Louis Alexandre de Cessart (1719-1806) : ingénieur des Ponts et Chaussées
À la mort de Louis XIV, des modifications gouvernementales conduisent à la réforme de l’administration des Ponts et Chaussées. Un corps des ingénieurs civils est créé en février 1716, offrant ainsi une structure technique pour l’administration des Ponts et Chaussées. Un ingénieur est placé à la tête de chaque généralité du royaume, dans chaque province où le « pouvoir central » a la mainmise sur les impositions. Une petite partie de ces taxes est utilisée pour la rémunération des agents des Ponts et Chaussées. « Au sommet du corps, un inspecteur général s’occupe, comme son nom l’indique, du contrôle et de la surveillance de toutes les procédures relevant des travaux publics. À l’échelon local, il est épaulé par trois inspecteurs qui se partagent les chantiers du royaume de France . » Toutefois, au début du XVIIIe siècle, il n’existe pas d’école spécifique visant à former ces ingénieurs.
Louis Alexandre de CESSART, né à Paris en 1719, fait partie de la gendarmerie de la Maison du Roi pendant la guerre de Flandre. À la suite de quatre campagnes difficiles, il renonce à sa carrière militaire pour des raisons de santé. En 1747, il entre à 28 ans dans l’école des Ponts et Chaussées qui vient d’être créée pour former en cinq à sept ans les ingénieurs chargés de la construction et de l’entretien du royaume. La sélection est forte dans le cadre de cet enseignement plutôt pratique centré sur l’apprentissage du projet. Moins de la moitié des inscrits à l’école sont admis dans le corps des Ponts et Chaussées2.
Des réalisations innovantes
En 1751, Louis Alexandre de CESSART est nommé ingénieur des Ponts et Chaussées pour la généralité de Tours. Dans le cadre de cette activité, il construit, avec l’ingénieur en chef de Voglie (qui présente le projet en 1753), le pont de Saumur, dont le succès suscite le début de sa réputation. Ils utilisent pour la première fois en France, une technique mobilisant des caissons pour la fondation des piles, déjà expérimentée à Londres en 1738 pour le pont de Westminster. Louis Alexandre de CESSART perfectionne le procédé. En outre, avec de Voglie, il créé une machine permettant de recéper les pieux jusqu’à 20 ou 30 pieds au-dessous de la surface de l’eau. La construction du pont de Saumur est réalisée entre 1756 et 1770 ; et cet ouvrage est renommé pont de Cessart en 1838.
En 1767, Louis Alexandre de CESSART est nommé ingénieur en chef à Alençon puis en 1775, ingénieur en chef de la généralité de Rouen. Il va réaliser divers travaux hydrauliques en Seine-Inférieure3 : il mobilise la méthode des caissons dans l’élargissement du quai du port de la ville de Rouen (projet approuvé en 1777), ainsi que pour l’écluse de chasse du Tréport (où les travaux commencent en 1778), pour une nouvelle passe avec écluse de chasse à Dieppe. Il coordonne également des réparations relatives à l’écluse du bassin du port du Havre et à son pont tournant.
Six ans plus tard, il est choisi pour une entreprise hardie de la rade de Cherbourg : former un môle d’une lieue de longueur, à une demi-lieue du large, où les marées peuvent être très violentes. Louis XVI décide de faire construire à Cherbourg une digue créant une rade artificielle afin de se prémunir notamment contre une éventuelle revanche du Royaume-Uni. Il s’agit d’une aventure extravagante, à la limite du déraisonnable pour l’époque. Louis Alexandre de CESSART perfectionne à cette occasion un beau procédé de l’architecture hydraulique pour lequel il est décoré du cordon de Saint-Michel et nommé commandant de la Légion d’honneur. Il choisit de submerger 80 cônes énormes remplis de pierres (se touchant presque par leur base), servant de point d’appui aux pierres jetées entre les cônes. Suite à une diminution du budget, seuls vingt cônes sont coulés et leur sommet est détruit par la violence des flots.
Louis Alexandre de CESSART explicite les raisons du choix de l’usage de caissons dans la fondation d’ouvrages sur la mer, l’intérêt de mobiliser cette technique si particulière (tome second, p. 10) :
« Dans la Manche et dans l’Océan, où le flux et le reflux sont parfaitement connus, on se hasarde jamais à entreprendre le travail des fondations qu’au sommet des plus basses eaux ; il est même rare qu’elles soient établies au-dessous de ce niveau, et si l’on veut descendre plus bas, ce n’est tout au plus que de quelques pieds, au moyen de petits épuisements partiels ; car il est bien certain qu’on ne doit pas s’exposer à soutenir la mer montante avec des batardeaux trop élevés, qui exigeroient des machines hydrauliques très-compliquées. C’est d’après ces considérations que je me suis déterminé à faire usage de la méthode des caissons dans les travaux de mer, pour fonder à une plus grande profondeur que la laisse de basse mer de vives-eaux4. »
Louis Alexandre de CESSART prend sa retraite. Il est sollicité dans le cadre d’un projet de construction d’un nouveau pont à Paris, d’une passerelle entre la rive droite et la rive gauche. Cet ouvrage, va relier le Louvre et le collège des Quatre-Nations (devenu le Palais de l’Institut de France), mobilisant un matériau jamais utilisé en France pour ce type de réalisation, le fer. Napoléon Bonaparte décide de faire construire ce pont et de solliciter Louis Alexandre de CESSART.
Description des travaux hydrauliques, œuvre en deux volumes de Louis Alexandre de CESSART
Louis Alexandre de CESSART meurt à Rouen le 12 avril 1806 ; après avoir entrepris la rédaction de la description détaillée des mémoires des principales réalisations de sa vie. M. Dubois d’Arneuville les publie dans un ouvrage en deux volumes in-quarto, Description des travaux hydrauliques, faisant partie de la Bibliothèque historique du ministère de l’Agriculture. Cette œuvre est dotée de 67 très belles planches dépliantes gravées par E. Collin (pour la majorité d’entre elles)5, ainsi que d’un portrait de l’auteur, en frontispice, gravé par B. Roger d’après Bouché. Ces illustrations, numérisées, sont présentées ici. La liste des nombreux souscripteurs de cette publication (plus de quatre cents), se trouve au début du deuxième volume. Il s’agit principalement d’ingénieurs, mais on y trouve également des architectes, des entrepreneurs, des libraires ou éditeurs, des membres du génie militaire, et même un « amateur des beaux-arts », le directeur du « Journal de monumens et des arts » (ayant souscrit deux exemplaires), ainsi que le Directeur du dépôt des fortifications. Le libraire de l’École des Ponts et Chaussées en demande cinquante exemplaires, le ministre de l’intérieur, M. Cretet, deux exemplaires.
Olivia Blum
1. Pour mémoire : 2016 tricentenaire des Ponts et chaussées, Comité d’histoire, revue des ministères de l’environnement, de l’énergie et de la mer, du logement et de l’habitat durable, n°18, cgedd, 2016.
2. BELHOSTE BRUNO, PICON ANTOINE et SAKAROVITCH JOËL, Les exercices dans les écoles d’ingénieur sous l’ancien régime et la révolution, in Histoire de l’éducation, n°46, mai 1990.
3. En janvier 1955, l’appellation de ce département change. La Seine-Inférieure devient la Seine-Maritime.
4. La Vive-eau est une marée pendant laquelle le niveau d’eau est minimal.
Citation extraite de : LOUIS-ALEXANDRE DE CESSART. Description des travaux hydrauliques. Ouvrage imprimé sur les manuscrits de l’auteur. Deux volumes in-4°, avec soixante-sept planches. Tome second. Paris, E. Collin, Renouard, Bernard, Magimel, 1808, p. 10.
5. D’autres graveurs sont intervenus dans la réalisation de ces planches dépliantes. Il s’agit de O. Michel, A. Michel fils, D. Rousseau, Schoerder, F. Semen, J. Adam le jeune et David Jacque.