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date d'apparition (suite)

En France, Max Ringelmann , qui deviendra directeur de la station d’essai des machines agricoles de l’Institut national agronomique en 1888, est le premier à parler du header ou espigadora fabriqué par la firme américaine Case, qu’il a pu voir à l’Exposition universelle de Paris en 1878. L’appareil, accompagné de son chariot, occupe 9 m de large sur 8 m de long. Le constructeur affirme qu’il peut récolter 20 à 25 ha par jour9. En 1893, lors d’une mission aux États-Unis, Ringelmann observe une machine semblable de marque Johnston, dont il offre une figure (figure 1).

Figure 1. Header américain Johnston

Source : RINGELMANN, Journal d’agriculture pratique, 1905, vol. 2, p. 113.

Selon Ringelmann, ces machines sont très répandues dans l’Amérique espagnole et en Algérie « où on les désigne sous le nom d’espigadoras ». Dans son rapport annuel publié par le Bulletin du comice agricole de la région de Sétif, M. Ryf, directeur de la Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif, pense que l’espigadora est un peu trop encombrante pour les moyennes exploitations ; c’est la machine qui convient aux grands domaines en terrain peu accidenté10.

Le Bulletin de l’agriculture, du commerce et de la colonisation, publié par la Régence de Tunis (protectorat français), conseille dès 1909 de moissonner avec l’espigadora, francisé en espicador, regrettant que son usage ne soit pas plus répandu « faute d’entente entre les colons », ce qui laisse à penser que son prix était assez élevé :

« L’espicador diffère de la moissonneuse-lieuse en ce qu’il est poussé et non plus traîné par les animaux, qu’il n’attache pas [ne lie pas] la récolte, mais la charge automatiquement sur les véhicules qui la transportent aussitôt au gerbier ou même à la batteuse. L’espicador, mû par une véritable roue-gouvernail placée entre les jambes du conducteur, n’est plus soumis aux irrégularités de l’attelage : il va donc plus droit. Au lieu de subir une traction de biais, la poussée est directe, le travail mieux utilisé, de sorte que 6 mulets de front suffisent à couper une bande de 3 m et à en élever la récolte sur la charrette munie d’une bâche [comme ridelles] qui suit l’espicador. Un seul appareil suffit à moissonner 10 ha par jour, à en charger la récolte et à alimenter une batteuse à grand travail. Il est rustique, dépourvu de l’organe délicat du liage, et monté sur de grandes roues qui diminuent trépidation et effort de traction. Les calculs faits tant à SaintArnaud qu’à Duperré, où ces machines fonctionnent depuis 7 ans, ont démontré que l’usage de l’espicador diminue d’un franc le prix de revient par quintal de blé.

On ne saurait trop faire connaître cet instrument aux colons, qui, organisés en syndicats, tant pour en faire l’acquisition que pour disposer à la fois des 12 mulets et des 6 charrettes qui en sont la conséquence, y trouveraient une source nouvelle de bénéfices11. »

En 1911, l’espigadora est signalée au concours régional de Sousse en Tunisie :

« Dans les moissonneuses, nous trouvons la tendance en Tunisie à employer des lieuses de plus en plus larges, dépassant maintenant 2 m, indépendamment de l’espigadora de 4 m qui ne convient que pour les très fortes exploitations12. »

Quinze ans plus tard, selon l’Institut colonial de Marseille, l’espigadora aurait disparu de Tunisie, sans que l’on explique pourquoi :

« Avant la guerre [de 1914-1918], les agriculteurs de la Régence n’utilisaient que les moissonneuses-lieuses et les espicadoras ; on utilise encore actuellement la moissonneuse-lieuse, mais l’usage de l’espicadora a été abandonné13. »

En Algérie, l’ancien président de la Société d’agriculture d’Alger conseille toujours l’espigadora en 1928, tout en mentionnant le problème de la paille nécessaire dans certaines régions :

« Pour la région de Sétif, la moissonneuse-lieuse est remplacée parfois dans les terrains peu accidentés par l’espigadora, qui est aussi employée sur divers points de l’Afrique du Nord. Cet instrument permet de moissonner de 10 à 15 ha par jour. […] Espigadora et moissonneuse-batteuse [il s’agit en fait ici du stripper de Massey-Harris] présentent l’inconvénient de laisser sur place la plus grande partie de la paille des céréales14. »

Dans son étude sur les moissons et battages, Bastet, chef de la station de Génie rural à l’Institut agricole d’Algérie, explique pourquoi, selon lui, les espigadoras sont poussées et non tirées :

 « Étant donné la longueur de la barre de coupe, on ne peut guère songer à faire tirer ces machines comme on le fait pour les moissonneuses : si, en effet, l’attelage se trouvait sur le côté, le couple serait trop important et il en résulterait de grandes difficultés pour la conduite et une fatigue exagérée du châssis. Il faut donc que la traction s’exerce au milieu de la machine et comme, d’autre part, les animaux ne peuvent passer dans la récolte, on tourne la difficulté en les plaçant en arrière de l’appareil ; il en résulte un équipage curieux qui donne l’impression que les bêtes poussent au lieu de tirer15. »

Voir une espigadora dans le Sersou (B5)


9. RINGELMANN, 1905. Voir aussi DUBOIS, 1905, et DESSAISAIX, 1906.
10. DUBOIS, 1905.
11. Bulletin de l’agriculture…, n° 49, 1909, p. 528-529. Il serait intéressant de connaître le montant de l’investissement comparé au coût horaire de la main-d’œuvre et au prix de vente des céréales.
12. Ibid., n° 58, 1911, p. 43.
13. Les Produits coloniaux et le matériel colonial, Institut colonial de Marseille, 1926, p. 121.
14. RIVIERE et LECQ, 1928, p. 171. La moissonneuse-batteuse stripper ne possède pas de lame. C’est un batteur tournant à grande vitesse qui arrache littéralement les épis, préalablement coincés dans une sorte de grand peigne, laissant la paille sur place.
15. BASTET, 1930, p. 3-4.
lien: 
oui
titre de l'exposition: 
machinisme colonial