L’éducation des enfants au XVIIIe siècle
Résumé
L’éducation des enfants a longtemps donné lieu aux interventions de quelques écrivains français entre la Renaissance (Rabelais et Montaigne en particulier) et la Révolution. En plein ferment des Lumières la formation de l’enfant se transforme en priorité en vue du renouvellement de l’individu moderne. Après 1750, et surtout à la fin du dix-huitième siècle, apparaissent de nombreux écrits se centrant exclusivement sur l’éducation ou ayant l’éducation comme l’un des sujets principaux tel que l’Émile (1762) de Rousseau, qui représente l’un des chefs-d’œuvre de la recherche pédagogique. Malgré la grande renommée dont jouit l’Émile, Voltaire dénigre l’œuvre pédagogique de Rousseau en raison des idées exposées et de différences caractérielles caractérisant l’un plutôt que l’autre. D’autres romanciers (tels que Diderot et Laclos) et quelques femmes (comme Madame d’Épinay et Madame de Genlis) offrent au public leurs propres propositions éducatives. Cette étude envisage la délinéation d’un cadre d’ensemble expliquant l’évolution de l’éducation pendant le dix-huitième siècle, ainsi que son importance chez quelques écrivains du siècle.
Abstract
Children’s education has been widely discussed by several French writers between the Renaissance (Rabelais and Montaigne particularly) and the French Revolution. During the Enlightenment period the ideas concerning children’s education changed to a priority according to the renovation concerning a modern individual. After 1750, and especially at the end of the eighteenth century, several books appeared focusing exclusively on education or having education as one of the major topic such as Rousseau’s Émile (1762), which represents one of the masterpiece on pedagogical education. Although Rousseau’s Émile was famous, Voltaire denigrates this pedagogical work because of the ideas exposed in it and of the difference between the two authors. Others writers (such as Diderot and Laclos) and some women (such as Madame d’Épinay et Madame de Genlis) presented their own educational proposals. This study aims at delineating a general perspective explaining the evolution concerning education during the Eighteenth century a well as its importance by some writer of this century.
Texte intégral
1Au dix-huitième siècle l’éducation est encore réservée aux classes aisées et, surtout, finalisée à la formation intellectuelle du genre masculin dans le cadre de la société française d’Ancien Régime. À l’âge de dix ans les enfants sont éloignés de la famille en raison de projets familiaux : les enfants destinés à la carrière ecclésiastique ou à l’administration publique sont envoyés dans les collèges, alors que ceux qui se consacreront à une carrière militaire sont pris en charge par des militaires. À cause de l’éloignement forcé voulu par les familles, les enfants ont rarement l’occasion de connaître leurs propres frères et sœurs1. De la même manière, les rapports avec les parents sont souvent coupés2. Depuis le dix-septième siècle les Jésuites contrôlent l’éducation dans les collèges ainsi que l’enseignement dans quelques universités en imposant leur modèle éducatif dans toute l’Europe : les meilleurs représentants des Lumières (Voltaire) et de la Révolution (Desmoulins et Robespierre), du reste, se forment chez les Jésuites. L’enseignement donné par les religieux implique l’étude des auteurs classiques grecs et romains, d’une part, et l’analyse des auteurs français, de l’autre. Bien qu’il soit anticlérical, Voltaire parle avec respect et gratitude des enseignements reçus au collège parisien Louis-le-Grand, le plus célèbre des collèges jésuites, qui offre gratuitement une éducation approfondie. Malgré ses opinions éclairées, Voltaire rejette l’alphabétisation du peuple, comme le témoigne la lettre du 1er avril 1766 adressée à M. Damilaville3. Dispensée au couvent ou à la maison, l’éducation donnée aux filles est généralement considérée comme inadéquate et négligée. Si plusieurs romanciers du siècle dénoncent l’insuffisance de l’éducation religieuse, c’est Madame de Genlis qui se prononce avec force contre l’éducation conventuelle dans son Discours sur la suppression des couvents de religieuses et sur l'éducation publique des femmes (1791). Se souvenant de sa formation religieuse, elle observe que l’éducation domestique est parfois donnée aux filles des classes aisées par des gouvernantes, bien qu’on se plaigne de l’ignorance de certaines institutrices4.
2L’un des premiers écrivains proposant un changement éducatif est certainement Montesquieu. Après avoir mis en relief la supériorité du modèle pédagogique de l’Antiquité, Montesquieu observe la diversification de l’éducation moderne ainsi qu’un décalage entre le modèle moderne et celui antique. Celui-ci ne connaît pas la séparation entre la société mondaine et le modèle religieux caractérisant la France moderne :
Aujourd’hui nous recevons trois éducations différentes et contraires : celles de nos pères, celles de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières. Cela vient, en quelques parties, du contraste qu’il y a parmi nous entre les engagements de la religion et ceux du monde ; chose que les anciens ne connaissent pas5.
3Si l’éducation de Voltaire est encore redevable d’un modèle pédagogique plutôt traditionnel, d’Alembert propose une formation plus moderne et concrète. À la suite de la condamnation des méthodes et des programmes des Jésuites, dont les collèges seront supprimés dix ans plus tard, d’Alembert propose une réforme très moderne qui vise l’enseignement des mathématiques et de la physique, l’introduction des langues étrangères modernes et la philosophie classique et moderne, ainsi que l’approfondissement de l’histoire et des beaux-arts. Dans l’article « Collège » de l’Encyclopédie, d’Alembert suggère un système éducatif pris en charge par l’État qui soit capable de faire face aux collèges dont l’encyclopédiste illustre les inconvénients :
Au reste, c’est au gouvernement, comme je l’ai dit, à faire charge là-dessus la routine et l’usage ; qu’il parle, et il se trouvera assez de bons citoyens pour proposer un excellent plan d’étude. Mais en attendant cette réforme [...], je ne balance point à croire que l’éducation des collèges, telle qu’elle est, est sujette à beaucoup plus d’inconvénients qu’une éducation privée [...].
Un autre inconvénient de l’éducation au collège est que le maître se trouve obligé de proportionner sa marche au plus grand nombre de ses disciples, c’est-à-dire aux génies médiocres ; ce qui entraîne pour les génies plus heureux une perte de temps considérable6.
4En dépit du renouvellement pédagogique qui anticipe la suppression des collèges jésuites, D’Alembert ne figure pas expressément parmi les autorités pédagogiques jusqu’en 17707. C’est plutôt la parution de l’Émile (1762) de Rousseau qui déclenche un intérêt croissant pour les questions pédagogiques et influence la génération suivante à laquelle appartiennent Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand. C’est surtout le Livre II qui permet à Rousseau d’illustrer les principes qui sont à la base de son modèle pédagogique. Il propose une différenciation entre éducation négative et éducation positive. La première éducation (dite négative) ne sert qu’à fortifier les fonctions psychologiques et physiologiques de l’enfant. Le maître est pourtant chargé de préserver le cœur de son élève encore innocent des périls tels que le vice et l’erreur :
La première éducation doit donc être purement négative. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur. [...] Exercez son corps, ses organes, ses sens, ses forces, mais tenez son âme oisive aussi longtemps qu’il pourra. [...] Retenez, arrêtez les impressions étrangères et pour empêcher le mal de naître ne vous pressez point de faire le bien ; car il n’est jamais tel que quand la raison l’éclaire8.
5Dans la lettre adressée à Christophe de Beaumont en 1763, Rousseau synthétise la différence entre les deux types d’éducation en expliquant que l’éducation positive commence avant l’âge de raison, tandis que l’éducation négative s’oppose bien plus tôt à la naissance des vices : « J’appelle éducation positive celle qui tend à former l’esprit avant l’âge et à donner à l’enfant les devoirs de l’homme. J’appelle éducation négative celle qui tend à perfectionner les organes, instruments de nos connaissances, avant de nous donner ces connaissances et qui prépare à la raison par l’exercice des sens »9. Les positions pédagogiques de Rousseau ne tardent pas à déclencher différentes réactions parmi les écrivains. D’une part, peu d’auteurs manifestent leur dédain comme Voltaire qui, par exemple, parle de l’absurdité des principes pédagogiques mis en acte par Rousseau : « M. Jean-Jacques veut que son élève soit ignorant jusqu’à l’âge de quinze ans, et qu’il sache raboter au lieu d’apprendre la géométrie, l’histoire, les belles-lettres »10. D’autre part, quelques-uns célèbrent le génie de celui que Chateaubriand juge comme son maître. Contrairement à Voltaire, Chateaubriand rend hommage à Rousseau qu’il considère comme son éminent modèle au point qu’il voudrait avoir eu la possibilité d’être son disciple : « Je ne fais point ces réflexions sur l’immortel Émile, sans un sentiment douloureux. [...] Si j’eusse vécu du temps de Jean-Jacques Rousseau, j’aurais voulu devenir son disciple ; mais j’eusse conseillé le secret à mon maître »11. D’après une anecdote racontée par la baronne d’Oberkirch, la méthode de Rousseau s’avère inadéquate parce qu’elle rend l’homme stupide, comme l’a reconnu Rousseau lui-même. Celui-ci reçoit en effet la visite d’un certain Monsieur Hangardt qui a essayé d’élever son fils en mettant en pratique ses principes pédagogiques :
Parmi les originaux que nous eûmes en passant, un des plus drôles et des plus ridicules était certainement un M. Hangardt, fils d’un ancien homme d’affaires du prince, admirateur frénétique de Jean-Jacques Rousseau, élevé d’après ses principes. et se nommant Émile, comme le héros du philosophe genevois. Le prince, auquel le père avait rendu des services, le reçut avec bonté et l’engagea à rester quelques jours. On ne se figure pas le chef-d’œuvre de bêtise et de nullité produit par cette éducation […]. Pendant que J.-J. Rousseau était à Strasbourg, […] il reçut la visite de M. Hangardt père. Celui-ci parla de son Émile avec un enthousiasme plein de feu, ajoutant qu’il élevait son fils suivant ses principes.
- Ma foi! tant pis pour vous, monsieur, répondit l’auteur, et plus tant pis encore pour votre fils12.
6Dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle plusieurs écrivains tournent leur attention vers l’éducation féminine. L’un des premiers est Rousseau qui, dans le Livre V de son Émile, manifeste tout son antiféminisme en dépit de la présence en société de femmes reconnues pour leur intelligence telles Madame du Châtelet ou Madame du Deffand. À la différence de l’homme qui peut recevoir une éducation et travailler, la femme est condamnée à une position subalterne en raison de sa prétendue infériorité intellectuelle et physique. Enfin la femme n’est que l’objet du désir masculin pour lequel elle doit tout sacrifier et qu’elle doit subir avec douceur :
La femme est faite spécialement pour plaire à l’homme. Si l’homme doit lui plaire à son tour, c’est d’une nécessité moins directe, son mérite est dans la puissance, il plaît par cela seul qu’il est fort. [...] La première et la plus importante qualité d’une femme est la douceur ; faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l’injustice, et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre [...]13.
7À l’instar de Rousseau, Diderot et Laclos réfléchissent sur le type d’éducation traditionnellement réservée aux filles en mettant en relief les limites d’une telle organisation pédagogique. À cet égard, Diderot observe que la formation féminine est trompeuse parce qu’elle est centrée sur la recherche des plaisirs mondains : « Le soin principal est de prévenir l’ennui, de multiplier les amusements, d’étendre les jouissances. À cette époque, les femmes sont recherchées avec empressement, et pour les qualités aimables qu’elles tiennent de la nature, et pour celles qu’elles ont reçues de l’éducation »14. L’éducation des femmes de Laclos, écrite en réponse au sujet proposée par l’Académie de Dijon touchant l’éducation féminine, témoigne d’un lecteur non conformiste de Rousseau ainsi que d’un critique de la société d’Ancien Régime. Dans Les Liaisons dangereuses, Laclos constate l’état d’asservissement des femmes à travers le personnage de la marquise de Merteuil qui, retraçant sa vie et son parcours dans la célèbre lettre 81, reconnaît son infériorité liée à son sexe. Dans Des femmes et de leur éducation, Laclos finit par admettre que les femmes auraient pu changer leur condition pénible à travers une révolution : « Ne vous laissez abuser par de trompeuses promesses, n’attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils n’ont ni la volonté ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution »15.
8L’éducation féminine suscite l’attention de plusieurs dames telles que Madame d’Épinay et Madame de Genlis. Après avoir écrit Lettre à mon fils, qui n’atteint pas les résultats pédagogiques espérés, les réflexions de Madame d’Épinay se terminent par Les conversations d’Émilie (1782) s’inspirant du rapport de l’auteur avec sa petite-fille. L’œuvre, pourtant, se configure à travers un dialogue entre une mère et sa fille qui possède ces qualités comme des défauts. Madame d’Épinay y illustre les défauts de l’enfance même si la tendresse maternelle est sensible. L’éducation d’Emilie vise à dépasser cette condition enfantine pour qu’elle devienne idéalement la femme d’Émile:
La mère – Comment ! vous avez cinq ans passés et vous ne l’avez pas encore remarqué ? Un enfant est dans la dépendance de tout le monde par sa faiblesse : quand on a à tout instant besoin des autres, on court, sûrement le risque d’être souvent à charge
Émilie – Est-ce que je vous suis à charge maman ?
La mère – La nature a accordé aux parents un préservatif contre cet inconvénient.
Émilie – Quel préservatif ?
La mère – La tendresse qu’elle a mise dans leur cœur et qui change en jouissance les soins les plus pénibles, les plus assidus, dont leurs enfants ont besoin. Une mère ne connaît pas de plus doux, de plus grand plaisir que de s’occuper de sa fille. Ignorance, étourderie, indiscrétion, importunité, tout est supporté par la tendresse maternelle.
La mère – Ce sont ceux de votre âge16.
9Le rythme rapide des échanges, les nombreuses et incessantes questions de la fillette – auxquelles s’ajoute la nature même de ces questions –, témoigne de la curiosité intarissable propre à l’enfance et de l’attitude gentiment moqueuse de la mère. Tout ceci sert un effet de réel perceptible dans ces dialogues17.
10L’une des dernières contributions du dix-huitième siècle concernant l’éducation féminine vient de Madame de Genlis qui, surtout connue comme l’éducatrice des enfants du duc d’Orléans (entre 1782 et 1791), a toujours eu une inclination pour l’éducation. Dans ses Mémoires elle raconte comment encore très jeune elle s’improvise maîtresse d’école pour enseigner aux petits garçons le catéchisme, quelques vers des tragédies de mademoiselle Barbier et les principes de musique qu’elle avait appris par cœur. En janvier 1782 le duc de Chartres nomme Madame de Genlis gouverneure des princes ses fils18. Son chef-d’œuvre reste Adèle et Théodore (1782), ouvrage rival des Conversations d’Émilie pour l’obtention du prix Montyon de l’année 1783. Si l’on considère ses théories pédagogiques sur la formation des femmes, Madame de Genlis propose un modèle encore influencé par Rousseau en affirmant la nécessité de stimuler l’éducation naturelle des filles à travers l’expérience pratique, le contact avec la nature, l’appréhension et la réalisation d’activités manuelles et pratiques19. Le grand mérite de Madame de Genlis est, pourtant, de se détacher du philosophe de Genève quand elle avoue que l’éducation féminine doit inclure la connaissance des arts, de la musique et des langues vivantes. Adèle et Théodore est principalement constitué de l’échange épistolaire entre la baronne d’Almane et la vicomtesse de Limours. La famille d’Almane se réfugie dans le château familial pour offrir une éducation à Adèle et Théodore loin des divertissements parisiens. C’est la baronne qui explique à la vicomtesse comment Adèle à six ans a réussi à parler l’anglais aussi bien que le français grâce à la synergie entre la mère et la gouvernante anglaise :
Je dois d’abord vous parler des personnes que nous avons amenées avec nous : je commencerai par miss Bridget, que vous connaissez, et dont vous vous êtes tant moquée, ainsi que tout le monde, quand je la fis venir d’Angleterre pour apprendre l’anglais à ma fille qui avait six mois. […] car vous m’en avez bien dédommagée par l’étonnement et l’admiration profonde que vous causèrent les premières mots anglais prononcés par Adèle et Théodore qui aujourd’hui, toujours à votre grande surprise, parlent aussi facilement cette langue que le français20.
11L’éducation des enfants n’est pas un sujet né au siècle des Lumières. C’est pourtant l’esprit philosophique et innovateur caractérisant le dix-huitième siècle qui suscite l’attention de nombreux auteurs. Ceux-ci écrivent des sortes de guides pédagogiques dont la finalité est une formation adéquate des enfants qui, pourtant, restent encore soumis à la volonté et à l’autorité familiales21. En témoignant de l’esprit encyclopédique, Montesquieu et d’Alembert souhaitent le dépassement de la formation religieuse (traditionnellement jésuite) dominante à l’époque en proposant une éducation laïque gérée par l’État. La parution de L’Émile révolutionne la pensée pédagogique du siècle en suscitant autant de réactions d’admiration que de critiques.
12À la veille de la Révolution on souhaite aussi un changement radical concernant l’éducation des petites filles traditionnellement considérée comme trompeuse (Diderot) ou insuffisante (Laclos). C’est pourquoi de nouveaux modèles éducatifs viennent de certaines femmes éclairées plus ou moins érudites (Madame d’Épinay par exemple) qui imaginent une éducation fondée sur le modèle dialogique antique associant la philosophie à la pédagogie. Cependant, consciente des nouvelles tendances pédagogiques, cette dernière souhaite que l’État puisse prendre en charge l’éducation. En raison de son expérience directe, Madame de Genlis conçoit un modèle éducatif oscillant entre tradition masculine et innovation féminine : d’une part, la jeune fille doit être soumise tantôt au père tantôt au mari une fois mariée et, d’autre part, elle doit être bien instruite à travers des connaissances multidisciplinaires. La question de l’éducation est aussi au centre des changements révolutionnaires si l’on considère que Condorcet élabore un système scolaire moderne qui dépasse les limites traditionnelles des classes sociales pourtant au fondement de la société d’Ancien Régime.
Notes
1 Les romans libertins montrent souvent comment l’éloignement des enfants cause le déchirement des rapports familiaux : « Du fait que les parents se défont de leurs enfants en les éloignant de la maison familiale et en les éparpillant, ceux-là ne se connaissent pas entre eux et ignorent même parfois qui ils sont. Ce qui peut sembler un détail anodin et facilement rectifiable se révèle source de tragédie. Les filles sont tenues dans l’isolement et, quand ils ne taisent pas leur identité, les cadets la camouflent sous un nom d’emprunt. Le lien de parenté est ainsi dilué et l’unité familiale, oblitérée » J. Chammas, « Confusions familiales et déroutes incestueuses dans quelques romans du milieu du siècle : Caylus, Chevrier, Pernetti ». Eighteenth-Century Fiction, vol. 17, 2005, p. 334.
2 J. Dewald, La nobiltà europea in età moderna, Torino, Einaudi, 2001 [1996], p. 245.
3 F. Sgorbati Bosi, Guida pettegola al Settecento francese, Palermo, Sellerio, 2013, p. 206-207. « Je crois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple, que vous croyez digne d’être instruit. J’entends, par peuple, la populace qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ni la capacité de s’instruire ; ils mouraient de faim avant de devenir philosophe » F.-M. Arouet/ Voltaire, Œuvres complètes de Voltaire, vol. 59, Paris, De l’Imprimerie de la société littéraire typographique, 1784 [1766], p. 333.
4 S.-F. Du Crest de Mézières / Madame de Genlis, Discours sur la suppression des couvents de religieuses et sur l'éducation publique des femmes, Paris, La Villette, 1793, p. 14-15.
5 C.-L. de Secondat de Montesquieu, De l’Esprit des lois, dans Œuvres complètes. Paris, Didot frères, 1838 [1748], p..206.
6 J. le Rond D’alembert, « Collège », dans Encyclopédie, Tome troisième, Paris, Briasson, David, Le Breton, Durand, 1753, p. 637.
7 L’influence de l’article « Collège » résulte évidente dans certaines œuvres telles que Le temps perdu ou les écoles publiques de Maubert de Gouvest, Essais d’éducation nationale de La Chalotais et Essai sur la manière de remplir les places dans les collèges que les Jésuites occupaient ci-devant de De Chaumeix. Cf. R. Granderoute, « La fortune de l’article Collège dans le discours pédagogique (1753-1789) », in Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, n° 5, 1988, p. 56-59.
8 J.-J. Rousseau, L’Émile, dans Œuvres de J.-J. Rousseau, Tome deuxième, Paris, 1801, p. 440. Au dix-huitième siècle le développement corporel des enfants se mesure à la vigueur du corps. C’est pourquoi les exercices du corps, les jeux, les promenades sont compris dans le programme de la journée des enfants. Aux qualités physiques, s’ajoutent les qualités morales dominées par le contrôle de soi-même : la modestie est la qualité nécessaire aux enfants pour être acceptés dans le monde. M. Grandière, « Quelques observations sur l’enfant au XVIIIe siècle », dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 87, no. 1, 1980, pp. 58-59.
9 J.-J. Rousseau, « Lettre de Jean-Jacques à Christophe de Beaumont », dans Œuvres de J.-J. Rousseau, Tome sixième, Paris, Dupont, 1823 [1763], p. 52.
10 F.-M. Arouet/ Voltaire, « Notes sur une lettre de M. de Voltaire à M. Hume » Œuvres, Tome quarante-deuxième, mélanges tome sixième. Paris, Lefèvre-Firmin Didot frères, 1831 [1766], p. 525. Quand Voltaire a l’occasion de lire L’Émile, il réagit avec colère. La lettre écrite par Voltaire à d’Alembert le 17 juin 1762 témoigne de sa réaction : « L’excès de l’orgueil et de l’envie a perdu Jean-Jacques, mon illustre philosophe. Ce monstre ose parler d’éducation! Lui qui n’a voulu élever aucun de ses fils, et qui les a mis tous aux enfants trouvés. Il a abandonné ses enfants et la gueuse à qui il les avait faits. […] Je ne sais pas s'il est abhorré à Paris comme il l’est par tous les honnêtes gens de Genève. », F.-M. Arouet/ Voltaire, Correspondance, Tome sixième, Paris, Gallimard, 1980 [1762], p. 929. On a du reste retrouvé l’exemplaire de L’Émile contenant les notes de Voltaire où il dit que tout le texte qui compose les quatre volumes est fort plat. Cf. H. G. Gouhier, Rousseau et Voltaire : portraits dans deux miroirs, Paris, Vrin, 1983, p. 186.
11 F.-R. de Chateaubriand, Essai sur la Révolution, dans Œuvres complètes de Chateaubriand, Tome deuxième, Paris, Pourrat, 1834, p. 145-146.
12 H.-L. de Waldner de Freundstein Oberkirch, Mémoires, Tome deuxième, Paris, Charpentier, 1869 [1754-1803], p. 158.
13 J.-J. Rousseau, L’Émile, op. cit., p. 632.
14 D. Diderot, Sur les femmes, in Œuvres complètes, Tome X, Paris, Le club français du livre, 1971 [1772], p. 48.
15 P.-A.-F. Choderlos de Laclos, Des femmes et de leur éducation, Paris, Mille et Une Nuits, 2000 [1783], p. 9-10.
16 L. F. P. Madame d’Epinay, Conversations d’Émilie, Paris, Belin, 1788 [1782], p. 9-21.
17 M. Caron, « Les conversations d’Émilie de Louise d’Épinay », dans A. Cloutier, C. Dubeau et P.-M. Gendron (ed.). Savoirs et fins de la représentation sous l’Ancien Régime, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2005, p. 193.
18 B. Berglund-Nilsson, « Madame de Genlis et les correspondances littéraires », dans Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n° 48, 1996, p. 59.
19 M. Grandière déplore la méthode proposée par Madame de Genlis en soulignant les limites de ce modèle éducatif tels que sa démarche pédagogique et les élèves idéaux : « Il s’agit d’une morale essentiellement pratique, suivie dans les événements de la vie quotidienne et au travers de l’observation du monde. On s’arrange pour créer les événements selon les besoins, et la fiction est constamment sollicitée. Les instituteurs font vivre en fait les élèves dans un monde imaginaire bien loin de la vie qu’on prétend cependant leur montrer. [...] C’est une méthode pour les bons enfants, intéressés et attentifs, sollicitant et priant eux-mêmes les maîtres de les instruire. Ils sont très pressés d’apprendre et habitués très tôt à recevoir leurs petits camarades pour jouer sagement et accomplir quelque geste de bienfaisance envers un pauvre du voisinage. Les contre-modèles, les mauvais sujets sont honnis et rejetés, sans plus d’égard », M. Grandière, L’idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1998, p. 317.
20 S.-F. Du Crest de Mézières / Madame de Genlis, Adèle et Théodore ou Lettres sur l’éducation, Tome premier, Paris, Morizot, 1862 [1782], p. 16-17.
21 « Les auteurs du XVIIIe siècle, comparent souvent l’enfant à une jeune plante qu’il s’agit de bien redresser dès le début de sa croissance, à qui il faut donner la forme voulue en dirigeant sciemment la sève vers les rameaux utiles et fertiles » M. Grandière, op. cit., p. 52-53.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Luisa Messina
Université de Palerme
Luisa Messina est docteure ès Lettres de l’Université de Palerme, Département de Littérature française. Auteure d’une Thèse intitulée « La production libertine de François-Antoine Chevrier ». Ses publications les plus récentes sont : « L’ennui au XVIIIe siècle. Le petit-maître dans la littérature libertine », in Alkemie, n° 17, 2016, p. 171-178 ; « Le Colporteur de François-Antoine Chevrier entre réalité et fiction », in Constrastive Linguistics, n° 5, 2016, p. 135-140