Michaela et Karl Vocelka, Franz Joseph I., Kaiser von Österreich und König von Ungarn 1830-1916. Eine Biographie, Munich, C. H. Beck, 2015. Franz Joseph 1830-1916 (hg. von Karl Vocelka et Martin Mutschlechner), Vienne, Christian Brandstätter Verlag, 2016.
1À l’occasion du centenaire de la mort de l’empereur François-Joseph, Michaela et Karl Vocelka – la première est directrice des archives Simon Wiesenthal à Vienne, le second professeur d’histoire autrichienne émérite de l’université de Vienne et commissaire de l’exposition consacrée à l’empereur au palais de Schönbrunn – publient une biographie de l’avant-dernier empereur habsbourgeois et tentent de dépoussiérer l’image nostalgique et mythique dont la postérité semble l’avoir affublé. Derrière le cliché du bon vieil empereur paternaliste se cache un homme qui n’a pas été épargné par les coups du sort depuis son accession au trône en mars 1848 jusqu’à sa mort en plein conflit mondial en 1916.
2Les auteurs organisent la biographie de François-Joseph selon des étapes relativement traditionnelles, mais qui permettent dans le même temps de suivre les moments forts à la fois de son éducation et de sa vie privée, mais aussi de son parcours comme monarque : après les années d’enfance et de jeunesse, la césure que forment l’année 1848 avec la révolution et l’accession au trône, le mariage avec Elisabeth de Bavière, les différentes prises de position en faveur ou contre le libéralisme et la voie constitutionnelle, on assiste à l’isolation grandissante de l’Autriche-Hongrie dans le concert des nations européennes conjuguée aux tragédies familiales de la famille impériale.
3Les auteurs s’appuient sur des textes de première main comme la correspondance du jeune archiduc avec sa mère, ses journaux intimes afin de cerner la personnalité de l’homme qu’il deviendra. L’éducation résolument militaire, comme celle de tout archiduc, semble avoir très tôt conféré à François-Joseph non seulement un sens aigu du devoir mais également un respect de l’autorité, qui lui permettait de cacher une timidité certaine et un manque de confiance en soi. Le jeune François-Joseph fit montre d’un grand don d’observation comme le montrent les dessins qu’il réalisa dans des exercices scolaires ou dans les lettres à son frère Maximilien. L’ascendant de l’archiduchesse Sophie sur son fils ne se démentira jamais, provoquant des tensions tant privées, avec Elisabeth notamment quant à l’éducation des enfants impériaux, que politiques, lors des crises gouvernementales successives. Michaela et Karl Vocelka effectuent une excellente présentation des problèmes qui se posent à l’état autrichien, puis austro-hongrois tant au niveau politique et européen – minorités, formes de gouvernement, type de régime – qu’économique ou culturel. On pourra regretter que les auteurs sacrifient quelquefois au mythe en s’appesantissant peut-être un peu longuement sur certains épisodes privés comme par exemple le couronnement comme roi de Hongrie à Budapest en 1867. Les difficultés qu’éprouva l’empereur à s’affranchir d’un mode de pensée dépassé, couplées à un catholicisme profond, sont la manifestation au niveau de l’Etat les problèmes d’entrée de l’Autriche(-Hongrie) dans la modernité, mais dans le même temps la particularité de ce qui a constitué la « modernité viennoise ».
4La partie la plus novatrice et intéressante de cette étude est la prise en compte de la dimension « médiatique » de l’image de l’empereur et de l’influence en retour du rôle qu’il s’est vu très tôt contraint de tenir et que sa longévité a contribué à solidifier. La « construction » de cette image, tant discursive et médiatique que figurative, semble être aussi le reflet ou le pendant de la construction modulaire de l’état habsbourgeois lui-même, origine très vraisemblable de l’identification du pays à son souverain au-delà de sa longévité extraordinaire.
5Une très bonne connaissance du sujet et une iconographie riche et variée, une bibliographie actualisée, des notes précises et fournies en fin de volume permettent au grand public comme à l’historien une lecture agréable. On remarquera quelques toutes petites coquilles (par exemple p. 188 « in den folgenden Monate » au lieu de « Monaten ») mais qui n’enlèvent rien à la qualité de cet ouvrage tant de spécialiste que de vulgarisation qui permettra de considérer François-Joseph dans toute sa complexité, et au-delà des simples mythèmes mis en place dès son vivant dans des buts propagandistes.
6Le second ouvrage consacré également à l’empereur François Joseph est le catalogue de l’exposition qui a eu lieu au château de Schönbrunn en collaboration avec le Kunsthistorisches Museum Wien. Il est divisé en deux parties, la première contenant des essais sur les différents aspects de la vie du personnage médiatique et réel que fut l’empereur, suivie d’une seconde présentant les diverses pièces d’exposition.
7La première partie comprend 25 essais concernant les différents aspects de la personne de François-Joseph, sa vie publique et privée mais aussi sa fonction de représentation comme monarque et son image dans les (nouveaux) médias de l’époque ainsi que le mythe autour de sa personne.
8La seconde partie est divisée en quatre entrées suivant les lieux d’exposition et quatre thématiques : le palais de Schönbrunn concernant l’homme et le monarque, le musée des voitures impériales de Schönbrunn à propos de la représentation monarchique, le dépôt des meubles de la cour pour ce qui est des fêtes et de la vie quotidienne et le château de Niederweiden pour la chasse et les loisirs impériaux. Les objets exposés sont à la fois d’ordre public et privé et donnent toute la mesure de l’évolution d’un pays et d’un monarque au cours d’un règne de près de 70 ans, de son accession au trône dans les affres de la révolution de 1848 à l’agonie d’un empire pris dans les vicissitudes de la Première guerre mondiale en 1916.
9Ce catalogue réunit des spécialistes tant de la cour impériale que de l’empire habsbourgeois dans son ensemble, ainsi que des universitaires réfléchissant à la position de l’empereur dans une constellation humaine et politique, et ce dans les différentes parties de l’empire. La haute tenue de ces articles permet de saisir la complexité de la personnalité de François-Joseph mais aussi ses marges de manœuvre dans un univers curial, politique, économique et culturel à la croisée d’un monde ancien et d’un monde nouveau et moderne en gestation.
10Eric Leroy du Cardonnoy