Mythologie scandinave made in Japan !
Résumé
Les fictions japonaises, dans leurs divers supports, mangas, jeux vidéo, animés ou romans, s’inspirent notablement des univers nordiques. Cette étude analyse particulièrement le riche destin littéraire nippon de deux figures de la mythologie viking, la Valkyrie et Yggdrasil, l’arbre-monde. L’ère Meiji a ouvert la culture japonaise aux concepts occidentaux, particulièrement aux données germaniques, par lesquelles la culture viking s’est introduite dans l’archipel, avant de foisonner au XXe siècle. Si la Valkyrie surplombe les champs de bataille, y compris ceux de la Seconde guerre mondiale, Yggdrasil connecte les divers mondes flottants de la culture japonaise classique : tous deux élaborent un nouvel univers, où le samouraï trouve son écho dans le viking. Ces mythèmes en construction sont désormais au cœur du métavers et de ses arborescences infinies. L’appropriation de mythologies exogènes fonde une nouvelle mythologie endogène japonaise.
Abstract
Japanese fiction, in its various media, whether manga, video games, anime or novels, is notably inspired by Nordic universes. This study places emphasis on the rich Japanese literary fate of two figures from Viking mythology, the Valkyrie and Yggdrasil, the world tree. The Meiji era gave Japanese culture access to Western concepts, particularly Germanic ones, through which Viking culture was introduced into the archipelago, before thriving there in the 20th century. If the Valkyrie overlooks the battlefields, including those of the Second World War, Yggdrasil connects the various floating worlds of classic Japanese culture: both create a new universe, where the samurai finds an echo in the Viking. These myths under construction are now at the heart of the metaverse and its infinite tree structures. The appropriation of exogenous mythologies has established a new endogenous Japanese mythology.
Table des matières
Texte intégral
Quiconque déambule dans un cabinet d’« architecte d’intérieur » se voit désormais proposer un concept nouveau : le japandi, style de décoration d’intérieur mondialisée, issue du « wabi sadi1 » japonais et du « hygge2 » nordique. Cette chimère nippo-scandinave inattendue est le résultat d’imaginaires construits autour des deux cultures — pour elles-mêmes d’abord et par les perceptions qu’on en a ensuite.
Cette hybridation dans la décoration n’est pas seulement une curiosité de salon. De fait, les œuvres japonaises s’inspirant d’un boréalisme3 adapté sont nombreuses. Un samouraï et une Valkyrie peuvent désormais coexister. À l’axe Nord-Sud traditionnellement associé à l’univers boréal se juxtapose un axe Est-Ouest. Mangas, jeux-vidéos ou animés4 regorgent de motifs et de clichés issus de l’univers scandinave, que le profane (français ou japonais) nomme vikings. « Faire une víking5 », pour la culture de masse, est devenu faire viking. Le Valhalla, Brunehilde ou Odin sont aujourd’hui des identités courantes dans un certain type de divertissement de masse. Ces « figures emblématiques de toute une société6 » participent au « fondement de bien des confusions7 », ajoute Alban Gautier.
La présente étude analyse le cheminement dans des œuvres japonaises importées en Occident de deux figures nordiques : la Valkyrie et Yggdrasil. La déesse guerrière et l’arbre-monde, travaillés par la pop culture nippone consommée par le monde occidental, participent tout autant au rayonnement de la culture (orientale) qui les a digérés qu’à celle (occidentale) qui les a créés.
Le corpus sélectionné ne saurait être exhaustif dans l’espace d’un article : nous confronterons trois mangas (Vinland Saga8, Valhallian9 et Valkyrie Apocalypse10), un light-novel (les deux premiers volumes de la série Overlord11) et un roman illustré (Le Grand Arbre au centre du monde12). Il ne s’agira pas d’étudier le boom scandinave dans la pop culture japonaise ou dans la pop culture occidentale, mais plus exactement la réception de la première (mâtinée/hybridée de mythologie scandinave) par la seconde. Notre étude s’inscrira ainsi dans une perspective de mythologie comparée au sein de ce que l’on appelle désormais une « nouvelle culture globale »13.
La mythologie scandinave made in Japan combine en effet le double attrait de l’Occident pour l’univers nordique et pour l’Extrême-Orient. Si, souvent, l’Extrême-Orient ne nous intéresse que pour autant qu’il correspond à nos modes passagères ou à nos lubies, l’Extrême-Orient « à la mode viking » nous parle parce qu’il comble une appétence occidentale pour ce que représente le « faire viking ». Mais comment comprendre le goût occidental pour ce « faire viking » japonisant ?
Les problématiques soulevées par cette matière du Nord hybride sont à la croisée du médiévalisme et du néo-médiévalisme, de la fantasy et de la mythologie, des études de marché et de la sociologie. Qu’est-ce qui fascine un public de masse occidental friand de japonaiseries combinées à la matière du Nord, et plus particulièrement dans ces figures de vierge guerrière et d’arbre-monde ? L’adoption et la reconnaissance par l’Occident d’une telle matière ne portent-elles pas trace d’un fond commun culturel mondialisé ?
Cette étude cherchera à ouvrir des pistes pour saisir le sens de la prégnance de cette néo-mythologie hybride dans les « littératures de l’imaginaire » et ce que les publics japonais et occidentaux y projettent. Le Japon, occidentalisé depuis l’ère Meiji14, a développé des études nordiques via le filtre culturel du substrat germanique. Le « viking japonais » est dès ses débuts un être de seconde main. Rien d’étonnant dès lors si le public occidental peut « re-re-lire » la mythologie scandinave japonisante, qui est l’écho d’un écho.
Dans ce contexte, Yggdrasil et la Valkyrie sont promus au rang de décor ou d’héroïne dans nombre d’œuvres transmédiales. Images spectaculaires de la nature ou de la guerre, ils se chargent de problématiques nouvelles, prenant un caractère en quelque sorte supra-civilisationnel. Enfin, cristallisés par la pop culture japonaise, ils acquièrent une fonction discursive et méta-poétique. L’arborescence et le voyage des einherjar15 vers le Valhalla deviennent des métaphores méta-artistiques de l’individu (lecteur ou joueur) face au choix des possibles de l’imaginaire et plus particulièrement du métavers. Yggdrasil et la Valkyrie ne sont plus les mythèmes16 de la civilisation qui les a vus naître, mais ceux d’une mythologie en construction au XXIe siècle.
Après avoir examiné, dans un premier temps, la connexion du substrat germanique et des études nordiques au Japon, nous analyserons, dans le foisonnement des motifs nordiques, le sort réservé à Yggdrasil et à la Valkyrie, les espaces respectifs d’Asgard et l’Ukiyo-e, et les représentations du guerrier, samouraï et du víkingr. Nous analyserons ensuite les deux mythèmes d’Yggdrasil et de la Valkyrie, piliers d’une mythologie en construction dans le métavers 2.0.
Les études nordiques au Japon
Comprendre la prolifération des thèmes nordiques dans la production culturelle de masse japonaise suppose de recontextualiser rapidement l’arrivée de la matière du Nord au pays du Soleil levant.
Le substrat germanique
Le Japon s’ouvre à l’Occident en 1868, quand le commodore Perry l’a convaincu grâce à ses « vaisseaux noirs »17 de s’ouvrir commercialement parlant à l’Occident, via la Convention de Kanagawa de 1854. L’empereur Mutsuhito (1852-1912, couronné Meiji en 1868) lance l’occidentalisation et l’européisation du pays18. Une modernisation qui ne se fait pas sans heurts19.
Dans ce contexte, le triangle amoureux est un motif que des œuvres comme Le Démon doré utilisent pour métaphoriser le dilemme cornélien de toute la civilisation japonaise. Le Japon devait-il se tourner vers sa tradition ou vers la modernité ? La Valkyrie combattante héritée du substrat germanico-scandinave est ainsi devenue l’hypostase d’un Japon noble, celui des bushi et des samouraï, malmené par l’Ailleurs (l’Occident) corrompu par l’or (le commerce). La valkyrie en tant qu’objet mythologique véhiculait, comme l’écrit Céline Bryon-Portet, « une vision partagée, essentielle à tout vivre-ensemble20 », c’est-à-dire le motif d’un mythe adopté par le Japon et adapté à sa réalité propre.
Dans cette vague d’occidentalisation, les études nordiques au pays du Soleil levant sont de seconde main. Les motifs scandinaves ne sont qu’une part du processus de modernisation : le Japon accède non pas à la mythologie nordique mais à une mythologie nordique réévaluée et reconstruite selon les codes du XIXe siècle européen. Le « Printemps des peuples » a soufflé sur l’Allemagne, les sentiments nationaux se sont développés et on s’est intéressé aux vieilles épopées et aux vieilles langues. La valkyrie japonaise est donc l’aboutissement d’un motif germanico-scandinave.
L’une des reconstructions les plus célèbres de la mythologie scandinave par l’Allemagne du XIXe siècle est la tétralogie21 de Richard Wagner, composée à partir de 184822. L’Anneau du Nibelung, inspiré de la Chanson des Nibelungen — qui elle-même propose des éléments issus des Eddas et de la Völsunga Saga — met en scène un triangle amoureux dont la résolution, par la mort des protagonistes, aboutit au Crépuscule des dieux (1876). Simplifions : le Crépuscule des dieux, traduction allemande de « Ragnarök », commence par l’évocation du frêne dont Odin / Wotan a fait entasser le bois autour du Walhalla, et se termine sur l’embrasement du bûcher de Sigurd / Siegfried dans lequel la Walkyrie Brünnhilde / Brynhil / Brunehilde se jette et dont le feu se propage au Walhalla. Les péripéties naissent du triangle amoureux entre Brunehilde, Sigurd, et Gudrún / Gutrune. Dans ce triangle amoureux, Brunehilde est une valkyrie déchue, punie par Odin, contrainte de quitter son milieu initial — parfait objet pour incarner l’adoption d’une mythologie par une entité qui lui est a priori étrangère. La valkyrie était un mythème porteur en lui-même du signifié « transfert ».
Cette identité d’entité supérieure punie, donc « transférée » d’un monde à l’autre, se retrouve dans les productions de la pop culture japonaise contemporaine. Dans le manga Valkyrie Apocalypse23, Brunehilde soutient les hommes coûte que coûte, car elle est « la valkyrie déchue, dont la chair a jadis été rabaissée à celle d’une humaine24 ».
La valkyrie japonaise héritée d’un XIXe siècle germanophile appartient donc à ce que Thomas Mohnike nomme les « narrative geographies »25, essentielles pour comprendre l’organisation et la création de mondes imaginaires inspirés de l’univers scandinave.
Un foisonnement des motifs nordiques à l’aube du XXe siècle
En effet, la pop culture japonaise proposant des motifs nordiques rend compte de l’utilisation des géographies narratives que décrit Thomas Mohnike : « Quand les gens évoquent le Nord […] c’est le plus souvent comme décor pour des récits — récits touristiques, identitaires, de reconnaissance nationale, d’enquête policière ou autres26 ».
L’aspect policier véhiculé par le motif nordique est la base du manga Detective Demon Loki27, où le dieu de la malice Loki, puni par Odin, est envoyé sur Terre sous les traits d’un enfant, en charge d’une agence de détectives privés spécialisés dans le paranormal. A la frontière des aspects policier, identitaire et amoureux, Brynhildr in the Darkness28 présente une jeune fille amnésique, Kuroneko, morte et ressuscitée, et qui n’est autre que la Valkyrie Brunhilde, plongée dans le club d’astronomie d’un lycée.
Dans la catégorie des jeux vidéo, la série Valkyrie Profile29, l’un des gameplay du jeu est de faire se déplacer l’avatar « valkyriesque » du joueur dans les cieux, au-dessus d’un monde fictif, pour qu’il rencontre un individu susceptible de devenir un guerrier utilisable dans la suite du scénario vidéo-ludique.
Autre exemple, alliant les aspects de la fable écologique et de la quête identitaire, le dessin animé de Hayao Miyazaki Ponyo sur la falaise30, réalisé par le Studio Ghibli31, vecteur essentiel du goût de l’Occident pour le Japon. Le film raconte l’histoire d’amour d’une petite sirène initialement nommée Brunehilde. Là où l’on observait une chute de la Brunehilde nordique, on observe une ascension de la Brunehilde japonaise, chevauchant un tsunami sur un fond sonore saturé par une récupération du thème La Chevauchée des Walkyries. Ces motifs nordiques sont un biais de démarcation dans l’univers culturel japonais, une porte d’entrée sur l’univers scandinave et un decorum pour un univers en construction.
Yggdrasil et la Valkyrie
Parmi ces éléments, deux motifs sont particulièrement travaillés, et a fortiori, japonisés dans un double processus : par le Japon qui les récupère et par l’Occident japonophile qui les associe à la pop culture japonaise qui les utilise. Il s’agit de la Valkyrie et d’Yggdrasil, l’arbre-monde. Ils sont essentiels dans la triangulation entre mythologie germanico-scandinave, mythologie scandinave japonisée et mythologie scandinavo-nipponne occidentalisée32.
Revenons sur le studio Ghibli et Hayao Miyazaki. Dans Le Château dans le Ciel33 il est question de Laputa34. La dernière image du dessin animé montre l’île volante survolant la planète. Elle est un arbre immense retenant dans son système racinaire un palais entouré de jardins. Cet arbre est l’univers soutenant une civilisation supérieure (située au-dessus du monde) : c’est l’illustration littérale d’un monde flottant.
La diégèse de ce dessin animé propose une jeune fille amnésique, comme Brunehilde chez Wagner. Et à la fin de l’histoire, l’arbre-monde, retenant dans son système racinaire l’univers, continue son existence et s’envole dans des cimes inaccessibles. Le pont entre le monde et Laputa n’existe plus, comme le Bifröst s’effondre dans la mythologie nordique. Ainsi Yggdrasil et l’arbre-Laputa de Miyazaki incarnent la fragilité, la rupture possible entre le monde et le transcendant.
Pour comprendre l’assimilation de ces motifs par un système japonisant, reprenons les données mythologico-religieuses japonaises et nordiques. Du côté japonais, considérons l’uki-yo. Ce « triste monde » (憂き世) est présent, illusoire, centré sur les peines et les souffrances, en opposition à l’au-delà. Le terme ukiyo est redécouvert par le Japon au XVIIe siècle, lorsque les peintres s’intéressent au monde populaire, aux quartiers des plaisirs, aux salles de théâtre... Apparaît alors le terme ukiyo-e pour désigner leurs dessins. Littéralement, c’est « l’image du monde flottant » (浮世絵) par homophonie.
Du côté de la réception de la mythologie nordique, pour le profane, plusieurs mondes cohabitent dans son univers. « Neuf mondes : Asgard, Alfheim, Vanaheim, Nidavellir, Midgard, Jötunnheim, Nilfeim, Helheim et Muspellheim… un monde démesuré35 », explique l’incipit d’Overlord, le roman de Kugane Maruyama. Dans ce récit, Yggdrasil est le nom d’un jeu vidéo. L’incipit insiste sur le caractère inaccessible et supérieur du monde virtuel et idéalisé du jeu vidéo/univers de Overlord : « Un titre brillait plus que les autres : YGGDRASIL36 ».
Grâce à Yggdrasil qui connecte les mondes par son tronc et ses racines, les uns sont au-dessus, les autres en dessous. Midgard, la terre du milieu, le monde des hommes, est le seul que ces derniers voient, les autres restent invisibles. Ainsi, Asgard, flottant au milieu du tronc d’Yggdrasil, au-dessus du monde des hommes, condamnés à la peine et à la mort, est devenu le « monde flottant » qui catalyse toute l’imagerie de la mythologie nordique made in Japan et qui permet un parallèle entre le personnage plongé dans les mondes d’Yggdrasil et le lecteur plongé dans le monde imaginaire.
Dans le roman illustré Le Grand Arbre au centre du monde, on nous explique : « Au centre du monde se dresse un grand arbre. Peu de gens le connaissaient jadis, et aujourd’hui, il semblerait que tous l’aient oublié… Personne ne savait combien de centaines ou de milliers d’années s’étaient écoulées depuis l’apparition de la première feuille37». Et sur la première belle page de l’opus, un arbre gigantesque surplombant les cimes montagneuses est représenté de manière centrale. La maison de Sissi, l’héroïne, sera en deuxième illustration représentée au pied de ses racines, disproportionnée pour mieux rendre compte du gigantisme de l’arbre. L’Yggdrasil japonais est donc une variation sur l’axis mundi dans lequel Sissi voyage au cours du livre jusqu’à trouver l’amour.
Quant à la Valkyrie, la vierge guerrière, son rôle est de parcourir les cieux, au-dessus des champs de bataille, pour récolter les âmes des guerriers tombés au combat, les mener au Valhalla et en faire des Einherjar. La Brunehilde de Valkyrie Apocalypse ne fait pas exception : c’est elle qui invoque les guerriers de l’humanité pour affronter les dieux souhaitant sa destruction. « La relation que nous entretenons avec les mortels est bien plus profonde que celle de toutes les divinités38 », explique Brunehilde.
Ainsi, si l’arbre connecte, la Valkyrie permet un transfert. Par eux se produit la connexion d’une production de la pop culture japonaise et d’une consommation par un Occident populaire39. Ce sont les « conditions postmodernes de leur [les créations néo-médiévalistes japonaises] existence, à commencer par la fragmentation de l’espace-temps »40, qui expliquent leur remplissage de sens : les deux motifs fonctionnent sur le même principe, le passage dans l’entre-monde. L’arbre est à la fois céleste et terrestre, aérien et souterrain ; la Valkyrie est humaine et divine, vivante et morte. Deux figures de l’ambiguïté, réadaptées à la mode bouddhique, selon l’ukiyo. Et de ce « monde flottant » scandinavo-japonais découle une autre collusion. Le guerrier faisant la víking, partant en expédition, se retrouve le double du samouraï.
Le samouraï est le serviteur qui place son sabre à la disposition d’un maître. Associé à l’éphémère et au monde flottant bouddhique, il n’en faut pas moins pour qu’une nouvelle féodalité se crée entre la Valkyrie et l’einheri. Si le viking est essentialisé autour de sa hache et son casque à cornes — « Il est inconcevable de le représenter sans son équipement… dans les genres de l’imaginaire figurent l’épée et la hache41 » explique Caroline Olsson — le samouraï, pour l’Occident, voit sa représentation cristallisée autour de ses attributs : le katana et son casque kabuto orné d’un maedate.
Dans Vinland Saga, la collusion entre viking et bushi est un motif constitutif : ainsi l’analyse Maxime Danesin, à partir de « la question fondamentale et récurrente “Qu’est-ce qu’un vrai guerrier ?” […] originaire du Bushido, le code des Samouraïs42 ». Dans cette série, le guerrier Thorfinn est protecteur du Prince Knut, représenté pour la première fois de manière inidentifiable sur la page du chapitre 2143. De profil, en plan taille, il est au centre de l’illustration, autour de lui des feuilles tombent comme des flocons de neige (ou des pétales de sakura). Le lecteur l’associe avec ce « monde flottant », et cette transcendance avec le monde invisible. Le titre du chapitre, au-dessus à gauche du personnage, est « Walhalla ». La représentation efféminée du prince amène le lecteur (comme le fera le héros Thorfinn) à prendre le prince pour une fille, en partie à cause de son casque ailé et ses longs cheveux blonds, selon l’image classique de la Valkyrie44.
Autre exemple : la double page du chapitre 1 du manga Valhallian. On y voit un samouraï sabre en main et revêtu de son armure en premier plan, la tête d’une valkyrie reconnaissable à son aile en second, en haut, surplombant une armée d’hommes aux attributs gréco-romains. La Valkyrie-actant n’est plus Brunehilde mais Hrist (valkyrie attestée). La diégèse de ce manga tourne autour de la nouvelle féodalité entre Valkyrie et samouraï. Hrist explique prosaïquement au samouraï invoqué (Tetsujiro Soma) : « Désormais tu m’appartiens. Tu es mon guerrier à moi et à personne d’autre… Tu vois bien que je suis une Valkyrie, enfin ! Tous les guerriers rêvent d’être choisis par une de nous, non ?45 » Hrist et Tetsujiro affrontent les armées romaines d’une autre valkyrie, Kára. La nationalité des protagonistes n’est pas un hasard : la rivalité des soldats qui croisent le fer métaphorise tout autant qu’elle est métaphorisée par le crossover des univers médiévaux japonais, médiévaux européens et antiques latins.
Outre cette vassalité mi-nipponne mi-scandinave, Valhallian inclut le thème du barbare. Parce qu’il s’est distingué comme guerrier lors des invasions mongoles46, Tetsujiro est choisi en tant qu’einheri. Le viking était déjà, dans l’imaginaire occidental du XIXe siècle que le Japon a utilisé, associé aux invasions barbares. Il est la figuration même du « barbare satanique47 ».
Les premières planches du tome 3 de Vinland Saga ne laissent aucun doute sur la ténacité de cette image, puisque les pages en couleurs présentent un Berserker en pleine charge, torse nu, bras écartés, hache à la main, à la chevelure rousse et ébouriffée48. La narration qui accompagne cette illustration accentue l’imaginaire sanglant et violent véhiculé par la vignette « A partir de l’an 1003 les assauts des vikings danois sur l’Angleterre s’intensifièrent jusqu’à atteindre un degré de violence sans précédent49 ».
Alors, si la Valkyrie cherche le meilleur guerrier, comme l’expliquait la Hrist de Valhallian, pourquoi la Valkyrie japonaise se limiterait-elle à des Einherjar nordiques ? Être de passage, les frontières ne la limitent pas. Pour une pop culture, c’est-à-dire une culture globalisée, le terrain de jeu est, de fait, mondial. C’est pourquoi dans Valkyrie Apocalypse le premier Einheri à être invoqué par la valkyrie Brunehilde est Lü Bu, le seigneur de guerre chinois des Trois Royaumes50. Puis elle invoquera Adam, et encore Jack l’éventreur.
Puisque que les invasions vikings ont développé le mythe des Dark Ages et que l’univers mythologique nordique a une fin, via Ragnarök, les Einherjar japonais fonctionnent dans un schéma d’effondrement civilisationnel. « Nous sommes à l’aube de l’âge du crépuscule51 », explique-t-on à Thorfinn, le héros de Vinland Saga. Le Ragnarök52 incarne l’idée de fin du monde, de dépérissement de la terre, de la planète. Ce thème devient « une parabole du réchauffement climatique [et] des dégâts provoqués par la modernisation industrielle53 ». Dans un Japon où le cycle saisonnier reste essentiel, où la nature, via le shintoïsme, a une importance majeure, on voit ce qui a facilité l’assimilation du schéma nordique.
Dans le Grand Arbre au centre du monde, l’équivalent d’Yggdrasil voit son feuillage se corrompre à cause d’une eau métallique. « L’eau couleur métal… son but n’est pas de faire mourir l’arbre, mais au bout du compte, il dépérit quand même54 ». Écho du scandale des eaux contaminées dans la baie de Minamata (1959-1977), sous-texte des problématiques écologiques des années 2020.
À partir du déversement de cette eau le long du tronc de l’arbre, le monde de Sissi vit un hiver particulier : « Une tempête de neige bien trop précoce pour la saison les accueillit… un long hiver commençait pour eux55». Une fois l’arbre corrompu, les voyages de Sissi entre les niveaux de l’arbre concordent avec l’arrivée de Fimbulvert, comme si le schéma nordique, digéré par le contexte japonais, devenait universel. Pareillement, dans Overlord, l’incipit précise bien que « c’est le dernier jour d’Yggdrasil56 ».
Ainsi, Yggdrasil et la Valkyrie, deux motifs associés à la destruction du monde, sont promus, dans leur consommation par un public profane, au rang de motifs créateurs. Ils deviennent le point central de l’édification d’une nouvelle mythologie, expliquant et soutenant l’élaboration d’un nouveau système, « modernisé », « vecteur de la mythologie57 » dont les « jeunes gens sont assez friands58 ».
Deux mythèmes pour une mythologie en construction ?
Dans le manga Valkyrie Apocalypse, « le Ragnarök [est] l’affrontement ultime des dieux contre les humains59 », explique Brunehilde, qui apparaît dès la première page, sur un dégradé de bleus et blancs, tenant une planète Terre miniature entre ces mains. Et le thème du Ragnarök60 ne peut que résonner au Japon, conglomérat volcanique.
La Valkyrie, qui tente de sauver les hommes, rappelle aux dieux de toutes les mythologies que le Ragnarök est une loi. Avant de pouvoir détruire les humains, l’interprétation législative d’un article est déterminante. « Comme le définit la constitution du Walhalla, article 62, paragraphe 15… clause exceptionnelle… il s’agit d’une série de duels qui opposent champions de l’humanité et champions divins61».
L’important est donc dans l’interprétation possible d’un système codifié et codé. Ce qui fascine aussi le profane dans l’univers nordique, ce sont les runes, le symbole sacré à déchiffrer et décoder. La fantasy et la science-fiction, deux genres que la pop culture japonaise travaille en utilisant les motifs nordiques, font grand cas de la linguistique.
Ainsi, dans Le Grand Arbre au centre du monde, Sissi croise le long de son ascension et à plusieurs reprises des pierres runiques, avec des symboles gravés qui semblent encadrés par un tracé cheminant de manière serpentine sur la roche. « De temps à autre, elle tombait sur des inscriptions dans la pierre. Quelqu’un est déjà passé par là, pensait-elle alors. Pour Sissi, dont c’était le premier voyage loin de sa maison, il y avait dans ces découvertes un bonheur tout particulier62 ».
La rune matérialise l’émerveillement du texte, l’équivalent nordique du « sense of wonder » de la science-fiction. Le caractère runique et calligraphié est l’enchantement de notre temps. Ou son réenchantement : il est un système religieux et linguistique obscur auquel il faut être initié. « La culture contemporaine, et notamment geek, a investi la notion de “rune” en lui attribuant principalement deux rôles différents, à savoir celui d’un outil de communication en tant que langue et d’un outil performatif, généralement lié à une pratique magique63 », explique Yohann Guffroy.
Or ce double système incarne un mystère nouveau. Parce qu’elle n’est pas initiée aux langages lointains Sissi ne comprend pas ce que lui dit le jeune garçon Sama lors de leur première rencontre. L’illustration est éclairante. Les symboles supposés traduire le langage étranger du garçon sont doublement étrangers à un lecteur, qu’il soit japonais ou français. La forme des caractères transcrivant les sons et la couleur (rouge) renforcent l’étrange étrangeté de la communication. Pour parodier Saul Pandelakis, la Sissi du Grand Arbre au centre du monde permet non pas d’illustrer la « création d’une langue » mais plutôt « la relation à une langue64 ».
Le viking, considéré comme un barbare moral au XIXe siècle, est plutôt aujourd’hui barbare au sens premier : celui qui ne parle pas la même langue65. N’oublions pas que le boréalisme est avant tout « une grammaire du Nord » comme l’explique Sylvain Briens. L’agressivité dans le Grand Arbre au centre du monde est illustrée par la formule « jaillissant de nulle part, des mots en langue étrangère se ruèrent sur Sissi66 ». Ces mots incompréhensibles de l’Autre (le futur amoureux de Sissi) agressent les tympans — le cœur — de l’héroïne.
Processus inversé, dans Vinland Saga. Le premier chapitre est centré sur l’arrivée du héros Thorfinn dans une cité française. La langue nordique est transcrite par du japonais et la langue étrangère à celle du héros est transcrite par un français en graphies katakana et hiragana. Deux soldats dégainant leur épée s’exclament « Hein !? (ああ !?) » et « Fermes*-la ! (なんだと !? このガキ67 !!) ».
Le réenchantement runique basé sur la mythologie nordique dans les productions culturelles japonaises est plus complexe au Japon, où le système runique est mélangé aux alphabets latin et grec. Voir la vignette une de la page 24 de Valkyrie Apocalypse, qui représente un effeuillage rapide du code pénal du Walhalla : les lettres -R- -H- ou encore -P- côtoient les runes ᚠ (Fehu), ᛟ (Othala) et (Berkano).
Il ne faudrait cependant pas négliger la valeur politique de ce syncrétisme nordico-japonais. Ces héros orientaux, chinois ou japonais qui affrontent des dieux scandinaves ou grecs ne sont pas anodins. Dans Overlord, le jeu vidéo Yggdrasil correspond à la suprématie japonaise dans le domaine vidéoludique : « Jeu vendu douze ans auparavant, en 2126, par un développeur japonais ayant saisi sa chance sur le marché… Grâce à son succès fulgurant, le terme DMMO-RPG devint presque synonyme d’Yggdrasil68 », est-il précisé, avec une antonomase.
C’est sa maîtrise technologique et informatique qui a renforcé le système japonais. Dans Valkyrie Apocalypse, les Valkyries aident les humains grâce à une technologie nommée « la forge de Völund », capacité qu’elles seules maîtrisent et qui les fait se transformer en armes indestructibles. Il y a entre l’humain et la Valkyrie transformée en arme un processus de fusion. Comme il y a une fusion culturelle entre les entités nordiques et les produits japonais, entre le signifiant et le signifié, pour reprendre l’entité binaire de Saussure. C’est là que les motifs d’Yggdrasil et de la Valkyrie prennent tout leur sens.
Yggdrasil et la Valkyrie sont devenus des motifs de ce « Moyen Âge 2.0 mondialisé69 » et réenchantent le monde par les potentialités de l’imaginaire qu’ils permettent. Ils font partie de ces « totems70» de « la nouvelle culture globale » jouant sur le numérique et les nouvelles technologies.
Le principe de l’arbre réside dans son arborescence — les branches, les racines sont la métaphore des possibles — et celui de la Valkyrie dans l’optimisation — elle choisit tel ou tel guerrier. Ce sont là deux motifs aux potentialités d’interprétation numérique nombreuses.
Le métavers, l’univers virtuel construit sur des données, semble a priori uniquement limité par les choix à faire, par son caractère alternatif. Plus on développe la Valkyrie et l’arbre, plus les choix sont nombreux, plus le diversel qu’évoque Marc Gontard71 s’enrichit.
Retour à l’incipit d’Overlord : « En cette année 2138, on pouvait trouver le terme de DMMO-RPG dans le dictionnaire. Abréviation de Dive Massively Multiplayer Online Role Playing Game ». On précise alors : « L’expression désignait un jeu à expérience sensorielle, permettant de jouer dans un monde virtuel comme si l’on se trouvait dans le monde réel ». Et de conclure : « Parmi l’infinité de DMMO-RPG développées, un titre brillait plus que les autres : YGGDRASIL72».
La Brunehilde de Valkyrie Apocalypse, qui veut sauver l’humanité, fonctionne aussi grâce à la numérisation technologique de son destin. C’est une Valkyrie connectée, qui a un téléphone portable, qui sonne en plein affrontement, et sa petite sœur, Göll, crie « Hilde ! ils ont demandé de couper les appareils électroniques avant le début du duel73 ! » Brunehilde, cet actant-mythème, n’est pas loin de la curiosité humoristique qu’évoque Thomas Mohnike pour illustrer les potentialités des réélaborations dans les mythèmes de la matière du Nord74.
Comme le nordique est devenu un symbole de liberté, une fois saisi par la mythologie geek en construction, il symbolise pour la pop culture japonaise la liberté de chacun cédant à la possibilité de l’impossible, à une personnalisation extrême du jeu vidéo, du manga. « Yggdrasil donnait une incomparable liberté d’action au joueur […] C’était cette liberté d’action, véritable boost de la créativité des Japonais75 », est-il asséné dans Overlord, faisant ainsi du jeu vidéo Yggdrasil l’incarnation par antonomase des potentialités créatives.
Conclusion
La mythologie nordique made in Japan est un objet-type de notre temps « qui [réécrit] les mythes et les [réécrit] à sa façon, en parlant de ce qui nous intéresse », selon la formule d’Anne Besson. Car « elle se nourrit d’une stratification énorme de cultures » européenne et extra-européenne, et « se donne les moyens de les repenser76 ».
Les études relatives au Moyen Âge utilisent trois concepts : le médiévisme, le médiévalisme et le néo-médiévalisme. Il faudrait l’équivalent pour parler de cette relation triangulaire entre le Japon du début XXe siècle, l’Occident contemporain et la Matière du Nord. Bien qu’issue des motifs européens, elle est, dès ses origines, une matière ni pleinement occidentale, ni pleinement orientale.
Potentiellement vidée, par le substrat germanique intermédiaire, des traits qui la rendait immuable, elle n’en a eu que plus de facilité à refléter des symboliques d’un système nippon a priori étranger. Assimilation d’une matière déjà assimilée par l’Allemagne au XIXe siècle, elle est le résultat d’une création au carré, puisqu’aujourd’hui, c’est une mythologie nordico-japonaise auto-réferentielle qui sert de porte d’entrée dans l’univers scandinave pour un Occident Pop.
Si Régis Boyer affirmait que « les Vikings jouent un rôle capital pour l’histoire de l’Europe77 », la mise en place d’une culture globale, mondialisée, leur assure un rôle capital pour le Japon extra-muros. Leur fonction dans la littérature « blanche » ou « de genres » révèle, certes, l’histoire du Japon mais aussi celle de l’Occident. Si des œuvres comme Vinland Saga, selon Maxime Danesin, ont revitalisé « la réalité des vikings et des mythes selon un prisme à travers lequel les jeunes lecteurs japonais peuvent penser leur propre situation78», leur importation et leur consommation par un public occidental permettent à ce dernier de se penser par rapport à ce qu’il perçoit comme le public japonais.
« La problématique de l’universalisation et de l’uniformisation est généralement abordée lorsqu’il s’agit de discuter des effets de la mondialisation sur la diversité culturelle et linguistique et la perte des richesses symboliques que de tels processus entraînent »79, affirme Laurent Di Filippo. Curieusement, l’édification et l’adoption de la mythologie scandinave made in Japan en Occident permettent une augmentation des « richesses symboliques » de ce matériau.
La mondialisation a favorisé l’élaboration et l’adoption par le public des « littératures de l’imaginaire » et de cette mythologie nordique made in Japan autour de deux motifs les plus proches du système mythologique envisagé comme japonais par le fan occidental. L’arbre et la Valkyrie alliant dans un double processus idéologico-religieux sacré et profane cristallisent l’adoption et la revendication des motifs nordiques par le marché japonais importé par l’Occident. Les livres, les jeux vidéo ou les figurines à collectionner sont des pans entiers où l’amplification de cette mythologie nordico-japonaise s’étend.
Cette mythologie n’est plus seulement un système oral ou écrit, c’est un système global orienté par le matérialisme de la civilisation occidentale contemporaine qui l’a engendré, civilisation où ce qui fait ciment n’est plus tant une identité nationale — fonction du mythe au XIXe siècle —, mais l’unité d’une communauté de lecture et de consommation culturelle, cette « nouvelle génération en Europe et au Japon80 » et dont la mythologie « [rapproche] leur imagination, créant ainsi un solide fond commun glocal pour le futur81 », écrit Maxime Danesin.
Notes
1« (Wabi : humilité face aux phénomènes naturels ; Sabi : ce que l’on ressent face au travail du temps ou des hommes) … en acceptant de s’ouvrir au Wabi Sabi, on va à contre-courant des modèles standardisés et artificiels modernes » Céline Santini, Kintsugi, l'art de la résilience, Paris, Éditions First, 2018, 248, p. 8.
2« Le hygge se présentant explicitement comme philosophie de vie… pour apaiser les tourments qui sont ceux de la condition humaine hypermoderne… Ramené à son épure définitoire, ce terme désigne une tradition danoise, un mode de rapport à soi et aux autres structuré autour des notions de bien-être et de confort. » Camille Roelens « Les Philosophies du Hygge : entre héritage culturel et développement personnel face à la quête hypermoderne du Bien-être individuel » in Studia UBB Philosophia, vol. 66, 2021, p. 11-12.
3Kari Aga Myklebost, dans Borealisme og kulturnasjonalisme. Bilder av nord i norsk og russisk folkeminnegransking 1830-1920, aurait créé le « boréalisme » par rapport à l’orientalisme : « De façon parallèle à l’orientalisme de Saïd, nous lançons le concept de boréalisme, comme un terme pour les cadres de compréhension de l’étude du folklore lié aux modes de vie et cultures du Nord, et leur résonance dans la dimension nordique du national » Traduction de Silvain Briens, « Boréalisme. Le Nord comme espace discursif », in Études Germaniques n° 282, 2016, p. 179-188. Si le « boréalisme » est l’orientalisme du Nord, alors la pop culture japonaise développe « un occidentalisme du Nord ».
4Sur les motifs culturels européens transférés au Japon après 1945 et sur la légitimation de la culture mangaesque, voir la thèse de doctorat de Maxime Danesin, Explorer les transferts littéraires et culturels européens au japon : des temps archaïques au néo-médiévalisme de l’ère Heisei (1989-2019), Tours, 2019.
5« Faire une víking, c’est s’embarquer sur un ou plusieurs navires “pour se procurer des richesses” ». Alban Gautier « Des Vikings aux Vikings : Portraits des « Hommes du Nord », in Laurent Di Filippo, Vikings, Les Moutons électriques, 2022, p. 9.
6Ibid., p. 10.
7Ibid., p. 11.
8Makoto Yukimura, Vinland Saga (ヴィンランド・サガ), Tokyo, Kōdansha, 2005 (à partir de).
9Toshimitsu Matsubara, Valhallian The Black Iron (黒鉄のヴァルハリアン), Tokyo, Shueisha, 2021 (à partir de).
10Azychika (dessinateur) / Shinya Umemura (scénariste) / Takumi Fukui (story-board), Valkyrie Apocalypse (終末のワルキューレ), Tokyo, Coamix, 2018 (à partir de).
11Les deux volumes dont on pourrait traduire les titres par « le roi des immortels » et « le guerrier noir de jais » ont été regroupés pour l’édition française sous le titre Le Roi-Mort-Vivant. Kugane Maruyama (story) / So-bin (illustration), 不死者の王 & 漆黒の戦士, Tokyo, Kadogawa Future Publishing, 2012.
12Makiko Futaki, Le Grand Arbre au centre du monde (世界の真ん中の木), Tokyo, Tokuma Shoten, 1989.
13Lolita Broissiat Graziosi, « La galaxie Pop comme nouvelle culture globale », RUSCA, 2018.
14Ère de 1868 à 1912 correspondant à la modernisation du Japon et au basculement d’un système politique de type féodal vers un système industriel.
15Au singulier einheri. « Les guerriers choisis d’Odin, qui s’entraînent au Valhalla, attendant la dernière bataille du Ragnarök […] Snorri […] en ajoutant […] que les einherjar sont “tous ces hommes qui sont tombés au combat depuis le début du monde” ». Trad. pers. D’après l’entrée « Einherjar (Lone-Fighters) » : « The chosen warriors of Odin, who sport at Valhöll awaiting the last battle at Ragnarök […] Snorri […] adding, […] that the einherjar are “all those men who have fallen in battle since the beginning of the world.” ». John Lindow dans son Norse Mythology : A Guide to the Gods, Heroes, Rituals, and Beliefs, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 104.
16Lévi-Strauss définit les mythèmes comme « “unités constitutives grossières” des récits (mythologiques), caractérisées comme “des faisceaux de […] relations et ce n’est qu’en tant que faisceaux que ces relations peuvent être utilisées et combinées pour produire un sens” […] les mythèmes se situent au niveau du récit narré, non au niveau de la narration, ou, suivant Saussure, ils font partie du signifié, non du signifiant ». Trad. perso. d’après « “gross constituent units” of (mythological) stories, characterized as “bundles of […] relations and it is only as bundles that these relations can be put to use and combined so as to produce a meaning” […] mythemes are situated at the story level of the narrated, not at the level of narration, or following Saussure they are part of the signified, not the signifier”, Thomas Mohnike, « Narrating the North. Towards a theory of mythemes of social knowledge in cultural circulation », in Deshima n° 14, PUS, 2020, p. 17.
17Les vaisseaux noirs « 黒船 » sont conservés dans Vinland Saga : la première page, en couleurs, présente une pierre runique rougeâtre accompagnée de la narration « Du lointain Nord… de l’autre côté de la mer gelée… ils arrivent traînant derrière eux le nuage noir de la guerre ». Makoto Yukimura, Vinland Saga 1, Paris, Kurokawa, 2009, p. 1.
18La jeunesse japonaise vient en Europe pour réaliser un nouveau type de Grand Tour. Les plus grands auteurs japonais du XXe siècle ont eu accès aux motifs culturels de l’Europe. Par le biais germanique le Japon s’imprègne d’une interprétation de la mythologie nordique, et le Nord apparaît au Japon dans le cadre donné par les études germaniques.
19Sur le déroulé et les conséquences du passage de l’ère d’Edo à l’ère Meiji, voir Pierre Souyri, Nouvelle Histoire du Japon, Perrin, Paris, 2010 (réédition 2023).
20Céline Bryon-Portet, « Des mythes aux mondes virtuels du numérique, continuités et ruptures du rôle de l’imaginaire » in Lise Viera / Nathalie Pinède, Stratégies du changement dans les systèmes et les territoires, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2009, p. 381-390.
21Sur les rapports entre musique allemande et Japon, voir l’étude sur Franz Eckert dans la thèse de Clara Wartelle, Les Chants pour enfants au Japon du début du XXe siècle : de la réception à l’affirmation d’une identité musicale, Paris, Université Sorbonne Paris Cité, 2019.
22Sur l’interprétation et la popularisation de la mythologie scandinave chez Wagner, voir Árni Björnsson, Wagner and the Volsungs : Icelandic sources of Der Ring des Nibelungen, Viking Society for Northern Research, Londres, 2003.
23Azychika / Shinya Umemura / Takumi Fukui, Valkyrie Apocalypse, Paris, Ki-oon, 2019, p. 40. Jouant sur la mode écologique et sur le succès du manga au Japon, l’éditeur Ki-oon expose pour son public français l’intrigue de la série dans la quatrième de couverture du premier volume : « Cette fois, la patience des dieux est à bout. Entre guerres incessantes et pollution extrême, les humains n'évoluent décidément pas et passent le plus clair de leur temps à semer le chaos sur terre. Les divinités décident donc à l’unanimité d’anéantir l’humanité […] Seules les valkyries, ces guerrières […] se rebellent contre ce jugement. Brunehilde, leur aînée, lance un défi aux créateurs du monde : que le sort des mortels soit soumis au Ragnarök, un affrontement ultime entre 13 divinités et 13 champions de l’humanité […] Valkyrie Apocalypse a fait sensation en se classant dans le top des meilleurs mangas au Japon ».
24Ibid., p. 38.
25« Géographies narratives comme répertoires de mythèmes de connaissance sociale disponibles pour décrire le monde à un moment et à un endroit donnés, et utilisés pour produire du sens dans le récit en question ». Trad. pers. d’après « narrative geographies as repertories of mythemes of social knowledge that are available to describe the world at a given time and place, and that are used to produce sense within the narrative in question. », in Thomas Mohnike, art. cit., p. 16.
26Trad. pers. d’après «When people evoke the North […] it is most often as a setting in narratives—of tourism, identity narratives, nation branding, detective stories or the like », ibid.
27Sakura Kinoshita, Loki, le détective mythique (魔探偵ロキ RAGNAROK), Tokyo, Square Enix, 1999.
28Lynn Okamoto, Brynhildr in the Darkness (極黒のブリュンヒルデ), Tokyo, Shūeisha, 2012. Publié en France par Delcourt Tonkam à partir de 2013.
29Tri-Ace (développeur), Valkyrie Profile(ヴァルキリープロファイル), Tokyo, Enix, 1999.
30Hayao Miyazaki, Ponyo sur la falaise (崖の上のポニョ), Tokyo, Studio Ghibli, Tōhō, 2008.
31Sur le rôle du studio Ghibli dans la prise de conscience du désastre écologique, voir Camille Roelens, « Hayao Miyazaki, éducateur précoce en anthropocène », in Recherches & Educations, 2023.
32Ils conjuguent ainsi les quatre mythèmes que Thomas Mohnike définit pour la récupération de la matière du Nord : mythème-acteur (ou entités narratives), mythème-chronotope, définissant le lieu et le moment d’une action, mythème-action (« éléments narratifs qui définissent la relation narrative entre les mythèmes des acteurs, comme par exemple X combat Y avec l’aide de Z ») et mythème-concept, « en rapport avec le niveau moral et intentionnel d’une histoire : des concepts tels que la liberté, la démocratie, l’amour éternel, la bonté, etc., qui dans certaines narrations peuvent dominer la structure de l’intrigue ». Trad. pers. d’après Thomas Mohnike, art. cit., p. 18-19.
33Hayao Miyazaki, Le Château dans le ciel (天空の城ラピュタ), Studio Ghibli, Toei, 1986.
34Comme chez Jonathan Swift dans Les Voyages de Gulliver, Laputa est une île volante, incarnant menace et puissance destructrice dont les habitants, trop obsédés par leurs pensées, ont perdu le sens de la réalité.
35Ibid., p. 10.
36Kugane Maruyama, Overlord, Big LN Éditions, p. 15. Les majuscules proviennent de l’édition, ce qui montre encore une fois que le signifiant graphique est déterminant car il souligne doublement le mythème-chronotope le mythème-acteur qu’est l’arbre Yggdrasil.
37Makiko Futaki, Le Grand Arbre au centre du monde, Paris, Ynnis éditions, p. 6.
38Azychika / Shinya Umemura / Takumi Fukui, Valkyrie Apocalypse, op. cit., p. 39.
39L’Occident populaire, fasciné, absorbé par la pop culture japonaise récupérant et transformant une mythologie plus ou moins scandinave, expérimente méta-littérairement parlant le destin narratif de personnages de la fantasy japonaise, plus particulièrement du genre de l’isekai (dont le canevas caractéristique est l’absorption d’un personnage par un univers imaginaire). Overlord, par exemple.
40Maxime Danesin, « The European Middle Ages through the prism of Contemporary Japanese Literature: a study of Vinland Saga, Spice& Wolf and L’Éclipse » in Mutual Images vol. 1, 2016, p. 119.
41Caroline Olson, « Stéréotypes sur les vikings : origines et persistances dans les industries culturelles », in Laurent Di Filippo, op. cit., p. 120.
42Trad. pers. D’après « the fundamental and recurrent question, “What is a true warrior?” […] originating from the Samurai's code Bushido ». Maxime Danesin, art. cit., p. 106.
43Makoto Yukimura, Vinland Saga 3, Paris, Kurokawa, p. 169.
44Voir le tableau préraphaélite d’Edward Robert Hugues The Valkyrie’s Vigil, l’illustration d’Arthur Rackham, la carte postale Brünnhild de Gaston Bussière ou, dans notre corpus, le design de la Brunehilde de Valkyrie Apocalypse ou encore celui de Lenneth pour Valkyrie profile.
45Toshimitsu Matsubara, Valhallian, Paris, Ki-oon, p. 45–47.
46Lors du kamikaze, le vent divin, c’est-à-dire les typhons qui, entre 1274 et 1281, auraient stoppé la flotte de Kubilaï Khan.
47Régis Boyer, Les Vikings, Paris, Perrin, coll. Tempus, p. 414.
48Makoto Yukimura, op. cit., p. 4.
49Ibid.
50Luo Guanzhong (d’après Chen Shou), Les Trois Royaumes (三國志演義), 1522.
51Makoto Yukimura, op. cit., p. 156.
52En tant que crépuscule, il fait écho à la mythologie japonaise. Amaterasu, la déesse solaire, après un contentieux avec les autres dieux, se serait retirée dans une grotte céleste. Le soleil aurait alors disparu pendant tout le temps où Amaterasu serait restée cloitrée.
53William Blanc, « Ragnarökr, un crépuscule pour toutes les saisons », in Laurent Di Filippo, op. cit., p. 249.
54Makiko Futaki, op. cit., p. 83.
55Ibid., p. 86–87.
56Kugane Maruyama, op. cit., p. 11.
57Anne Besson, « La réinvention de mythologies » in Ariel Kyrou / Jérôme Vincent, Pourquoi lire de la science-fiction et de la fantasy ? (et aller chez son libraire), Entretiens – 3e volet, Les Nouvelles Éditions, ActuSF, 2024, p. 223.
58Ibid.
59Azyckika / Shinya Umemura / Takumi Fukui, op. cit., p. 23–24.
60« En 2019, Chris Abrams, professeur à l’université de Notre-Dame aux États-Unis, pense ainsi déceler à la suite d’autres spécialistes, comme Hilda Ellis Davidson, que le Ragnarökr aurait été influencé par les craintes des premiers Islandais de voir leur société, bâtie sur une île volcanique inhospitalière, subir un effondrement écologique ». William Blanc, art. cit., p. 241.
61Azyckika / Shinya Umemura / Takumi Fukui, op. cit., p. 22.
62Makiko Futaki, op. cit., p. 29.
63Yohann Guffroy, « Les Runes, de l’écriture d’hier à la magie d’aujourd’hui », in Laurent Di Filippo, op. cit., p. 167.
64À propos de l’invention du sunđuz. Saul Pandelakis, « La Langue d’une extraterrestre », in Pourquoi lire de la science-fiction et de la fantasy, op. cit. p. 203.
65Sylvain Briens, art. cit., p. 181.
66Makiko Futaki, op. cit., p. 69.
67La traduction de Xavière Daumarie pour les éditions Kurokawa est intéressante : si elle corrige l’impératif fautif, le “hein” parfaitement compréhensible pour un Français a aussi été traduit. Les deux bulles sont devenues respectivement « Quoi ? » et « Ferme-la ! Comment oses-tu ? Sale petit morveux !! » d’après Makoto Yukimura, op. cit., p. 22.
68Kugane Maruyama, op. cit., p. 9.
69« Ce Moyen Âge 2.0 mondialisé… fait le lien d’un bout à l’autre de la planète, non sans conserver une double dimension multiculturelle… le néo-médiévalisme mangaesque… participe… à réenchanter notre monde, et, surtout, à affirmer la pluralité de ce dernier … ce Moyen Âge 2.0 en partie japonisé, qui avec le succès phénoménal de l’écosystème mangaesque à l’étranger, se fait toujours plus présent dans nos imaginaires. » In Maxime Banesin, op. cit., p. 519.
70Lolita Broissiat Graziosi, art. cit., p. 7.
71Marc Gontard, Écrire la crise : l’esthétique postmoderne, Rennes, PU de Rennes, coll. Interférences, 2013.
72Kugane Maruyama, op. cit., p. 9.
73Azychika / Shinya Umemura / Takumi Fukui, op. cit., p. 185.
74« Ou nous pourrions raconter l’histoire d’un sorcier et de Thor combattant conjointement une pomme à l'aide d’une épée dans la mer, ou encore celle d’une pomme combattant Thor à l’aide d’un smartphone au paradis ». Trad. pers. D’après « or we could narrate the story of a sorcerer and Thor fighting conjointly an apple with the help of a sword in the sea, or of an apple fighting Thor with the help of a smartphone in paradise », Thomas Mohnike, art. cit., p. 19.
75Kugane Maruyama, op. cit., p. 10.
76Anne Besson, art. cit., p. 228.
77Régis Boyer, op. cit., p. 19.
78Trad. pers. D’après « the Vikings' reality and myths as a prism through which contemporary Japanese readers can ponder on their own situation”, Maxime Danesin, art. cit., p. 107.
79Laurent Di Filippo, « Des récits médiévaux scandinaves aux mythes nordiques : catégorisations et processus d’universalisation », Colloque « Penser les catégories de pensée. De l’objet à l’objectivation dans l’étude des arts, des médias et des cultures », Université Sorbonne Nouvelle, 2015, Paris, France, p. 115-133.
80Trad. pers. d’après « new generations in Europe and Japan », Maxime Danesin, art. cit., p. 119.
81D’après « drawing closer their imagination, thus creating a strong glocal common ground in the future », ibid.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Camille-Apollonia Narducci
Professeur du Secondaire, Agrégée de Lettres Modernes, Docteur ès Lettres en Littérature Comparée d’Aix-Marseille Université et Autónoma de Madrid pour la thèse « Mythologie(s) de Mordred en Occident », Camille-Apollonia Narducci est co-rédactrice de l’Atlande Clefs Concours sur La Mort du roi Arthur.