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Retour sur le colloque : Faire la paix avec la “nature” Histoire des représentations et des pratiques symboliques depuis l’Antiquité

  • Dernière modification de la publication :16 février 2024
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Histoire des représentations et des pratiques symboliques depuis l’Antiquité

Selon le secrétaire général des Nations Unies, “faire la paix avec la nature sera la grande œuvre du XXIe siècle”[1]. Cette œuvre est-elle inédite dans l’histoire ? C’est la question centrale à laquelle le colloque organisé par le laboratoire HisTeMé (UR 7455) s’est attelé à répondre les 8, 9 et 10 novembre 2023 à Caen.

Dans un dialogue transpériodique et transdisciplinaire, les intervenant.es ont étudié la manière dont différentes cultures se représentent l’état d’équilibre dans le vivant, un équilibre toujours précaire entre l’ordre cosmique, les sociétés humaines, la biocénose et le biotope. En explorant des sources aussi diverses que la bible hébraïque, les préceptes taoïstes, les textes de l’Antiquité grecque, les récits romains de la procuration des prodiges ou encore les sources jésuites des missions en Nouvelle-France, historiens et anthropologues ont montré comment les rites liturgiques, les pratiques de chasse, l’exploitation des eaux et des forêts s’inscrivent dans une cosmologie spécifique et combien il est nécessaire de décrypter chacune d’elle pour se défaire des schèmes à la fois occidentaux et contemporains quand il s’agit d’explorer l’histoire de la réflexivité environnementale sur le temps long (F. Louzeau, J. Lamy et R. Roy, C. Calame, C. Février, K. Mackowiak). Certes la gestion des ressources terrestres est régulée au nom d’interdits religieux mais des pratiques de régulation politiques et empiriques montrent aussi la part importante de l’agentivité humaine dans les sociétés anciennes, ce que mirent notamment en lumière Kevin Bouillot à partir de son analyse de la littérature oraculaire en Grèce ancienne, Johan Rols qui a étudié les interdits de destruction de la nature dans la Chine antique et médiévale, Nicholas A. Robinson à propos de la Charte des forêts (Londres, 1217) et J. Synowiecki revisitant la thèse de la « surchasse » du castor en Nouvelle-France aux XVII-XVIIIe s. dans une perspective d’« histoire à parts égales ».

Le colloque a également approfondi l’histoire environnementale des guerres. Quelles sont les conséquences des conflits armés sur l’environnement des champs de bataille, des zones transfrontalières et sur celui des camps militaires ? De la guerre de Trente Ans à la guerre froide, de l’Europe aux États-Unis, les cinq contributions de J-B Ortlieb, B. Vaillot, O. Saint-Hilaire, F. Keck, R. Baudouï et É. Charrière ont montré que la valorisation des espaces naturels et parfois leur protection sont des outils stratégiques au service des autorités militaires.

La paix avec la nature sert également de métaphore pour décrire celle qui réunit les humains. L’étude sémiotique des correspondances entre harmonie naturelle et concorde sociale est à ce titre éloquente. Ainsi l’analyse d’une poésie de circonstance assimilant la paix de Cateau-Cambrésis (1559) à la fin d’une cacophonie aviaire a permis à F. Buttay de montrer qu’au siècle d’Érasme, la paix comme la guerre peuvent relever de l’ordre naturel. Dans les années 1930, le succès d’un numéro de cirque intitulé à dessein « La Paix dans la jungle », dans lequel des animaux sauvages sont soumis à leur dresseur, contribue à naturaliser l’idéologie de la « mission civilisatrice » des puissances coloniales (P. Causse).

Enfin, la recherche pour l’humain d’une place dans l’harmonie de la nature justifie la révision de son ethos. A. Fronteau a décrypté l’ascétisme de Basile de Césarée et de Grégoire de Nazianze dans l’Antiquité tardive : au nom de l’intégration dans une Création marquée par le péché originel, les moines orientent leur morale mais aussi leur mode de vie, à commencer par leur régime carnivore. C. Pessis et C. Lamine ont étudié les pratiques agronomiques de régénération de la vie des sols dans trois écoles biodynamistes françaises au second XXe s., répondant à la vision cosmologique du fondateur de l’anthroposophie, R. Steiner.

Durant ce colloque, la parole a également été donnée aux arts vivants et à la littérature. Le comédien et metteur en scène Nathanaël Frérot a mis en voix une mosaïque de textes séculaires et contemporains déclinant l’impératif humain de pacification avec la nature. À l’occasion d’un Grand Soir à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) qui a accueilli le colloque le deuxième jour, l’écrivain et philosophe Camille de Toledo a esquissé les traits de la crise structurelle dans laquelle nous, Modernes, nous enfonçons depuis les Lumières, une « crise de l’habitabilité ». Dans l’état latent de guerre faite à « la terre » – une guerre qui ne dit pas son nom, nous cultivons des « foyers sémiotiques », des « alcôves narratives » nous éloignant toujours un peu plus de nos attaches charnelles au reste du vivant. Nous expérimentons le vertige de la séparation et devons apprendre à vivre avec.

Une table ronde au Mémorial de Caen sur les perspectives aux échelles internationale, nationale et locale est venue conclure le colloque. La juriste Émilie Gaillard a restitué le travail accompli par la Chaire d’excellence Normandie pour la Paix entre 2019 et 2023 et a montré les voies ouvertes par le droit des générations futures dans le monde. Henri Jaffeux, fondateur de l’Association pour l’histoire de la protection de la nature (AHPNE), a rappelé la double logique à l’œuvre depuis 1945 en France : l’une de dégradation de la biodiversité notamment au nom de la modernisation agricole et l’autre, insuffisante, de réparation grâce à une politique de sanctuarisation de la nature. Enfin Yanick Lasica, ingénieur promoteur des ouvrages en pierre sèche, a montré les vertus écologiques et économiques de ces constructions engageant une relation pacifique avec le vivant au quotidien.

Site web du colloque : https://paix-nature.sciencesconf.org/

Crédit Image réalisée par Nicolas Berthelot d’après Albert Robida, La Vie électrique : le vingtième siècle, Paris, Librairie illustrée, 1892 et Jules Ballot, Promeneurs dans une forêt, 1875, Musée d’Art et d’Histoire d’Avranches

[1] Antonio Guterres, Discours, Université Columbia, New-York, 1er décembre 2020.