Résumé
Brutus est surtout connu, dans l’imaginaire collectif contemporain, pour avoir assassiné César – souvent considéré, à tort, comme son père adoptif. En fonction du sens et de l’interprétation donnés à ce geste, ses représentations varient de la figure du philosophe vertueux à la brute épaisse, passant d’un extrême à l’autre par une multitude de variations possibles. Il peut tout aussi bien être considéré comme le sauveur de la République qui se sacrifie pour la liberté que comme le traître par excellence ; les fictions contemporaines le présentent parfois comme un jeune homme paisible, parfois comme synonyme d’une force invincible ; il peut être salué pour son intelligence, ou tourné en ridicule pour sa stupidité. Le plus surprenant, c’est que toutes ces figures co-existent dans les médias contemporains et aucune ne semble prendre le pas sur l’autre. Il est en ce sens unique dans le paysage actuel.
Abstract
In the contemporary collective imagination, Brutus is best known for having murdered Caesar - often wrongly considered to be his adoptive father. Depending on the meaning and interpretation given to this act, his representations vary from the figure of the virtuous philosopher to the thick brute, moving from one extreme to the other through a multitude of possible variations. He can be seen as the saviour of the Republic who sacrifices himself for freedom or as the worst traitor; contemporary fiction sometimes portrays him as a peaceful young man, sometimes as the image of invincible strength; he can be renowned for his intelligence, or ridiculed for his stupidity. The most surprising thing is that all these figures co-exist in the contemporary media, and none seems to overtake the other. In that sense, he is perfectly unique in the contemporary collective imagination.
Table des matières
Texte intégral
« Range ce poignard, tu vas te faire mal, imbécile ! » lance dans le quinzième album des aventures d’Astérix un César sûr de son autorité à un jeune colosse à la mine renfrognée2. Ce Brutus de 1970 est bien loin du Marcus Junius Brutus dépeint par les sources antiques3. Né vers 85 et se suicidant en 42 av. J.-C. à la suite de la défaite de Philippes, celui-ci se caractérise, d’après Plutarque, par « sa nature grave et douce », « réalisant un parfait équilibre dans le sens du bien4 ». N’ayant que peu à voir avec le personnage historique, le Brutus d’Astérix est quant à lui un des avatars d’une figure légendaire créée par deux millénaires de réécritures, d’interprétations, de déformations voire de pures et simples inventions, depuis les auteurs latins jusqu’aux concepteurs des publicités du xxie siècle. Ces strates se superposent, les unes remplaçant parfois les autres, ou se juxtaposent, faisant coexister plusieurs figures, plus ou moins compatibles, d’un même personnage.
Nous proposons ici une archéologie des figures contemporaines de Brutus à partir d’un corpus défini au plus large possible. Si nous ne pouvons, dans le cadre restreint de cet article, viser à l’exhaustivité, nous prendrons en compte des supports variés pour proposer une première enquête partant des représentations actuelles de Brutus – depuis le début des années 2000 – pour comprendre comment elles se sont peu à peu construites et diffusées5.
Face à une présence aussi floue et diffuse du personnage dans les représentations contemporaines, le corpus analysé a été construit en suivant deux méthodes, à la manière des archéologues : d’une part, nous avons tenté une enquête extensive dans les films6, séries, bandes dessinées, jeux de société et jeux vidéo produits en Europe et aux États-Unis. Nous avons par ailleurs mené des sondages dans les dessins animés, les clips publicitaires et les sites de vulgarisation historiques, sans viser à l’exhaustivité. Des pans entiers de la création ont par ailleurs été volontairement laissés de côté, par manque de temps, notamment les romans historiques et la littérature jeunesse7. Nous passons sans doute ce faisant à côté des maillons d’une chaîne que nous nous attachons cependant à restituer grâce à d’autres entrées.
Il ressort de l’étude de ce corpus que la figure de Brutus est particulièrement polymorphe, variant d’un extrême à l’autre : il est tout autant un frêle philosophe retiré du monde qui sacrifie un ami sur l’autel de la République qu’une brute épaisse et invincible que ne retient aucune considération morale.
La figure du philosophe : de la non-violence au tyrannicide
Le lettré vertueux
Les sources antiques présentent Brutus comme un homme vertueux, un lettré amateur de philosophie, mais aussi l’héritier de modèles familiaux aussi glorieux qu’imposants : sa mère prétend descendre de C. Servilius Ahala qui, en 439 av. J.-C., assassine Sp. Moelius, soupçonné d’aspirer à la tyrannie ; sa famille paternelle remonterait à Junius Brutus, premier consul de Rome et acteur principal de l’éviction des Tarquins en 509 av. J.-C.8 ; enfin, il est le neveu puis le gendre de Caton d’Utique, à qui il doit une grande partie de sa formation9.
Cette figure portée par les sources antiques est reprise dans la littérature classique : le Brutus des tragédies pense son geste, le pèse, hésite ; celui de Shakespeare n’aime pas les jeux ; celui de Voltaire rechigne à la violence10. Une partie des représentations contemporaines du personnage découle de cette tradition : dans la série Rome11 (2005), Brutus est un jeune homme fin et droit, déchiré entre son attachement pour César et ses valeurs républicaines. De même, le Brutus du téléfilm Julius Caesar d’Uli Edel12, sorti en 2002, apparaît systématiquement un rouleau à la main, lisant et commentant tantôt L’Éthique d’Aristote, tantôt la République de Platon ; lorsque Cassius lui présente ses projets d’assassinat, il commence par répondre : « je préfère user de discours avant de me servir du glaive (…) tout comme je laisse parler la raison avant la passion13 ». C’est là un portrait digne de son oncle et beau-père, Caton, dont le téléfilm, suivant sur ce point les sources antiques, souligne l’influence sur le jeune Brutus14.
Cette figure d’un Brutus philosophe se retrouve dans l’essentiel des fictions contemporaines fondées sur les sources antiques et les biographies les plus solides du personnage15. Ainsi, dans la bande dessinée Il faut tuer César16, troisième tome de la série Roma sorti en 2016, une des rares scènes donnant la parole à Brutus le présente en compagnie de Cicéron, autre grande figure de la philosophie tardo-républicaine qui l’introduit ainsi auprès de Cléopâtre : « Il ne bouillonne que pour la philosophie, mais il faut se méfier de l’eau qui dort17 ». Dans un contexte anglo-saxon, on le trouve jusque dans des fictions qui prennent par ailleurs de grandes libertés avec les sources, comme lorsque Xéna la guerrière, héroïne de la série éponyme, découvre à la fin de la quatrième saison que Brutus est non seulement un excellent guerrier, mais aussi un homme d’honneur en qui les Amazones peuvent avoir confiance18. L’ancrage de cet imaginaire est suffisant pour qu’il puisse même être objet de parodie, comme dans l’album de bande dessinée Salade César de Karibou et Josselin Duparcmeur publié en 202019. Brutus y apparaît comme l’homme fort de Rome, le seul, parmi toute la clique des sénateurs, à penser à l’intérêt de la République et à se soucier de l’avenir de l’État. Ses acolytes ne se montrent pas à la hauteur de l’enjeu et préfèrent les orgies aux complots. Quant à César, il est d’une stupidité crasse, relégué dans un rôle d’enfant que Brutus doit sans cesse raisonner – il le fait par exemple venir au Sénat sur la promesse que la séance sera poursuivie d’un goûter. Son assassinat apparaît par conséquent comme une absolue nécessité : l’État ne peut rester aux mains d’un tel homme.
Le sauveur de la République
De fait, la représentation d’un Brutus philosophe va de pair avec l’idée que l’assassinat de César est un sacrifice nécessaire et même un acte de courage digne d’éloges. Brutus apparaît alors comme le sauveur de la République, le héros qui ose se dresser contre la tyrannie. Là encore, cette représentation contemporaine est en réalité l’héritière d’un imaginaire pluriséculaire qui puise ses racines dans l’Italie médiévale20 : à partir de la première moitié du xve siècle, et a contrario de ce qu’en fait Dante21, Brutus devient la figure de la défense de la liberté et de la cause républicaine22. Ainsi, chez Pétrarque, Cola di Rienzo est considéré comme un nouveau Brutus, successeur des deux Brutus du vie et du ier s. av. J.-C.23 En 1539, Michel-Ange réalise un buste de Brutus qui s’inscrit dans cette veine : il s’agit de glorifier les défenseurs de la République – romaine et, à travers elle, florentine –, contre les Médicis24. Plus le prix du sacrifice est élevé et plus le sauveur est magnifié : lorsque Voltaire choisit de faire de Brutus le fils (naturel et caché) de César25, c’est pour mieux souligner la force de caractère du personnage qui « sacrifie à l’amour de sa patrie non seulement son bienfaiteur, mais son père26 », ce qui offre l’occasion au dramaturge de créer des vers à la tension dramatique intense tel ce « prêt à servir l’État, mais à tuer mon père » d’une des dernières tirades du personnage27. Quant à Shakespeare, il fait de Brutus une figure christique : Antoine, dans la scène finale de Julius Caesar, lui offre un éloge funèbre qui culmine dans un this was a man28, traduction anglaise du Ecce homo de l’Évangile selon Jean29.
Cette figure du tyrannicide héroïque a connu un écho particulier durant la Révolution française30. Elle vient se confondre avec celle du Révolutionnaire, comme dans cette statuette en terre cuite attribuée à Robert-Guillaume Dardel (1749-1821) présentant Brutus jurant la mort de César31 devant l’inscription « Tu dors Brutus » – mots qui auraient poussé Marcus Junius Brutus à participer à l’assassinat de César d’après les sources anciennes32. Sous la Terreur, Brutus devient ainsi l’un des prénoms les plus à la mode33. La référence est double puisque le prénom renvoie à la fois à Lucius Junius Brutus, premier consul de la République romaine, et à Marcus Junius Brutus, l’assassin de César34. Cette mode dépasse le monde francophone – le prénom connaît également un relatif succès aux États-Unis35 – et s’il n’est plus guère donné après la période révolutionnaire, il est de nouveau utilisé par un réseau de résistance d’inspiration socialiste fondé en 194136, assumant sans doute, dans les États-Unis du xixe siècle comme dans la France occupée, une triple référence, entre les deux Brutus de l’Antiquité et les échos à la Révolution française.
La diffusion de cette figure a été plus récemment assurée par deux opus de la série du jeu vidéo Assassin’s Creed. La référence à Brutus apparaît d’abord dans Assassin’s Creed: Brotherhood sorti en 2010, dont l’intrigue se passe pourtant dans la Rome de la Renaissance, soit plus de 1 500 ans après l’assassinat de César. Une quête annexe permet en effet d’explorer des lieux secrets à la recherche des six « parchemins de Romulus », disséminés dans les différentes « tanières de Romulus ». Le tyrannicide raconte dans ces parchemins – qui constituent, une fois rassemblés, une sorte de journal personnel – d’une part la découverte d’un sanctuaire secret dédié à Junon sous le Colisée où il cache sa dague et son armure, d’autre part sa participation à l’assassinat de César. Dans le troisième de ces parchemins, que le joueur découvre dans le Colisée, il note : « mes frères sont avides de sang, mais je ne suis pas sûr d’être capable de le verser » ; puis dans le cinquième, caché dans la Cloaca Maxima, « je ne suis pas un homme violent, mais je prépare la dague que j’ai héritée de mes ancêtres ». Ce sont finalement une série de visions qui lui inspirent le plan d’action adopté. Les concepteurs du jeu vidéo ont donc repris l’imaginaire double d’un Brutus poussé à l’action par ses convictions, ici appuyées par des visions venues du fond des temps, et rétif à la violence. Un opus suivant de la série, Assassin’s Creed Origins (2017), dont l’action se déroule entre l’Égypte de Cléopâtre et la Rome de César, met en scène à plusieurs reprises Brutus présenté comme un de « Ceux qu’on ne voit pas », les précurseurs des Assassins. Sous les traits d’Aya, le joueur est ainsi invité, dans la mission finale, à porter le premier coup à César après une longue tirade où Brutus se présente comme le défenseur non seulement de la République mais aussi du peuple et des plus pauvres. Les derniers mots de la mission, dans la cinématique qui suit l’assassinat, lui reviennent : « Le tyran est mort ! Vous êtes libres » clame-t-il dans une curie quasiment vide, le corps sanglant de César à ses pieds. Le personnage créé par Brotherhood et développé dans Origins est ainsi explicitement et uniquement positif et le joueur du second, d’abord au service de Cléopâtre, est amené à comprendre de lui-même la nécessité de seconder Brutus dans l’assassinat de César.
Le geste et l’homme sont ainsi étroitement liés : à la figure d’un Brutus philosophe, réticent à la violence, est associée l’idée que l’assassinat de César est un accomplissement, une libération – rares sont d’ailleurs les fictions mettant en scène la suite du parcours de Brutus et, notamment, sa mort, pourtant elle aussi digne d’intérêt et porteuse d’un réel potentiel dramatique. Cependant, du meurtre politique à l’assassinat d’un pair il n’y a qu’un pas, que les fictions franchissent allégrement.
La figure du traître : du tyrannicide au parricide
La vie de Brutus finit par se résumer, voir se confondre, avec ce geste « final », l’assassinat de César, comme si l’ensemble de sa formation, de ses actions politiques et de ses combats étaient tournés vers cet unique événement et que son existence s’arrêtait à ce moment-là. Il devient ainsi la figure emblématique de l’assassin.
L’incarnation du mal
C’est déjà ainsi que le présente Dante, au début du xive siècle, dans sa Divine Comédie. Alors que le poète rencontre Lucius Junius Brutus, le fondateur de la République romaine, dans le Premier cercle, les Limbes où sont enfermés les plus vertueux des non-baptisés, son lointain descendant Marcus Junius Brutus est quant à lui relégué au plus profond des Enfers, au centre du neuvième et dernier cercle, celui des traîtres. Il y est dévoré par une des trois têtes de Satan aux côtés de Cassius et de Judas, les trois personnages incarnant le mal absolu, le pire de ce que peut produire la nature humaine : la trahison de son maître37. Dante dissocie donc les figures des deux Brutus, dissociant par là-même le sens porté par leurs gestes : l’assassinat de César n’est plus un tyrannicide permettant de sauver la République mais un meurtre infâme commis par le pire des traîtres, soit un parricide au sens latin du terme38.
Cet imaginaire est très présent aujourd’hui, Brutus représentant de manière rapide et efficace la figure du mal. C’est notamment sous cette forme qu’il apparaît dans les jeux de société, média qui a la particularité de requérir des images fortes, au sens simple, immédiatement reconnaissables sans qu’il ne soit nécessaire de les expliciter ou de les mettre en contexte39. Le personnage donne par exemple son nom à un jeu de cartes publié en 201740. La couverture présente un personnage à l’air mauvais sur fond d’incendie ; vêtu à la romaine, il tient à la main une coupe qu’il semble moins s’apprêter à porter à ses lèvres qu’à offrir à un autre personnage41 : l’imaginaire est celui du poison, arme des traîtres pourtant rarement associée à la figure de Brutus. Dans Brutus: The board game d’Alban Biard et Eric Mc Childe42, publié l’année suivante, le sens de la référence est semblable : les joueurs sont invités à incarner des empereurs romains qui rackettent des commerces, volent des domus et embauchent des voyous pour étendre leur influence sur une Rome que la couverture présente de nouveau en proie aux flammes. L’anachronisme est particulièrement intéressant : le sauveur de la République finit par incarner l’arbitraire du pouvoir impérial dans un retournement qui montre combien l’assassinat politique est devenu dans l’imaginaire collectif un meurtre sanguinaire. Si l’anachronisme est en revanche absent de l’extension Brutus (2009) du jeu Tribun (2007)43, dont l’action se déroule bien dans les dernières années de la République, l’imaginaire associé au nom Brutus est toujours le même : l’extension ajoute au jeu une nouvelle famille, les Junii, qui se contente de récolter l’influence et l’argent laissés par les autres joueurs. Alors que la quatrième de couverture fait référence au plus ancien des Bruti, celui de 509, la couverture les présente comme des personnages de l’ombre, l’un d’entre eux étant même caché sous un large manteau à capuche, et la mécanique de jeu les associe à des traîtres. Le texte, historiquement précis, entre par conséquent en contradiction avec le message extrêmement simple que porte le titre : jouer à être Brutus, c’est jouer avec de viles actions.
Comme les jeux de société, et pour les mêmes raisons, les spots publicitaires utilisent sans nuance cette figure du Brutus mauvais par nature44. Une publicité diffusée en France en 1989 met par exemple en scène un vieux sénateur romain, que sa jeune et belle épouse appelle Brutus, sur un marché aux esclaves45. Sur l’étal, il choisit d’acheter la machine à laver Radiola, promesse d’importantes économies. Le choix de l’appeler Brutus est sans doute lié à la familiarité du nom, immédiatement reconnaissable comme romain par le grand public, mais également à l’imaginaire négatif qui y est attaché. De fait, le personnage cumule les tares, entre promotion de l’esclavage et radinerie, et reprend les clichés des « méchants » de péplum. Plus récemment, le site de chat en ligne iMeet a créé un spot publicitaire présentant une réunion en visioconférence entre Cassius, Trebonius et Brutus46. Alors que les deux premiers semblent de paisibles sénateurs, la photographie de profil de Brutus montre un homme d’une quarantaine d’années menaçant, brandissant une épée pointée vers le bas, une cicatrice lui entaillant toute la partie gauche du visage. Le texte qui l’accompagne est du même acabit : « J’aime la tromperie, la trahison et les longues promenades sur la plage47 ». Voilà qui plante le portrait du méchant par excellence, retravaillé à la sauce des réseaux sociaux.
Alors même qu’ils ne sont pas tenus par les impératifs des formes brèves, certains péplums utilisent la figure de Brutus de la même façon : le nom permet de camper sans davantage de développement un personnage secondaire qui fait de basses œuvres, peu importe la nature de celles-ci. Ainsi, dans Amazons and Gladiators sorti en 2001, alors que le générique annonce un ancrage en 60 ap. J.-C.48, le cruel gouverneur échange avec un « César » via un « Brutus » – ni l’un ni l’autre n’apparaissant à l’écran. Brutus est alors moins une référence historique que le nom permettant de reconnaître immédiatement un rôle, celui du second à qui sont confiées les missions ou secrètes ou immorales – ici, ordonner au gouverneur de détruire les Amazones. Il n’est pas étonnant, par conséquent, de le retrouver dans des fictions n’ayant pourtant pas trait à l’Antiquité, comme dans ce St Brutus’ Secure Center for Incurably Criminal Boys mentionné dans plusieurs tomes de la série Harry Potter49. Brutus devient ainsi synonyme du mal dont on ne sait que faire et qui risque de se retourner contre toute figure d’autorité.
Le boomerang
C’est peut-être là la plus prégnante et la plus évidente des interprétations de Brutus : il est non seulement celui qui trahit, mais celui qui trahit un proche. Les liens l’unissant à César étant eux-mêmes polymorphes, il se retourne soit contre un ami et bienfaiteur, soit contre un père50. René Goscinny et Albert Uderzo en ont fait un running gag des Aventures d’Astérix, davantage développé dans les albums réalisés par le seul Uderzo après la mort de Goscinny51. C’est même ce qui fait l’essentiel de l’intrigue d’une des adaptations cinématographiques de la bande dessinée, Astérix aux Jeux Olympiques52 (2008), au point que Benoît Poelvoorde, qui incarne Brutus, vole la vedette à Clovis Cornillac, qui joue Astérix, sur les affiches de promotion du film. De la même façon, et alors qu’ils produisent de la bande dessinée uchronique qui n’a à se soucier d’être fidèle ni aux sources ni aux représentations postérieures, les scénaristes de Jour J ont imaginé un Brutus fils de César qui se retourne contre lui pour mieux servir ses propres intérêts53. La seconde partie du diptyque joue sur des retournements enchâssés les uns dans les autres qui culminent dans la scène finale où Brutus, capturé par Cléopâtre, est livré à la colère des Sénateurs qui l’assassinent en pleine curie. Le dernier coup est porté par César à qui Brutus adresse un très attendu « Toi aussi, mon père » avant de mourir. L’utilisation des personnages historiques dans ces albums n’a rien d’original, l’uchronie ne servant ici qu’à reprendre et à confirmer les poncifs de l’imaginaire collectif sans réelle réflexion sur les parcours des uns ou des autres, mais elle permet de montrer combien la figure associée à Brutus est par défaut celle du traître à qui l’on ne peut se fier, du fils qui finit par se retourner contre son père. C’est dans cette veine que s’inscrit le jeu de cartes suscité54. Il s’agit d’un jeu à thème plaqué, c’est-à-dire que la mécanique y est première et le thème purement esthétique. Or cette mécanique, sur le modèle du « jeu du président », tient son originalité de la règle selon laquelle la plus petite carte du jeu annule la plus grosse : une combinaison de 1 (Brutus) peut ainsi être jouée sur une combinaison de 13 (César), mécanique que le livret de règles associe explicitement à l’assassinat de César (p. 8). C’est donc pour illustrer un retournement des valeurs que la figure de Brutus a été choisie par les concepteurs du jeu. Enfin, le Brutus de Fortnite est lui aussi associé à la figure du traître : l’une des quêtes que Midas propose aux joueurs consiste à interroger le fantôme de Brutus, son bras droit, pour vérifier qu’il ne l’a pas trahi en détournant des fonds en son absence55.
De fait, Brutus finit par incarner un effet boomerang : « ne me cherchez pas, je pourrais vous faire mal56 » prévient sur son profil le Brutus d’iMeet. C’est également sous cette forme qu’il est utilisé dans la construction automobile. Une voiture porte son nom, la BMW Brutus, modèle expérimental conçu dans l’après-guerre à partir d’un moteur d’avion et d’un châssis de 1908, dont un prototype est aujourd’hui conservé au Technik Museum Sinsheim. S’il est difficile de définir à quelle date le surnom « Brutus » lui a été accolé, le sens en est en revanche clair : le moteur est dangereusement puissant, le système de freinage limité à l’essieu arrière et le châssis n’offre aucune protection au conducteur57. à la moindre difficulté, la puissance de la voiture risque donc de se retourner contre son conducteur. Une publicité produite en 2011 pour Volkswagen utilise le même discours58 – peut-être ses concepteurs avaient-ils d’ailleurs en tête la BMW Brutus. Cheminent à l’écran, en pleine discussion sous un portique, César et Brutus : « Ah Brutus, que c’est merveilleux de t’avoir comme ami59 ! » se réjouit César en posant sa main dans un geste amical sur l’épaule de Brutus. Celui-ci se retourne vers la caméra, le regard perfide, tandis qu’apparaît à l’écran le mot Friend qui clignote au son d’une alarme de voiture. Le sens de l’ensemble est enfin révélé par le message final : « Détectez les choses avant qu’elles ne deviennent dangereuses. Le service assistance de Volkswagen60 ». L’idée est là encore qu’une mécanique mal pensée ou mal entretenue risque de se retourner contre celui qui l’utilise.
Brutus en finit ainsi par être quasiment désincarné – le nom n’est d’ailleurs plus guère donné aujourd’hui qu’à des chiens. Il devient synonyme d’une forme de violence pure et stupide, de force brute61.
La figure de la brute : du guerrier au boucher
Le rapprochement étymologique entre le cognomen Brutus et l’adjectif brutus a sans nul doute joué un rôle majeur dans cette interprétation du personnage62. La figure devient alors, de façon parfaitement contradictoire avec ce qu’en disent les sources anciennes63, un symbole non seulement de violence, mais également de force rustre, le nom de la brute invincible.
L’invincible
Parmi les noms à référence antique utilisés dans The Hunger Games64, celui de Brutus est porté par un de ces volontaires de carrière entraînés depuis la plus petite enfance pour participer aux jeux65. Tribut du district 2, manieur de lance, il a gagné d’anciens jeux et revient pour la 75e édition, celle de l’Expiation, où il est le dernier concurrent à mourir avant que l’héroïne de la série, Katniss Everdeen, ne détruise l’arène. Le personnage est incarné au cinéma par Bruno Gunn, dont l’impressionnante plastique n’a rien à envier aux grandes stars du péplum bodybuildé : il répond au cliché de la brute sans finesse à la force redoutable. De même le PNJ nommé Brutus dans le jeu Fortnite66 est-il un colosse chauve en costard-cravate et lunettes de soleil : transposé dans un monde contemporain67, il est l’archétype de la « force brute68 », ensemble dans lequel est classé le personnage.
Si le Brutus d’Hunger Games finit malgré tout par mourir, le nom est ailleurs synonyme d’invincibilité. Ainsi, dans Assassin’s Creed Brotherhood, l’armure de Brutus est une des plus puissantes proposées par le jeu : les quatre pièces qui la composent ont une résistance de 8 sur 8, ce qui la rend virtuellement incassable. La référence à l’Antiquité est par ailleurs accentuée par un jeu d’intermédialité : l’armure est dessinée sur le modèle de celle que porte le général Maximus au début de Gladiator69, de la forme des pièces qui la composent à la répartition des bas-reliefs sur le plastron, jusqu’à la peau de loup qui la complète sur les épaules d’Ezio. Quant à la dague de Brutus, avec laquelle il aurait assassiné César, c’est la meilleure des armes secondaires de l’opus, offrant 5/5 en dommage, vitesse et déviation. De même, Sonic croise dans ses comics70 un Commander Brutus, second du Doctor Robot-nik, figure du traître ambitieux mais également de la force invincible : par lui-même déjà extrêmement puissant, il porte une armure quasiment impénétrable ; seul son maître trahi, le Doctor Robot-nik, réussit à le défaire. Là encore, l’ancrage du personnage dans l’Antiquité est porté autant par son nom que par le design du costume : contrastant avec le gris métallique constituant le corps du robot, son armure, d’un doré aveuglant, se constitue d’un plastron, d’épaulettes et de jambières, complétés d’une jupette de la même couleur. La forme du casque et l’immense cape rouge finissent de pousser le personnage davantage du côté de l’hoplite que du chevalier.
Brutus devient finalement un nom attaché moins à un personnage qu’à un équipement, voire à un objet : l’arme qui lui a permis d’assassiner César.
Le couteau du boucher
Lorsqu’il invoque Brutus en tombant par hasard sur la recette de la Caesar Salad, le génie d’Aladdin, transformé pour quelques secondes en un César reconnaissable à sa toge et à sa couronne de laurier, ne fait pas apparaître un personnage entier, mais juste un gros bras poilu portant un large bracelet doré qui le menace d’une dague dont la lame a la forme d’un éclair71. Sur un bruit de métal, le bras et l’arme sont finalement renvoyés dans le livre des Royal Recipes par un Et tu Brute? prononcé par le génie72. Ce gag de moins de cinq secondes repose sur une double référence : la citation renvoie au Julius Caesar de Shakespeare, le livre à la « salade César » qui tire en réalité son nom du chef cuisinier Caesar Cardini qui en aurait inventé la recette dans les années 20.
La popularité de ce plat explique peut-être le nombre important de références culinaires à Brutus. L’inspiration est explicite dans le spot publicitaire Salade Brutus vs Salade César produit et diffusé par Amazon Prime Video en 2020 à l’occasion de la sortie du film Brutus vs César73. Mettant en scène le chef parisien Pierre Sang, paré d’une tunique blanche bordée de rouge, les plans se centrent sur le geste du cuisinier et, notamment, sur son usage du couteau qui tranche d’abord violemment la tête d’un chou violet avant de découper plus soigneusement un magret de canard – la salade Brutus étant bien évidemment réalisée avec de la viande rouge. De même McDonald’s a sorti en 2021 un burger série limitée Brutal Brutus, « monstrueusement goûteux et terriblement délicieux » d’après la voix-off des spots publicitaires, dont la caractéristique principale semble d’être réalisé avec de la viande à l’aide d’un couteau : le premier plan montre un boucher, dont on ne voit que les mains, qui tranche des côtes de bœufs et le burger est représenté à la fin du spot avec un couteau planté en son milieu.
La dague de Brutus s’est ainsi transformée, au fil du temps, en couteau de boucher. Des restaurants spécialisés dans la viande en tirent leur nom, comme ce Brutus de Bordeaux qui affiche sur son enseigne son « amour de viandes74 » et dont la décoration intérieure est faite de vieilles pierres et de mosaïques noires et blanches. La marque Valtero a quant à elle tiré parti de cet imaginaire dans six vidéos promotionnelles mettant en scène César et Brutus75. Finissant toutes sur le slogan « Valtero, avec un V comme viande » inscrit sur un fond de marbre, ils présentent à chaque fois un dialogue entre César et Brutus, tour à tour dans un camp de légionnaire, dans une cantine militaire, dans la tente de César ou encore déjeunant dans la neige. Le dispositif de ces spots publicitaires est toujours le même : l’idiotie de Brutus offre des jeux de mots tels que « avé viande ! », « haché César ! » ou « tous les chemins mènent à rumsteack ». Il se ridiculise à tout prendre au premier degré, sortant son épée lorsque les tartares sont annoncés et se précipitant hors de la tente lorsque César, en plein repas, lui demande « faux filet Brutus ? ». César en conclut invariablement, « ah Brutus », sans doute à entendre comme une déclinaison d’abruti.
L’imbécile
De fait, Brutus en vient finalement à être la figure par excellence de l’imbécile qui échoue dans ce qu’il entreprend, ce qui est parfois présenté comme une raison de son ressentiment envers César. Pour en finir avec les publicités représentant Brutus, un spot créé en 1999 pour la marque de jus de fruit Rybb and Deckers76, que le texte d’ouverture campe dans le palais de César en 44 av. J.-C., s’ouvre sur une scène apocalyptique de fin d’orgie. César se réveille dans une baignoire, coiffe difficilement sa couronne de lauriers, puis se dirige en titubant vers un escalier en haut duquel il trouve Brutus, qui vient de sortir la dernière bouteille de jus du frigo. Lui arrachant la bouteille des mains, il la vide d’un trait et lui lance en latin une phrase commençant par Et tu Brute que des sous-titres anglais explicitent ainsi : « Aurais-tu toi aussi voulu, mon cher Brutus, un verre de ce très rafraîchissant jus Rybb & Deckers77 ? ». Sur son rire sadique, apparaissent à l’écran des lettres dorées : Sucus classicus caedenter jucundus, « un classique du jus de fruit au goût meurtrier78 » d’après les sous-titres. Brutus s’empare alors du couteau ayant tranché les oranges et s’élance dans les escaliers. Le jeu d’acteur fait de Brutus un être faible et fragile, courbé vers l’avant, chez qui l’humiliation crée un violent ressentiment.
Cette figure d’un Brutus stupide semble être née dans l’imaginaire d’Albert Uderzo et de René Goscinny79. Dès la première apparition du personnage dans les Aventures d’Astérix, en 1964, César le tourne en ridicule en le traitant de « garnement80 ». Il prend, dans toutes ses apparitions, la posture d’un adolescent blasé et boudeur, posture qu’il conserve dans l’ensemble de la série. La 27e aventure du petit gaulois développe davantage le personnage et le voit multiplier les échecs81. Le dispositif est repris dans l’adaptation cinématographique d’Astérix aux Jeux olympiques où l’essentiel des gags repose sur les tentatives d’assassinat de César par son fils, plus désastreuses les unes que les autres82. Cet imaginaire est travaillé et prolongé par des fictions s’inspirant d’Astérix de manière plus lointaine, tel le Brutus vs César de Kheiron83 où Brutus suit un parcours initiatique qui lui permet de quitter peu à peu sa double position de looser mis au ban de la société – au sens propre puisqu’il vit depuis sa petite enfance dans une tente au pied des murailles de la cité – et d’imbécile se prenant les pieds dans sa toge au moment d’assassiner son père.
Brutus revêt ainsi, de manière paradoxale, la figure du nul : c’est ainsi qu’il peut représenter, dans le jeu Brutus, la plus petite carte du jeu, le 1. Cela explique également qu’il donne son nom à une cérémonie parodiant les Césars du cinéma où sont récompensés, entre 2002 et 2011, « les grands films (très) malades, les génies incompris, les nanars flamboyants, les interprètes (vraiment) dramatiques, les chefs-d’œuvre périssables84 ».
Conclusion : une figure aux mille visages
Comment ce féru de philosophie grecque peut-il être devenu, en deux millénaires, un tel imbécile ? Il semble que les diverses facettes du personnage, qui créent autant de figures parfois parfaitement contradictoires les unes avec les autres, sont la plupart du temps le fruit de sa confrontation avec César : la figure de Brutus est souvent le reflet inverse de celle de César et varie alors en fonction de la manière dont un créateur choisit de présenter le second. Brutus n’est pas le seul faire-valoir du César fictionnel : Cléopâtre en représente un autre, tout aussi présent et puissant. Ils forment cependant une paire d’autant plus efficace qu’ils sont tout autant complémentaires qu’antagonistes, en fonction de l’aspect et du moment de leur relation représentés. Brutus peut même devenir le second de César, effacé derrière la figure du grand général mais sans tension particulière. C’est ainsi qu’il apparaît, de manière tout à fait étonnante, dans le Vercingétorix de Jacques Dorfmann85 (2001) : un figurant suit César tout au long de sa campagne et le spectateur découvre, au hasard d’un dialogue des plus banals, que cet adjuvant sans relief, qui aurait pu rester anonyme, se nomme Brutus. Ce qu’il fait en Gaule à ce moment-là, nous ne le saurons pas, mais c’est sans importance : Brutus est surtout le nom de la face cachée de César, lié à lui pour toute éternité par un geste considéré, au fil des époques et au gré des opinions politiques, comme heureux ou malheureux.
Cependant, le Brutus contemporain n’est pas seulement l’alter-égo de César. La figure du dictateur s’efface peu à peu derrière un Brutus qui en vient à devenir l’essence même de la brute sanguinaire ou du héros de la liberté, la main d’un couteau qui n’a pas besoin de victime pour porter sens86. Cette figure est particulièrement polymorphe : positive ou négative, héroïsée ou ridiculisée, elle offre une multitude de facettes qui, fait rare, sont contemporaines les unes des autres, créant en définitive plusieurs figures concurrentes qui n’ont pour seul point commun que l’arme du crime. S’il n’est pas, loin de là, le seul personnage historique à être porteur d’un discours qui évolue avec le temps, son caractère kaléidoscopique est particulièrement original : les Brutus coexistent sans s’annuler et ses différents avatars ont tous leur place dans notre imaginaire contemporain, sans que l’un ne prenne le dessus de l’autre. Il est dès lors parfaitement impossible de dessiner un portrait-robot de notre Brutus contemporain : si les sources anciennes superposaient déjà deux Bruti, nous avons aujourd’hui sous les yeux un véritable millefeuille dans lequel aucun goût ne domine.
Notes
1Nous consacrons un second article à cette figure, centré sur son lien de paternité fictif avec César : Pauline Ducret, « Tu quoque mi fili (ii) : comment Brutus est devenu le fils de César », Anabases, à paraître.
2Albert Uderzo / René Goscinny, Astérix, tome 15 : La Zizanie, Paris, Dargaud, 1970, p. 2.
3Cassius Dion, Histoire romaine, xliv, 19 ; Appien, Guerres civiles, ii, 117 ; Plutarque, Brutus ; Plutarque, César, 62-66 ; Suétone, César, lxxxii ; Florus, Tableau de l’histoire du peuple romain, de Romulus à Auguste, ii, 13, 92-95. Nous désignerons dans cet article Marcus Junius Brutus par son seul surnom, Brutus, réservant l’utilisation du gentilice à son lointain prédécesseur, Lucius Junius Brutus, consul en 509 av. J.-C.
4Plutarque, Vies, tome xiv : Dion-Brutus (texte établi et traduit par Robert Flacelière et Émile Chambry), Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 94.
5Autre analyse de la figure Brutus dans la culture contemporaine dans Thomas Guard, « Brutus, opposant de César, dans la culture populaire : ‘Malheur aux vaincus’ », in Fabien Bièvre-Perrin / Claire Mercier, Jules César, construction d’une image de l’Antiquité à nos jours, Besançon, PUFC, 2024, que nous avons découvert après avoir rendu les premières épreuves de cet article. Nous remercions Thomas Guard de nous avoir permis de lire son article avant publication. Paul M. Martin, Tuer César !, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988 proposait une première synthèse de l’évolution de cette figure, de l’Antiquité aux années 90, dans ses trois derniers chapitres : « Le dialogue entre César et Brutus (de l’Antiquité à la Renaissance) » (p. 115-136), « Le césaricide, de l’estompe classique au paradigme révolutionnaire » (p. 137-156) et « Le césaricide, de la flambée aux cendres (xixe-xxe siècles) » (p. 157-184).
6Nous n’avons cependant pas eu accès aux films muets où apparaît le personnage, à l’exception du Giulio Cesare d’Enrico Guazzoni (1914) dont nous avons pu visionner des extraits conséquents.
7Sur la figure de Brutus dans la politique et dans les dessins de presse satiriques français, voir Thomas Guard, art. cit., p. 168-174.
8Plutarque, Brutus, 1, 1-8.
9Plutarque, Brutus, 1, 2 ; César, 62, 1.
10 Shakespeare, Julius Caesar, 1623 (i, 2, 30) ; Voltaire, La Mort de César, 1736.
11John Milius / William J. MacDonald / Bruno Heller, Rome, saison 1, HBO, 2005.
12Uli Edel, Julius Caesar, États-Unis – Allemagne – Italie – Pays-Bas, 2002, 178 minutes.
13Citation à 1h53min. Ce téléfilm a connu un beau succès, dépassant les 3 millions de vues par épisode : « Breaking News: Cable Originals Battling for the Spotlight », TheFutonCritic, 2 juillet 2003, http://thefutoncritic.com/news/2003/07/02/cable-originals-battling-for-the-spotlight-16055/6045/ (dernière consultation le 19 février 2024).
14Brutus est généralement présenté jusqu’au milieu du xxe siècle comme l’héritier de Caton, son oncle et son beau-père, bien plus que de César. C’est notamment ainsi qu’il apparaît dans les manuels scolaires d’histoire en France. Voir Pauline Ducret, art. cit.
15Les biographies du personnage sont aussi nombreuses qu’inégales de qualité : Gérard Walter, Brutus et la fin de la République, Paris, Payot, 1938 ; Roger Breuil, Brutus, Paris, Gallimard, 1945 ; Anne Bernet, Brutus. Assassin par idéal, Paris, Perrin, 2001 ; Kathryn Tempest, Brutus. The Noble Conspirator, New Haven – Londres, Yale University Press, 2017 ; Alain Rodier, La Véritable histoire de Brutus. La République jusqu’à la mort, Paris, Les Belles Lettres, 2017.
16Eric Adam / Annabel, Roma 3. Tuer César, Paris, Glénat, 2016.
17Ibid., p. 30. La présence de Brutus dans cette scène est parfaitement inutile, il n’y prononce d’ailleurs qu’une très courte phrase. Qu’il accompagne Cicéron chez Cléopâtre n’est par conséquent qu’un prétexte pour le présenter au lecteur et pour proposer une double lecture de cette « eau qui dort », entre amour de la philosophie et violence intérieure.
18Robert Tapert / John Schulian, Xena : Warrior Princess, saison 4, épisodes 20 et 21 : « Endgame » et « The Ides of March », États-Unis / Nouvelle-Zélande, 1999. Dans le premier de ces épisodes, Pompée est décapité par Xena : si la série met en scène des personnages historiques, ses scénaristes s’affranchissent largement du déroulé de leurs parcours tel qu’il apparaît dans les sources.
19Karibou / Josselin Duparcmeur, Salade César, Paris, Delcourt, 2020.
20Sur la figure de Brutus dans l’Italie médiévale, de Dante aux Florentins, voir Paul M. Martin, op. cit., p. 121-129 ; Manfredi Piccolomini, The Brutus Revival : Parricide and Tyrranicide during the Renaissance, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1991 et Clémence Revest, « Brutus, de l’Enfer au Paradis. La fabrique du héros dans l’humanisme italien de la première moitié du xve siècle », in Caroline Callard / élisabeth Crouzet-Pavan / Alain Tallon (dir.), La politique de l’histoire en Italie. Arts et pratiques du réemploi (xive – xviie siècle), Paris, PUPS, 2014, p. 113-132. Pour un exemple détaillé, voir Bartolomiej Czarski / Piotr Jaworski, « Respublica Liberata. The coin of Brutus commemorating the Ides of March in the emblematic interpretation of Alciatus », Polish Numismatic News, n° ix, 2015, p. 249-283.
21Voir ci-dessous.
22Au contraire, les rares mentions des deux Brutus dans la littérature byzantine les présentent comme des personnages négatifs : Sébastien Villevieille, Rome à Byzance : constructions byzantines d’un passé romain (ixe-xe siècle), thèse de doctorat préparée à l’Université Lyon 3 sous la direction de Marie-Céline Isaïa et Annick Peters-Custot, en cours.
23Pétrarque, Epistola hortatoria, 1347, cité par Clémence Revest, art. cit., p. 125.
24D. J. Gordon, « Giannotti, Michelangelo and the Cult of Brutus », in D. J. Gordon (dir.), Fritz Saxl (1890-1948) : A Volume of Memorial Essays from his Friends in England, Londres, Nelson, 1957, p. 281-296. De l’autre côté de l’échiquier politique, les Médicis utilisent également des références à des figures de cette période, notamment Auguste qui devient le modèle de Cosme de Médicis, fondateur de la dynastie : Andrea M. Galdy, « A Rome Model Twice Removed ? Cosimo I de’ Medici as New Augustus », in Pierre Assenmaker / Mattia Cavagna / Marco Cavalieri / David Engels (dir.), Augustus through the Ages. Receptions, Readings and Appropriations of the Historical Figure of the First Roman Emperor, Bruxelles, Latomus, 2022, p. 273-289.
25Voir Pauline Ducret, art. cit.
26Voltaire, La Mort de César (Seconde édition revue, corrigée et augmentée par l’auteur), Amsterdam, Etienne Ledet & Compagnie, 1736, « Préface des éditeurs ».
27Ibid., III, 2, 710.
28Shakespeare, Julius Caesar, V, 5, 74.
29Si la forme est clairement chrétienne, le fond vient de Plutarque qui rapporte qu’Antoine tenait Brutus en haute estime, même après le meurtre de César : Plutarque, Brutus, 29, 3.
30Paul M. Martin, op. cit., p. 137-156.
31Statuette en terre cuite de 23,5 cm conservée au Musée Carnavalet sous le numéro d’inventaire S3021.
32Plutarque, César, 62, 7. Voir Emmanuelle Rosso, « Les "statues parlantes" de César et Brutus à Rome. Paroles de pierre et identités usurpées », in Caroline Michel d’Annoville / Yann Rivière (dir.), Faire parler et faire taire les statues. De l’invention de l’écriture à l’usage explosif, Rome, EFR, 2022, p. 245-295.
33Marie-Odile Mergnac, Les prénoms du calendrier révolutionnaire, Paris, Archives et culture, 2006, p. 38. La bibliographie sur le sujet, qui dépasse largement le cadre de cet article, a fait l’objet d’une recension exhaustive en 2000 : Raphaël Bange / Serge Bianchi / Pierre-Henri Billy, « Les prénoms révolutionnaires. Bibliographie », Annales historiques de la Révolution française, n° 322, 2000, p. 139-151. Parmi ces titres, nous retenons surtout la synthèse de Nicoline Hörsch, Republikanische Personennamen. Eine anthoponymische Studie zur Französichen Revolution, Tübingen, Max Niemeyer Verag, 1994 dont les principaux résultats sont résumés dans Nicoline Hörsch, « De Pierre à Brutus. Évolution ou révolution ? », Nouvelle revue d'onomastique, n° 13-14, 1989, p. 43-75.
34Ibid., p. 52. Le parallèle entre les deux personnages, qui apparaît déjà chez Plutarque, a été particulièrement travaillé par Voltaire qui compose coup sur coup deux tragédies sur cette famille : Brutus (1730) et La Mort de César (1735) ; voir Philippe Bordes, « Voltaire et les deux Brutus », in La mort de Brutus de Pierre-Narcisse Guérin, Vizille, Musée de la Révolution française, 1996, p. 23-30.
35Par exemple, dans la famille de John Wilkes Booth, qui assassine Abraham Lincoln en 1865, Junius Brutus est un prénom qui se transmet de père en fils : c’est celui de son père, de son frère ainé et de son neveu.
36Jean-Marc Binot / Bernard Boyer, Nom de code : Brutus. Histoire d’un réseau de la France libre, Paris, Fayard, 2007.
37Alighieri Dante, La Divine Comédie, Enfer, xxxiv, 55-69. Voir Nicola Parise, s.v. « Bruto », in Enciclopeida dantesca, Rome, Istituto della enciclopedia italiana, Treccani, 1996, p. 712-713.
38Yan Thomas, « Parricidium I. Le père, la famille et la cité », MEFRA, n° 83, 1981, p. 643-713 ; Marine Bretin-Chabrol, « Tu quoque, mi fili ! », Transtext(e)s Transcultures, n° 8, 2013, en ligne : https://journals.openedition.org/transtexts/492#ftn2 (consulté le 02 février 2024), § 15-17.
39Sur les spécificités de l’imaginaire historique déployé dans les jeux de société, voir Florian Besson / Pauline Ducret, « “Je ne joue jamais si ce n’est à l’an mil”. Le Moyen Âge dans la culture ludique contemporaine », in Martin Aurell / Florian Besson / Justine Breton / Lucie Malbos (dir.), Les médiévistes face aux médiévalismes : rejet, accompagnement ou appropriation ?, PUR, Rennes, 2023, p. 89-99 et Florian Besson / Pauline Ducret, « Entre réplicateurs historiques et stratégies marketing : l’Antiquité et le Moyen Âge sur les boîtes de jeux de société », in Anne Besson / Isabelle Olivier / Myriam White-Le Goff (dir.), « Le Moyen Âge fait-il vendre ? Actes du colloque d’Arras (Université d’Artois, 18 et 19 janvier 2023) », Belphégor, à paraître.
40Michel Bussi / Frédéric Bizet / Goupil, Brutus. Cave ne cadas, Bad Taste Games, 2017.
41La couverture du livret de règles, sinon en tout point identique à celle de la boîte de jeu, présente un second personnage, que sa couronne de lauriers identifie à César et qui semble se méfier de Brutus.
42Alban Viard / Eric Mc Childe, Brutus. The Board Game, Alban Viard Studio Games, 2018.
43Karl-Heinz Schmiel, Tribun : Brutus, l’extension, Edge Entertainment, 2009, extension pour Karl-Heinz Schmiel, Tribun, Fantasy Flight Games, 2007.
44Thomas Guard, art. cit., p. 167-168.
45Radiola : Ben Hur, France, Citeca, 1989.
46IMeet : Caesar, Communication Arts, États-Unis, 2016.
47« I enjoy deceit, betrayal and long walks on the beach ». Sauf mention contraire, les traductions sont de l’auteure.
48Zachary Weintraub, Amazons and Gladiators, Autriche, 2001, 82 minutes (titre français : Games of Rome. Les jeux de l’Empire). En réalité, le film ne s’ancre dans aucune chronologie cohérente : alors que le générique annonce que l’histoire se passe « 60 ans après la naissance du Christ », il est fait référence pèle mêle aux Guerres puniques, à la révolte de Spartacus, à Zénobie et à un « César » dont on peine à comprendre s’il s’agit de « Jules » ou d’un de ses successeurs.
49J. K. Rowling, The Prisoner of Azkaban, Londres, Bloomsbury Publishing, 1999 ; The Goblet of Fire, 2000 ; The Order of the Phoenix, 2003. Apparaissent également, dans l’univers étendu de Harry Potter, un Brutus Malefoy, maléfique sorcier du passé, un Brutus Nott, Serpentard bas du front et un Brutus Scrimgeour, qui a écrit un manuel du batteur de Quidditch : que des personnages négatifs (merci à Florian Besson pour ces références).
50Pauline Ducret, art. cit.
51Albert Uderzo, Le Fils d’Astérix, Paris, Dargaud 1983.
52Frédéric Forestier / Thomas Langmann, Astérix aux Jeux olympiques, 2008, 117 minutes.
53Fred Duval / Jean-Pierre Pécau / Fred Blanchard / Fafner, Jour J, tome 23 : la république des esclaves, 2016 et Jour J, tome 28 : L’Aigle et le Cobra, 2017.
54Michel Bussi / Frédéric Bizet / Goupil, Brutus. Cave ne cadas, Bad Taste Games, 2017 (voir ci-dessus, n. 30).
55Fortnite, Epic Games, saison 2, chapitre 5, 2024. En l’occurrence, et de manière assez originale, il n’est pas le traître recherché par Midas.
56Don’t mess with me. I shall hurt you.
57https://www.blogbmw.fr/brutus-bmw-voiture-epoque-histoire-v12/ (consulté le 21 février 2024).
58Volkswagen : Caesar & Brutus, Allemagne, Bubbles Film (Berlin), 2011. Cette publicité est complétée par un second clip, qui suit la même construction, sur le Cheval de Troie (Volkswagen : Trojan Horse, Allemagne, Bubbles Film (Berlin), 2011).
59Ah Brutus, it is so wonderful having you as a friend !
60See things before they get dangerous. The Volkswagen Side Assist.
61Pour l’association, dans la culture contemporaine, du nom Brutus avec des personnages violents n’ayant plus rien à voir avec l’Antiquité, voir Thomas Guard, art. cit., p. 160-161.
62Cicéron en fait déjà un jeu de mot : Cicéron, Att., xiv, 14-15, 2 (lettre datée du 28 ou 29 avril 44 av. J.-C. où il fait référence à l’assassinat de César).
63Plutarque souligne au contraire, lorsqu’il le compare à son ancêtre Junius Brutus au « caractère naturellement dur et non adouci par la culture », combien Marcus Brutus représente la tempérance des gens bien éduqués (Plutarque, Brutus, 1, 1. Traduction : op. cit. p. 12).
64Fabien Bièvre-Perrin, « Hunger Games – Panem et circenses (du pain et des jeux) », Antiquipop, 2016, en ligne : https://antiquipop.hypotheses.org/1497 (consulté le 21 février 2024).
65Suzanne Collins, Catching Fire, New York, Scholastic, 2009 et son adaptation au cinéma : Francis Lawrence, The Hunger Games : Catching Fire, États-Unis, 2013, 146 minutes.
66Fortnite, Epic Games, saison 2, chapitres 2 et 5, 2024.
67Le chapitre 5 de la saison 2, Myths and Mortals, introduit dans le jeu, qui se déroule dans un univers contemporain, des références à la mythologie grecque et, par extension, à l’Antiquité. En l’occurrence, la rencontre avec Brutus fait partie de l’épisode Rise of Midas (« avènement de Midas » en version française) et la quête s’intitule précisément « Et tu, Brutus », multipliant ainsi les références antiques.
68Brute Force en VO anglaise.
69Elle-même une variation du costume porté par Marc-Aurèle dans la première scène de The Fall of the Roman Empire d’Anthony Mann (1964).
70Sonic the Comic, Fleetway Editions, 1993-2002.
71John Musker et Ron Clements, Aladdin, États-Unis, Walt Disney Pictures, 1992, 87 minutes. Citation à 43 minutes 45.
72Pauline Ducret, art. cit.
73Salade Brutus vs Salade César, France, Amazon Prime Video, 2020 ; parodie du film de Kheiron, Brutus vs César, France, 2020, 87 minutes.
74Vidéo promotionnelle, datée de 2021, disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=xQ5uqZ0LnNU (consulté le 22 février 2024).
75Valtero : Pavé César ! / Valtero : Les Tartares ! / Valeteo : Tous les chemins mènent à… / Valtero : Haché César ! /Valtero : Faux filet ! / Valtero : Avé viande !, France, Saatchi & Saatchi, 2006.
76Rybb & Deckers : dear Brutus, Finlande, Taivas, 1999.
77Would you, my Dear Brutus, have also wanted a cup of cold and fresh Rybb & Deckers juice?
78a murderously tasty juice classic.
79Même conclusion dans Thomas Guard, art. cit., p. 165, qui identifie une « dégradation burlesque » du personnage dans les années 60 sous l’influence d’Astérix.
80René Goscinny / Albert Uderzo, Astérix, tome 4 : Astérix gladiateur, 1964, p. 34.
81Albert Uderzo, Astérix, tome 27 : Le fils d’Astérix, 1983.
82Frédéric Forestier / Thomas Langmann, Astérix aux Jeux olympiques, 2008, 117 minutes.
83Kheiron, Brutus vs César, France, 2020, 87 minutes.
84https://www.allocine.fr/festivals/festival-192/ (consulté le 22 février 2024).
85Jacques Dorfmann, Vercingétorix : la légende du druide roi, France, 2001, 122 minutes.
86En ce sens, nous nous éloignons des conclusions de Thomas Guard, art. cit., p. 175, pour qui il n’est de Brutus sans César.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Pauline Ducret
Membre de l’école française de Rome, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Paris, agrégée d’histoire et docteure en histoire romaine de l’Université Paris 8 – Vincennes – Saint-Denis, Pauline Ducret mène de front deux thèmes de recherche. À côté de ses travaux en histoire et archéologie romaines, elle étudie la réception de l’Antiquité dans divers médias contemporains : films et séries, bandes dessinées et mangas, jeux vidéo et jeux de société, mais aussi parcs à thème et discours politiques. . Elle a publié, seule ou en collaboration, une dizaine d’articles sur ce thème, mais aussi un essai sur le Puy du Fou (avec Florian Besson / Guillaume Lancereau / Mathilde Larrère, Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Les Arènes, Paris, 2022), un catalogue d’exposition sur Alix (avec Gaétan Akyüz / Stéphane Beaujean / Romain Brethes / Didier Pasamonik / Yann Potin, Alix. L’Art de Jacques Martin, 9e art + éditions, Angoulême, 2018) et elle a co-dirigé un numéro de revue sur les usages politiques du passé (avec Florian Besson / Fabien Bièvre-Perrin (dir.), « Passés politisés », Frontière.s, n° 9, 2023, en ligne : https://publications-prairial.fr/frontiere-s/index.php_id_1572.html).