture plus qu’aux motifs développés dans le récit : c’est donc ce que la plume d’Arguedas fait à la langue espagnole qui serait en cause.
Ce que nous nous proposons d’étudier dans cet article, c’est comment cette présence du quechua – ce « bruissement13 » de la langue indigène – est restituée dans les traductions qui ont été faites de Yawar Fiesta, et notamment les passages qui mettent en scène une relation fusionnelle entre l’homme et la nature. Nous analyserons ainsi la traduction réalisée en français par Cecilia Hare et Dominique Jaccottet14 : publiée en 2001 aux éditions Métailié, cette traduction a pour titre Yawar fiesta (La fête du sang), respectant ainsi le plurilinguisme du titre original composé du mot quechua yawar (sang) et du mot espagnol fiesta (fête). On distingue dès le titre une tendance à la clarification en expliquant au lecteur francophone le sens du titre original, un choix que ne fait pas la traductrice américaine Frances Horning Barraclough qui maintient le titre original Yawar Fiesta15. Umberto Bonetti, pour sa part, choisit d’effacer le plurilinguisme du titre en proposant Festa di sangue16.
Les traducteurs reproduisent les notes de bas de page proposées par Arguedas, mais ils n’hésitent pas à introduire leurs propres notes qu’ils désignent spécifiquement comme telles : Frances Horning Barraclough indique « - Trans. » à la fin de chacune de ses notes, Cecilia Hare et Dominique Jaccottet rajoutent « (N.d.T.) », et Umberto Bonnetti distingue typographiquement ses explications en les plaçant entre crochets.
L’édition américaine se distingue par sa qualité scientifique : en effet, le texte traduit est accompagné d’un ample outillage critique composé d’une note rédigée par la traductrice qui présente les enjeux linguistiques de la poétique d’Arguedas. C’est par ailleurs à la fin de cette note que la traductrice présente le travail réalisé par Arguedas de mise en tension de l’espagnol par le quechua et qu’elle annonce avoir tenté de reproduire, dans une certaine mesure, cette empreinte :
Dans le roman original, les Indiens parlent un étrange espagnol fondé sur leur propre langue, le quechua. Afin de respecter l’intention de l’auteur, j’ai tenté, autant que faire se peut, de restituer cela dans leur dialogue en anglais17.
Parallèlement à cette note, l’édition reproduit l’article qui accompagnait l’édition Losada de 1968, qui comprenait en guise de note préliminaire l’article de José María Arguedas intitulé « La novela y el problema de la expresión literaria en el Perú », publié en 1950 dans la revue Mar del Sur. Le lecteur anglophone découvre également en guise de postface l’article « Puquio: una cultura en proceso de cambio » d’Arguedas, publié pour la première fois en 1956 : il est traduit également par Frances Horning Barraclough et a pour titre « Puquio: A Culture in Process of Change ». Un glossaire réalisé par la traductrice américaine complète cette édition érudite. L’édition italienne pour sa part ne comporte ni note du traducteur, ni prologue, ni glossaire. La traduction française se situe à mi-chemin des deux autres traductions puisqu’elle débute par une note des traducteurs et s’achève par un glossaire. À nos yeux, la complexité du travail linguistique opéré par Arguedas sur l’espagnol ne peut s’appréhender sans outillage critique, d’autant plus quand c’est un lecteur européen qui aborde le texte. En effet, une fois le lecteur averti de la singularité de la langue arguédienne, le traducteur peut s’autoriser à respecter le plus possible le plurilinguisme original sans craindre de perdre son lecteur.
La présence de la cosmovision quechua : décrire le monde andin de l’intérieur
José María Arguedas construit une poétique tournée vers l’altérité indienne et interroge les diverses façons de la représenter. Il fait ainsi entrer dans l’espace romanesque cette voix autre, longtemps marginalisée et discriminée. C’est notamment l’idée que développe Martin Lienhard dans son essai La Voz y su huella où le critique recense les traces des voix des exclus dans la littérature latino-américaine. Le traitement de la voix indigène par Arguedas est considéré aujourd’hui comme l’élément essentiel qui le distingue de certains écrivains dits indigénistes18. En effet, par son métissage culturel et sa connaissance de la langue quechua, Arguedas est parvenu à rompre avec la position extérieure des premiers écrivains indigénistes. Pour Carlos Huamán, c’est cette connaissance intime du monde indien qui fait que les romans d’Arguedas s’inscrivent dès le début dans le néo-indigénisme. Le critique souligne cependant que ce point est loin de constituer le seul argument pour faire valoir l’originalité de la poétique arguédienne19 : le travail romanesque d’Arguedas, avance-t-il, puisant ses racines dans ce que les premiers temps de l’indigénisme avaient permis, va au-delà en s’inscrivant dans une vision intérieure du monde culturel indien. Toujours selon Carlos Huamán, c’est en substance cela qui définit le néo-indigénisme : la faculté de décrire et d’analyser la question indienne d’un point de vue interne et non plus extérieur. Les récits arguédiens parviennent à livrer une vision du monde construite à partir de la culture et de la langue quechuas, ce qu’aucun écrivain indigéniste n’avait encore réalisé. Mais l’écrivain ne se limite pas à la seule représentation des Indiens : il cherche à témoigner de tout ce qui entoure les Indiens et, surtout, à décrire toutes les personnes qui font des Indiens ce qu’ils sont. Selon lui, l’identité indienne est nourrie par un jeu de reflets, de regards, de rapports sociaux, de représentations et de clichés. Lors de la Première rencontre des écrivains péruviens de 1965, l’auteur exhorte ainsi ses confrères à étudier les multiples façons d’être indien en mettant également sur le devant de la scène romanesque ceux qui participent à la construction de cette identité :
[…] on ne peut pas connaître l’Indien si on ne connaît pas les autres personnes qui font de l’Indien ce qu’il est. Les seules personnes qui peuvent connaître l’Indien sont celles qui connaissent également, avec la même profondeur, les personnes ou les secteurs sociaux qui ont déterminé que l’Indien soit tel qu’il est désormais, tel qu’il est en train de changer ou d’évoluer, c’est-à-dire qu’il était nécessaire et qu’il est nécessaire de connaître le monde dans sa totale humanité, tout le contexte social20.
C’est pour cette raison que la description de l’organisation sociale du monde andin est extrêmement précise dans ses textes. Ainsi, par exemple, dans Yawar Fiesta, l’écrivain utilise de très nombreux mots quechuas, mots qu’il définit la plupart du temps par des notes de bas de page. Cecilia Hare, par ailleurs traductrice en langue française de ce roman, distingue deux usages expliquant ce recours lexical à la langue quechua21. Le premier vient pallier l’absence d’équivalents en espagnol de termes spécifiques à la faune et la flore andines ainsi qu’à certaines réalités socioculturelles telles que les instruments de musique indiens, les croyances ou encore les rites. Le second usage permet de renseigner le point de vue de l’instance narratrice : par exemple, le mot quechua « mak’tillo » se distingue de « muchacho » en ce qu’il désigne un jeune homme indien22. L’emploi de ce mot indique donc que le locuteur est quechuophone ou d’origine indienne : ainsi soit l’instance narratrice revendique une filiation23 avec le monde indien, soit elle se dépeint comme étant au fait de ses réalités socioculturelles en employant le lexique de façon précise. L’instance narratrice se représente donc en relation étroite avec le monde indien qu’elle décrit, un monde qu’elle représente comme « décompartimenté, fluide24 » où « tout est animé à l’opposé de la vision anthropocentrée du monde cartésien occidental25 ». Dans Yawar Fiesta, l’attention portée à la nature, à la relation entre l’homme et l’espace qui l’environne, ainsi que l’animisme qui imprègne les descriptions de la nature, témoignent de l’influence de la cosmovision indienne sur l’écriture arguédienne. Les premières lignes du roman s’ouvrent d’ailleurs sur une longue description du paysage qui s’apprête à accueillir la traditionnelle fête du sang, la yawar fiesta. Le regard s’attarde sur le paysage, mais cela ne constitue pas une pause dans la progression du récit, au contraire, cette description fait partie de l’histoire qui est racontée, comme le fait très justement remarquer Françoise Aubès :
[…] tout récit d’action d’un personnage s’accompagne d’une pause que l’on pourrait appeler descriptive dans l’esprit d’une théorie occidentale du récit romanesque, mais qui est en fait la présence de la nature dans une sorte d’accompagnement indissociable de chaque geste, de chaque action du personnage26[…].
Il n’est donc pas étonnant de trouver dans le roman de longs passages entièrement dévolus à la représentation de la nature. L’incipit du roman offre d’ailleurs un bel exemple de cette poétique27 , incipit que nous allons à présent analyser.
Le premier chapitre de Yawar Fiesta s’ouvre sur la description d’un panorama qui s’offre à la vue d’un voyageur se rapprochant peu à peu de la ville de Puquio. Les phrases, assez longues, sont des périodes constituées de plusieurs séquences : l’effet recherché semble être celui d’une ekphrasis. En effet, ces périodes créent l’illusion d’un discours marqué par la vivacité d’un narrateur qui voudrait ne rien omettre dans la description de ce qui se présente à ses yeux. Nous pouvons aisément remarquer l’effet recherché dans le troisième paragraphe, où la dernière phrase – averbale, courte et construite sur un rythme ternaire (« Pueblo indio, sobre la lomada, junto a un riachuelo ») – vient contraster avec les périodes descriptives qui la précèdent : cette clausule rassemble toutes les informations données auparavant en les concentrant dans une seule proposition. Examinons à présent ce passage et les traductions qui en ont été faites :
Entre alfalfares, chacras de trigo, de habas y cebada, sobre una lomada desigual, está el pueblo.
Desde el abra de Sillanayok’ se ven tres riachuelos que corren, acercándose poco a poco, a medida que van llegando a la quebrada del río grande. Los riachuelos bajan de las punas corriendo por un cauce brusco, pero se tienden después en una pampa desigual donde hay hasta una lagunita; termina la pampa y el cauce de los ríos se quiebra otra vez y el agua va saltando de catarata en catarata hasta llegar al fondo de la quebrada.
El pueblo se ve grande, sobre el cerro, siguiendo la lomada; los techos de teja suben desde la orilla de un riachuelo, donde crecen algunos eucaliptus, hasta la cumbre; en la cumbre se acaban, porque en el filo de la lomada está el jirón Bolívar, donde viven los vecinos principales, y allí los techos son blancos, de calamina. […] Pueblo indio, sobre la lomada, junto a un riachuelo. (YF, p. 71-72)Le village s’étale sur une colline accidentée, parmi les champs de luzerne, de blé, d’orge et de fèves.
Du col de Sillanayok’, on voit couler trois rivières*28. Elles convergent peu à peu, à mesure qu’elles approchent de la vallée du grand fleuve. Les rivières dévalent des punas en un cours impétueux, mais elles s’étirent ensuite sur une pampa inégale où l’on trouve même un petit lac*. La pampa prend fin, le cours des rivières de nouveau se brise et l’eau saute de cascade en cascade jusqu’au fond de la vallée.
Sur la colline, épousant son relief, le village paraît grand*. Les toits de tuile montent depuis la berge d’une rivière où poussent quelques eucalyptus jusqu’au sommet*. Au sommet, il n’y en a plus parce que sur la crête de la colline se trouve la rue Bolívar où habitent les notables*. Et là, les toits sont blancs, en tôle ondulée. […] Un village indien, sur la colline, tout près d’une rivière. (YF – FS, p. 9)
Dans le texte original, on compte trois phrases longues et deux phrases courtes. Dans la traduction française, ce ne sont pas moins de dix phrases (huit longues, deux courtes) qui composent l’ensemble, altérant le rythme original. Les périodes sont scindées en deux, voire en trois courtes phrases qui créent dès lors un rythme différent de celui de l’original. L’effet de resserrement produit par la phrase averbale disparaît dans la traduction française. Nous pouvons également remarquer l’ajout dans la traduction française de l’article indéfini « un » dans la dernière phrase alors que les traductions américaine et italienne respectent l’ellipse grammaticale. Notons aussi que les traductions américaine et italienne conservent la ponctuation initiale :
Amid fields of alfafa and patches of wheat, broad beans and barley, on a rugged hillside lies the town.
From the Sillanayok’ Pass one can see three streams that flow closer and closer together as they near the valley of the great river. The streams plunge down out of the punas through steep chanels, but then spread out to cross a plain uneven enough to hold a small lake; the plain ends, the river’s course is broke again, and the water goes tumbling down from one waterfall to another until it reaches the bottom of the valley.
The town looks big as it follows the slope of the mountains; from the banks of a stream, where eucalyptus trees grow, the tiled roofs rise up to the top of the ridge; at the top they come to an end because Girón Bolívar, the street where the leading citizens live, is on the ridge, and there the roofs are white, of corrugated tin. […] Indian town, on the mountainside, by a stream. (YF – YF, p. 1)Tra pascoli, campi di frumento, di fave e orzo, su un’altura irregolare, si trova il paese.
Dalla gola di Sillanayok’ si vedono tre torrentelli, che si fanno sempre più vicini fra di loro man mano che scendono verso il fiume grande del fondovalle. I torrentelli precipitano dalla montagna in un alveo ripido, ma poi si distendono lungo una pianura irregolare dove c’è una piccola laguna; finisce la pianura e il corso dei fiumi si spezza di nuovo e l’acqua va saltando di cascata in cascata fino ad arrivare in fondo alla valle.
Il paese appare grande, adagiato sul pendio del colle; i tetti di tegole salgono dalla riva di un torrente, dove cresce qualche eucaliptus, fino alla cima; in cima scompaiono, perché lungo la linea della sommità c’è il girón Bolívar, che è dei cittadini più importanti, e lì i tetti sono bianchi, di zinco. […] Paese indio, sul pendio del colle, accanto al torrentello. (FS, p. 3-4)
Le rythme est ainsi altéré dans la traduction française par la modification de la ponctuation, et ce alors même qu’il est signifiant : en effet, dans le récit original, la tension dramatique est accentuée par le rythme des phrases courtes qui précipitent l’action ou introduisent un événement perturbateur, rompant ainsi avec la quiétude du paysage andin, quiétude décrite par des phrases longues29. Nous pouvons également observer que la traduction française inverse l’ordre d’apparition des mots dans la toute première phrase de l’extrait cité et ce, alors même qu’existe un effet de rétrécissement dans le texte initial :
Entre alfalfares, chacras de trigo, de habas y cebada, sobre una lomada desigual, está el pueblo.
Le village s’étale sur une colline accidentée, parmi les champs de luzerne, de blé, d’orge et de fèves.
La phrase originale se clôt sur l’évocation du village : la focalisation se réduit à cet espace où se déroulera l’action. Prenant d’abord appui sur ce qui entoure le village – les cultures de céréales et de fèves – et sur le relief géographique sur lequel s’élève le bourg, la focalisation se resserre ensuite sur Puquio. À l’inverse, dans la traduction française, la focalisation débute par l’évocation du village avant de s’élargir à ce qui l’environne. Les effets de zoom sont donc inversés : rétrécissement dans l’original, élargissement dans la traduction. Cette modification est totalement absente des traductions italienne et américaine où l’effet de zoom est maintenu.
Le chapitre 1 nous indique par ailleurs que la narration se réalise depuis un point de vue indien. On observe ainsi une scission entre ceux qui vivent dans le village et qui savent apprécier la beauté de la nature en la célébrant avec un chant d’allégresse – les Indiens –, et ceux qui vivent sur la côte qui ne savent pas apprécier ce spectacle. Le dernier paragraphe, par exemple, s’enracine très nettement dans une vision indienne puisque la description du paysage de Puquio exclut de façon évidente les mistis, c’est-à-dire les notables :
Desde las cumbres bajan cuatro ríos y pasan cerca del pueblo; en las cascadas, el agua blanca grita, pero los mistis no oyen. En las lomadas, en las pampas, en las cumbres, con el viento bajito, flores amarillas bailan, pero los mistis casi no ven. En el amanecer, sobre el cielo frío, tras del filo de las montañas, aparece el sol; entonces las tuyas y las torcazas cantan, sacudiendo sus alitas; las ovejas y los potros corretean en el pasto, mientras los mistis duermen, o miran, calculando la carne de los novillos. Al atardecer, el taita Inti dora el cielo, dora la tierra, pero ellos estornudan, espuelean a los caballos en los caminos, o toman café, toman pisco caliente.
Pero en el corazón de los puquios está llorando y riendo la quebrada, en sus ojos el cielo y el sol están viviendo; en su adentro está cantando la quebrada, con su voz de la mañana, del mediodía, de la tarde, del oscurecer. (YF, p. 77)
L’animisme qui imprègne ces lignes, avec l’eau qui crie, les fleurs qui dansent, le vallon qui rit et pleure, ainsi que la mention du taita Inti, le dieu du Soleil, sont autant d’indices du point de vue indien depuis lequel s’énonce le récit. De la même façon, l’emploi du mot « misti », « nom que donnent les Indiens aux Blancs30 », nous invite à comprendre que l’instance narratrice est du côté du monde indien. Le contraste entre les mistis et les Indiens de Puquio est patent : alors que le narrateur invite à prêter attention à la poésie du paysage et à l’animisme qui structure sa vision du monde, les notables sont aveuglés par des préoccupations prosaïques. La répétition de la conjonction adversative « pero », que l’on retrouve à quatre reprises, martèle cette opposition entre mistis et Indiens. Cecilia Hare souligne par ailleurs l’utilisation marquée du gérondif, un « calque31 », pour reprendre ses mots, de la syntaxe quechua. Arguedas utilise le gérondif fréquemment, une façon, selon nous, de signaler de l’étrangéité dans la langue sans pour autant menacer le texte d’inintelligibilité. C’est ainsi le cas dans les lignes citées plus haut avec l’usage d’estar + gérondif : « en el corazón de los puquios está llorando y riendo la quebrada, en sus ojos el cielo y el sol están viviendo; en su adentro está cantando la quebrada ». Observons à présent comment ce passage, clé pour entendre que l’instance narratrice se situe du côté indien, a été traduit :
Quatre rivières dévalent des sommets et coulent près du village. L’eau blanche des cascades chante, mais les mistis n’entendent pas. Sur les coteaux, la pampa, les sommets, sous le vent très doux, les fleurs jaunes dansent mais les mistis ne voient pas. Au lever du jour dans le ciel froid, le soleil apparaît derrière la crête des montagnes ; calandres et ramiers chantent, agitant leurs petites ailes ; brebis et poulains s’ébrouent dans l’herbage, mais les mistis dorment, ou bien ils jaugent la viande de leurs taurillons d’un œil calculateur. À la tombée du jour, taïta Inti, le dieu Soleil, couvre d’or le ciel, couvre d’or la terre mais eux, ils éternuent, ils éperonnent leurs chevaux sur les chemins, ou bien ils boivent du café, ils boivent du pisco chaud.
Mais dans le cœur des Puquiens le vallon pleure et rit, le ciel et le soleil habitent leurs yeux*. Dans leur âme, leur vallon chante avec sa voix du matin, du midi, de l’après-midi, du crépuscule. (YF – FS, p. 19)
On remarque tout d’abord que le rythme de la dernière phrase a été modifié puisque la longue période est réorganisée en deux phrases distinctes : ce réagencement du discours semble obéir à une volonté de clarifier et de séquencer les informations transmises au sein du texte. De l’effet de rêverie poétique créé par la période originale, ne subsistent que les images engendrées par les personnifications. On observe également que la structure être + gérondif du texte est substituée par un présent de l’indicatif, un temps qui restitue la valeur octroyée au gérondif dans la grammaire espagnole32. Dans les exemples qui nous occupent, le gérondif a une valeur durative. En effet, nous sommes à la toute fin du premier chapitre quand le narrateur tente d’opposer la quiétude qui se dégage du paysage andin – et que seuls les Indiens peuvent saisir – à l’agitation des mistis qui eux boivent ou cherchent à faire fructifier leurs affaires. La durativité33 du gérondif sert donc à marquer la permanence de la nature et à créer un effet de langue quechua dans la langue espagnole : on peut ainsi se demander pourquoi la traduction française se prive de cet usage. Frances Horning Barraclough, pour sa part, le maintient une fois sur deux, tandis que le traducteur italien conserve ses quatre occurrences :
From the mountain peaks four streams descend and flow near the town; in the cascades the white water is calling, but the mistis do not hear it. On the hillsides, on the plains, on the mountaintops the yellow flowers dance in the wind, but the mistis hardly see them. At dawn, against the cold sky, beyond the edge of the mountains, the sun appears; then the larks and doves sing, fluttering their little wings; the sheep and the colts run to and fro in the grass, while the mistis sleep or watch, calculating the weight of their steers. In the evening, Tayta Inti gilds the sky, gilds the earth, but they sneeze, spur their horses on the road, or drink coffee, drink hot pisco.
But in the hearts of the Puquios, the valley is weeping and laughing, in their eyes the sky and the sun are alive; within them the valley sings with the voice of the morning, of the noontide, of the afternoon, of the evening. (YF – YF, p. 9)Dalle vette scendono quattro fiumi e passano accanto al paese; nelle cascate, l’acqua bianca grida, ma i signori non la sentono. Sui pendii, nelle pianure, sulle vette, con il vento leggero, fiori gialli ballano, ma i signori non li vedono quasi. All’alba, nel cielo freddo, dietro il filo delle montagne, appare il sole; allora, le tuyas e i palombacci cantano, sbattendo le ali; le pecore e i puledri corrono nel prato, mentre i signori dormono, o valutano la carne dei torelli. Al tramonto, il taita Inti dora il cielo, dora la terra, ma loro starnutiscono, spronano i cavalli per i sentieri, o bevono caffè, bevono pisco caldo.
Ma nel cuore dei puquios sta piangendo e ridendo la vallata, nei loro occhi il cielo e il sole stanno vivendo; dentro di loro sta cantando la vallata, con la sua voce del mattino, del mezzogiorno, del pomeriggio, dell’imbrunire. (FS, p. 13-14)
On notera les choix quelques peu singuliers d’Umberto Bonetti quant à la conservation ou disparition de certains mots : il conserve en effet le substantif « tuya », mais fait disparaître « misti », terme essentiel qui montre que l’instance narratrice épouse le point de vue indien. Les traducteurs américain et italien respectent la volonté de l’auteur de renseigner le sens de « taita Inti » uniquement en note de bas de page, tandis que la traduction française se distingue par une tendance clarificatrice puisqu’elle ajoute la définition dans le corps même du texte : « taïta Inti, le dieu Soleil » selon un principe de « rembourrage34 ». On observe aussi une modification dans la traduction française de la personnification de l’eau blanche des cascades qui, dans le texte original, crie alors que dans la version française elle chante.
Traduire ou maintenir le lexique quechua ?
Le lexique quechua est très présent dans ce premier roman qui a pour cadre les hauts plateaux des Andes, la puna35. Que ce soit pour décrire la faune et la flore, les instruments de musique, les croyances populaires ou bien encore l’organisation sociale et les différentes classes qui composent le village de Puquio, la langue quechua vient habiter le texte. Ainsi trouve-t-on dès le premier chapitre la mention des « saywas36 » de pierre, « monticules magiques » selon la note explicative donnée par l’auteur en note de bas de page. Le terme est gardé par les traducteurs français et italien, mais il est traduit directement en anglais de la façon suivante : « magic heaps of stones37 ».
Le lexique se rapportant à la musique est maintenu dans les trois traductions analysées : nous retrouvons par exemple le « huayno », chanson indienne, ou encore l’instrument à vent au nom si particulier, le « wakawak’ra ». Cet instrument, mentionné pas moins de 65 fois38, rythme les moments d’intenses tensions dramatiques, comme c’est notamment le cas au chapitre 2 qui évoque le dépouillement dont ont été victimes les Indiens à qui les « mistis » ont enlevé les terres. Les « wakawak’ras » servent alors à rassembler les Indiens pour se défendre39. L’instrument, fait de cornes de taureau, crée de plus une filiation entre l’homme et la nature : en effet, le narrateur dit des « wakawak’ras » qu’ils résonnent à la fois comme la voix d’un homme, comme celle de la puna et comme celle d’un taureau, instaurant ainsi une fusion entre l’homme, la nature et l’animal40. C’est aussi l’instrument qui accompagne la yawar fiesta :
Cantaban los wakawak’ras anunciando en todos los cerros el yawar fiesta. (YF, p. 87)
Les wakawak’ras chantaient pour annoncer sur toutes les collines la fête du sang, la yawar fiesta. (YF – FS, p. 3)
On all the mountains the wakawak’ras were singing, announcing the yawar fiesta. (YF – YF, p. 21)
Cantavano i wakawak’ras su tutte le montagne annunciando la yawar fiesta*. (FS, p. 28)*[Festa di sangue]
On remarque dans les trois traductions un balisage41 des mots étrangers, c’est-à-dire qu’elles les signalent typographiquement avec des italiques, une pratique totalement absente du texte original. Arguedas en effet ne place aucun mot quechua en italique, laissant ainsi cette langue s’infiltrer dans le texte sans la distinguer, c’est-à-dire sans établir de barrières typographiques entre les deux langues42. En revanche, dans les trois traductions le balisage est systématique43. Umberto Bonetti introduit en note de bas de page la traduction de l’expression yawar fiesta.
Un examen de la traduction de ce lexique quechua révèle le souci des traducteurs de maintenir certains termes, notamment ceux en lien avec la musique et l’organisation sociale du monde andin. Le lexique de la faune et de la flore est maintenu mais de façon inégale : le mot « ischu », par exemple, est conservé dans les traductions française et italienne mais expliquée directement en anglais44. Les « k’eñwales » sont expliqués directement en français (« champs de quinoa45 ») et en italien46, mais conservés dans la traduction américaine47 . Le mot quechua « chaschas », qui désigne un petit chien, disparaît totalement des traductions : on trouve « chiens48 » dans la version française, « little dogs » et « puppies49 » dans l’américaine et « cagnolini50 » dans l’italienne.
Dans l’article qu’elle consacre aux procédés de métissage de l’espagnol par le quechua, Cecilia Hare distingue notamment les termes « mak’tillo » et « lay’ka » qui, explique-t-elle, sont utilisés pour « permettre une opposition significative entre le mot espagnol et le mot quechua correspondant pour marquer deux réalités distinctes, appartenant à des mondes distincts51 ». Ces termes sont-ils conservés tels quels dans les traductions ? La disparition de la langue source espagnole rend-elle superflu le maintien de ces mots quechuas ?
Dans le texte original, « mak’tillo » apparaît pour la première fois au chapitre 2 et sa définition (« Muchacho ») est renseignée par Arguedas en note de bas de page52. Il est par la suite abondamment mobilisé dans le récit. La version française efface le mot quechua pour le remplacer par les expressions « jeunes garçons53 », « jeunes enfants54 » ou encore « gamins55 ». Dans la traduction américaine, le mot quechua disparaît également puisque nous trouvons « little children56 », « children57 », ou encore « boys58 ». Le mot « mak’tillo’ » est également effacé de la traduction italienne où il est remplacé par « ragazzi59 » ou « bambini60 ». Le mot « lay’ka », qui désigne un sorcier indien, est lui aussi effacé pour être traduit par le nom commun « sorcier » en français ou « stregone » en italien. Dans la version américaine, la traductrice présente d’abord le mot quechua « lay’ka » puis le traduit systématiquement par « sorcerer ». Elle fait par ailleurs de même avec le terme « varayok’ », mot quechua qui désigne une autorité proche de celle du maire : il est présenté et défini en note de bas de page, mais il est systématiquement remplacé par « chief staffbearer » ou « Indian staffbearer ». Dans les traductions française et italienne, en revanche, « varayok’ » est toujours conservé.
D’autres noms désignant des relations et des réalités socioculturelles indiennes sont conservés sans aucune exception dans toutes les traductions : c’est le cas de « ayllu », défini par Arguedas en note de bas de page comme un terme désignant un quartier ou une communauté indienne. C’est un terme essentiel que l’on retrouve tout au long du récit.
On remarque par ailleurs une certaine discontinuité dans le maintien – ou la traduction – des termes quechuas forgés à partir de l’expression « punaruna », qui signifie les hommes de la puna (runa étant utilisé par les Indiens pour se désigner eux-mêmes). Parfois l’expression est conservée telle quelle, avec éventuellement une explication juxtaposée, parfois elle disparaît ou est remplacée par une autre expression elle-même composée avec le nom puna. Pour premier exemple, nous allons analyser l’expression « punacumunkuna » : « cumun » est une déformation de « común », terme désignant dans le texte les Indiens vivant en communauté. On note aussi la présence du suffixe -kuna qui est la marque du pluriel en quechua. Arguedas montre donc à son lecteur les constructions que permet la syntaxe agglutinante du quechua et surtout comment la langue indigène vient se greffer sur l’espagnol. Il crée ainsi ce bruissement de la langue indigène et instaure avec son lecteur une sorte de connivence linguistique : il lui donne en effet l’illusion de pénétrer dans la langue quechua, de reconnaître des mots, des structures. Voyons à présent comment ce terme est traduit avec ce premier exemple qui présente les Indiens Pichk’achuris61 :
Pero los pichk’achuris* fueron siempre los verdaderos punarunas, punacumunkuna [...]. (YF, p. 78)* Gente de puna
Mais depuis toujours, les Pichk’achuris ont été les seuls à être vraiment des punacumunkuna, des comuneros de la puna [...]. (YF – FS, p. 20)
But the Pichk’achuris were always the real punarunas*, punacumunkuna [...]. (YF – YF, p. 10)* Puna people, puna comunity member ; kuna is the plural suffix in Quecha. –Trans.
Ma i pichk’achuris furono sempre i veri punarunas*, punacumunkuna […] (FS, p. 15)* Gente dell’altopiano. [Anche la parola seguente ha lo stesso significato, ma è un modo diverso di formare il plurale]
Le texte original donne en note de bas de page le sens de l’expression quechua « punarunas » : « gente de puna », habitants de la puna, mais n’explique pas l’expression « punacumunkuna ». Arguedas laisse ainsi le lecteur s’enfoncer dans la langue quechua, sans lui donner toutes les explications nécessaires. Les traducteurs français ont préféré rendre le sens plus explicite – par un processus de clarification62 propre aux stratégies ciblistes – en insérant le terme de « comunero » défini à la première page de la version française63. Ce faisant, ils font plus que traduire, ils traduisent en expliquant et réorganisent la phrase originale, une démarche qualifiée de « rembourrage ». Les traducteurs effacent par ailleurs l’expression « punarunas », cédant peut-être alors aux exigences du « beau style64 » français qui exècre les répétitions. La note de bas de page d’Arguedas qui définissait « punarunas » disparaît également. Les deux autres traducteurs respectent pour leur part scrupuleusement le texte. Frances Horning Barraclough indique en note de bas de page le sens de l’expression « punacumunkuna » et explique que « -kuna » est le suffixe du pluriel en quechua. Elle respecte la volonté de l’auteur de faire pénétrer le lecteur dans les potentialités agglutinantes de la syntaxe quechua. Umberto Bonetti fait le même choix et ajoute une explication supplémentaire – qu’il fait figurer entre crochets pour la distinguer de celle de l’auteur.
Quelques lignes plus loin, dans la traduction française, nous retrouvons le même processus de rembourrage appliqué de nouveau à l’expression « punaruna », un processus absent en revanche des deux autres traductions :
Porque a veces los punarunas se molestaban […]. (YF, p. 79)
C’est que parfois les punarunas, les hommes de la puna, se fâchaient […]. (YF – FS, p. 21)
Because sometimes then the punarunas would get angry [...]. (YF – YF, p. 11)
Perché a volte i punarunas non lo sopportavano [...]. (FS, p. 16)
Une fois encore, la traduction française se distingue des deux autres par une volonté de clarifier le texte original, jugé peut-être trop complexe et opaque dans son utilisation et sa restitution du quechua.
La mention suivante de « punarunas » est traduite en français par « les hommes de la puna » sans que l’expression originelle n’apparaisse, et ce alors que les traductions américaine et italienne la conservent :
Pero en seguida volvían los punarunas a sus hondonadas […]. (YF, p. 79)
[…] puis, très vite, les hommes de la puna regagnaient leurs trous. (YF – FS, p. 21)
But before long the punarunas would return to their hollows […]. (YF – YF, p. 11)
Ma poi ritornavano i punarunas alle loro valli […]. (FS, p. 16)
Quelques pages plus loin, l’expression « punacumunkuna » est conservée dans la traduction française mais sa définition est juxtaposée : l’explication est insérée au sein même du récit là où le texte original se garde d’en réexpliquer le sens. À nouveau, les traducteurs ne font plus seulement « que » traduire mais se chargent également d’expliquer, de clarifier le texte initial, tandis que dans les versions américaine et italienne, la construction originale est respectée :
Punacumunkuna: señor Santos es dueño de estos pastos […]. (YF, p. 80)
Punacumunkuna, peuple de la puna : monsieur Santos est propriétaire de ces pâturages. (YF – FS, p. 23)
Punacumunkuna : Señor Santos is the owner of these grasslands […]. (YF – YF, p. 13)
Punacumunkuna: signor Santos è padrone di questi pascoli […]. (FS, p. 18)
Deux paragraphes plus loin, on trouve « cumunkuna » dans le texte original, mais la traduction française préfère employer « Punacumunkuna » :
Cumunkuna: con la ley ha probado don Santos que estos echaderos son de su pertenencia. (YF, p. 80)
Punacumunkuna, peuple de la puna : Don Santos a démontré par la loi que ces pâturages lui appartiennent. (YF – FS, p. 24)
Cumunkuna : By law Don Santos has proven that these grazing lands belong to him. (YF – YF, p. 13)
Comuneros: con la legge ha provato don Santos che questi terreni sono di sua proprietà. (FS, p. 19)
La traduction française modifie le texte puisqu’elle insère l’expression, désormais familière pour le lecteur francophone, « Punacumunkuna » – mais continue à opposer du mot quechua une périphrase en français – et ce, alors même que la version originale introduit une autre expression. Umberto Bonetti introduit le terme espagnol « comuneros », un choix que l’on peut expliquer par cette hypothèse : la fois précédente, « Punacumunkuna » était précédé dans le récit de la mention « en quechua », or là il n’en est rien. C’est de plus un autre personnage, le curé, qui s’adresse aux Indiens. Umberto Bonetti a peut-être jugé plus « probable65 » que ce personnage s’exprime en espagnol plutôt qu’en quechua.
Plus loin, l’expression « punacumunkuna » est maintenue dans les traductions sans que soit réintroduite une explication : le lecteur est amené à reconstituer lui-même le sens de l’expression quechua qui lui a été présentée quelques lignes plus haut.
Y punacumunkuna parecían extraviados; parecían de repente huérfanos. (YF, p. 81)
Et les punacumunkuna semblaient perdus. Tout à coup, ils étaient comme des orphelins. (YF – FS, p. 24)
And the punacumunkuna looked lost, suddenly they seemed like orphans. (YF – YF, p. 14)
E i punacumunkuna sembravano storditi; sembravano di colpo orfani. (FS, p. 19)
Quelques lignes plus loin, on retrouve dans le texte original « punarunas », qui est traduit en français par « [l]es hommes de la puna66 » ; dans les traductions américaine et italienne, en revanche, « punarunas » est maintenu. Par la suite, le « punarunakuna » du texte original est à nouveau effacé de la version française :
La tropa de indios, punarunakuna, buscaría inmediatamente otra cueva […]. (YF, p. 82)
Les Indiens de la puna cherchaient aussitôt une autre grotte […]. (YF – FS, p. 26)
The crowd of Indians, the punarunakuna, would immediately look for another cave […]. (YF – YF, p. 15)
Il gruppo di indios, punarunakuna, avrebbe cercato subito un’altra grotta […]. (FS, p. 21)
Mais, un peu plus loin, l’expression « punarunas » est maintenue dans la traduction en français :
Ellos eran, pues, punarunas, pastores […]. (YF, p. 82)
Avant, ils étaient des punarunas, des bergers […]. (YF – FS, p. 27)
Well, they were punarunas, herders […] (YF – YF, p. 15)
Loro erano, prima, punarunas, pastori […] (FS, p. 21)
Par la suite, « punaruna » est martelé neuf fois dans le texte original jusqu’à la fin du chapitre 2. L’importance de ce terme se comprend à la page 83 lorsque le narrateur évoque la transformation des punarunas en simples comuneros :
De punarunas se hacían comuneros del pueblo. (YF, p. 83)
De punarunas, ils devenaient comuneros des villages. (YF – FS, p. 27)
From punarunas they transformed themselves into town-dwelling community members. (YF – YF, p. 16)
Da punarunas diventavano comuneros del paese. (FS, p. 22)
Comment analyser ces variations ? Pouvons-nous observer une continuité dans le choix des termes conservés ou effacés ? Nous pouvons tout d’abord souligner la place qu’acquiert le terme de « punaruna » dans les dernières pages du chapitre 2 : il désigne en effet une réalité sociale bien précise, celle des Indiens des hauteurs qui ont été chassés de leur terre et dont le bétail a été confisqué par les « mistis ». Ces « punarunas » perdent ainsi ce qui fondait leur identité : la terre des hauteurs, la puna. Ils doivent désormais se fondre dans les ayllus, les quartiers, de Puquio : continuer de les nommer « punarunas » revient, selon nous, à marteler leur identité perdue et dénoncer l’expropriation dont ils ont été victimes. L’instance narratrice, en scandant ce terme – on pensera notamment aux pages 83-84 de la version originale où le terme est introduit pas moins de sept fois – tente de représenter cette condition de déracinés qui, désormais, les caractérise : leur nom – « punaruna » – ne désigne plus leur réalité sociale ; ce nom désigne quelque chose qui n’existe plus. Les traducteurs ont bien compris toute la force de dénonciation que contenait l’usage répété du terme « punaruna », d’où le maintien de cette expression qui a été conservée lorsqu’elle désignait une réalité dont les Indiens se trouvaient dépossédés. Sur ces neuf occurrences, « punaruna » est conservé sept fois dans la traduction française, sept fois également dans la version américaine et on le retrouve neuf fois dans le texte italien. Les traducteurs se sont ainsi montrés extrêmement sensibles à l’importance et à la précision de ce terme qui montre le lien indissociable entre les hommes, les runas comme s’appellent les Indiens, et l’espace géographique, la puna, qui les entoure et qui fonde leur identité. Dans ce chapitre 2, on pourra néanmoins regretter la disparition dans la version américaine du terme « varayok’ », qui, rappelons-le, désigne une autorité politique dans le monde indien, ainsi que celle de « mak’tillo », mot absent de toutes les traductions analysées dans ce travail.
La nature occupe une place essentielle dans Yawar Fiesta : écrin dans lequel se déroule le récit, elle est également une voix qui permet de retranscrire la vision animiste qui structure la cosmovision quechua. Les insertions de la langue indigène qui vient perturber l’espagnol sont une première étape de la quête linguistique de l’écrivain pour faire bruisser le quechua au sein de la langue espagnole. Les traducteurs se voient ainsi confrontés à un texte qui refuse une lisibilité immédiate et qui demande à être déchiffré par le lecteur. Les quelques exemples que nous avons analysés montrent la difficulté que représente la constante négociation entre la fidélité à l’œuvre et le souci d’intelligibilité qui anime l’esprit du traducteur. En effet, les traducteurs doivent tenter de préserver cette présence du quechua, sans pour autant égarer leur lecteur. On remarque une nette tendance clarificatrice qui distingue la traduction française de l’italienne et de l’américaine : l’usage du rembourrage, ainsi que la modification de la ponctuation et du rythme, témoignent d’une volonté d’accompagner le lecteur dans sa découverte d’un monde fort éloigné du sien. La présence des traducteurs italien et américain se fait plus discrète dans la mesure où elle se manifeste par des notes de bas page, sans s’immiscer dans le récit. Parmi les trois traductions analysées, nous pouvons témoigner que tous les traducteurs, sans exception, font le même pari : celui de faire cheminer le lecteur jusqu’au texte sans chercher à raccourcir la distance culturelle qui les sépare. Ce faisant, ils s’inscrivent dans la démarche d’Arguedas qui façonne un lecteur engagé, un lecteur prêt à arpenter un territoire qui lui est étranger à la fois culturellement et linguistiquement.
Notes
1« Centenario de Machu Picchu para el mundo ». Sauf mention contraire, c’est nous qui traduisons.
2Carlos García-Bedoya, « La recepción de la obra de José María Arguedas. Reflexiones preliminares », Letras, vol. 82, n° 117, Lima, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, 2012, p. 92. Consultable sur : http://revista.letras.unmsm.edu.pe/index.php/le/article/view/215 .
3Ibid.
4Descendants des colons européens. José María Arguedas les définit comme les « héritiers sociaux » des colonisateurs espagnols. Voir « La crisis de la cultura actual del Perú y esta selección de cuentos » [1964], in José María Arguedas, Obras Completas – Obra antropológica y cultural, Lima, Editorial Horizonte, 2012, t. XII, vol. 7, p. 13.
5Françoise Aubès, « Du huayco au pachakuti : poétique de la nation emmuraillée chez l’écrivain ethnologue péruvien José María Arguedas (1911-1969) », HispanismeS [En ligne], n°18, 2021, Consultable sur : http://journals.openedition.org/hispanismes/13877.
6Voir sur l’emploi de cette expression Cecilia Hare, « Arguedas y el mestizaje de la lengua: Yawar Fiesta », Lexis, 25 (1-2), 2001, p. 475-487. Consultable sur : https://doi.org/10.18800/lexis.20010102.021. Voir aussi Klaus Elmar Schmidt, « Español quechuizado o los límites de la imaginación occidental », in Gonzalo Portocarrero, Cecilia Rivera (dir.), Arguedas y el Perú de hoy, Lima, Editorial SUR, 2005, p. 139-146.
7Sur l’emploi de ce néologisme, voir José Tamayo Herrera, « Arguedas, el Cusco y el quechua », in Maruja Martínez Castilla, Nelson Manrique (dir.), Amor y fuego. José María Arguedas, 25 años después, Lima, DESCO/CEPES/SUR, 1995, p. 109-118, ou encore Pablo Macera, « Oralidad. Quechuañol », in Antonio Melis (dir.), José María Arguedas. Poética de un demonio feliz, Lima, Fondo Editorial del Congreso del Perú, 2011, p. 291-295.
8Corinne Mencé-Caster, « La recréation de la langue véhiculaire comme réponse à la domination ressentie : les stratégies scripturales de José María Arguedas dans Los ríos profundos », in Fernando Moreno (dir.), Los ríos profundos. José María Arguedas, Paris, Ellipses Édition, 2004, p. 89-98. Le terme « bilangue » a été créé par l’écrivain marocain Abdelkhébir Khatibi pour désigner la « latence » de l’arabe dans le français dans lequel ses textes sont composés. Voir Abdelkhébir Khatibi, Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, 1983, ainsi que Le Métissage culturel, Rabat, Al Asas-Okad, 1990.
9Cecilia Hare, art.cit., p. 477. L’édition de référence du roman Yawar Fiesta citée dans notre étude est la suivante : José María Arguedas, Yawar Fiesta [1941], in Obras completas, Lima, Editorial Horizonte, 1983, t. II. Désormais désignée par l’abréviation YF.
10Voir Roland Forgues (éd.), José María Arguedas, La letra inmortal. Correspondencia con Manuel Moreno Jimeno, Lima, Ediciones de Los Ríos Profundos, 1993, p. 126-128.
11Voir la lettre de José María Arguedas à Carl Hausen du 28 janvier 1959 dans Carmen María Pinilla (éd.), Apuntes inéditos – Celia y Alicia en la vida de José María Arguedas, Lima, Fondo Editorial de la Pontificia Universidad Católica del Perú, 2007, p. 239.
12Lettre de José María Arguedas à Carl Hausen du 28 janvier 1959 dans Carmen María Pinilla (éd.), ibid., p. 240.
13Par « bruissement », nous désignons la présence à la fois lexicale, phonétique et syntaxique de la langue indigène telle qu’elle apparaît dans les productions discursives des personnages quechuophones et dans la poétique des romans arguédiens. Nous nous inspirons de la métaphore créée par Roland Barthes du « bruissement de la langue ». Voir Roland Barthes, « Le bruissement de la langue » [1975], in Le Bruissement de la langue – Essais critiques IV, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 1984, p. 99-102.
14José María Arguedas, Yawar fiesta (La fête du sang), trad. Cecilia Hare et Dominique Jaccottet, Paris, Métailié, coll. « Bibliothèque hispano-américaine », 2001. Désormais désigné par l’abréviation YF – FS.
15José María Arguedas, Yawar Fiesta, trad. Frances Horning Barraclough, Austin, University of Texas, 1985. Désormais désigné par l’abréviation YF – YF.
16José María Arguedas, Festa di sangue, trad. Umberto Bonetti, Torino, Giulio Einaudi editore, 1976. Désormais désigné par l’abréviation FS.
17« Translator’s Note » in YF - YF, p. ix.
18Pour une synthèse présentant les enjeux à la fois politiques et artistiques de l’indigénisme tel qu’il s’est déployé au Pérou, voir les chapitres intitulés « Un roman réaliste et sa variante andine : un roman indigéniste » et « Le néo-indigénisme », in Françoise Aubès, Marie-Madeleine Gladieu, Lectures de « Los Ríos Profundos » de José María Arguedas, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 49-58 et p. 101-113. Voir également Tomás G. Escajadillo, La narrativa indigenista peruana, Lima, Amaru Editores, 1994.
19Carlos Huamán, Pachachaka. Puente sobre el mundo. Narrativa, memoria y símbolo en la obra de José María Arguedas, México, El Colegio de México, Centro de Estudios Lingüísticos y Literarios/UNAM-CCyDEL, 2004, p. 40-41.
20« Intervención de José María Arguedas en el Primer encuentro de narradores peruanos » [1965], in José María Arguedas, Obras Completas – Obra antropológica y cultural, Lima, Editorial Horizonte, 2012, t. XII, vol. 7, p. 143.
21Cecilia Hare, art.cit., p. 482.
22Ibid.
23Les premières pages du chapitre 1 semblent aller dans le sens de cette hypothèse puisque, par deux fois, le narrateur a recours à l’adjectif possessif « notre » (« nuestro ») pour désigner le village indien. Voir YF, p. 71.
24Françoise Aubès, art.cit., p. 482.
25Ibid.
26Françoise Aubès, art.cit.
27Voir YF, p. 71-72.
28Nous indiquons les changements de ponctuation par un astérisque.
29Ibid., p. 75.
30Ibid., p. 199.
31Cecilia Hare, art.cit., p. 481.
32Voir Daniela Ventura, « Le gérondif espagnol et son homonyme français : quelles équivalences ? », Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses, vol. 30, n°1, 2015, p. 136. Consultable à cette adresse https://revistas.ucm.es/index.php/THEL/article/viewFile/46662/45582
33Ibid.
34Le rembourrage permet de juxtaposer une définition d’un terme étranger au sein même du récit ou dans son paratexte, comme, par exemple, dans les notes infrapaginales. Concept défini par Chantal Zebus sous le terme de « cushionning », le rembourrage, explique Myriam Suchet, « consiste à accoler une explication » à un terme étranger. Voir Myriam Suchet, L’imaginaire hétérolingue. Ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues, Paris, Classiques Garnier, coll. « Perspectives comparatistes », série « Littérature et mondialisation », 2014, p. 84.
35Mot quechua désignant les terres se trouvant en altitude (entre 3 000 et 5 000 mètres au-dessus du niveau de la mer), abritant généralement des activités de pâturages.
36YF, p. 71.
37YF – YF, p. 2.
38Voir sur l’importance de la musique dans Yawar Fiesta Gérard Borras, « La musique dans Yawar Fiesta », Caravelle, n°55, 1990, p. 65-81.
39YF, p. 79.
40Ibid., p. 87, 94, 95 et 110.
41Nous empruntons la formule à Myriam Suchet qui définit le balisage comme « un dispositif typographique qui, lorsqu’il est complet, établit des frontières strictes entre les langues. Il peut prendre des formes variées, les plus courantes étant celles des guillemets et/ou de l’italique ». Myriam Suchet, op. cit., p. 90.
42Antoine Berman aussi s’y oppose, voir La Traduction et la lettre ou L’Auberge du lointain, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 1999, p. 64.
43Ce choix est le fruit d’une stratégie éditoriale, comme en atteste une lettre que nous avons pu consulter dans le dossier de fabrication de la traduction française Yawar Fiesta (La fête du sang), où il est mentionné expressément de « Respecter les italiques ». Lettre d’Alix Willaert datée du 20 septembre 2000 « à l’attention d’Abéric – Graphic-Hainaut ». Dossier de fabrication de Yawar Fiesta (La fête du sang) conservé à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), référence MÉT/ Yawar fiesta, 166SEL/2531/9, dossier L 531-9. Consulté le 15 février 2019.
44Voir YF – YF, p. 12 et 15.
45YF – FS, p. 20 et 29.
46FS, p. 16.
47YF – YF, p. 10.
48YF – FS, p. 21 et 28.
49YF – YF, p. 11 et 17.
50FS, p. 16 et 23.
51Cecilia Hare, art. cit., p. 161.
52Voir YF, p. 79.
53YF – FS, p. 21.
54Ibid., p. 27.
55Ibid., p. 29 et 30.
56YF – YF, p. 11.
57Ibid., p. 15 et 18.
58Ibid., p. 18
59FS, p. 16, p. 24.
60Ibid., p. 21
61Nom donné aux Indiens vivant dans l’ayllu Pichk’achuri.
62« Il s’agit d’un corollaire de la rationalisation, mais qui concerne plus particulièrement le niveau de “clarté” sensible des mots, ou de leurs sens. Là où l’original se meut sans problème (et avec une nécessité propre) dans l’indéfini, la clarification tend à imposer du défini. […] l’explication vise à rendre “clair” ce qui ne l’est pas et ne veut pas l’être dans l’original. » Antoine Berman, La Traduction et la lettre ou L’Auberge du lointain, op. cit., 1999, p. 54-55.
63« Comuneros : Indiens vivant en communauté. (N.d.T) », YF – FS, p. 9.
64Nous empruntons l’expression à Milan Kundera dans Les testaments trahis : essai, Paris, Éditions Gallimard, 1993.
65Nous plaçons ce terme entre guillemets car les hommes d’Église ont été parmi les premiers à apprendre le quechua. Dans un article daté de 1948, José María Arguedas avance l’idée selon laquelle les missionnaires ont été les premiers à saisir l’importance de la compréhension de l’altérité indienne à travers la connaissance de sa culture et de sa langue. Ils ont ainsi appris la langue quechua et ont atteint un tel degré de maîtrise que leurs compositions doivent, au même titre que les contes et légendes folkloriques, être tenues pour une des premières manifestations de la littérature quechua écrite. Les missionnaires, affirme Arguedas, ont fondé la littérature quechua. Voir José María Arguedas, « La literatura quechua en el Perú – La literatura erudita », in Obras Completas – Obra antropológica y cultural, Lima, Editorial Horizonte, 2012, t. VII, vol. 2, p. 172- 173.
66YF – FS, p. 26.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Rosana Orihuela
Docteure en littérature comparée, Rosana Orihuela travaille sur la littérature latino-américaine et plus précisément sur la poétique de José María Arguedas et sur sa manière de transformer l’espagnol en s’appuyant sur le quechua. À partir de la notion d’hétérolinguisme, elle étudie dans quelle mesure Arguedas a créé une fiction linguistique grâce à laquelle il rejoue la confrontation historique et politique de l’espagnol et du quechua. Ses travaux portent notamment sur la difficulté que représente la traduction des œuvres romanesques d’Arguedas. Elle a par ailleurs traduit le dernier roman de l’écrivain, El zorro de arriba y el zorro de abajo, publié sous le titre Le Renard d’en haut et le Renard d’en bas aux éditions Grevis. Elle a reçu le Prix Bernard Hœpffner 2023 pour ce travail.