Traduire les dialogues comiques de la Renaissance au XIXe siècle : le corps humain et les animaux dans La Calandra du cardinal Bibbiena
Résumé
L’étude du corpus d’exemples tirés de la Calandra du Cardinal Bibbiena indique que la traduction des dialogues comiques d’une comédie italienne du XVIe siècle se révèle une épreuve délicate pour les traducteurs français de la pièce au XIXe siècle, Théodore Muret (1835) et Alcide Bonneau (1887). Comment ce comique a-t-il été accueilli et traduit en français ? Nombreux sont les problèmes rencontrés au niveau lexical, phonétique et morphosyntaxique, en raison de la richesse des reparties, riches en jeux de mots et en idiomatismes typiques de la langue toscane qui caractérisent cette pièce, dans le sillage notoire du Décaméron de Boccace. Les difficultés sont en effet d’ordre stylistique, pragmatique et culturel pour deux raisons : d’abord, elles découlent de la différence des mœurs et des bienséances propres aux deux pays, et à deux époques éloignées dans le temps ; ensuite, elles sont dues aux projets traductifs bien distincts d’un traducteur à l’autre. Le premier, Muret, tend à omettre, à atténuer, voire à censurer les nombreuses métaphores animales et corporelles ; tandis que le second, Bonneau, préfère les traduire plus littéralement. »
Abstract
A survey of examples from Cardinal Bibbiena’s Calandra suggests that translating the comical dialogues from an Italian sixteenth-century comedy proved a tricky business for the nineteenth-century French translators of the play, Théodore Muret (1835) and Alcide Bonneau (1887). How was this comic play received and translated into French? Many of the problems encountered were lexical, phonetic and morphosyntactic, due to the wealth of repartee, packed with puns and idioms typical of the Tuscan language that characterise this play, particularly in the footsteps of Boccaccio’s Decameron. The challenges are stylistic, pragmatic and cultural, for two reasons: firstly, they stem from the different mores and customs of two distinct countries and two different eras; and secondly, they are the result of the very different translation schemes adopted by each translator. The first, Muret, omitted, toned down or even censored the many animal and bodily metaphors, while the second, Bonneau, chose to translate them more literally. »
Table des matières
Texte intégral
Bernardo Dovizi da Bibbiena naît le 4 août 1470 à Bibbiena, dans la vallée du Casentino près d’Arezzo en Toscane1. Entré au service des Médicis en 1488, il devient secrétaire de Jean de Médicis qui, une fois devenu pape sous le nom de Léon X, le nomme cardinal en 1513 et le charge de plusieurs missions diplomatiques importantes. Cependant, malgré sa brillante carrière de diplomate2, comme l’affirme Roscoe3, sa fortune est plutôt liée à un livret de facture modeste qui jouit toutefois d’une forte diffusion et d’une très grande popularité : c’est La Calandra, sa seule pièce, qui a rendu célèbre son auteur. Cette comédie, considérée comme le chef-d’œuvre de Bernardo Dovizi, emprunte son nom à l’un de ses personnages : « Elle est appelée Calandra, de Calandro, personnage que vous trouverez si niais, que peut-être vous sera-t-il malaise de croire la Nature capable d’avoir jamais créé homme si niais4 ». Calandro est le personnage nigaud par excellence autour duquel se déroule l’action de la comédie. Les principaux modèles dont Bibbiena s’inspire pour composer sa pièce comique sont Les Ménechmes de Plaute et le Décaméron de Boccace5. Il puise chez ce dernier tous les éléments fonctionnels caractérisant les dialogues rapides et vifs de la langue toscane du Boccace monellesco6, c’est-à-dire l’espièglerie et la malice. Par exemple, des réparties, parfois métaphoriques, relèvent notamment de la sexualité et des insultes. De plus, Bibbiena emprunte à Plaute l’idée de jumeaux protagonistes dans l’intrigue, mais en y ajoutant la différence de sexe et les travestissements homme-femme, ce qui lui permet de donner lieu, tout au long de la pièce, à des quiproquos comiques dans les répliques des personnages7.
L’intrigue de La Calandra est fondée sur l’histoire d’un frère et d’une sœur, Lidio et Santilla, séparés l’un de l’autre en Grèce et qui, quelques années plus tard, par hasard et à leur insu, fréquentent à Rome les mêmes personnes. Santilla, qui après avoir fui la Grèce se travestit en homme et se fait appeler Lidio, est accueillie à Rome par un riche marchand : ce dernier, pensant qu’elle est un homme, veut la marier à sa fille. Son frère Lidio est amoureux de Fulvia, la femme de Calandro ; pour la fréquenter, Lidio se déguise en femme et se fait appeler Santilla. Calandro tombe amoureux d’elle, ignorant qu’il s’agit en réalité d’un homme. Pour véhiculer le caractère comique des dialogues, Bibbiena se sert de la langue débridée de Boccace8 et met en scène des personnages dont les caractéristiques respectives, l’ingéniosité du valet Fessenio, la naïveté de la servante Samia et la niaiserie de Calandro, donnent lieu à des réparties pleines de verve ainsi qu’à des situations audacieuses9. En effet, dans plusieurs passages de cette comédie, Fessenio s’adresse à son maître Calandro en le tutoyant et leurs interactions verbales sont bâties sur des insultes renvoyant souvent au monde animal. Dans d’autres passages, des échanges verbaux, entre Fessenio et Samia, débouchent sur des doubles sens érotiques exprimés par des métaphores comiques osées. Si ces éléments du comique verbal caractérisent certes la nature profonde et facétieuse de La Calandra et de l’esprit de cour du XVIe siècle, ils soulèvent néanmoins plusieurs problématiques, notamment sur le plan linguistique et culturel, dans les deux seules traductions françaises du XIXe siècle, qui demeurent les seules à ce jour : la première réalisée en 1835 par Théodore Muret et la seconde par Alcide Bonneau en 188710. En effet, comment ces traducteurs transposent-ils ce comique truculent dans la France de l’époque, dans un autre contexte et pour un tout autre public ? Pour répondre à cette question, nous présenterons les deux traducteurs, en tenant compte de leurs déclarations dans les préfaces respectives, pour ensuite étudier quelques exemples représentatifs concernant le corps humain et l’animalité, deux thématiques relevant de cette problématique.
Les traducteurs français de La Calandra
Le premier traducteur de la pièce, Théodore-César Muret, naît à Rouen en 1808 dans une famille protestante. Auteur dramatique de second rang, il est aussi critique théâtral, journaliste politique et littéraire auprès de quotidiens et de revues de l’époque (le Journal de Rouen, La Mode, La Quotidienne…)11. Le second traducteur est Alcide Bonneau, né à Orléans en 1836. Il débute dans le journalisme en province (le Journal du Loiret, le Messager de l’Allier), puis rédige des articles pour le Dictionnaire de la conversation et de la lecture à Paris en 1863, collaborant aussi à la Nouvelle Revue de Paris et au Grand Dictionnaire universel chez Larousse. Il se passionne pour l’Italie des XIVᵉ-XVIᵉ siècles et pour la littérature érotique (il traduit entre autres les Sonnets luxurieux et la première partie des Ragionamenti de Pierre l’Arétin, ainsi que les Facéties de Poggio Bracciolini, ouvrages publiés par son éditeur Isidore Liseux)12.
Dans la préface appelée « notice », précédant sa traduction de 1835, Muret déclare à propos de La Calandra :
Peu orthodoxe par le fond et d’une gaité de détails poussés souvent si loin, que nous avons dû la modifier en plus d’un passage. Il nous a fallu même en supprimer entièrement quelques plaisanteries dont se fût effarouché à bon droit notre public, même dans la solitude du cabinet, et qui cependant ne scandalisaient pas le pape Léon X et l’auguste assemblée des cardinaux collègues de l’auteur13.
Il en ressort que, pour le traducteur, certains aspects linguistiques et culturels de la pièce, propres au contexte italien spécifique du XVIe siècle, ne peuvent pas être traduits tels qu’ils le sont en France au XIXe siècle, à cause de la différence en matière de règles de bienséance14. En effet, pour ne pas effaroucher le public, Muret affirme avoir dû « supprimer entièrement quelques plaisanteries », qui n’auraient été concevables que dans la Rome du pape Léon X. Muret tient d’ailleurs à préciser : « Notre goût s’accommoderait peu des équivoques et des jeux de mots, fort nombreux dans La Calandra ; comme nos idées de décence repousseraient, et non sans raison, les crudités dont fourmille le texte original15 ». Il affirme encore : « Enfin l’on avait entouré de tout éclat possible cette comédie, dont plus d’un passage serait impossible à traduire décemment16 ».
Selon le traducteur, plusieurs passages de La Calandra – notamment ceux contenant des doubles sens érotiques ou ne respectant pas les normes de politesse dans les rapports sociaux – sont susceptibles d’enfreindre les règles de décence de l’époque. Pour cette raison, ils seraient, d’après le traducteur, impossibles à traduire sans être adaptés au goût du public. La traduction de Muret s’inscrit dans la collection « Théâtre européen », lancée en 1835 en seize tomes chez Guérin. Il s’agit de deux-cent-cinquante pièces traduites et accompagnées de notices et de notes historiques, biographiques et critiques rédigées par « une vingtaine de traducteurs […] dont certains sont des figures littéraires et politiques célèbres (Constant, Nodier, Villemain) […] ou bien […] des savants titulaires des premières chaires de littératures étrangères de la Sorbonne et du Collège de France (Philarète Chasles, Charles Magnin, Jean-Pierre Abel-Rémusat)17 ». L’objectif de la collection est certainement celui de faire découvrir au public des pièces de théâtre en français (parfois inédites comme dans le cas de La Calandra), mais selon une tendance générale visant à prouver la supériorité de la littérature française par rapport à celles produites par des auteurs étrangers18.
La seconde traduction, par Alcide Bonneau, porte le sous-titre « nouvelle et littérale » et paraît chez Liseux en 1887. La préface précédant sa traduction, intitulée « Avertissement », ne présente aucune déclaration explicite et détaillée concernant une théorie traductive de la part de Bonneau. Il indique seulement que « il existait déjà une traduction française de La Calandra dans la collection du ‟Théâtre européen” de Théodore Muret (Paris 1835), mais elle est loin d’être littérale, et l’on y a même supprimé, avec intention, plusieurs passages »19. Nous pouvons ainsi en déduire que les démarches des deux traducteurs sont résolument opposées : Muret traduit dans la première moitié du XIXᵉ, en 1835. Il s’agit donc de la première traduction française de La Calandra tandis que Bonneau opère dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, en 1887, et retraduit cette pièce en ayant sous les yeux la version précédente. De plus, les contextes éditoriaux de ces deux traductions sont très différents, car dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, plutôt que de publier dans des collections comme le « Théâtre européen », éditées en fascicules et en livraisons, on privilégie une relation stable et exclusive entre un auteur (ou un traducteur) et son éditeur. Le public est donc plus restreint, constitué d’amateurs plus exigeants quant à la qualité du format et au respect du contenu20.
Comme le souligne Paule Adamy, Bonneau partageait avec son éditeur Liseux un athéisme découlant de la pensée selon laquelle toutes les religions étaient le fruit d’un esprit humain dévoyé21. La Calandra, dont il appréciait les attaques contre le catholicisme à l’italienne22, devait certainement représenter, aux yeux de ce traducteur, une pièce vivante et licencieuse, qui racontait les mœurs italiennes de l’époque de Léon X, et qui méritait d’être connue en traduction littérale, et donc fidèle au texte original, par un public d’amateurs passionné par les curiosités littéraires. C’est très probablement pour cette raison qu’en 1887 Bonneau traduit La Calandra de Bibbiena, pièce qui formait un petit ensemble avec La Mandragore de Machiavel23.
Méthodologie et présentation des exemples de traduction
On illustrera maintenant quelques exemples représentatifs de ce comique transgressif tirés du texte de La Calandra, ainsi que leur traduction. Chaque exemple sera d’abord présenté en langue originale ; ensuite sera donnée la traduction de Muret puis celle de Bonneau. Chaque exemple sera accompagné d’un commentaire, visant à le contextualiser, à mettre en lumière la problématique spécifique de traduction, ainsi que les différents choix traductifs caractérisant la démarche de chaque traducteur, selon sa position et son projet. La référence bibliographique principale pour le texte original est celle consultée par le premier traducteur, Théodore Muret, qui la cite dans sa préface : l’édition florentine publiée chez Giunti en 155824. Nous avons retranscrit le texte de cette édition en utilisant les caractères topographiques modernes correspondants.
Le premier exemple examiné est tiré de la scène 2 de l’acte IV et contient l’une des nombreuses occurrences de doubles sens érotiques dont La Calandra fourmille25. Fulvia est en train d’expliquer à Rufo le magicien qu’il doit absolument rendre son membre viril à Lidio, son amoureux. Ce vœu de Fulvia est énoncé sous forme d’image métaphorique : (rendere a Lidio) il coltel della guaina mia signifie « remettre à sa place le pénis de Lidio », qui d’après elle a été amputé frauduleusement, à savoir sans qu’on la prévienne. Elle estime que le couteau qu’on lui a volé est la propriété de sa propre gaine. Or, même du point de vue étymologique26, le mot gaine vient du substantif latin vagīnam qui renvoie au vagin de la femme27. Les deux organes sexuels sont désignés à travers une métaphore in absentia, car seuls les comparants sont marqués dans le discours28. En outre, ces derniers sont présentés dans leur relation métonymique29 réciproque, en tant que termes véritablement présents dans la répartie : l’un étant le contenu, le mot coltello (« couteau ») et l’autre le contenant, le mot guaina (« gaine »). Cette relation de contiguïté est renforcée par le complément du nom ainsi que par le possessif « mia », qui permettent à la locutrice Fulvia de revendiquer la gaine comme sa propriété, de même que son contenu. Normalement, la gaine évoque une enveloppe protégeant un objet, mais ici, le déplacement figuré met en scène une relation métonymique dont l’iconicité est fort parlante30.
La prima cosa che se gli renda il coltel della guaina mia, intendi31.
Mon premier vœu, c’est qu’on rende à mon amant… vous comprenez32 ?
La première chose, c’est qu’on lui rende le couteau de ma gaîne ; as-tu compris33 ?
Puisque l’image explicite de l’acte sexuel comme pénétration du corps féminin effaroucherait et scandaliserait d’après lui le public de son époque, Muret opte pour une censure totale de la métaphore métonymique, remplacée par des points de suspension. En réalité, les points de suspension de Muret se substituent, en le censurant, au membre viril in absentia, comme s’il était innommable. Cette omission fait certainement échapper au lecteur de l’époque l’un des aspects les plus comiques de la comédie du XVIe siècle à savoir, précisément, le double sens obscène et équivoque de nature sexuelle34. Bonneau, en revanche, traduit littéralement ce passage en préservant les figures rhétoriques contenues dans le texte original.
Dans l’exemple suivant, tiré de la scène 10 de l’acte III, les allusions à l’acte sexuel se transforment en obscénités exagérées puisqu’elles sont prises en charge par des personnages de rang social inférieur. En effet, dans ce cas, le caractère comique transgressif du dialogue découle du langage naïf de Samia, la servante de Fulvia, pour qui l’amour n’est qu’un plaisir charnel35. La transgression comique résulte également des répliques malicieuses du valet Fessenio, ingénieux et rusé. Ce dernier souhaite se rendre chez Fulvia pour lui faire savoir que son mari Calandro la trahit avec une courtisane nommée Sofilla (rencontre dont le valet est même l’organisateur). Fessenio frappe donc à la porte de Fulvia, mais sa servante Samia n’arrive pas à lui ouvrir. C’est à partir de ce moment que se produisent des doubles sens érotiques, dans une métaphore filée assez articulée, dont le comique perdure tout au long de la scène36. Cette scène 10 se joue autour de doubles sens érotiques à caractère métaphorique liés, comme pour le « couteau de la gaine », à l’iconicité métonymique des pratiques sexuelles : « mettere la chiave nella toppa » (mettre la clé dans la serrure), « non truovo il buco » (je ne trouve pas le trou), « il buco è pieno » (le trou est bouché), « squoto quanto posso » (je secoue tant que je peux)37, « laudato sia il manico della vanga » (béni soit le manche de la bêche), « ho unta tutta la chiave perche meglio apra » (j’ai bien graissé la clef, pour qu’elle ouvre mieux). Voici l’extrait entier en question :
Fessenio: Perche non apri?
Samia: Io mi alzo per metter la chiave nella toppa.
Fessenio: Presto se vuoi.
Samia: Non truovo il buco.
Fessenio: Hor escine.
Samia: Ee, ehime, non si può anchora.
Fessenio: Perche?
Samia: Il buco è pieno.
Fessenio: Soffia nella chiave.
Samia: Fo meglio.
Fessenio: Che?
Samia: Scuoto quant’io posso.
Fessenio: Che indugi?
Samia: Ooo, laudato sia il manico della vanga, Fessenio, c’ho fatto il bisogno, e ho tutta unta la chiave perche meglio apra38.
Fessenio : Pourquoi n’ouvres-tu pas maintenant ?
Samia : Je me lève pour mettre la clé dans la serrure.
Fessenio : Dépêche-toi.
Samia : Je ne trouve pas le trou.
Fessenio : Sors donc.
Samia : Aïe…aïe…je ne le puis encore.
Fessenio : Pourquoi ?
Samia : Le trou est bouché.
Fessenio : Souffle dans la clé.
Samia : Je fais encore mieux.
Fessenio : Que fais-tu donc ?
Samia : Je la secoue autant que je puis.
Fessenio : Que de délais !
Samia : Ah ! voilà qu’à force de peine, j’en suis venue à bout ; j’ai graissé la clé pour qu’elle ouvre mieux39.
Fessenio : Pourquoi n’ouvres-tu pas ?
Samia : Je me lève mettre la clef dans la serrure.
Fessenio : Vite, s’il te plaît.
Samia : Je ne trouve pas le trou.
Fessenio : Allons, sors donc.
Samia : Holà ! holà ! je ne puis pas encore.
Fessenio : Pourquoi ?
Samia : Le trou est bouché.
Fessenio : Souffle dans la clef.
Samia : Je fais mieux.
Fessenio : Quoi donc ?
Samia : Je secoue tant que je peux.
Fessenio : Que tardes-tu ?
Samia : Oh ! oh ! oh ! Béni soit le manche de la bêche, Fessenio ! J’ai fait ce qu’il fallait et bien graissé la clef, pour qu’elle ouvre mieux40.
Pour transposer ces aspects de comique transgressif en français, où tous les éléments comparés, corporels et sexuels, sont à nouveau in absentia et où les métaphores réitératives constituent un climax, la traduction doit nécessairement parvenir à reproduire les images métaphoriques présentes dans le texte d’origine. La dernière réplique de ce passage, bâtie sur le double sens érotique de la clef qui ne veut pas entrer dans le trou de la serrure, est finalement censurée par Muret. Celui-ci, pour ne pas contrevenir aux règles de la bienséance, remplace en clausule la louange adressée à l’objet magique, le manche de la bêche qui a fait le miracle d’ouvrir la porte, par un pauvre présentatif « voilà qu(e) » et une locution adverbiale autour du mot « peine », détruisant ainsi l’aspect comique final de la scène :
Samia: Ooo, laudato sia il manico della vanga, Fessenio, c’ho fatto il bisogno, e ho tutta unta la chiave perche meglio apra41.
Samia : Ah ! voilà qu’à force de peine, j’en suis venue à bout ; j’ai graissé la clé pour qu’elle ouvre mieux42.
En effet, c’est justement cette dernière réplique de Samia qui exalte, en exagérant, le parallélisme métaphorique et érotique liant l’ouverture de la porte à des actes sexuels : c’est uniquement après avoir fait ce qu’il était nécessaire de faire avec le manche de la bêche (« c’ho fatto il bisogno », dit Samia), que la porte pourra s’ouvrir. Pour accéder au sésame, la clef se transforme donc, à condition d’augmenter ses dimensions, en manche. En remaniant cette dernière réplique de Samia, la traduction de Muret vise encore une fois à adoucir, comme il le dit dans sa préface, les quelques plaisanteries dont le public se scandaliserait. Quant à Bonneau, il traduit ce passage de manière littérale, en gardant la métaphore filée jusqu’à la fin du dialogue entre Samia et Fessenio, ainsi qu’en traduisant l’objet magique que Muret censure, avec son équivalent en français. Sa traduction littérale s’avère être, dans ce cas également, une bonne stratégie visant à préserver les images métaphoriques filées et leurs relations métonymiques qui font le sel du comique de cette scène.
Un autre exemple de double sens érotique se trouve à la scène 12 de l’acte III, moment de l’intrigue où Fulvia découvre que Calandro, son mari, voudrait la tromper avec (la fausse) Santilla. Dans ce passage, entièrement emprunté au Décaméron43, on trouve l’expression « scaricare le some altrove » qui, dans ce contexte, est une métaphore à connotation sexuelle. En effet, le mot some, pluriel de soma (somme), nous renvoie au premier abord à l’image d’une bête de somme portant des fardeaux, et en particulier à l’âne. Dans la pièce, cet animal fait l’objet de plusieurs réparties méprisantes, en particulier concernant Calandro44. Par le biais d’un langage figuré, Fulvia associe son mari à une bête de somme certes vigoureuse et prête au combat amoureux, mais aussi ignorante et sotte, puisqu’en réalité Calandro se tourmente bêtement pour être aimé par une fausse Santilla (il s’agit en réalité de Lidio déguisé en femme). Par conséquent, cette métaphore véhicule à la fois l’amour charnel et bestial de Calandro, car « scaricare le some altrove » symbolise métaphoriquement, in absentia, les testicules et l’éjaculation par la verge, mais également la niaiserie hyperbolique qui caractérise ce personnage. Fulvia accuse en effet son mari Calandro de la négliger sexuellement puisqu’il libère sa fougue amoureuse ailleurs avec (la fausse) Santilla. Voici le passage en question :
Hor so perche le notti passate non mi ti sei mai appressato, come quello c havendo a scaricare le some altrove, volevi arrivare fresco Cavaglieri in battaglia45.
Ah ! ah ! je sais maintenant pourquoi, ces dernières nuits, tu as été si froid avec moi ! C’était pour une autre femme que tu réservais toute ton ardeur ; tu voulais te garder tout frais et tout vaillant pour cet amoureux combat46 !
Je vois maintenant pourquoi ces nuits dernières tu ne t’approchais pas seulement de moi ; ayant à décharger tes ballots ailleurs, tu voulais arriver tout frais cavalier à la bataille47.
La traduction de Muret censure toute allusion métaphorique à l’animalité, estompant ainsi indéniablement la connotation corporelle et érotique de l’image du texte de départ. Toutefois, il laisse bien entendre, à travers l’expression « c’était pour une autre femme que tu réservais toute ton ardeur », la virilité ainsi que l’amour adultère de Calandro. Bonneau opte en revanche pour une tournure plus littérale de ce passage. Il maintient l’image métaphorique et animale, en choisissant un verbe correspondant à scaricare, tel que « décharger », et un mot tel que « ballots », pour remplacer some dans le sens de « charge, somme ».
Les exemples qui suivent permettent de comprendre dans quelle mesure la traduction du comique de La Calandra relève aussi d’une problématique sociologique lorsque les insultes sont échangées entre un valet et son maître48. Dans ce passage tiré de la scène 9 de l’acte II, Fessenio insulte Calandro en l’appelant buaccio (littéralement « mauvais bœuf »)49. En effet, l’ingénieux valet vient d’organiser un bon tour à son maître, en lui expliquant que pour rencontrer Santilla (qui en réalité sera la mérétrice Sofilla), il suffit d’accomplir une sorte de rituel funèbre, insensé et absurde : accepter de mourir en se plaçant dans un coffre étroit, et ressusciter ensuite chez Santilla, sans éveiller ainsi de soupçons. Intéressé par cet enchantement magique, Calandro demande à son valet si, une fois arrivé à destination, il pourra aussitôt ressusciter. C’est à ce moment que Fessenio, en se moquant de sa bêtise, le traite d’animal (buaccio), et lui répond qu’il pourra ressusciter à sa guise. Le terme buaccio avec le suffixe péjoratif -accio désigne une personne sotte et ignorante. Ce terme, utilisé ici comme insulte, est un péjoratif dérivé du mot bue (bœuf) et il est employé de toute évidence pour souligner le mépris de Fessenio vis-à-vis de la bêtise de son maître. Voici l’extrait :
Calandro: Certo io l’ho ben caro, e hor saprò morire; e rivivere a mia posta.
Fessenio: Madesí padron buaccio50.
Calandro : J’en suis enchanté. Désormais je pourrai donc mourir et revivre à ma fantaisie ?
Fessenio : Certainement, mon cher maître51.
Calandro : Certes, je l’apprécie, et maintenant je saurai mourir et ressusciter à volonté.
Fessenio : Ma foi oui, mon gros bœuf de patron52.
Dans la traduction en français réalisée par Muret, cette image renvoyant au bœuf est entièrement gommée et remplacée par « mon cher maître », une périphrase riche en politesse, sans doute simplement employée de manière ironique, mais Muret n’a manifestement pas osé donner à voir un valet traitant son maître d’animal. Sa traduction veille encore une fois à préserver le respect des règles de bienséance régissant les rapports entre personnages de rang social différent53. Bonneau, en revanche, par sa traduction qui reste bien plus littérale, arrive presque à rétablir les éléments présents dans le texte de départ, y compris le suffixe péjoratif -accio qui est rendu avec un équivalent approximatif, l’adjectif « gros », chargé d’une forte portée phonologique, morphologique et sémantique.
Dans le dernier exemple choisi, tiré de la scène 4 du premier acte, Calandro est en train d’expliquer à son valet qu’il vient de voir Santilla et qu’il a besoin de son aide car il ne se sent pas bien. Fessenio, en faisant semblant d’avoir mal interprété la phrase de son maître, et voulant le taquiner, s’adresse à lui en le tutoyant, pour lui demander s’il a, par hasard, de la fièvre. Dans le texte original, le tutoiement est réciproque, il concerne le valet et le maître. C’est à ce moment que Calandro s’énerve contre lui et l’insulte avec l’appellation péjorative à connotation animale bufalo (« buffle »). Voici le passage en question :
Calandro: Certo, Fessenio, aiutami, che io sto male.
Fessenio: Ohime, padrone, hai la febbre? mostra.
Calandro: No, o, o, che febbre, bufalo dico che Santilla m’ha concio male54.
Calandro : Certes, Fessenio, j’ai besoin de ton aide, car je suis bien malade.
Fessenio : Bon Dieu ! mon maître, avez-vous la fièvre ? ... voyons un peu.
Calandro : Du tout, du tout. Que parles-tu de fièvre ? Je dis que Santilla m’a mis dans un étrange état55.
Calandro : Certes, Fessenio. Assiste-moi, car je suis bien malade.
Fessenio : Holà, patron ! As-tu la fièvre ? montre.
Calandro : No-o-on, quelle fièvre, gros buffle ? Je dis que Santilla m’a mal accommodé56.
Dans la traduction de Muret, Fessenio s’adresse à Calandro en l’appelant « mon maître » en signe de respect et de soumission ; il le vouvoie et semble véritablement inquiet pour son état physique, comme l’interjection « Bon Dieu ! » en témoigne. En outre, l’insulte bufalo que le maître a adressé à son valet disparaît du texte. Le valet Fessenio vouvoie constamment son maître Calandro, alors que ce dernier le tutoie, mais le traducteur ne peut pas non plus, au nom de la bienséance, mettre en scène un maître insultant son serviteur. La censure de Muret supprime également les paroles vulgaires du maître, car « en principe, les maîtres sont tenus, eux aussi, de respecter leurs domestiques : il existe à cet égard une certaine symétrie, que rappellent au XIXe siècle tous les auteurs de manuels57 ». Bonneau, quant à lui, permet à Fessenio de tutoyer Calandro, comme dans le texte original en langue italienne et renforce l’insulte de Calandro à Fessenio avec l’ajout de l’adjectif « gros » qui, dans le contexte énonciatif, est immotivé et sémantiquement inexact.
Ces quelques exemples tirés de La Calandra révèlent qu’au XIXe siècle cette comédie se prête à deux sortes de réception en France. En conséquence, les choix de traduction opérés par Muret et par Bonneau découlent dans l’un et dans l’autre cas d’une stratégie éditoriale précise. Cette dernière n’est donc pas exclusivement liée à la nature du texte à traduire, mais plutôt, comme le soutient Antoine Berman58, au projet même du traducteur, lequel est en parfaite adéquation avec les exigences de son éditeur, à l’instar du cas de Bonneau ; ou bien, en ce qui concerne Muret, en cohérence avec la lignée de la politique éditoriale de la collection dans laquelle s’insère le texte cible.
En ce qui concerne la collection « Théâtre européen », dans laquelle paraît la traduction de Muret, le but était manifestement de faire découvrir au public français l’un des chefs-d’œuvre du théâtre italien du XVIe siècle, encore inédit en français ; mais en utilisant toutefois une langue soigneusement filtrée ainsi qu’une traduction-adaptation permettant de rendre acceptable auprès d’une société française respectueuse de la bienséance, une comédie considérée comme trop grossière et licencieuse pour le début du XIXe siècle. C’est pour cette raison que Muret doit censurer des métaphores métonymiques renvoyant in absentia au membre viril de Lidio et au vagin de Fulvia (il coltel della guaina mia), en estomper d’autres qui dissimulent des doubles sens érotiques exagérés, tels que « laudato sia il manico della vanga » (« béni soit le manche de la bêche »), ou encore gommer complétement des expressions désignant Calandro comme animal très bête, traité d’âne par sa femme Fulvia (havendo a scaricare le some altrove), tutoyé et taquiné par son valet Fessenio (padrone, hai la febbre ? mostra ; Madesí, padron buaccio). Muret, respectueux des bienséances, ne permet pas d’ailleurs que Calandro, un maître, ait un langage injurieux, impoli et qu’il s’adresse à son valet avec des insultes, ni que le valet soit outrancier en s’adressant à son maître. Muret estime ainsi nécessaire de censurer des insultes au sein desquelles un personnage est traité d’animal mauvais ou sauvage et poilu, à l’instar des termes buaccio et bufalo, par exemple.
La traduction de Muret semble refléter, comme l’explique Georges Mounin, « ce culte de la traduction dite élégante, qui ne fut que le culte de la traduction conforme aux bienséances d’une forme sociale donnée »59. Cependant, par le biais de ces choix, les dialogues comiques transgressifs de La Calandra ne sont souvent pas perceptibles à la lecture de la traduction française de Muret. On constate, dans tous les exemples étudiés, une perte de la verve comique, qui découle d’un appauvrissement sémantique du texte. Souvent, les jeux de mots érotiques ou liés à l’animalité restent obscurs, maladroits, et le caractère de certains personnages en est dénaturé. Fessenio, par exemple, est un personnage qui se démarque de son rôle de serviteur dès les premières lignes du texte original italien car, bien que simple valet, il agit en homme libre et s’impose finalement grâce à son ingéniosité, se détachant ainsi des figures de serviteurs dévoués à leur maître, tels que Volpino ou Pseudolo, emblématiques des pièces de Plaute. En censurant ou en estompant tous les éléments comiques caractérisant La Calandra, pour la rendre conforme aux bienséances, Muret échoue dans la traduction des aspects fortement comiques de la pièce du cardinal Bibbiena. Le lecteur français du début du XIXᵉ siècle n’aura donc pas rencontré ces plaisanteries piquantes, caractérisant cette comédie de la Renaissance.
En revanche, en ce qui concerne Bonneau, on peut avancer qu’il s’agit là d’une traduction « nouvelle et littérale », comme annoncé dans le sous-titre de l’édition Liseux de 1887 : une traduction littérale visant à sauvegarder les traits caractéristiques de l’œuvre étrangère (images métaphoriques, style vif et piquant, comique grossier), en accord avec son projet et avec celui de Liseux, son éditeur, spécialisé en littérature érotique et libertine. Le but de Bonneau était celui de faire connaître, à un public restreint d’amateurs de curiosités littéraires, une comédie graveleuse du XVIe siècle. Ses lecteurs n’allaient certainement pas être effarouchés face aux passages contenant des doubles sens érotiques, ni choqués devant un valet qui ne vouvoie pas son maître. Au contraire, ils étaient désireux de connaître intégralement cette comédie grivoise, et sans doute – à la différence de Muret préfacier de sa traduction –curieux d’apprendre que, lors de la représentation donnée à la cour papale, la pièce n’avait scandalisé ni le pape Léon X, ni l’auguste assemblée des cardinaux, tous collègues de l’auteur.
Notes
1Entrée « Dovizi, Bernardo, detto il Bibbiena » par Giorgio Patrizi dans le Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 41, 1992. https://www.treccani.it/enciclopedia/dovizi-bernardo-detto-il-bibbiena_(Dizionario-Biografico)/ ; la monographie de G. L. Moncallero, Il cardinal D. da Bibbiena umanista e diplomatico (1470-1520), Florence 1953 ; Carlo Dionisotti, Ricordo del Bibbiena, in Id., Machiavellerie, Turin, Einaudi, 1980, p. 155-72 (déjà publié en 1969 dans la revue Rinascimento, 9, sous le titre « Ritratto del Bibbiena », p. 51-67) ; cf. également le récent catalogue Il Bibbiena. Un cardinale nel Rinascimento d’Antonio Paolucci, 2014.
2Franco Gaeta, « Il Bibbiena diplomatico », Rinascimento, 9, 1969, p. 69-94 ; Giuseppe Lorenzo Moncallero, Epistolario di Bernardo Dovizi da Bibbiena, vol. 1 (1490-1513) et 2 (1513-1520), Florence, Olschki, 1955 et 1965.
3William Roscoe, Vita e pontificato di Leone X, éd. Luigi Bossi, Milan, tipografia Sonzogno, 1816, tome IV, p. 65. L’editio princeps date de 1521. Dans cet article, nous citerons l’édition originale suivante puisque c’est celle qui est utilisée par les traducteurs français : Calandra Comedia di M Bernardo da Bibiena che fu poi Cardinale Nuovamente ristampata e corretta in Fiorenza, Giunti, 1558. Dorénavant : Calandra Giunti 1558, suivi de la page citée. L’édition critique de référence est celle de Giorgio Padoan, La Calandra : commedia elegantissima per messer Bernardo Dovizi da Bibbiena, Padoue, Antenore, 1985. Nous rappelons que la date précise de la première mise en scène de La Calandra, le 6 février 1513, est mentionnée dans le manuscrit Vaticano Urbinate Latino 490, c. 193v. La pièce a été représentée en septembre 1548 à Lyon, aux frais de la natione fiorentina, à l’occasion des célébrations de l’entrée dans cette ville d’Henri II et de son épouse Catherine de Médicis. Pour approfondir le sujet des représentations, se reporter par exemple au récent article de Paola Cosentino, « Da Urbino a Roma : la Calandra del Bibbiena e le sue rappresentazioni », in Giuseppe Crimi et Luca Marcozzi (dir.), Tutto il lume della spera nostra. Studi per Marco Ariani, Rome, Salerno editrice, 2018, p. 269-279. Voir également l’annexe II : « Descrizioni di recite cinquecentesche della Calandra », p. 203-236 de l’ouvrage de Giorgio Padoan, La Calandra : commedia elegantissima…, op.cit.
4Alcide Bonneau, « Prologue », in La Calandra, comédie du Cardinal Divizio de Bibiena (XVIe siècle), traduction nouvelle et littérale par Alcide Bonneau, Paris, Liseux, 1887, p. 3. Dorénavant : Bonneau 1887, référence suivie de la page citée. Nous avons choisi de citer à partir d’une des traductions dont il sera question, car il s’agit de la plus récente. En outre, elle est la plus claire et la plus fidèle au texte original.
5Pour approfondir ce sujet, voir : Francesco De Sanctis, Storia della letteratura italiana, Naples, Morano, 1879, vol. II, p. 100-101 ; Franco Ruffini, Commedia e festa nel Rinascimento, Bologne, Il Mulino, 1986, p. 118 ; La Calandra commedia elegantissima per Messer Bernardo Dovizi da Bibbiena, texte critique de Giorgio Padoan, op. cit., p. 13-34 ; Bianca Concolino Mancini Abram, « Da Calandrino a Calandro. Variazioni sul tema della beffa », Quaderns d’Italià, 14, 2009, p. 13-21.
6Luigi Russo, Commedie fiorentine del Cinquecento, Florence, Sansoni, 1939, p. 141-142.
7Parmi les nombreux travaux sur la traduction de l’humour et du comique verbal, voir : Anne-Marie Laurian et Don Nilsen, Meta : journal des traducteurs, 34, 1, 1989, en particulier, Anne-Marie Laurian, « Humour et traduction au contact des cultures », p. 5-14 ; Anne-Marie Laurian et Thomas Szende (dir.), Les mots du rire, comment les traduire : essais de lexicologie contrastive, Berlin, Peter Lang, 2001 ; Fabrice Antoine et Mary Wood, Traduire l’humour, Lille, Université Charles de Gaulle, 1998 ; Jacqueline Henri, La traduction des jeux de mots, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2003 ; Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), « Traduire l’humour », Humouresques, 34, 2011 ; Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), « Adapter le comique et l’humour », Humouresques, 37, 2013 ; Frédérique Brisset, Audrey Coussy, Ronald Jenn, Du jeu dans la langue. Traduire le jeu de mots, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2019.
8Sur la langue de Boccace voir par exemple Paola Manni, La lingua di Boccaccio, Bologne, Il Mulino, 2016.
9Sur le rapprochement entre la langue de Bibbiena et celle de Boccace, voir Luigi Russo, Commedie fiorentine del Cinquecento, op. cit., p. 141-142. Pour l’analyse des personnages de Fessenio, Samia et Calandro, cf. l’introduction de Giorgio Padoan à La Calandra, op. cit., p. 26-33. Dorénavant : Calandra Padoan 1985, référence suivie de la page citée.
10Cardinal Bibbiena, La Calandra, trad. de Théodore Muret, in Théâtre italien, Paris, Guérin et Cie (« Théâtre européen, nouvelle collection des chefs-d’œuvre des théâtres allemand, anglais, espagnol, danois, français, hollandais, italien, polonais, russe, suédois, etc. »), 1re série, tome I, 1835, p. 44-49. Dorénavant : Muret 1835, référence suivie de la page citée, Bonneau 1887, op. cit.
11Cf. également Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, vol. 2, 1870, p. 1324.
12Paule Adamy, Isidore Liseux 1835-1894. Un grand « petit éditeur », histoire & bibliographie par Paule Adamy, Bassac, 2009, p. 44-46.
13Théodore Muret, « Notice », in Muret 1835, p. 47.
14Cf. à ce sujet Frédéric Rouvillois, Histoire de la politesse de la Révolution à nos jours, Paris, Flammarion, 2008, notamment le chapitre II « L’âge d’or de la politesse bourgeoise (1800-1914) », p. 81-313. Pour un panorama de l’histoire de la censure en France, voir : Laurent Martin, Histoire de la censure en France, Paris, Que sais-je ? / Humensis, 2022 ; Michèle Rosellini, « Censure et ‟honnêteté publique” au XVIIe siècle : la fabrique de la pudeur comme émotion publique dans le champ littéraire », Littératures classiques, 68, p. 71-88. Même s’il traite du siècle précédent, cet essai propose une analyse approfondie du concept de pudeur, resté en vigueur jusque dans les premières décennies du XIXe siècle ; Jean-Yves Mollier, « La censure en France au XIXe siècle » in Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 121, n° 2, 2009, p. 331-340. Pour une lecture contemporaine du concept de bienséance voir : Jean-Yves Vialleton « Les bienséances : concept intraduisible ou notion apocryphe ? », Littératures classiques, vol. 96, n° 2, 2018, p. 63-72 ; Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain : littérature, droit et morale en France (XIXe-XXIe siècles), Paris, Seuil, 2011. Sur l’idée de pudeur publique voir : Marcela Iacub, Par le trou de la serrure. Une histoire de la pudeur publique (XIXe-XXe siècle), Paris, Fayard, 2008. Pour le concept de « scandale », voir : Lise Manin, « Enquête sur les corps dénudés au XIXe siècle. Les insuffisances du scandale », Hypothèses, vol. 16, n° 1, 2013, p. 179-190.
15Ibid., p. 48.
16Ibid.
17Cf. Yves Chevrel, Lieven d’Hulst et Christine Lombez (dir.), Histoire des traductions en langue française XIXe siècle, 1815-1914, Lagrasse, Verdier, 2012, p. 464.
18C’est le cas, par exemple, de la notice d’Étienne Aignan pour Goldoni, de celle d’Amédée Pichot pour Volpone de Ben Jonson, de celle pour Le Mariage clandestin de Garrick et Colman, ou de celle de Marmier pour Le Potier d’Étain, comédie d’Holberg. Ces préfaces établissent un parallèle avec le théâtre de Molière, bien supérieur d’après elles aux autres théâtres européens. La préface au Médecin de son honneur de Calderón de La Barca est une exception, car selon Muret (La Quotidienne du 5 novembre 1835, p. 3) la pièce présente des « cavaliers castillans […] vaillants, fiers, pleins d’honneurs », pourvus donc de nobles valeurs morales, en syntonie avec l’esprit français de l’époque.
19Bonneau 1887, p. XIX.
20Cf. Roger Chartier, « Auteurs et éditeurs, libraires et bibliothèques », in Histoire de l’édition française, le temps des éditeurs : du Romantisme à la Belle Époque, tome III, Paris, Fayard Cercle de la Librairie, 1990, p. 134. Cf. également Odile et Henry-Jean Martin, « Le monde des éditeurs », in Histoire des traductions en langue française. XIXᵉ siècle, op. cit., p. 218.
21Paule Adamy, op. cit., p. 68.
22Ibid., p. 474.
23La traduction « nouvelle et littérale » de Bonneau a été commercialisée dans une édition à tirage unique de deux-cent-cinquante exemplaires, imprimée par Charles Usinger ; le prix était de quinze francs par souscription.
24Comme cette édition Giunti 1558 ne reprend pas clairement le découpage par scènes de la pièce et afin de prendre en compte cette structure, nous avons également pris comme texte de référence celui déjà cité de Giorgio Padoan 1985, dans lequel le découpage par scènes est bien présent.
25À ce propos, Carlo Fanelli estime que toute l’action de La Calandra tourne autour de l’allusion érotique, au point de lire dans la composante sexuelle le véritable deus ex machina de l’histoire, en tant qu’élément déclencheur et justification de chaque action. Cf. Carlo Fanelli, La Calandria. Tematiche e simbologia, Florence, Libri Atheneum, 1997, p. 72.
26Cf. entrée « gaine » dans Alain Rey et Josette Rey-Debove (dir.), Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française Le Petit Robert, Paris, Rioud Sattouf, p. 1122.
27Le dictionnaire de Salvatore Battaglia indique que le mot guaina désigne un étui, le plus souvent en métal ou en cuir, dans lequel sont conservés l’épée ou le poignard et, plus généralement, toute arme ou tout instrument tranchants. Il signale également que ce mot peut avoir la signification obscène de « vagin » chez Bibbiena ainsi que chez l’Arétin. Cf. entrée « guaina » in Salvatore Battaglia, Grande dizionario della lingua italiana, tome. VII, p. 95.
28George Molinie, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Librairie Générale Française, 1992, p. 214.
29Ibid., p. 217. Au sujet de la métonymie, voir également : Richard Arcand, Jeux verbaux et créations verbales, Malakoff, Armand Colin, 2017, p. 232.
30La métaphore ainsi que d’autres figures de style sont des éléments traditionnels de la facétie. Cf. Henri Weber, « Deux théoriciens de la facétie : Pontano et Castiglione. Discussion », Bulletin de l’Association d’étude sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, n° 7 (« Facétie et littérature facétieuse à l’époque de la Renaissance »), éd. Verdun Louis Saulnier, 1977, p. 76.
31Calandra Giunti 1558 (acte IV, scène 2), p. 31v.
32Muret 1835, p. 79.
33Bonneau 1887, p. 143.
34Giuseppe Antonelli, « Aspetti linguistici della commedia italiana del Cinquecento », in Verba XXV, Anuario Galego de Filoloxía, vol. 25, 1998, p. 57.
35Sur la conception de l’amour charnel de Samia voir : Giorgio Padoan, Il Boccaccio, le Muse, il Parnaso e l’Arno, Florence, Olschki, 1978, p. 59-72.
36Pour approfondir la notion de « métaphore filée », voir Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Malakoff, Armand Colin, 2019, p. 88.
37Cf. Boccace, Décaméron, III, IV : « Gnaffe, marito mio, io mi dimeno quanto io posso ». Dans ce dialogue de Bibbiena, on retrouve une répartie de Boccace dans une version plus comique et théâtrale.
38Calandra Giunti 1558 (acte III, scène 10), p. 24v.
39Muret 1835, p. 72.
40Bonneau 1887, p. 109-111.
41Calandra Giunti 1558 (acte III, scène 10), p. 24v.
42Muret 1835, p. 72.
43Cf. Décaméron, III, 6. Sur le rapport entre sexualité et religion dans le Décaméron, voir : Alessandro Vettori, « Religio amoris. Il sesso come rituale religioso nel Decameron », Testo e senso, n° 14, 2013, p. 2-20.
44L’utilisation métaphorique du mot « âne » en tant qu’insulte se retrouve dans le Décaméron : asino fastidioso e ebriaco II, 5, 53, mercantuzzo di feccia d’asino VII, 8, 46. Cf. Paola Manni, Storia della lingua italiana. Il Trecento toscano, Bologne, il Mulino, 2003, p. 293-294. Pour le mot « âne » utilisé comme insulte, voir aussi l’entrée « àsino » in Salvatore Battaglia, Grande dizionario della lingua italiana, tome I, p. 732.
45Calandra Giunti 1558 (acte III, scène 12), p. 25r.
46Muret 1835, p. 72.
47Bonneau 1887, p. 113.
48Cf. à ce sujet, Frédéric Rouvillois, op. cit., p. 141-149.
49Concernant le vocabulaire injurieux de nature animale, cf. Giovanna Alfonzetti, Margherita Spampinato Beretta, « Gli insulti nella storia dell’italiano. Analisi di testi del tardo medioevo », in Pragmatique historique et syntaxe, Bonn, Peter Lang, 2009, p. 14-15 (pour les suffixes péjoratifs, p. 16 notamment). Autour des suffixes altératifs cf. Lavinia Merlini Barbaresi, « Alterazione », in Maria Grossmann et Franz Rainer (dir.), La formazione delle parole in italiano, Tübingen, Niemeyer, 2004, p. 264-292 (pour le suffixe -accio en particulier p. 289-290).
50Calandra Giunti 1558 (acte II, scène 9), p. 18v.
51Muret 1835, p. 65.
52Bonneau 1887, p. 78.
53Cf. à ce sujet : Baronne Staffe, Usages du Monde, Règles du savoir-vivre, notamment le chapitre « Rapports avec les serviteurs », Paris, Flammarion, 1899, p. 270-277. Ces règles perdurent jusqu’à la fin du XIXe siècle.
54Calandra Giunti 1558 (acte I, scène 4), p. 9r.
55Muret 1835, p. 55.
56Bonneau 1887, p. 30.
57Frédéric Rouvillois, op. cit., p. 147.
58Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Gallimard, 1995, p. 76.
59Georges Mounin, Les belles infidèles, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, p. 65.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Gemma Cataldi
Doctorante en études italiennes à l’université de Caen. Sa thèse porte sur les représentations et les traductions de La Calandra du cardinal Bibbiena en France, notamment sur les problèmes de réception du comique de cette comédie. Lectrice au département d’italien de l’université de Caen en licence LEA et LLCER de 2018 à 2021, elle est depuis 2019 chargée de cours de traduction économique et juridique au sein du master « traduction spécialisée ». Lors d’un colloque international organisé par l’équipe ERLIS junior, elle a présenté la communication : « Gilles de Viterbe et l’annonce d’une nouvelle époque pour la chrétienté », à paraître en 2025 dans l’ouvrage collectif en ligne Les courants prophétiques (dir. Valeria Allaire). Elle est expert interprète-traductrice en langue italienne auprès de la cour d’appel de Caen et membre de l’UNETICA.