En Algérie, on rencontre des espigadoras un peu partout, mais la plupart des articles de la première moitié du XXe siècle l’associent surtout à l’agriculture « en grand » du Sersou, cette steppe semi-aride des hautes plaines algériennes située entre 2 massifs montagneux (voir B6). Protégée de l’influence maritime par les montagnes du Tell, elle reçoit peu d’eau, mais peu éloignée de la limite nord du Sahara elle subit le sirocco.
> Voir plusieurs cartes de l’Algérie (B7, B8, B9, B10)
L’agriculture coloniale s’est contentée dans un premier temps des plaines littorales et sub-littorales de ce vaste pays et cela sur des superficies assez modestes. C’est sans doute principalement dans ces régions que l’on pouvait pratiquer la culture des céréales la plus facile et la plus rentable, ce qui leur valu dans le passé la réputation de « grenier à blé de l’Empire romain ». En fait, les colons se sont vite aperçu qu’il est difficile d’obtenir des cultures céréalières de rapport en Algérie, le relief étant souvent hostile et les rendements très faibles16. Progressivement, ils ont délaissé les grains sur ces plaines littorales pour pratiquer une agriculture plus rémunératrice (la vigne, en particulier), la culture des céréales a alors reculé vers les hautes plaines plus au sud. Là, les conditions climatiques sont peu favorables ; d’un autre côté, on disposait dans le Sersou de tout l’espace nécessaire à une céréaliculture extensive « à l’américaine ». C’est pour cette raison – augmenter les emblavures – que les pouvoirs publics ont favorisé au début du XXe siècle l’implantation de colons vers le Sud, notamment dans cette plaine inhabitée. S’étendant sur environ 50 km de long et 30 de large, située à 900 m d’altitude, elle subit un climat continental sec, froid l’hiver (moins 8° environ) et très chaud l’été (jusqu’à 40°). Il n’y tombe que 300 mm d’eau par an en moyenne, ce qui ne favorise pas la venue des céréales. Pourtant, en 1904 et 1905, l’État crée dans cette plaine les centres de Burdeau et de Bourlier, en 1906 ceux de Liébert, Taine et Victor-Hugo ; en 1910 celui de Hardy (cartes 1 et 2).
Carte 2.
Sans système de stockage, les colons sont obligés de se débarrasser de leur récolte dès la fin de la moisson. Pour obvier à cet inconvénient, ils sont les premiers à créer en 1921 à Burdeau une Société des docks coopératifs qui entre en activité en 192417. Mal desservie par les routes, la région bénéficie d’une voie ferrée en 1919. Ces innovations sont le signe que les colons sont parvenus à un certain niveau de production. De ce fait, la culture du blé dans le Sersou, avec les grandes étendues monotones, les machines agricoles les plus modernes et les plus grosses, les docks qu’elle entraîne, aboutit à la formation « d’un paysage américanisé ». Point de cours d’eau régulier (mais beaucoup d’eau souterraine), point de verdure, sauf les bosquets plantés autour des fermes par les colons et bientôt l’espigadora18. Dès 1919, une mission américaine en visite dans cette région fait le rapprochement avec les grandes fermes du nord-est des États-Unis :
« Les méthodes utilisées en Algérie pour la culture du blé ressemblent beaucoup à celles employées dans les États de Utah, Idaho, Washington… : elle [la culture du blé] est pratiquée sur des domaines d’une étendue relativement grande, les fermes d’une superficie de 1 000 à 5 000 acres (400 à 2 000 ha) n’y sont pas rares19. »
Malgré tous ces efforts, la culture du blé est ici à son extrême limite : avec une aussi faible pluviométrie, sans apport d’engrais et sans sélection, les rendements ne peuvent augmenter 20. La moissonneuse-lieuse n’a pas assez de paille pour pouvoir lier les gerbes correctement, l’espigadora s’impose alors et la remplace vers les années 1930. La moisson a lieu du 20 juin au 20 juillet 21 (photos 2 et 3).