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Avantages et inconvénients

Des manipulations en moins

Dans ces conditions, quels sont les avantages de cette moissonneuse à grand travail ? Par rapport à la moissonneuse-lieuse, l’espigadora permet dans les très grandes exploitations d’éviter bien des manipulations. Il y a économie de main-d’œuvre et de temps. En l’absence de gerbes, on n’a besoin ni de dresser des moyettes, ni de lourds chariots comme ceux de la métropole pour transporter les gerbes, ni de ficelle, le battage étant lui aussi plus rapide puisqu’il y a moins de paille à engrener25. Joseph Fuster pense qu’il faut autant d’ouvriers avec l’une et l’autre machine, mais le travail se fait plus rapidement avec l’espigadora.

Des animaux de trait nombreux

Si la moisson à l’espigadora évite de perdre du temps à manipuler des gerbes, elle nécessite un nombre important d’animaux de trait. Or ces fermes très étendues possèdent déjà un cheptel de trait conséquent. Pour suivre cette moissonneuse qui possède une grande largeur de coupe, il faut 3 à 5 charretons en moyenne et 3 bêtes par véhicule, les exploitations pouvant se prêter animaux et charretons. On compte 20 mulets et 10 juments chez Serge Rodriguez. Le père de Joseph Fuster possède 2 écuries de 26 animaux pour une exploitation de 600 ha et on dénombre 60 bêtes de trait et 6 charretons chez Guy Marin. Chez Gilbert Berthet, on arrête 2 heures le midi et aussi lorsqu’il faut attendre les charretons. Dans le Constantinois, sur une surface moindre, on compte 10 bœufs, 2 chevaux et 10 mulets chez Robert Hugonnot.

Le premier tour

Une machine poussée comme l’espigadora et d’un aussi grand encombrement est-elle difficile à mener ? Bastet signale la difficulté qu’il y a de tourner dans les angles des parcelles souvent rectangulaires :

« Les animaux doivent être dressés à cause des virages à angle droit qui s’opèrent en faisant pivoter toute la machine autour de la roue motrice ; pendant ce virage, les mulets de droite doivent marcher sur le côté… comme des crabes26. »

Pour Gilbert Berthet, le premier tour ne pose pas de problème particulier, la récolte n’est pas piétinée puisque la barre de coupe est devant et les animaux derrière. Quant au charreton qui recueille la moisson sous l’élévateur, soit il emprunte le chemin d’accès qui longe la parcelle, soit il passe sur celle du voisin lorsqu’elle n’est pas ensemencée. Dans le cas contraire, il passe sur la récolte qui se retrouve un peu piétinée, mais sans dommage conséquent. Joseph Fuster est du même avis : seuls les deux roues du charreton et les pieds des animaux couchent un peu la récolte. De plus, chez lui, une fois terminé le premier tour, l’espigadora fait demi-tour et coupe à contre-sens ce qui vient d’être piétiné, le charreton se retrouvant dans la partie du champ moissonné. Guy Marin dit la même chose.

Pour les changements de direction à 90°, selon Antoine Fuster, le fait que les animaux soient répartis en deux groupes de chaque côté de la flèche centrale favorise la manœuvre. Robert Hugonnot précise : faire reculer les 3 mulets de droite, diriger la roue directrice arrière vers la gauche de même que les 3 animaux de gauche et la machine pivote « sans encombre avec un bon pilote ». Dans certains cas, il faut répéter cependant la manœuvre deux fois.

Chez Robert Hugonnot, le premier tour et l’arrondissement des angles se font à la main avec des faucilles dentées, ce qui s’appelle « faire les passages », comme dans la métropole. Les gerbes sont déposées sur le bord de la parcelle. À son premier passage, l’espigadora (munie d’une sache, comme on va voir) dépose les tas d’épis également en bordure. Au deuxième tour, les gerbes et les premiers tas sont rassemblés pour respecter l’alignement.

Une hauteur de coupe réglable

Avec ses 3,60 m, l’espigadora possède une largeur de coupe supérieure à la moissonneuse-lieuse de l’époque (2,40 m). De plus, son tablier est réglable verticalement et peut s’abaisser jusqu’à 10 cm tout en restant parallèle au sol, ce qui est un avantage les années de paille courte, alors que ce réglage n’est pas possible avec le tablier de la lieuse, dont l’avant seul peut s’incliner, au risque de piquer dans la terre ou de rencontrer des pierres (Robert Hugonnot).

La hauteur de la coupe peut donc varier en fonction de la hauteur de la paille et aussi des besoins de l’exploitation. Dans certaines régions d’Algérie, le grand nombre d’animaux à la ferme oblige parfois à moissonner la paille pour confectionner les litières et nourrir les bêtes l’hiver (Guy Marin). Chez Joseph Fuster, Robert Hugonnot, Serge Rodriguez et Gilbert Berthet, on moissonne le plus bas possible afin de récolter le maximum de paille pour les animaux.

Gilbert Berthet estime qu’on peut moissonner 5 à 6 ha/jour, Joseph Fuster va jusqu’à 10, voire 15 ha. Selon Guy Marin et Norbert Richet, en remplaçant hommes et bêtes à la mi-journée, on moissonne de 10 à 20 ha/jour, le climat le permettant (pas de rosée, journées longues). Chez Serge Rodriguez, on moissonne en effet du soleil levant au soleil couchant.


25. Avec la lieuse, il fallait environ 3 kg/ha de ficelle selon la récolte dans la région de Sidi-Bel-Abbès : RIVIERE et LECQ, 1928, p. 170. Pour Robert Hugonnot, 10 kg de ficelle par jour suffisaient parfois. Une partie de ces ficelles de lieuse servait à lier les sacs de grain, le surplus était donné aux ouvriers marocains qui travaillaient sur les fermes et la revendaient (Gilbert Berthet).
26. BASTET, 1930, p. 3.
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oui
titre de l'exposition: 
machinisme colonial