Histoire culturelle de l'Europe

Alexia Gassin

La traduction de Colas Breugnon de Romain Rolland par Vladimir Nabokov : une version russisée ?

Article

Résumé

Les recherches effectuées sur la première traduction russe du roman Colas Breugnon de Romain Rolland tendent à montrer que le traducteur Vladimir Nabokov a cherché à russiser l’œuvre de l’écrivain français, ce qui apparaît dans le titre même de la traduction : Nikolka Persik. Pourtant, l’étude approfondie des choix opérés par Nabokov concernant les toponymes et spécialités gastronomiques, qui constituent l’essence de la région de Bourgogne évoquée dans le roman, indique que la russisation de Colas Breugnon est beaucoup moins évidente qu’il y paraît. De fait, l’absence d’homogénéité témoigne même d’un manque de cohérence certain de la version publiée par Nabokov qui semble proposer un travail inachevé. »

Abstract

Studies on the first Russian translation of Romain Rolland’s Colas Breugnon suggest that translator Vladimir Nabokov sought to russify the French writer’s work, as evidenced by the translated title: Nikolka Persik. However, a detailed study of Nabokov’s decisions regarding the translation of toponyms and culinary specialities, which form the essence of Burgundy, reveals that the russification of Colas Breugnon is much less obvious than one might think. In fact, the lack of homogeneity indicates a degree of inconsistency in the Russian writer’s version, which appears to be an unfinished work. »

Table des matières

Texte intégral

Vladimir Nabokov (1899-1977), connu alors sous le pseudonyme de Vladimir Sirine1, s’attèle à la traduction du roman Colas Breugnon (1919) de Romain Rolland en 1920. Jusque-là, le jeune écrivain, qui a aussi publié des poèmes et des nouvelles, s’est déjà ponctuellement essayé à la traduction2. Par exemple, en 1916, il publie une version russe de La Nuit de décembre d’Alfred de Musset dans la revue Junaja Mysl’ (Юная мысль) de l’Institut Tenichev, sis à Saint-Pétersbourg et qu’il fréquente de 1911 à 1917. Même si Nabokov débute sa carrière d’écrivain en tant que poète et révèle un talent certain pour la versification, il ne convient pas moins des « difficultés qu’il y aurait à traduire Colas Breugnon3 », pour lequel Rolland recourt à « une prosodie unique4 ». C’est d’ailleurs à la suite d’une conversation à ce sujet avec son père, Vladimir Dmitrievič Nabokov, que Nabokov fils tient le pari de traduire le roman de Rolland, un texte non seulement empli d’inventions et de singularités linguistiques5, mais aussi caractérisé par « une musique inspirée par l’esprit gaulois, portée par la langue si sonore de Rabelais6 ». Mais ce qui ne devait être qu’une simple gageure se transforme bien vite en œuvre de commande, Nabokov ayant signé un contrat avec la maison d’édition russe Slovo, sise à Berlin et dirigée par Iosif Vladimirovič Gessen7. Nonobstant les délais imposés, Nabokov n’accorde pas beaucoup de temps à la traduction, préférant s’adonner au sport et à d’autres amusements seyant à son jeune âge, et ce, malgré les reproches de son père qui souhaite que son fils honore son engagement8. Malgré le retard pris dans le travail demandé, Nabokov termine sa traduction à la mi-mars 1922, laquelle paraît en novembre 1922 après avoir été publiée partiellement les 29 et 30 août 1922 et les 3 et 5 septembre 1922 dans les numéros 531, 532, 536 et 537 du quotidien Rul’9. Bien que Gessen ait annoté le manuscrit de Nabokov de manière à ce que celui-ci effectue un certain nombre de corrections, le jeune homme n’en tient aucun compte, comme il le confiera à son père qui en informera ensuite Gessen10, sans que celui-ci s’en offusque puisque le texte paraîtra dans sa version définitive sans révision.

Lors de la parution de la traduction de Colas Breugnon, l’écrivain Maxime Gorki, qui séjourne en Allemagne, écrit à son ami Romain Rolland que Nabokov « le russis[e] un peu trop11 », ce qui s’entend comme l’idée de conférer un caractère russe au roman en l’ancrant dans l’univers russe12. Dans sa lignée, certes plus tardivement, plusieurs spécialistes nabokoviens, dont Elizabeth Klosty Beaujour, considèrent que l’écrivain russe « a choisi de russiser Colas Breugnon, à commencer par son titre13 » : Nikolka Persik (Николка Персик). C’est ainsi que « Colas (un diminutif de Nicolas), devient Nikolka, et Breugnon (en français le nom d’un fruit ressemblant un peu à une nectarine) devient Persik, le mot russe désignant une “pêche”14 ». Stanislav Shvabrin voit dans ce procédé « un compromis15 » « face à l’absence d’un terme natif pour “breugnon” (le mot “nectarine” n’entra pas dans la langue russe avant la fin du XXe siècle)16 ». Pour notre part, comme nous l’avons déjà expliqué dans deux précédents articles17 à ce sujet, ce choix de traduction nous paraît peu adapté à la russisation des realia françaises, et ce, pour deux raisons. D’abord, il existe une commune de Breugnon, située à sept kilomètres de Clamecy – le lieu de l’action du roman rollandien –, dont le nom n’entretient aucun lien avec le fruit. Ensuite, Rolland précise que « le nom de Breugnon est du pays. Dans l’“État des habitants de la commune de Brèves”, dressé l’an VI (1799) par Boniard, on relève un “Jean Brugnion, vigneron18 ».

L’assimilation de la version de Nabokov à une russisation du roman de Rolland s’explique par l’attribution fréquente, mais non systématique, d’une consonance russe aux anthroponymes français. Par exemple, le prénom de la petite-fille de Colas Breugnon, Glaudie, devient Glacha en russe tandis que le nom de Pierre Delavau devient Piotr Delovoï. À l’inverse, Lucrèce de Champeaux se voit seulement translittérée en Lukrecija de Šampo. Par conséquent, nous pouvons douter de l’idée selon laquelle la traduction de Nabokov serait transférée sur le territoire russe19, au contraire de l’adaptation du roman Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, parue sous le titre d’Anja au pays des merveilles (Аня в стране чудес) en 1923. De fait, dans Nikolka Persik, Nabokov n’introduit pas d’éléments culturels spécifiquement russes, telle « la souris française venue en Angleterre avec Guillaume le Conquérant [qui] se transforme en souris abandonnée par Napoléon en retraite20 », évoquée par Brian Boyd dans sa biographie consacrée à Nabokov et au passage dédié à la traduction de Carroll par Nabokov.

Ces premières observations laissent supposer que la russisation du roman de Rolland peut être considérée comme partielle dans la mesure où les noms des personnages ne sont pas tous concernés par une adaptation destinée à un public russe21. Cette orientation est encore plus flagrante dans les choix traductologiques de Nabokov relatifs aux toponymes et aux realia culinaires. En étudiant ici la totalité de ces occurrences, nous proposerons un autre regard sur la traduction de Nabokov, distinct des recherches portant, par exemple, sur les proverbes, analysés de façon détaillée par Vladimir Šor ou sur nos propres études dédiées aux limites de la traduction du jeune Sirine. Ce faisant, nous mettrons en lumière les contradictions de la traduction soumise par Nabokov, lequel semble associer deux mondes bien distincts : la Bourgogne, incarnée par « un décor » et des « recettes22 » spécifiques, et la Russie, figurée par des noms à consonance russe.

La toponymie

En premier lieu, concernant les toponymes, nous pouvons penser, de prime abord, que Nabokov conserve bien la situation géographique retenue par Rolland pour son roman bourguignon, c’est-à-dire Clamecy, où l’écrivain français est né et a grandi, et ses environs. Il traduit ainsi littéralement23 les entités administratives que sont :

- Clamecy24 (« Клямси25, Kljamsi », neuf occurrences) ;

- Dornecy (p. 89-236) (« Дорнси, Dornsi », cinq occurrences, p. 213-333) ;

- Brèves (p. 89-92) (« Брэв, Brèv », deux occurrences, p. 212-214) ;

- Chamoux (p. 70-101) (« Шаму, Chamu », trois occurrences, p. 197-223) ;

- Corbigny (p. 98) (« Корбиньи, Korbin’i », une occurrence, p. 220) ;

- Sardy (p. 200) (« Сардий, Sardij », une occurrence, p. 303) ;

- Vézelay (p. 69-101) (« Везлэ, Vezlè », quatre occurrences, p. 196-223 ;

- Nevers (p. 151-218) (« Невер, Never », deux occurrences, p. 264-318)26.

Il procède de la même façon avec la région, qui regroupe l’ensemble de ces localités – la Bourgogne (p. 165) (« Бургундия, Burgundija », p. 275) –, et les hydronymes « Beuvron » (à douze reprises, p. 63-188) et « Yonne » (à quatre reprises, p. 69-124) par « Беврон »27 (« Bevron », p. 190-294) et « Ионна » (« Ionna », p. 196-243), deux rivières qui coulent à Clamecy.

Les endroits constituant la clef de voûte de Clamecy – l’église Saint-Martin et ses rues adjacentes – font également l’objet de l’utilisation de calques, à l’exemple de :

- l’église Saint-Martin (p. 215) (« храм святого Мартына, hram svjatogo Martyna », une occurrence, p. 316), fréquemment abrégée en Saint-Martin (p. 121-173) (« святой Мартын, svjatoj Martyn », trois occurrences, p. 240-281) ;

- la tour de Saint Martin (p. 63-153) (« башня святого Мартына, bašnja svjatogo Martyna », deux occurrences, p. 191-265) ;

- la place Saint-Martin (p. 222) (« площадь святого Мартына, ploščad’ svjatogo Martyna », une occurrence, p. 322) ;

- la grand-rue (p. 118-200) (« большая улица, bol’šaja ulica », deux occurrences, p. 237-304) ;

- la rue du Marché (p. 223) (« Рыночная улица28, Rynočnaja ulica », une occurrence, p. 323) ;

- la Mirandole (p. 209) (« Мирандола, Mirandola », une occurrence, p. 311).

Nabokov garde même les dénominations spécifiques des faubourgs de Clamecy, à l’instar de Béyant (p. 108-114) (« Беян, Bejan », trois occurrences, p. 205-228), appelé également Bethléem et désignant le quartier des flotteurs, et de Rome (p. 75) (« Рим, Rim », une occurrence, p. 201), qui évoque la ville haute, comme le note Nabokov dans une note de bas de page29.

Pour terminer, il se réfère à l’usage linguistique russe pour traduire les noms des villes et des régions françaises, mentionnées par le narrateur :

- Beaune (p. 81) (« Бон, Bon », p. 206) ;

- Paris (p. 151) (« Париж, Pariž », p. 264) ;

- Lyon (p. 256) (« Лион, Lion », p. 349) ;

- Lorraine, Champagne, Bretagne et Beauce (p. 81) (« Лотарингия, Lotaringija, Шампань, Šampan’, Бретань, Bretan’ et Бос, Bos », p. 206).

Nous notons deux exceptions pour la ville de Meudon (p. 65) (« Мэдон, Mèdon », p. 193) et la province de Touraine (p. 81) (« Турэнь, Turèn », p. 206), translittérées habituellement par « Мёдон, Mëdon » et « Турень, Turen’ ».

Bien que l’emploi de ces occurrences toponymiques, permettant d’ancrer la traduction de Nabokov dans le contexte bourguignon choisi par Rolland – ils n’entretiennent aucun lien avec les terres russes –aille à l’encontre de l’idée d’une russisation de Colas Breugnon, nous ne pouvons pas nier que, d’un autre côté, Nabokov remplace souvent une partie des noms de lieux susnommés par des termes généraux. La commune de Clamecy connaît ainsi trois modulations :

J’ai besoin de causer ; et dans mon Clamecy, aux joutes de la langue, je n’en ai tout mon soûl (p. 60).

Говорить, говорить я хочу, а в своем городке, на ристаньях словесных, не могу развернуться как следует (C’est parler, parler que je veux, mais dans ma petite ville, lors des joutes verbales, je ne peux pas me laisser aller comme il faut) (p. 188).

Avec un jour de retard, je revins à Clamecy (p. 150).

С опозданием на день я вернулся домой (Avec un retard d’une journée je rentrai à la maison) (p. 264).

Enfin, l’apothicaire chargea sur la voiture des sirops, hypocras, hydromel, confitures, qu’il prétendait offrir, étant de ses produits, aux frais de Clamecy (p. 152).

Аптекарь же нагрузил на повозку бутылки сиропов разных да медов, банки варенья – все его собственные произведенья, которые он намеревался поставить на счет города (Quant à l’apothicaire, il chargea sur la charrette des bouteilles de différents sirops et de miels, des pots de confiture – tous ses produits propres qu’il avait l’intention de mettre sur le compte de la ville) (p. 265).

Tandis que les deux premiers ajustements contribuent à renforcer l’importance de la ville natale en qualité de maison pour le narrateur, le troisième confère à Clamecy le statut officiel d’entité administrative, dont les habitants doivent rendre cérémonieusement honneur à leurs hôtes. En outre, la prosodie de la deuxième citation offre un parfait anapeste, de même que la première illustration se rapproche du rythme anapestique30. D’autres modulations sont employées par Nabokov pour traduire les hydronymes et les lieux inhérents à Clamecy, comme nous pouvons le voir dans les deux exemples ci-dessous :

Je veux pouvoir m’étaler au bord de mon Beuvron (p. 63).

[…] жить хочу королем на речном берегу своем (je veux pouvoir vivre comme un roi au bord de ma rivière) (p. 191).

À l’entrée du faubourg, sur la place des Barrières, déjà nous rencontrâmes une foule fort gaie qui, sans méchanceté, s’en allait en famille, femmes, garçons et filles, vers l’endroit où l’on pille (p. 210).

У входа в предместье, на площади, мы уже стали встречать необычайно веселые толпы, целые семьи, жены, мальчики, девочки, которые по простоте душевной устремлялись туда, где грабили (À l’entrée du faubourg, sur la place, nous commencions déjà à rencontrer des bandes excessivement gaies, des familles entières, des épouses, des garçons, des petites filles qui dans une simplicité chaleureuse s’élançaient là où l’on pillait) (p. 312).

La première citation, constituée d’anapestes, souligne de nouveau l’attention accordée au foyer de Colas Breugnon alors que la seconde met l’accent sur la volonté de Nabokov de ne pas préciser certains sites clamecycois qu’il juge peut-être secondaires en comparaison de la place Saint-Martin, évoquée plus haut.

Cependant, la non-traduction des toponymes et hydronymes, ou leur remplacement par des termes généraux, peut s’expliquer par l’adoption d’une technique de traduction réductive, ou expansive, pour des raisons stylistiques et poétiques. C’est ce qu’indiquent les deux passages qui suivent :

[…] nous regardions avec extase dans les champs le printemps nouveau, le gai soleil sur les fuseaux des peupliers qui se remplument, au creux du val l’Yonne cachée qui tourne et tourne dans les prés, comme un jeune chien qui se joue (p. 96).

[…] мы глядели с умиленьем, с восхищеньем блаженным на юную весну, на веселое солнце, ласкающее первый пушок тонких тополей, на излучистую речку в долине среди полей, резвящуюся как собачонка (nous regardions avec attendrissement, avec un émerveillement béat le jeune printemps, le gai soleil caressant le premier chaton des peupliers délicats, la petite rivière sinueuse dans le val au milieu des champs qui se joue comme un petit chien) (p. 218).

[…] Cagnat, qui s’impatiente […], converse à coups de gueule avec quelques flotteurs qui, de l’autre côté de l’Yonne, vont flânant, ou font le pied de grue sur le pont de Béyant (p. 113).

[…] нетерпеливый Конек сердится […] и переругивается со сплавщиками, которые разгуливают на том берегу или же стоят, оцепенев как цапли, на мосту Беяна (l’impatient Konek s’énerve […] et se chamaille avec des flotteurs qui déambulent sur cette rive ou se tiennent debout, endormis comme des hérons, sur le pont de Béyant) (p. 232).

Par ailleurs, Nabokov ne reprend pas nommément les références toponymiques de certains autres quartiers de Clamecy, tel Sembert que l’écrivain traduit de trois façons différentes par rapport à l’original. La première fois (p. 86), Sembert devient une « forêt lointaine » (« дальний лес », p. 210) et reste donc encore un lieu éloigné du centre de Clamecy. Les deux autres fois, Sembert est soumis à une reformulation :

Ma voix était fort claire. Elle aurait pu porter jusqu’à l’arbre de Sembert (p. 166).

Голос мой был очень ясен. Он дошел бы до самой луны (Ma voix était très claire. Elle aurait pu atteindre la lune même) (p. 276).

Il me semblait que je portais saint Martin sur ma nuque, et Sembert sur mon croupion (p. 168).

Мне казалось, что несу я святого Мартына на затылке и черта на заду (Il me semblait que je portais saint Martin sur ma nuque et le diable sur mon derrière) (p 278).

Le recours à la lune permet alors à Nabokov d’amplifier la portée de la voix de Colas Breugnon qui atteint non pas l’une des bourgades de Clamecy, mais le système solaire, exagérant l’expression employée par Rolland. Quant à l’utilisation du mot « diable », il contribue bien à opposer deux éléments, la figure du saint contre celle du démon, mais la boutade de Colas Breugnon perd sa dimension toponymique initiale puisque l’antagonisme ne concerne plus Clamecy, représenté par l’église Saint-Martin, et Sembert, le quartier haut de la commune.

Nabokov utilise aussi des termes génériques pour les endroits suivants, situés dans Clamecy et qui, même si leur traduction n’est pas inexacte et n’empêche pas le lecteur de se repérer dans l’espace de la localité, réduisent la précision du texte original :

- la rue de « la Mirandole » (p. 123), traduite par « aux portes de la ville » (« у городских ворот », p. 242) ;

- les lieux associés aux rues du Marché et du Grand Marché que signale, par exemple, l’indication « à la porte du Marché » (p. 200), désignée également par les termes « aux portes de la ville » (« у городских ворот », p. 304) ;

- les appellations familières de Clamecy, à l’instar de « Bethléem » (p. 123 et 133), transformé en lieu situé « de l’autre côté de la rivière » (« заречный », p. 232) et en « faubourg » (« предместье », p. 242) ;

Nous observons également que certains lieux mentionnés plus rarement perdent entièrement leur précision et sens initiaux, comme nous pouvons le remarquer dans ces quatre exemples :

- « Villiers » (p. 187), changé en « à mi-chemin » (« полдороги », p. 293) ;

- « le château de Cuncy » (p. 191), modifié en « château connu » (« знакомый замок », p. 296) ;

- « au pied du mont du Croc Pinçon » (p. 220), révisé en « au pied de la montagne » (« у подножья горы », p. 230).

Enfin, Nabokov opte plusieurs fois pour une suppression pure et simple de toponymes récurrents qu’il a pourtant traduits par endroits (le Beuvron, l’Yonne, Clamecy, Vézelay, Asnois, Brèves) ou pour lesquels il a utilisé un terme générique (Asnois, Sembert). Il recourt aussi à cette omission volontaire des lieux lorsque ceux-ci apparaissent seulement à une ou deux reprises dans le texte de Rolland. Tel est le cas de Saint-Pierre du Mont, la tour Lourdeaux, La Forêt, Auxerre, Châtel-Censoir, Mailly-le-Château, Beaumont, Moulot, Cuncy et Andries (p. 86-229).

De nouveau, l’étude des différentes occurrences liées aux noms de lieux oblige à reconsidérer la conception selon laquelle Nabokov russise le roman original en l’ancrant dans un contexte russe. En effet, l’utilisation d’indications de lieu non spécifiques montre que l’histoire pourrait se dérouler n’importe où, en France comme en Russie, mais cette idée se voit altérée par le fait que l’écrivain russe adopte fréquemment une conservation des noms des lieux bourguignons transcrits en cyrillique. Néanmoins, à l’inverse, la personnalisation de certains toponymes peut laisser penser que Nabokov s’efforce d’enraciner sa traduction dans le contexte russe, et ce, à l’aide de plusieurs procédés.

Tout d’abord, l’auteur change la prononciation de la commune d’« Armes » (p. 78), laquelle devient « Arms » (« Армс », p. 204), pouvant résulter d’une erreur de phonétique de la part de Nabokov qui a pourtant appris à parler français dès son plus jeune âge auprès d’une gouvernante employée par ses parents dans la maison familiale.

Ensuite, Nabokov crée des noms russisés en s’appuyant sur le toponyme de départ contenu dans le roman Colas Breugnon. Cela l’amène à utiliser une adaptation cibliste totale en changeant « l’hôtel des Écus de France et du Dauphin » (p. 118) en « auberge du “Billet de dix roubles” » (« трактир “Червонец” », p. 237), se référant ainsi aux realia russes. Il procède à l’identique pour les villages de « Corvol-l’Orgueilleux », « Coulanges-la-Vineuse », « Montenoison », « Pré-le-Comte » et « Chevroches » (p. 119-237). Pour le premier, révisé en « Petruha l’Orgueilleux » (« Петруха Гордец », p. 238), l’écrivain russe délaisse l’étymologie originale de Corvol, signifiant vallée courbe, pour une variante du prénom Pëtr (Пётр). Même si cette adaptation change le sens initial et ne permet pas de garder la rime rollandienne, l’usage de Petruha contribue à jouer avec le prénom Perrin, un dérivé de Pierre, auquel l’on attribue la même qualité d’orgueil qu’aux habitants de Corvol : « Perrin le Queux, en biaude bleue, raide empesée, Perrin de Corvol-l’Orgueilleux » (p. 119), que Nabokov révise en « Petruha, le cuisinier en chemise bleue fortement empesée, Petruha l’Orgueilleux » (« Петруху кухаря в синей блузе, накрахмаленной круто, – Петруху Гордеца », p. 238). Coulanges-la-Vineuse, traduite par « Kuligi Vinnye » (« Кулиги Винные », p. 273) conserve l’importance de la culture viticole de cette commune française grâce à l’emploi de l’adjectif « vineux » (« винный »). En revanche, Nabokov remplace le nom de Coulanges, lié au terme de colonie (du latin colonica31), par « Кулиги », figurant dans certains noms de villages en Russie. Le village de Montenoison, lui, se réfère à la montagne, que Nabokov maintient en choisissant d’inventer un nom propre désignant un terrain montagneux bourbeux, c’est-à-dire « Mutnovulaj » (« Мутновулай », p. 273), de « мутный » (« trouble ») et « вулай » (« bière », employé dans certains usages dialectaux). Pour Pré-le-Comte, Nabokov insiste sur l’image de l’inféodé qu’est le comte par rapport au duc ou qu’incarne le paysan, comparé au seigneur, optant ainsi pour un « pré vassalique » (« Голдовный луг », p. 319-320). Quant à Chevroches (du bas-latin, cava rocca, roches creuses32), Nabokov lui attribue un diminutif pluriel en –ki, certainement en raison de la présence d’un « s » à la fin de Chevroches : « Chevroški » (« Шеврошки », p. 334).

Pour finir, Nabokov adapte parfois un lieu selon le contexte narratif, en supprimant son toponyme qu’il remplace alors par un adjectif. C’est ainsi que « la Cave de Beaugy » (p. 131) perd l’indication du lieu-dit pour se transformer en « Cave Joyeuse » (« Весëлый Погребок », p. 248) où il est coutume de danser.

Cet examen des toponymes, qui constituent l’essence du « pays » de Colas Breugnon, confirme notre hypothèse de départ concernant la russisation partielle de la traduction de Nabokov dont les choix ne s’expliquent pas forcément par la volonté de garder les rimes ou le rythme adopté par Rolland. De fait, si nous prenons les exemples ci-dessus ou encore l’exemple d’un toponyme translittéré par Nabokov, ici Chamoux, nous pouvons voir que le nom est traduit littéralement dans les deux phrases, sans pour autant garder les rimes de la version originale :

Agneau de Chamoux, n’en faut que trois pour étrangler un loup (p. 73).

Овца из Шаму: достаточно трёх, чтобы волка задушить » (Ovca iz Šamu : dostatočno trëh, čtoby volka zadušit’ ; Mouton de Chamoux : trois suffisent pour étrangler un loup) (p. 199).

Quand je vais seul par la forêt, de Chamoux à Vézelay, croyez-vous donc que j’ai besoin de la grand-route ? (p. 101)

Когда я иду лесом из Шаму в Везлэ, неужели вы думаете, что мне нужна большая дорога? (Kogda ja idu lesom iz Šamu v Vezlè, neuželi vy dumaete, čto mne nužna bolšaja doroga33 ? ; Quand je vais par la forêt de Chamoux à Vézelay, croyez-vous que j’ai besoin de la grand-route ?) (p. 223).

La gastronomie

Cette absence d’uniformisation est confirmée par l’étude des mets évoqués par Colas Breugnon, également représentatifs du pays bourguignon, caractérisé par une « tradition culinaire (viande en sauce au vin, poissons de rivière en pochouse, etc.)34 » qu’affectionne le narrateur et pour lesquels nous formulerons des remarques similaires à celles énoncées pour les toponymes de manière à nourrir notre réflexion sur la russisation – ou non – de la version de Nabokov.

Premièrement, l’écrivain russe propose une traduction élaborée de quelques desserts, qui peut aider le lecteur à mieux visualiser les douceurs décrites dans le texte original. Les « crottes dans le sucre roulées » (p. 76), rattrapées par les enfants lors du passage du char de Carême, deviennent des « billes de fumier recouvertes de sucre » (« навозные шарики, облепленные сахаром », p. 202). Nous retrouvons cette représentation graphique pour « la corbeille de biscuits étagés » (p. 154), traduite en « corbeille de biscuits, à la manière d’une tour » (« корзинa печений, башнею », p. 266).

Deuxièmement, l’écrivain russe traduit littéralement plusieurs mets, dont la moutarde de Dijon, les langues fumées, la hure de cochon (p. 76) (« горчица дижонская, копченые языки, голова кабана », p. 202), le jambon (p. 76-87) (« окорок », p. 202-211), les crêpes35 (p. 75-78) (« блины », p. 201-204), le foie de héron, les tripes, les escargots, les brochets, les têtes de veau (p. 87) (« печенкa цапли, кишки, улитки, щуки, головизны телячьи », p. 211) et le petit salé aux choux (p. 118) (« солонина с капустой », p. 237).

Troisièmement, et en dépit des traductions littérales précédentes, Nabokov s’adonne plusieurs fois à la réécriture de certaines spécialités à l’aide de paraphrases inexactes. Tel est le cas des « dragées » (p. 76), transformées en « noisettes recouvertes de sucre » (« орешки, облепленные сахаром », p. 202). La dragée perd ainsi son amande initiale. Le « civet » (p. 117), un ragoût de gibier préparé avec des oignons, est modifié en « rôti de lièvre » (« жаркое из зайца », p. 236) alors que le texte de Rolland ne précise pas de quelle viande il s’agit. Les « trois marcassins, rôtis entiers » (p. 87) deviennent « trois marcassins rôtis soigneusement conservés en entier » (« три поросенка, бережно сжаренных », p. 211). Le « hachis épicé d’abats de sangliers » (p. 87) est changé en « mélange épicé de restes de sangliers » (« пряная смесь остатков кабаньих », p. 211), ce qui dénature la description originale de Rolland, car les restes en question ne sont pas forcément des abats tandis qu’un mélange n’est pas nécessairement haché. Nabokov adapte également les « buissons ardents d’écrevisses poivrées » (p. 87) en « montagnes d’écrevisses ardentes poivrées » (« горы горящие раков, приправленных перцем », p. 211).

Quatrièmement, l’écrivain russe utilise des termes génériques, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de désigner des spécialités de charcuterie française, difficilement transposables et pour lesquelles le traducteur peut recourir à une note explicative de bas de page, ce que Nabokov ne fait pas. « L’andouillette » (p. 75), « l’andouille », « le boudin blanc », « le boudin noir », « le cervelas », « le boudin » (p. 75-259) sont traduits par le terme de « kolbasa » (« колбаса », p. 201-351), défini comme une saucisse ou faisant référence à diverses sortes de saucisson. Toutes les nuances et goûts des différents mets sont ainsi perdus. De fait, par exemple, un boudin noir est la « préparation faite d’un boyau rempli de sang et de graisse de porc » pendant qu’un boudin blanc est une « charcuterie à base de chair de volaille […] et de lait36 ». Un « boyau de porc rempli de tripes, de chair et de lard de ce même animal, hachés et assaisonnés37 » se nomme andouille. Si l’on hache cette dernière finement, elle devient une andouillette. Quant au cervelas, il s’agit d’une « saucisse cuite, courte et grosse, faite de chair hachée et épicée38 ». Il ne s’apparente donc pas non plus entièrement à une saucisse, c’est-à-dire une « préparation de charcuterie à base, le plus souvent, de viande de porc, de veau ou de bœuf et de gras de porc hachés, épicée et salée, contenue dans un boyau, de forme allongée et fermée aux deux bouts39 ». Pour éviter de traduire précisément les termes « cervelas et boudins » (p. 75-82), Nabokov recourt parfois même à une simplification en expliquant qu’il s’agit de « toutes sortes de mets […] et saucissons » (« всякие яства, […] да колбасы », p. 207). Nabokov raccourcit également l’énoncé suivant : « du gras-double, de noirs civets, qui, devant qu’on en eût tâté, vous grisaient par le nez » (p. 87), qui devient « des plats rôtis qui, déjà de loin, vous grisaient par leur odeur » (« жареные кушанья, опьяняющие запахом еще издали », p. 211). Cette traduction nous apparaît de nouveau comme une paraphrase inexacte puisque le gras-double, même s’il peut être pané et frit, n’est pas rôti, de même que le civet qui mijote.

Cinquièmement, Nabokov ajoute des mots lui permettant de former des images plus personnelles. Par exemple, il attribue l’adjectif de couleur « gris cendré » aux « saucisses » (p. 76) (« сосиски дымчатые », p. 202). Il peut aussi changer l’ordre des mots dans la description de quelques plats, à l’instar « des pâtés de lièvre et de porc, embaumés d’ail et de laurier » (p. 87), changés en « pâtés de porc haché – ou de lièvre – dans des fronces de pâte bien cuite, embaumés d’ail et de feuille de laurier » (« пироги со свининой нарубленной – или зайчатиной – в складках румяного теста, чесноком и лавровым листом ароматно пропитанных », p. 211), insérant ainsi une paraphrase définitionnelle. Ce faisant, il met en place une stratégie compensatoire lui permettant de ne pas utiliser de note de bas de page. Une autre description apparaît dans la transformation du « blanc caillé, frais, granuleux » (p. 87) en « flocons blancs et froids de lait caillé » (« холодные, белые хлопья простокваши », p. 211).

Sixièmement, des mets se voient entièrement supprimés selon les phrases, comme c’est le cas du cervelas et de l’andouillette (p. 76). L’omission de cette dernière semble aider Nabokov à contourner la traduction du jeu de mots de Rolland qui parle du colonel Riflandouille à la même page et devient, chez Nabokov, un « grade gras » (« жирная стража », p. 202). Concernant la portion de phrase « quelques friands gâteaux, orgueil de la cité, de gros biscuits glacés, notre spécialité » (p 151), l’écrivain procède à une réduction : « des gros gâteaux glacés – l’orgueil de notre ville » (« крупныe засахаренныe печенья – гордость нашего города », p. 264). Les « salades à l’échalote vinaigrées » (p 87) deviennent quant à elles des « salades rafraîchissantes » (« освежающие салаты », p. 211). Cela peut s’expliquer par le fait que les salades russes soient rarement assaisonnées avec du vinaigre et de l’oignon cru.

À l’inverse des plats, Nabokov semble rester plus fidèle à la version originale des vins, utilisant une translittération phonétique, marquée par une traduction à la lettre en cyrillique des sonorités des mots d’origine. C’est ce que nous pouvons constater dans les exemples qui suivent : « petit fût de Chablis » (p. 74) (« небольшой бочонoк шабли », p. 200), « Chapotte, Mandre, Vaufilloux » (p. 87) (« шапот, мандр, вофиллу », p. 200), « Chablis, Pouilly, Irancy » (p. 171) (« шабли, пуи, иранси », p. 280), « saint Irancy, saint Chablis, ou Pouilly » (p. 174) (« святой Иранси, святой Шабли, или Пуи40 », p. 283) et « vin de Bourgogne » (p. 259) (« бургундское вино », p. 351).

Néanmoins, cet attachement à la dénomination exacte des vins s’arrête lorsqu’ils ne sont pas localisés au moyen d’un toponyme. Nabokov revient alors à ses procédés d’adaptation libre, ce qui apparaît, entre autres, dans le groupe nominal « un flacon de vin morillon41 » (p. 76), transformé en « un calice de vin bleuté » (« чаш[а] синеватого вина », p. 202). Nabokov ne traduit pas non plus exactement d’autres boissons, notamment les « sirops, hypocras, hydromel » (p. 152), simplifiés en « bouteilles de sirops et de différentes boissons au miel » (« бутылки сиропов разных да медов », p. 265), alors que le vin d’hypocras ne connaît pas la même fermentation que l’hydromel.

Pour finir, il n’exprime pas clairement la tradition bourguignonne du trempage de biscuits dans un alcool à la fin d’un repas, ce que montrent les deux expressions qui suivent :

- « des biscuits qui vous torchaient un verre plein comme une éponge, d’un seul coup » (p. 87), revisitée en « des biscuits qui absorbaient le vin bu, comme une éponge » (« печенья впитывающие выпитое вино, словно губки », p. 211) ;

- « après avoir pris un biscuit trempé dans deux doigts de cassis » (p. 123), changée en « après avoir bu un verre de liqueur de cassis » (« предварительно выпив по рюмке наливки черносмородинной » (p. 242).

Là encore, nous pouvons voir que la réécriture, ou non, des spécialités culinaires bourguignonnes n’entretient pas forcément un lien avec une volonté de russiser le roman de Rolland ou de garder les rimes ou le rythme de la phrase employée par l’écrivain français.

Conclusion

Au regard de ces différentes remarques, nous conclurons sur le manque de cohérence de la traduction de Nabokov, qui apparaît déjà dans la seule étude des toponymes et mets bourguignons. Ceux-ci ne sont en effet pas entièrement russisés et reprennent, pour nombre d’entre eux, l’univers présenté par Rolland. Plusieurs solutions traductives endommagent ainsi l’essence bourguignonne qui perd de sa saveur stricto sensu en faveur d’une russisation qui n’est pas entièrement assumée dans la mesure où certains choix ne confèrent pas vraiment un caractère russe à la version de Nabokov. Face à cette absence d’unité – l’écrivain russe traduit littéralement, adapte ou supprime les termes de Rolland –, nous pouvons nous demander pourquoi il n’a pas proposé une version russisée de Colas Breugnon. Une réponse pourrait être liée à sa déclaration, contenue dans l’interview pour la Swiss Broadcast en 1972, où il explique que l’inconvénient d’une écriture en plusieurs langues est « l’incapacité de suivre leurs argots toujours en évolution42 », ce qui pourrait aussi sous-entendre l’adaptation à des expressions parlées dans une région en particulier. Cependant, dans la mesure où Nabokov s’efforce de reproduire fidèlement certains passages du texte, cherchant scrupuleusement dans le dictionnaire unilingue russe de Vladimir Dahl43, paru entre 1863 et 1866, les expressions les plus appropriées au contexte, nous pouvons douter de cette inaptitude, au vu de certains exemples étudiés. En cela, nous affirmons, à l’instar de Gorki, que l’écrivain russe ne « réussi[t] [pas] à lui enlever son esprit purement gaulois44 », surtout lorsqu’il souligne l’appartenance de Colas Breugnon à la Bourgogne, relevée par le narrateur lui-même :

[…] c’est au manger que l’on apprend ce que vaut l’homme. Qui aime ce qui est bon, je l’aime : il est bon Bourguignon (p. 87).

[…] человека узнаешь за едой. Кто любит вкусное, любим мною, ибо он хороший бургундец (c’est au manger que tu reconnais l’homme. Qui aime ce qui est bon, est aimé de moi, car il est un bon Bourguignon) (p. 212).

Voilà, ma fille, voilà comment père-grand est toujours content ! Mangeur, mangé, il n’est rien de tel que d’arranger la chose en sa cervelle. Un Bourguignon trouve tout bon (p. 112).

Вот, моя девочка, вот каким образом удается дедушке быть довольным всегда. Я ли ем, меня ли едят, все хорошо. Нужно только разместить это у себя в голове. Все хорошо, все вкусно, говорит бургундец (Voilà, ma petite fille, voilà comment grand-père réussit à toujours être content. Je mange, on me mange, tout va bien. Il faut seulement se le rentrer dans le crâne. Tout va bien, tout est bon, dit le Bourguignon) (p. 232).

C’est pourquoi nous maintenons l’idée, déjà émise dans nos précédentes recherches et précisée au début de cet article, que Nabokov a manqué de temps pour parachever sa traduction et se fixer des objectifs de traduction harmonieux, sans omettre l’idée qu’il n’a pas voulu réviser son texte, comme le préconisait l’éditeur. Tout ceci est peut-être dû au fait que cette traduction est née d’un pari, et non d’une réelle motivation intrinsèque de la part d’un écrivain connu pour son perfectionnisme sans faille, même lorsqu’il était plus jeune.

Notes

1Au moment de la traduction, Nabokov fait ses études à Cambridge pendant que ses parents résident à Berlin. Il s’installera à Berlin en 1923 où il vivra jusqu’en janvier 1937.

2Nabokov parle alors trois langues : le russe, l’anglais et le français (et certainement aussi l’allemand). Tandis que les deux premières langues ont été apprises en parallèle dès sa naissance, il commence le français à l’âge de cinq ans.

3Brian boyd, Vladimir Nabokov. 1. Les années russes, Paris, Gallimard, 1992, p. 211.

4Claire basquin, « Richesse et inventivité de la langue de Romain Rolland : la versification dans Colas Breugnon », in Guillaume Bridet et Jean Lacoste, Centenaire de Colas Breugnon. Romain Rolland romancier, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2021, p. 192.

5Ibid., p. 191.

6Fernand égéa, « Colas Breugnon, roman musical », in Guillaume Bridet et Jean Lacoste, Centenaire de Colas Breugnon. Romain Rolland romancier, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2021, p. 179.

7Iosif Vladimirovič Gessen est également, avec Avgust Isaakovič Kaminka et Vladimir Dmitrievič Nabokov, le co-rédacteur du journal de l’émigration russe Rul’, dans lequel Nabokov publie régulièrement ses écrits.

8Brian boyd, op. cit., p. 213.

9Il s’agit de la toute première traduction russe de Colas Breugnon. Deux autres traductions russes du roman de Rolland seront réalisées par Marija Elagina en 1922 et par Mihajl Lozinskij en 1932 (cf. Vladimir šor, « “Kola Brjun’on” na russkom jazyke », Masterstvo perevoda, n° 7, 1970, p. 220). Cette dernière reste encore aujourd’hui la traduction russe de référence.

10Brian boyd, op. cit., p. 226.

11Romain rolland, Correspondance entre Romain Rolland et Maxime Gorki, Cahier 28, Paris, Éditions Albin Michel, 1991, p. 76.

12Nous préférons ici le verbe « russiser » au verbe « russifier » qui implique de forcer une population à adopter les mœurs russes.

13Elizabeth Klosty beaujour, « Nikolka Persik », in Vladimir E. alexandrov, The Garland Companion to Vladimir Nabokov, New York, Routledge, 1995, p. 558 : « Nabokov opted to Russianize Colas Breugnon, beginning with the title ». Notre traduction (les traductions suivantes de l’anglais et du russe seront également les nôtres).

14Ibid., p. 558 : « Colas (a diminutive of Nicolas), becomes Nikolka, and Breugnon (in French the name of a fruit rather like a nectarine) becomes Persik, the Russian word for “peach” ».

15Stanislav shvabrin, Vladimir Nabokov as Translator: The Multilingual Works of the Russian Period, Arbor, ProQuest, Um, 2007, p. 131 : « a compromise ».

16Ibid., p. 131 : « faced with the absence of a native term for “breugnon” (the word “nectarine” did not enter the Russian language until the end of the twentieth century) ».

17Alexia gassin, « Colas Breugnon versus Nikolka Persik ou Nabokov et l’art de la subjectivité », in Julie loison-charles et Stanislav shvabrin, Vladimir Nabokov et la traduction, Arras, Artois Presses Université, 2021, p. 116 ; Id., « La traduction de Colas Breugnon par Vladimir Nabokov : un pari perdu ? », in Guillaume Bridet et Jean Lacoste, Centenaire de Colas Breugnon. Romain Rolland romancier, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2021, p. 223.

18Romain rolland, « Le Grand-Père du Petit-Fils à Colas », Bulletin de la Société scientifique et artistique de Clamecy, 1934, p. 29.

19En 2000, lors de la publication russe du premier volume des œuvres complètes de Nabokov, la chercheuse Maria Malikova reconnaît certes que Nabokov russise les noms des personnages de Rolland, tout en ajoutant qu’« il ne le fait pas de manière très cohérente dans la mesure où les héros évoluent dans un milieu culturo-historique français » (Vladimir nabokov, Sobranie sočinenij russkogo perioda v pjati tomah. Stoletie so dnja roždenija 1899-1999. 1918-1925, tome 1, Sankt-Peterburg, « Sympozium », 2000, p. 767). Il s’agit de notre ouvrage de référence pour la traduction de Nikolka Persik.

20Brian boyd, Vladimir Nabokov. 1. Les années russes, Paris, Gallimard, 1992, p. 234.

21À ce sujet, la chercheuse indépendante Tatiana Ponomareva montre que, dans les années 1920, « la communication culturelle et linguistique existait encore entre la Russie soviétique et la diaspora russe » (Tatiana ponomareva, « Vladimir Nabokov. Translating for an “Unborn” Reader », in Anna lushenkova foscolo et Malgorzata smorag-goldberg, Plurilinguisme et autotraduction, Paris, Eur’Orbem Éditions, 2019, p. 214).

22Jean-François bazin, « Colas Breugnon, bourguignon ou nivernais ? », in Guillaume Bridet et Jean Lacoste, Centenaire de Colas Breugnon. Romain Rolland romancier, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2021, p. 121.

23Nabokov utilise deux procédés : soit il transcrit lui-même les noms, soit il recourt aux formes courantes des noms propres en russe. Ce faisant, il ne distingue pas toujours les petites localités des villes plus importantes ayant connu un processus de normalisation achevé.

24Romain rolland, Colas Breugnon, Paris, Éditions Rombaldi, 1961 [1919], p. 151-237. Les pages des citations suivantes, extraites de cette édition, seront notées entre parenthèses dans le corps du texte.

25Vladimir nabokov, op. cit., p. 264-334. Les pages des citations suivantes, extraites de cette édition, seront notées entre parenthèses dans le corps du texte.

26Nabokov recourt également deux fois à un calque pour la commune d’Asnois à laquelle est rattaché un château dans le texte rollandien (p. 127-151). Pour ce faire, il transforme néanmoins le nom en adjectif, plus adapté : замок Ануанский (zamok Anuanskij) (p. 244-264).

27Il arrive également que Nabokov utilise l’adjectif « бевронский » (« bevronskij »).

28Là encore, Nabokov utilise un adjectif pour qualifier le marché.

29Dans sa traduction, Nabokov recourt à seulement deux notes de bas de page explicatives. Les autres notes concernent la traduction en russe des expressions latines employées par le narrateur.

30Comme le note Vladimir Šor, ce type de rythme, utilisé par Nabokov/Sirine, est caractéristique des symbolistes russes, dont Andreï Biély (Vladimir šor, op. cit., p. 226).

31Coulanges-lès-Nevers, « Étymologie » [En ligne]. Consultable sur : https://www.coulanges-les-nevers.fr/ma-ville/decouvrir-coulanges-les-nevers/histoire-et-patrimoine/.

32Frédéric Devevey, « Une agglomération antique inédite : Chevroches (Nièvre) », Revue archéologique de l’Est, t. 55, 2006, p. 106.

33C’est nous qui soulignons.

34Jean-François bazin, op. cit., p. 121.

35Il convient de noter ici que les blinis vendus en France ne ressemblent en rien à la crêpe russe, bien plus proche de la recette et de l’aspect de la crêpe française, à l’exception, parfois, de l’ajout d’une pointe de levure.

36centre national de ressources textuelles et lexicales, « Boudin » [En ligne], 2012. Consultable sur : https://www.cnrtl.fr/definition/boudin.

37centre national de ressources textuelles et lexicales, « Andouille » [En ligne], 2012. Consultable sur : https://www.cnrtl.fr/definition/andouille.

38centre national de ressources textuelles et lexicales, « Cervelas » [En ligne], 2012. Consultable sur : https://www.cnrtl.fr/definition/cervelas.

39centre national de ressources textuelles et lexicales, « Saucisse » [En ligne], 2012. Consultable sur : https://www.cnrtl.fr/definition/saucisse.

40Il est intéressant de noter ici que Nabokov a supprimé presque la totalité des saints cités par le narrateur, mais qu’il garde le mot « saint » pour désigner les vins.

41Il s’agit d’une variété de pinot noir.

42Vladimir nabokov, Intransigeances, Paris, Julliard, 1986, p. 200.

43Brian boyd, op. cit., p. 211.

44Romain rolland, op. cit., p. 76.

Pour citer ce document

Alexia Gassin , « La traduction de Colas Breugnon de Romain Rolland par Vladimir Nabokov : une version russisée ? », Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], n° 5, « Les hommes, les espaces, la nature : enjeux traductologiques », 2023, URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php_id_2443.html

Quelques mots à propos de : Alexia Gassin

Alexia Gassin est Docteure en Études slaves (Université Paris-Sorbonne), Docteure en Linguistique (Sorbonne Université), professeure agrégée d’allemand, formatrice académique à l’INSPÉ de Caen et chargée d’enseignement à Sciences Po Rennes. Elle est l’auteur de la monographie L’œuvre de Vladimir Nabokov au regard de la culture et de l’art allemands. Survivances de l’expressionnisme (Peter Lang, 2016) et la codirectrice de l’ouvrage L’effacement selon Nabokov. Lolita versus The Original of Laura (PUFR, 2014). Ses recherches et publications reposent sur une approche multidisciplinaire et comparatiste de la littérature et des arts, sur l’étude des transferts russo-allemands et sur la didactique des langues.