Les Turcs au xixe siècle dans l’imaginaire collectif de la sphère habsbourgeoise
Résumé
Il s’agit dans cette contribution de montrer de quelle manière et à quelles fins les Turcs au XIXe siècle, contrairement à la vogue des Lumières qui leur confèrent en partie une image positive – que ce soit en philosophie politique chez Montesquieu ou en musique chez Mozart – vont devenir l’objet d’une légende noire qui vise à, sinon forger, du moins renforcer une cohésion et une identité nationales qui a souffert des guerres révolutionnaires et napoléoniennes, en particulier par la disparition du Saint-Empire romain germanique. Pour la Maison de Habsbourg qui voit, notamment par l’intermédiaire de son ministre Metternich, d’un mauvais œil la montée des divers nationalismes dans les territoires de culture allemande, mais également dans les autres parties de la monarchie, il s’agit de mettre en œuvre une nouvelle forme de patriotisme qui ne peut pas se constituer contre les « Allemands », mais qui ne peut plus être uniquement impériale. Dans ce moment de politisation collective, la mise en discours et en image du Turc permet une mise à distance de l’autre pour une constitution identitaire. La figure du Turc devient ainsi l’outil idéal en offrant une contre-image de soi qui perdure encore aujourd’hui par exemple, limitée au discours d’extrême-droite, mais qui en marque bien la valeur émotive et symbolique qui s’est installée alors. Nous basons notre étude sur des ouvrages de littérature populaire ou grand public afin de montrer les ressorts dans la mise en place de cette légende noire dans les pays de la monarchie habsbourgeoise (Josef Aloys Gleich Caroline Pichler).
Abstract
In the first part of the 19th century the Turks became the object of a black legend to create, or to reinforce a national cohesion and identity. This identity was made vulnerable by the revolutionary and Napoleonic wars, the dissolution of the Holy Roman Empire, even though the Enlightenment produced a positive image of them on a philosophical and political level with Montesquieu or with the music of Mozart. Habsburg, and his minister Metternich, considered with apprehension the rise of nationalism in different parts of the German territories, but also of the monarchy ; it was vital for them to create a new form of patriotism that could not be against the « Germans », but that could no longer only be imperial. The politicisation of the image of the Turk created a distance from the Other that allowed the construction of a new identity. The Turk therefore became one ideal tool among others to create a counter-image of the self to unite the various peoples of the monarchy. It is still present to some extent today in right-wing party rhetoric, which brings out its emotional and symbolic value. The article studies works of popular literature in order to show the origin of this black legend in the territories of the Habsburg monarchy (Josef Aloys Gleich Caroline Pichler).
Table des matières
Texte intégral
La main de la toute-puissance divine veillait à l’époque comme aujourd’hui sur le sceptre de l’Autriche afin qu’il ne fût jamais écrasé par la violence de la barbarie déchaînée1.
1Malgré son style pompeux et théâtral, la citation placée en épigraphe traduit une position et une teneur fondamentale de la perception et de l’image des « Turcs » par les Autrichiens du xvie au xixe siècle. Le « Turc » a eu dans la sphère habsbourgeoise un succès sans précédent depuis le xvie siècle jusqu’en 1933 et même au-delà2. On le voit dans la politique actuelle de certains partis (FPÖ et BZÖ), notamment à Vienne, le mot a encore de l’efficacité pour engranger des voix lors des élections, qu’elles soient régionales ou nationales. Cet article se limitera volontairement à une période en particulier, la première moitié du xixe siècle, et considérera la représentation que la littérature populaire d’une part et la littérature de distraction (Unterhaltungsliteratur), comme on l’appelle si joliment en allemand, c’est-à-dire la littérature non canonisée par l’establishment, mais d’une certaine complexité cependant3 d’autre part, donne de ce personnage et, dans cette littérature, s’attachera tout spécialement aux romans dits « historiques » de deux auteurs en particulier : Joseph Alois Gleich et Caroline Pichler qui furent tous deux alors des auteurs très lus, et pour le premier incroyablement prolifique4. La comparaison permettra de faire apparaître les différences idéologiques entre ces deux formes de médiatisation de l’image du Turc en Autriche. Il faut cependant avant d’aller plus loin expliciter quelques-uns des termes employés dans cet article : en effet, depuis la bataille de Mohacs en 1526 et le premier siège de Vienne qui s’ensuivit (1529), l’ennemi menaçant venu de l’Est est quasiment toujours appelé « Turc », même s’il est clair que l’on parle des hommes et des troupes de l’Empire ottoman, qui ne sont donc pas nécessairement tous turcs. Comme le rappelle le grand orientaliste Joseph von Hammer-Purgstall (1774-1856) :
Le mot « Turc » est une insulte tant dans la bouche d’un Européen que dans celle d’un Ottoman, et, en y regardant de plus près, pour les mêmes raisons. Pour les Ottomans, le « Turc » est le fils de la steppe, grossier, éloigné de toute culture et de toutes mœurs policées ; pour l’Européen, il est un barbare asiatique, figé dans les formes de sa croyance et de son empire. […] Cependant, le fait que les Turcs soient turcs ne doit pas nous mener à prononcer des jugements injustes sur le caractère de ce peuple5.
2Autrement dit, lorsqu’il sera question ici des Turcs, je ne ferai que reprendre un usage en pratique aux xvie-xixe siècles, même s’il faudra comprendre Ottomans, puisque les auteurs dont les œuvres sont ici abordées ne font pas la différence entre les deux termes, ou, plus précisément, s’ils sont capables de la faire, ils savent aussi que le mot « Turc » a sur leur public un effet beaucoup plus fort6. Il est donc intéressant de constater que l’usage du mot « turc » en Occident ne fait que reprendre un usage répandu dans l’Empire ottoman lui-même et avec pratiquement les mêmes nuances et connotations. « Ottoman » ne sera utilisé ici que comme un adjectif « neutre ».
3Dans un second temps il faut rappeler que la représentation du « Turc » en Autriche est indéniablement liée à la question de l’identité autrichienne, qui en ce début de xixe siècle est encore à faire, ou plus précisément, à solidifier, puisque la dissolution du Saint-Empire Romain germanique en 1806 entraîna un transfert de dignité par la création de l’Empire d’Autriche : l’empereur François II devint l’empereur François Ier d’Autriche, et c’est autour de la personne de l’empereur que les Habsbourg décidèrent de donner une unité à leur territoire multinational dans un siècle qui vit se développer l’idée d’une nation unifiée et d’un nationalisme virulent7. Autrement dit, pour construire une identité « autrichienne », les populations durent se construire un Autre par rapport auquel elles purent se définir, et le « Turc » occupa cette fonction de coalescence face à un monde où les anciens ordres s’étaient effondrés et où il fallait bâtir de nouvelles (id-)entités8. La construction identitaire, nous y reviendrons au cours de ce texte, est avant tout la mise en place d’un discours qui partage le monde entre « nous » et « les autres », les caractères positifs étant bien entendu du côté du nous ou, pour le dire autrement, la définition qui est faite de l’identité passe par le fait de dire ce que l’on n’est pas, une définition en quelque sorte apophatique, qui est ensuite essentialisée. Ces quelques mots pour préciser que la légende noire des Turcs en Autriche est liée à la constitution d’une identité autrichienne nationale qui ne va pas de soi en ce début de xixe siècle après les soubresauts des guerres révolutionnaires et napoléoniennes9. Il faut également souligner l’importance du roman historique à la Walter Scott dans la première moitié du xixe siècle, en particulier Ivanhoé pour le Moyen Âge et Waverley pour le cas de figure où un jeune héros se trouve pris dans les méandres de l’Histoire, rencontre quelques grandes figures de celle-ci et doit prendre parti pour un camp ou un autre. En Autriche, la période dite de la restauration, c’est-à-dire entre 1815 et 1848, est une période d’apogée pour le roman historique10, en particulier parce qu’il offre aux peuples la possibilité de dépasser leurs différences sociales (ouvrier/bourgeois/noble) et de compenser l’unité nationale encore inexistante11. Enfin, il ne faut pas oublier qu’à partie des années 1820, avec les guerres pour l’indépendance grecque et le mouvement philhellénique, l’Empire ottoman se voit de nouveau attribuer un rôle plutôt négatif et dont l’image va se nourrir des antécédents et litiges historiques de l’affrontement entre Occident et Orient12.
4Il sera procédé en deux temps : tout d’abord un rappel du lourd contentieux entre les pays de la couronne habsbourgeoise et l’Empire ottoman, puis l’analyse de l’image des Turcs dans les romans historiques des deux auteurs, qui ne sont pas considérés par les historiens de la littérature comme des auteurs canoniques, ce qui devrait permettre du fait de leur grande diffusion et de l’absence très souvent d’une trop grande réflexivité des auteurs sur les cadres, idéologèmes et stéréotypes véhiculés, de mieux cerner l’image du Turc dans l’imaginaire habsbourgeois de cette première moitié de siècle13.
Du chien à l’homme ou bien de l’animalisation de l’Autre à son exotisme
5Les pays de la couronne habsbourgeoise ont été depuis le xvie siècle sous le coup des attaques répétées de l’Empire ottoman et ont dû à maintes reprises livrer bataille, en 1526 à Mohacs en Hongrie et en 1529 devant Vienne, pour défendre leur territoire, mais aussi très vite pour préserver la chrétienté tout entière, rôle que Charles Quint et ses successeurs associeront de manière quasi consubstantielle à la dignité impériale et à la ligne des Habsbourg d’Autriche. Les Turcs sont donc perçus comme des envahisseurs à juste titre, mais aussi et surtout comme des étrangers, à tout point de vue, des païens qui menacent l’intégrité de la chrétienté. On ne connaît pas leur langue, on ne connaît pas leurs mœurs et surtout on ne veut pas connaître leur religion, alors considérée comme hérétique. L’image du Turc au xvie et au xviie siècle est donc déterminée par cette peur de l’Autre et par les atrocités que les guerres entraînent. Les sermons, les chansons religieuses et profanes, les almanachs, toutes les formes écrites font du Turc l’ennemi par excellence, qui avec le second siège de Vienne en 1683 deviendra l’ennemi héréditaire de la couronne habsbourgeoise.
6L’image du Turc dans les textes et dans l’iconographie des xvie et xviie siècles insiste sur plusieurs points : tout d’abord il s’agit d’un infidèle qui, dans l’esprit des croisades, resurgit ; cette menace doit par conséquent être combattue et si possible le Turc doit être christianisé, d’autre part des qualités intrinsèques liées à sa nature « barbare » vont lui être associées qui perdureront : la lascivité, la cruauté, la duplicité, la paresse et l’indolence, la polygamie – même si dans le même temps le harem et le sérail éveillent l’imagination lascive des Européens – et la forme de pouvoir du sultan, qui est assimilée à une tyrannie. Avec la victoire que représente la bataille du Kahlenberg le 12 septembre 1683 devant Vienne et les reconquêtes des années suivantes par le prince Eugène de Savoie, notamment, lors de la « grande guerre turque » (1683-1699), le danger va s’atténuer. Comme le rappelle Susanne Greilich14 : dans les almanachs du xviiie se dégage une image tout à fait positive par des exempla et des contes moralisateurs où les Turcs incarnent des vertus telles la tolérance, la modération religieuse ou la bravoure. C’est la grande mode turque, avec en particulier des opéras turcs, qui va durer tout au long du xviiie siècle15. Dans L’Enlèvement au sérail par exemple, il est intéressant de constater que Selim (« der Renegant ») n’est pas turc à la différence d’Osmin, or c’est ce dernier qui est tourné en ridicule plus qu’il n’effraie. Selon Susanne Greilich qui a analysé l’almanach Le Messager boiteux/ der hinkende Bote, qui eut une diffusion européenne tout au long du xviiie siècle, on remarque « un effort de représenter les Turcs, leurs mœurs et leurs caractéristiques sans préjugés16 » jusque dans les années 1790, les cruautés étant présentées comme une composante nécessaire de la logique de guerre plutôt qu’une qualité inhérente des Turcs. Les comptes rendus historiques et politiques essaient d’être objectifs au maximum ; dans les histoires morales l’image est expressément positive17, à côté des autres Orientaux que sont les Chinois et les Perses : tolérance religieuse, sagesse et bonne justice en sont les traits principaux. Cette représentation n’a rien à voir avec des aspects volontairement objectifs ou scientifiques, il s’agit bien plutôt d’un autre avatar, celui du « bon sauvage » que l’on rencontre alors partout en Europe18. Il est véritablement la figure de l’Autre, du totalement différent du fait de l’éloignement géographique bien entendu, mais aussi culturel, ainsi que de sa religion et de ses mœurs. Pour conclure, Susanne Greilich rappelle que si le xviie siècle est encore rempli des cruautés des Turcs, le xviiie est lui apaisé dans sa représentation de l’opulence et la richesse de l’empire ottoman et tente de donner une image correspondant à celle du bon sauvage qui peut jeter un regard innocent sur notre civilisation en tant que représentant-type des vertus des Lumières. Malgré cet attrait exotique, la peur – névrotique puisqu’elle n’est plus réelle – continuera de hanter l’imaginaire collectif, prête à être ravivée selon l’occasion.
7Enfin, il ne faut pas oublier que jusqu’à la victoire de Saint-Gotthard (1er août 1664) et la paix de Nimègue (1679), les Habsbourg d’Autriche furent menacés sur deux fronts : d’un côté les Français, depuis que François Ier eut signé un pacte « scandaleux » avec Soliman le Magnifique, à l’ouest, et à l’est l’empire ottoman qui tenta d’étendre régulièrement ses territoires en Occident. Il y a donc dans les textes, pamphlets, etc. du xvie au xviie siècle une assimilation tentante entre l’ennemi occidental et oriental afin de mobiliser les populations dans la lutte contre cet étau qui semble dangereusement se refermer.
Les « Turcs » dans les romans historiques populaires de la première moitié du xixe siècle
Barbarie, luxe et …
8Selon Felix Konrad qui s’intéresse avant tout à l’Islam comme antithèse de l’Europe, c’est-à-dire dans une perspective antinomique déclarée, cette évolution politique en Europe et plus particulièrement dans les Balkans dans le sillage des guerres d’indépendance grecque « favorise l’utilisation de l’Orient comme surface de projection pour tout ce qui est négatif, et il fut donc facile de rendre l’Islam responsable des particularités négatives de l’Orient19 ». L’essentialisation qui caractérise ces représentations permet de réanimer d’anciens spectres :
Dans la littérature grand public des années 1820 on note une prévalence des stéréotypes négatifs, partiellement connotés religieusement qui postulent la supériorité morale du christianisme et de l’Europe20.
9Ils permirent aux Européens de s’assurer de leur supériorité culturelle et de stabiliser de cette manière l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmes au niveau de leur civilisation et de leur culture. Mais malgré cette affirmation générale, il convient de considérer les deux auteurs en particulier afin de vérifier son exactitude, voire nuancer ces affirmations générales. Nous nous attacherons dans cette partie à un auteur, Josef Aloys Gleich (1772-1841), que nous prendrons comme représentant emblématique de la propagation de la légende noire des Turcs dans la première moitié du xixe siècle en Autriche dans la catégorie « littérature populaire21 ». L’intérêt de considérer ainsi un auteur est de pouvoir discerner une permanence, une évolution, voire une transformation dans l’image donnée des Turcs, étant donné que le premier roman consacré à cet épisode date de 1800 et le dernier de l’année de sa mort, 1841.
Ludwig Dellarosa (alias Josef Aloys Gleich), Die Belagerung Wiens durch die Türken, oder: Graf Rüdiger von Starhembergs Heldenmuth und Tapferkeit. Eine historisch-romantische Erzählung, ErsterTheil mit einem Titelkupfer, Wien, Carl Haas’sche Buchhandlung, 1838
10Josef Aloys Gleich est en Autriche un représentant du « roman gothique », auteur de plus de 100 romans (de chevalerie, brigands et fantômes) et de plus de 250 pièces de théâtre dans la tradition du Altwiener Volkstheater (avec Bäuerle et Meisl). En 1800 il publie Elise von Eisenthurme, oder das Georgshäuschen am Leopoldsberge et Werno der Kühne. Eine Erzählung aus den Zeiten der 2ten Belagerung Wiens, als Gegenstück zur Elise von Eisenthurn vom nämlichen Verfasser22. Dans ces deux ouvrages, il utilise les événements historiques comme arrière-fond et présente les Turcs assez rapidement, en recyclant les anciens clichés de cruauté et de bestialité sans faire œuvre de nouveauté ni insister dessus outre mesure. D’ailleurs les critiques seront sanglantes quant à la qualité du second roman23. Die Belagerung Wiens durch die Türken, oder: Graf Rüdiger von Starhembergs Heldenmuth und Tapferkeit. Eine historisch-romantische Erzählung, publié en 1838 et consacré également au siège de Vienne de 1683 est un peu plus élaboré et plus réfléchi que les deux premiers24 tout en utilisant à peu près les mêmes ingrédients. Il est à noter que cet événement fournit leur sujet à de nombreux autres romans populaires aujourd’hui oubliés du fait de leur facture hâtive et de leur manque d’intérêt littéraire. Le sujet permettant donc une production rapide, Gleich récidivera trois ans plus tard avec deux autres romans : Mahomed der Eroberer, titre on ne peut plus parlant, raconte la chute de Constantinople ou plus exactement l’utilise comme toile de fond et sert d’illustration aux manifestations de déclin de la « culture grecque », raison de la chute de la capitale de l’empire d’Orient25 ; Peter Szapary, der Held im Sklavenjoche, oder: die Rache im unterirdischen Gefängnisse zu Ofen raconte l’épopée de ce personnage historique de l’histoire hongroise dans la lutte contre les Turcs et en particulier l’épisode de la reconquête de la ville d’Ofen (Buda)26.
11Il est possible de distinguer quelques caractéristiques principales dans l’image que les premiers romans de Gleich donnent des Turcs : tout d’abord le raffinement et la barbarie des Turcs dans la conduite des hostilités, et en particulier la cruauté de Kara Mustapha, enfin la place de la femme dans la société turque.
12La voix du narrateur joue un rôle non négligeable dans l’image qui est donnée des Turcs, car l’utilisation des adjectifs donne le ton, ce sont surtout les adjectifs épithètes péjoratifs (terribles, sanglants, effroyables, etc.) qui indiquent la peur que les Turcs insufflent à leurs victimes, même s’il n’y a que peu de descriptions des horreurs, voire de mentions de celles-ci. Il s’agit tout simplement des atrocités inhérentes à toute guerre, mais ici renforcées, exacerbées, poussées au paroxysme par les épithètes. L’importance des images du feu et du sang, qui peuvent faire songer à l’enfer, vient renforcer cette atmosphère de crainte et de tremblement que répandent les armées ottomanes : « Les flammes qui s’embrasaient au ciel en montant ne laissaient plus aucun doute quant à l’arrivée terrifiante des assiégeants », ou bien encore « Le cri sauvage des hordes de Tartares qui approchaient27 ». Mais la narration des actes de cruauté perpétrés par les Turcs, et en particulier par le grand vizir Kara Mustapha, est présentée comme un contraste incompréhensible par rapport à leur raffinement, à moins qu’il s’agisse de montrer que les excès de raffinement sont le signe d’une dégénérescence de la moralité. Ainsi dans Elise von Eisenthurme la description de la tente du grand vizir28 est pourvue d’une note de bas de page à visée informative précisant que les détails donnés sont véridiques : les animaux (singes, cercopithèques, perroquets), les esclaves (qui jouent de la musique pour distraire le grand vizir), les tissus, tout reflète l’éclat d’une grande cour et une élégance hors pair. L’héroïne, Élise, est présentée au grand vizir Kara Mustapha, « couvert de parures et de bijoux qui plutôt que de l’embellir ne faisaient que l’accabler »29. Afin de prouver son pouvoir et montrer sa puissance il fait rouler la tête d’Halyl, un chrétien contraint de servir le grand vizir, mais qui avait projeté de fuir avec Élise, aux pieds de celle-ci. Dans Werno der Kühne, il s’agit du sultan qui, déçu de n’avoir pu ravir Vienne, se tourne vers son Dieu, et le narrateur d’écrire qu’il « promit à Mahomet de venger cette injure en faisant verser des fleuves entiers de sang »30. C’est pour cette raison que le grand vizir a peur pour sa vie et redouble d’ardeur pour prendre d’assaut la capitale ou la conduire à la reddition. D’autre part Kara Mustapha est prêt à recourir à toutes les armes afin de réussir dans son entreprise : il propose ainsi à l’un des personnages de trahir son pays et sa foi en lui faisant miroiter richesses et honneurs si la capitale autrichienne venait à tomber entre ses mains.
13Enfin, dernier cliché qui contribue à la légende noire des Turcs : la place des femmes dans la société musulmane qui ressemble à celle des esclaves que les dignitaires turcs entretiennent. Face à la position que lui promet Kara Mustapha, Élise ne se laisse pas faire et remet en question cet usage du vizir de décider pour une femme de ce qu’elle peut désirer. Elle se rebelle contre les ordres de Mustapha. Il est intéressant qu’à chaque fois, un peu comme en voix off, l’esclave maure commente l’effroi que la témérité d’Élise provoque en lui31. Cela étant, même si cette littérature vise avant tout à une consommation rapide, elle peut de manière surprenante remettre en cause certains comportements, certaines attentes du public : ainsi de manière tout à fait inattendue, le narrateur de Elise von Eisenthurme commente l’effroi qu’éprouve Elise au moment où Halyl descend dans la crypte où elle se cache : cette peur n’est qu’« un préjugé enraciné » et tous les Turcs ne sont pas des êtres cruels32 ! Autrement dit, au moment où le lecteur est plongé dans une profonde angoisse quant au sort de l’héroïne, le narrateur en profite pour asséner quelque vérité anthropologique, une manière ainsi de briser l’image du « méchant » Turc.
… volupté et renégat
14Entre les premiers et les derniers romans de Josef Aloys Gleich, une évolution est perceptible, même si la plupart des clichés qui contribuent à répandre la légende noire des Turcs est reprise. Dans les derniers ouvrages, l’opposition entre les Occidentaux et les Turcs semble s’inscrire dans un cadre plus vaste, comme par exemple la tradition des théories sur les peuples et les climats héritée du xviiie siècle, qui représente certaines aires géographiques comme nécessairement antagonistes du fait de leurs différences intrinsèques ; ils présentent les vices et la cruauté des chefs turcs comme propres aux non-chrétiens ; enfin, la place des renégats dans les armées ottomanes est importante non seulement pour l’intrigue mais aussi pour l’image qui est donnée des Turcs. D’autre part, il est intéressant de remarquer que Gleich réutilise mot pour mot certains passages d’Elise von Eisenthurme et Werno der Kühne dans Die Belagerung Wiens durch die Türken (par exemple le passage du Danube par Kolchitzky recueilli par des paysans méfiants, les commentaires sur le refus des janissaires de poursuivre le siège, l’agitation frénétique dans le camp turc à l’approche du 12 septembre), ce qui explique la rapidité de sa production.
15Pour ce qui est du premier élément, c’est dans Mahomed der Eroberer qu’on en trouve la meilleure expression, de la part du narrateur dressant le cadre général de l’intrigue non seulement d’un point de vue géographique mais aussi historique :
La nature et leur situation géographique ont amolli les Grecs à la différence des Autrichiens qui, dans leurs montagnes, vivent sainement et sont encore forts […] ils ont conservé le courage de l’esprit33.
16La conquête de Vienne devient un but en soi, la capitale étant assimilée à un nouvel Eldorado34, voire à une rivale de la capitale ottomane35.
17En ce qui concerne les vices et les cruautés des Turcs, le catalogue est bien nourri : tout d’abord le luxe ostentatoire est assimilé à un défaut, car il vise avant tout à impressionner par l’image qu’il donne sans faire nécessairement correspondre les qualités intérieures à l’aspect purement extérieur, ainsi dans Mahomed der Eroberer, l’arrivée d’une ambassade turque à Constantinople est présentée comme suit :
Tout le monde admirait les augustes montures arabes avec leurs harnais étincelants d’or et leurs couvertures pleines de pierres précieuses et de perles ainsi que les récipients d’or et d’argent et les magnifiques écharpes de tissu qui étaient destinés comme cadeaux. Mais Roderick regardait avec déplaisir les fiers visages des Turcs qui toisaient le peuple avec des regards haineux et de toute évidence emplis d’une haine religieuse innée36.
18Mais l’oisiveté n’est pas en reste pour stigmatiser les Turcs « avec leur habituelle volupté dans la paresse »37.
19Pour ce qui est de la cruauté, le recours aux métaphores animales, principalement félines, reste le plus courant38. Autour de Vienne les Tartares ont tout pillé et la vie devient difficile pour les troupes, tandis que les grands (pachas, agas) vivent dans l’opulence sans se soucier du bien-être de leurs troupes et répriment brutalement tout manquement à leurs ordres. Enfin le grand vizir est lui aussi marqué par la cruauté lorsqu’il sent la victoire lui échapper :
Soudain le 12 septembre la brutale crânerie et la suffisance de l’imprudence disparurent ; Kara Mustapha se jeta à terre, s’arracha les cheveux et maudit le jour de sa naissance. […] L’infâme afin d’apaiser le courroux qu’il ne pouvait passer sur ses amis ou ennemis et d’enflammer l’ardeur faiblissante de ses hommes en versant de nouveau du sang, fit massacrer de manière inhumaine la plupart des esclaves chrétiens de son campement, à peu près 30 000 en nombre39.
20Cette cruauté est mise en rapport avec la forme de gouvernement exercée (la tyrannie), avec le luxe, pour ne pas dire la luxure, dans lequel vit Kara Mustapha qui le fait qualifier par le narrateur de femmelette40. La même cruauté se retrouve chez les conquérants de Constantinople dans Mahomed, der Eroberer où la tête tranchée de l’empereur Constantin est plantée sur une lance et pour terroriser les habitants survivants est promenée à travers la ville, « dans laquelle toutes les cruautés imaginables faisaient rage que seule la barbarie la plus brutale pouvait inspirer au cœur de tigre des vainqueurs41 ». Dans Peter Szapary, c’est la cruauté du traitement qui est imposé au héros, les tortures qu’on lui inflige gratuitement et dont le Hamsa Bey se délecte sans cesse.
21Mais, comme le rappelle Paula Sutter Fichtner42, Gleich trouve des personnages encore plus méprisables que les Turcs afin d’humaniser ces derniers malgré tout : il s’agit des Grecs par exemple ou des Juifs, voire des hordes de Tartares. Les personnages les plus cruels ne sont d’ailleurs pas des Turcs, mais des renégats. Ainsi dans Mahomed, der Eroberer lorsqu’Asmund, le héros, tombe entre les mains de son ennemi, qui fut chrétien, celui-ci s’exclame avant de le laisser torturer trois jours durant :
Fouettez-le jusqu’à son dernier souffle, puis je ferai détacher un à un chaque membre de son corps jusqu’à ce qu’il tombe au comble du désespoir dans l’abîme des esprits souterrains. Qu’il ressente des millions de fois ce que cela signifie d’amener Hyppolite au bord de la ruine43.
22Dans Die Belagerung Wiens durch die Türken le renégat, Bellopsini, est fondamentalement mauvais, a décidé après de nombreux méfaits commis en Europe (meurtre, vente aux barbaresques comme esclave de la femme qu’il aime mais ne l’aime pas) de tenter sa chance chez les Infidèles. Il se révèle être traître à tous les niveaux imaginables, l’envie étant sa seule motivation. On y trouve également l’exemple d’un homme « qui a renié la foi de ses ancêtres pour pouvoir se laisser aller sans entrave en compagnie des païens à ses plaisirs44 ».
Ludwig Dellarosa (alias Josef Aloys Gleich), Die Belagerung Wiens durch die Türken, oder: Graf Rüdiger von Starhembergs Heldenmuth und Tapferkeit. Eine historisch-romantische Erzählung, zweyter Theil mit einem Titelkupfer, Wien, Carl Haas’sche Buchhandlung, 1838
23On le voit, les romans populaires transmettent des images clichés des Turcs en recourant à l’arsenal traditionnel avec quelques variations tout de même ; malgré cela, la représentation du Turc subit quelques changements, notamment dans le fait qu’elle est soumise à des ambiguïtés flagrantes, que la voix narrative prend ses distances vis-à-vis de ces stéréotypes négatifs et enfin que l’auteur ne donne pas un portrait idyllique des Autrichiens ou des chrétiens puisque ce sont eux, en partie, qui façonnent par leurs actions répréhensibles la légende noire des Turcs.
L’union fait la force ou la « diabolique » association des Turcs aux Lumières françaises
24Le cas de Caroline Pichler (1769-1843) et de ses deux romans est différent45 : tout d’abord tous deux sont parus dans les années 1820, c’est-à-dire au moment des guerres de libération grecque et surtout au moment où la vague philhelléniste est encore très forte et où le pays gagne son indépendance. Or l’ennemi de cette indépendance est la Turquie, donc il est aisé de ranimer le spectre des anciens envahisseurs lors d’événements qui ont marqué leurs relations et l’imaginaire des populations. Ensuite l’auteur ne cache pas une ambition littéraire – elle est à Vienne une personne en vue, proche de la cour et une « salonnière » célèbre, d’autre part elle participe involontairement à la constitution d’une identité autrichienne qui se démarquerait de celle de l’Allemagne. Ce qui est peut-être beaucoup plus fondamental est la construction par le biais du roman historique d’une conscience « nationale » certes, mais surtout d’une mémoire et d’un imaginaire collectifs historiques qui puissent ainsi constituer les bases sur lesquelles les « Autrichiens » vont pouvoir, quelle que soit ensuite leur couleur politique, construire leur idée d’appartenance à une nation commune. La question de savoir si cela a ou non fonctionné sur le plan politique pratique est tout à fait secondaire puisque son rôle se borne à proposer une certaine « identité » de l’Autriche qui consisterait dans une certaine « mission » dévolue à la Maison de Habsbourg (due à la création tardive de l’empire autrichien). Il s’agit donc de savoir quelle image Caroline Pichler donne de ce passé. Si l’on considère son essai plus tardif (1838) « Über Vaterlandsliebe » (« De l’amour de la patrie »), la redécouverte de l’histoire y est présentée comme d’une part la possibilité de faire sortir de l’oubli un passé fondamentalement autrichien, ensuite comme le moyen de faire de la politique dans un présent muselé par la censure (même si elle ne l’écrit pas ouvertement), enfin comme l’ancrage dans un espace physique déterminé ; on songera à sa collaboration avec Joseph von Hormayr pour écrire une histoire nationale autrichienne et catholique et donc construire et établir un canon national autrichien46.
25Les propos sur les Turcs sont plus nuancés que dans les romans de Josef Aloys Gleich, du fait des ambitions et de la proximité de l’auteur de personnages tels que Hammer-Purgstall, Hormayr et Hügel, même si certaines constantes persistent, inhérentes au genre lui-même peut-être, au goût du public certainement. Ainsi les cruautés commises par les Turcs restent un « must », mais elles sont complétées par les cruautés que certains personnages, et en particulier les femmes, imaginent ; il en va de même de certaines métaphores, des « péchés » des Turcs, tels la luxure, mais surtout la démesure, et de la fonction des renégats qui fait partie de l’arsenal de ce genre de littérature. L’un des représentants de l’Église catholique, loin d’être le fanatique que l’on attendrait dans la lutte contre les Infidèles, se montre au contraire un être raisonnable qui réfléchit hors des cadres de pensée habituels, et permet de replacer les romans de Caroline Pichler dans un contexte plus vaste qui est celui des Lumières. Les romans se terminent toujours par une moralité de type religieux qui renforce l’ordre établi.
26Pour ce qui est des cruautés réelles, elles sont avant tout présentes dans La délivrance de Bude ; ainsi des bergers discutant de la situation politique de leur pays s’exclament : « Ces monstres, ces infidèles qui coupent la tête des gens47 » et traduisent ainsi l’image des Turcs parmi le petit peuple : des êtres inhumains et sans foi. Cela étant, le Bey confirme pleinement cette réputation par les sévices qu’il fait subir à son prisonnier Peter Szapary ; il « épuise les gouffres de sa cruauté et de sa haine pour faire sentir au malheureux toutes les horreurs de la captivité48 ». Le narrateur détaille ensuite longuement les sévices qu’il subit49. Mais bien plus que ces réels actes de cruauté gratuite, ceux que certains personnages, et en particulier les femmes, imaginent semblent avoir une existence bien plus forte, être plus réels que les véritables actes perpétrés par les envahisseurs, car ils sont de l’ordre du fantasme. Ainsi Catherine frissonne, presque de plaisir, au récit des « horreurs que commettaient les Tartares et tous les fléaux qui désolaient le pays50 » et un peu plus loin elle se représente « de l’autre côté, au pied des monts, les flammes qui détruisaient plusieurs villages, et, sans doute, tant de mères éplorées, tant d’enfants, de vieillards périssant par le fer ou par le feu51 » ou se délecte aux images et récits lus dans les almanachs. Une lettre de Tékély, le chef de file des mal contents hongrois, fait état du plan de Kara Mustapha qui « avait le projet d’envoyer en avant les hordes tartares pour saccager le pays et enlever l’empereur, si celui-ci quittait Vienne pour se mettre en sûreté »52. Toutes ces horreurs sont donc en grande partie de l’ordre des bruits qui courent, des images traditionnelles de l’ennemi et des représentations fantasmatiques liées à la guerre même si elles se fondent sur certains événements réels dont le narrateur précise à plusieurs reprises l’exactitude dans des notes.
27Mais c’est avant tout une attitude qui caractérise les Turcs et doit les transformer en monstres : tout d’abord le luxe éhonté dans lequel ils se complaisent, notamment en ce qui concerne le grand vizir et ses agas et pachas53. Mais au-delà du luxe lui-même, c’est bien plus la démesure qui lui est associée et l’hybris vers laquelle elle fait signe qui sont, aussi bien au niveau de la narration qu’à celui de l’intrigue, condamnables en soi. Ainsi lorsque Zrini est envoyé en émissaire auprès de Kara Mustapha :
Le visir (sic ) l’avait reçu avec tout l’orgueil d’un barbare rempli de vanité ; déjà ivre de la gloire qu’il n’avait pas encore acquise, sans aucune modération, et ne rendant justice à aucun autre mérite que celui qu’il croyait avoir lui-même54.
28Cette démesure est aussi ce qui participe de la vanité du grand vizir turc55 et dont finalement la rançon sera non seulement la défaite, mais la mort par étranglement à Belgrade sur ordre du sultan.
29Un des nombreux personnages antagonistes de Kara Mustapha est Isidore, le chapelain de Mme de Volkersdorf, qui tente de freiner l’imagination de son ouaille afin de lui faire comprendre que le siècle dans lequel elle vit n’est plus une époque médiévale en proie à la superstition :
La Porte est devenue de nos jours une puissance européenne comme l’Autriche ou la France; elle entend tout aussi bien ses intérêts, et préférera régner sur une province chrétienne, qui lui paiera un fort tribut, que sur un vaste territoire privé d’habitans (!) et de culture56.
30Cette observation « éclairée » est d’autant plus remarquable que le chapelain, le père Isidore, est le représentant de l’Église catholique et romaine, censée mener la croisade contre les Infidèles. C’est lui qui tente de modérer les ardeurs belliqueuses de sa maîtresse et de rectifier les préjugés qu’elle entretient à l’encontre des Turcs. Il s’agit donc d’une attitude tout à fait inattendue, notamment parce qu’il est présenté dans le reste du roman comme un ecclésiastique rigide et arc-bouté sur ses principes issus de la Contre-réforme. Ce personnage fait écho à la voix du narrateur dans La Délivrance de Bude qui écrit :
Des croyances semblables, qui ne s’éloignaient pas par leur nature de l’essence de la religion chrétienne, obtenaient alors beaucoup plus de crédit que de nos jours ; rien n’était plus commun que les histoires où l’on faisait mention des rapports avec le malin esprit, des conjurations qu’on lui adressait, des hommes qui avaient acquis un pouvoir et des connaissances surnaturelles dans son commerce, des procès de sorcières et de la prière de saint Christophe, etc. / Ces récits n’étaient pas comme aujourd’hui rangés dans cette classe des songes ou des contes imaginaires, dont l’homme le plus crédule ose à peine admettre l’existence, et dont tel se rit immodérément devant le monde qui en tremble secrètement dans la solitude57.
31Le narrateur, comme le personnage censé représenter une position « moderne » au moment où se déroule l’action, est donc très clairement influencé par les Lumières, ennemi qu’il est des superstitions et autres représentations issues des songes ou contes. Wynfrid Kriegleder remarque à propos de certains romans de Caroline Pichler, et notamment Le second siège de Vienne, que les ennemis idéologiques de l’Autriche ne sont pas tant les Turcs en tant que tels ni les mal contents hongrois, que les principes des Lumières issus de la cour de France et que Ludmille et son époux, Zriny, ont rapportés de leur séjour à Paris. Dans un article il tente de circonscrire les liens entre le propre et l’étranger dans les romans historiques de Caroline Pichler, qui obéissent, selon lui, à une perspective très claire58 : les événements historiques narrés ont dans les années 1820-1830 une valeur de connaissance pour l’austriacité qui se met alors en place, en suggérant une « mission » de l’Autriche dans l’histoire de la civilisation européenne. Il met ainsi au jour deux éléments fondamentaux certes, mais en excluant d’emblée certains romans – car trop semblables et sans intérêt – sur différents niveaux : le niveau « interne » de l’intrigue et le niveau narratologique de l’énonciation. Au premier niveau selon lui, les étrangers viennent toujours de l’extérieur et menacent ce qui est le « propre » du pays tout en en circonvenant une partie dont ils abusent sciemment, par exemple les Turcs, les Suédois ou les Bavarois. Au second niveau la voix narrataire condamne autre chose, qui mettrait en cause l’identité profonde de l’Autriche, à savoir les Français comme porteurs des germes délétères des Lumières qui viennent saper les fondements d’une monarchie fidèle aux principes catholiques et qui mise sur l’évolution plutôt que sur la révolution, bref qui refuse de s’ouvrir à la modernité. Le problème de Wynfrid Kriegleder est que ses affirmations ne reposent en partie que sur des impressions et non des analyses précises et que certains romans, qui ne peuvent étayer son argumentation, se trouvent d’emblée exclus de son travail : par exemple il s’en remet à la littérature critique concernant La Délivrance de Bude pour affirmer qu’aucun élément nouveau ne pourra être tiré de ce roman59. Pour lui, Caroline Pichler n’opère donc pas selon le système binaire du nationalisme romantique (le propre n’étant pas connoté ethniquement), mais se réfère à une communauté supranationale, catholique avec foi dans le progrès qui fait appel à un mythe habsbourgeois communautaire s’appuyant sur la foi catholique et les valeurs bourgeoises, issues, malheureusement, des Lumières60. Et de conclure que Caroline Pichler était par conséquent beaucoup plus marquée par le joséphisme qu’elle ne veut bien l’avouer et qu’elle construit un modèle autre que celui du romantisme, même s’il reste peu crédible. Par contre ce qui est intéressant pour la légende noire des Turcs en Autriche, c’est de voir qu’effectivement Caroline Pichler a perçu la particularité et la difficulté de la situation de l’Autriche dans les guerres contre la Sublime Porte : le pays doit se battre sur deux fronts qui l’enserrent et menacent non seulement son intégrité mais aussi sa survie. C’est pourquoi les idées des Lumières à la française et les menées de l’armée ottomane se retrouvent axiologiquement placées au même niveau61.
32Pour terminer, il convient de noter que les romans de Caroline Pichler se terminent toujours par une vue moralisante des choses, mais surtout par une remise en ordre selon la justice divine : ainsi à la fin de La Délivrance de Bude, Hamsa-Bey, le plus cruel de tous les ennemis, celui qui a outragé ses captifs de la manière la plus éhontée, qui n’a pas hésité à massacrer ceux qui lui tenaient tête, est fait prisonnier et remis, suprême châtiment, entre les mains de sa plus célèbre victime. De peur d’être soumis au même traitement inique que celui qu’il faisait subir, il décide d’échapper à son sort en s’empoisonnant. Mais Peter Szapary, informé des valeurs chrétiennes les plus pures, se rend dans son cachot pour lui apprendre qu’il pardonne à Hamsa-Bey et même qu’il lui fait grâce de la vie et lui rend la liberté. Mais il est trop tard, le poison commençant déjà à faire effet. Se lamentant sur son sort, il reconnaît alors la supériorité morale de son ancienne victime et de sa religion. Terrassé par les vertus du pardon, il demande à être baptisé et prie Szapary d’être son parrain avant de s’éteindre en paix avec lui-même et avec le monde. Comme dans Le second siège de Vienne, il s’agit de bien rappeler les vertus incontestables de l’organisation du monde selon les principes chrétiens et l’ordre politique qui en découle.
Conclusion
33Pour conclure, nous pourrons dire que l’image des Turcs dans le roman populaire de la première moitié du xixe siècle marque une évolution dans la perception de l’ennemi héréditaire du pays et de la famille impériale. Les stéréotypes habituels depuis le xvie siècle que sont la barbarie et la cruauté, la tyrannie, l’opportunisme des chrétiens renégats, les métaphores animales ainsi que celles des flots se déversant et la triste situation des femmes continuent de fournir à l’arsenal anti-turc ses armes les plus efficaces62. Toutefois, malgré un regain de sentiments anti-turcs lors des guerres d’indépendance de la Grèce, on constate que les horreurs présentées sont beaucoup plus liées au contexte belliqueux qu’à la nature intrinsèque des guerriers ottomans, que des voix narratives alternatives se font entendre soit pour mettre en garde contre les stéréotypes, soit pour mettre en avant la valeur de la culture arabe et persane de la part de Pichler – on ne peut pas ici ne pas songer à l’œuvre d’Hammer-Purgstall, un des piliers de son salon littéraire. Cela étant, le rôle des stéréotypes n’est pas que négatif et peut éveiller la curiosité et pousser vers la découverte de l’Autre tout en renforçant le sentiment d’identité63. Cela concerne principalement les élites éduquées qui s’ouvrent à l’Orient et à l’Islam par des études factuelles, mais pour les couches inférieures on décèle, certes toujours avec un certain retard, une évolution qui fait du Turc, après être passé de celui qui fait peur à celui qui fait rire, celui auquel on s’intéresse. Chez Josef Alois Gleich et Caroline Pichler, on décèle un réel intérêt malgré tout pour la culture de l’Autre, notamment parce que tous les deux se basent toujours sur des ouvrages d’historiens et de voyageurs pour écrire leurs romans ; ils n’inventent pas, voire peu, en ce qui concerne les faits eux-mêmes. Bien entendu les motivations psychologiques des personnages et quelquefois les commentaires du narrateur lors d’une action proprement répréhensible sur le plan moral – quelle que soit l’appartenance culturelle, ce qui révèle l’influence des Lumières sur les deux auteurs – traduisent une position qui reste largement hostile puisqu’elle est commercialement rentable. Enfin, malgré cette présentation encore fortement négative du Turc et de sa civilisation, le narrateur n’hésite pas à relativiser les qualités des chrétiens, des princes en particulier, voire de l’empereur lui-même, dont la fuite lors du second siège de Vienne reste, quoi qu’il en soit, difficilement justifiable, mais permet a contrario de souligner la solidarité de l’Europe chrétienne dans la défense contre les avancées des troupes ottomanes.
Notes
1 Die Belagerung Wiens durch die Türken, oder: Graf Rüdiger von Starhembergs Heldenmuth und Tapferkeit. Eine historisch-romantische Erzählung (Roman). Wien, Carl Haas’sche Buchhandlung, 1838, p. 173. Consultable sur : http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.hwxp3r#page/n0/mode/1up.
2 On notera par exemple que le 12 septembre 1833, c’est-à-dire pour le cent-cinquantième anniversaire de la bataille du Kahlenberg, le théâtre impérial et royal de la Kärntnertor à Vienne, c’est-à-dire un des théâtres officiels de la capitale autrichienne, représenta un ballet intitulé La Jérusalem délivrée, marquant ainsi symboliquement la signification de ce jour pour l’Autriche. Voir pour le contexte européen dans son ensemble l’ouvrage collectif dirigé par Jocelyne Dakhlia et Bernard Vincent, Les Musulmans dans l’histoire de l’Europe : Une intégration invisible, Paris, Albin Michel (« Bibliothèque Albin Michel Histoire »), tome 1, 2011 et Musulmans dans l’histoire de l’Europe : Passages et contact en Méditerranée, tome 2, 2013.
3 Voir le modèle dit des « trois couches » d’après Foltin (1965), même s’il n’est pas sans poser de problèmes lui-même. Pour l’insertion des deux auteurs dans l’une ou l’autre catégorie, les différents critiques semblent avoir des avis divergents, même s’il semble que Gleich est plutôt à ranger du côté de la littérature populaire et Pichler de la littérature de distraction. La difficulté est toujours de savoir selon quels critères (formels ou de réception) la distinction entre les deux peut être faite en tenant compte des changements sociaux, esthétiques et politiques des différentes époques. Mais loin de nous de vouloir ici rouvrir, à plus forte raison clore le débat.
4 Voir entre autres le projet de l’université d’Innsbruck sur le roman historique au xixe siècle en Autriche et en particulier http://www.uibk.ac.at/germanistik/histrom/docs/iasltext.htm
5 Joseph von Hammer-Purgstall, Geschichte des osmanischen Reiches, Pest 1827-1833, 10 volumes, ici dans le volume 9 (1830), p. XXV. Joseph von Hammer-Purgstall et Anton Prokesch von Osten (1795-1876) ont tous deux joué un rôle important dans les relations entre l’Autriche et l’Empire ottoman, le premier comme fondateur de l’école orientaliste viennoise, le second en tant que diplomate, et notamment en traduisant de nombreux ouvrages de la littérature classique en allemand et en publiant leurs comptes rendus de voyages. Voir entre autres Paula Sutter Fichtner, Terror and Toleration. The Habsburg Empire Confronts Islam, 1526-1850, London, Reaktion Books, 2008, p. 130-151, et Veronika Bernard : Das Osmanische Reich auf gut josephinisch… Die Orient-Sicht bei Anton Graf Prokesch von Osten, Friedrich Fürst von Schwarzenberg und Franz Grillparzer als josephinische Nachklänge im 19. Jahrhundert in : Nachklänge der Aufklärung im 19. und 20. Jahrhundert. Für Werner M. Bauer zum 65. Geburtstag. Herausgegeben von Klaus Müller-Salget und Sigurd Paul Scheichl. Innsbruck, 2008, IUP, Germanistische Reihe Bd. 73. Voir également les œuvres de Joseph von Hormayr, Archiv et Taschenbuch für Vaterländische Geschichte, et Robert André, L’Idée nationale autrichienne et les guerres de Napoléon, l’apostolat du baron de Hormayr et le salon de Caroline Pichler, thèse pour le doctorat ès lettres, Paris, F. Alcan, 1933.
6 Feichtinger, Johannes/ Heiss, Johann (dir.), Geschichtspolitik und "Türkenbelagerung" Wien, Mandelbaum kritik und utopie, 2013 (=Kritische Studien zur "Türkenbelagerung", vol. 1) rappellent dans l’introduction du volume (p. 7-22) à quel point le terme « Turc » est avant tout une construction au lieu d’être un acteur purement historique (également p. 24-57). Sandra Bittmann de son côté, dans un article consacré au siège de Vienne de 1683 et à son inscription dans la mémoire collective autrichienne, « 1683 – und was davon bleibt. Die zweite Türkenbelagerung als medialer Referenzrahmen », SWS-Rundschau (Bd. 2/ 2011), montre que la menace turque est un scénario de la peur qui depuis le xviie siècle s’est décliné de différentes manières, mais toujours selon le schéma d’une Autriche catholique et ancrée à l’Ouest menacée par l’Est, qu’il s’agisse des infidèles musulmans, des communistes, voire plus récemment des immigrants.
7 Robert André, L’Idée nationale autrichienne et les guerres de Napoléon. L’apostolat du baron de Hormayr et le salon de Caroline Pichler, Paris, Alcan, 1933, et Feichtinger, Johannes/ Heiss, Johann (dir.), Der erinnerte Feind Wien, Mandelbaum kritik und utopie, 2013 (=Kritische Studien zur "Türkenbelagerung", vol. 2), p. 7 et 8 notamment. Harald Heppner/ Zsuzsa Barbarics-Hermanik (dir.), Türkenangst und Festungsbau, Bern New York, Peter Lang, 2009 (=Neue Forschung zu ostmittel- und südeuropäischen Geschichte vol. 1) et Zsuzsa Barbarics, « "Turck ist mein Nahm in allen Landen..." Kunst, Propaganda und die Wandlung des Türkenbildes im Heiligen Römischen Reich Deutscher Nation », Acta orientalia Academiae Scientiarum Hungaricae, vol. 54 (2001), p. 257-318 ainsi que le projet de recherche « Türkengedächtnis » de l’Académie autrichienne des Sciences http://www.tuerkengedaechtnis.oeaw.ac.at/
8 Voir entre autres Benedict Anderson, Imagined communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London-New York, Verso, (1983, 1991) 2006, mais aussi ce qu’on nomme « Iconic Turn ». Sur la question de la construction d’une identité nationale autrichienne non seulement grâce aux discours narratifs, mais aussi aux représentations iconographiques voir en particulier Karl Klambauer et son discours d’inauguration à l’exposition Franz Kapfer. Zur Errettung des Christentums/ in defence of christianity, Wien 2005-6, Galerie Hohenlohe. Dans ce contexte la question se pose de savoir si la légende noire ne serait pas principalement discursive tandis que la légende dorée pourrait être transmise plus facilement et en grande partie de manière iconographique.
9 Feichtinger, Johannes/ Heiss, Johann (dir.), Der erinnerte Feind, p. 10, et Ernst Bruckmüller, Nation Österreich. Kulturelles Bewusstsein und gesellschaftlich-politische Prozesse, Wien, Böhlau, 1996 (Studien zur Politik und Verwaltung vol. 4), p. 28. L’image du « Turc » étant dans sa pluridimensionnalité facilement réutilisable, elle fut ainsi au cours du temps appliquée aux autres ennemis de l’Autriche, comme par exemple les Français lors des guerres napoléoniennes.
10 Voir Primus-Heinz Kucher, Ungleichzeitige/verspätete Moderne. Prosaformen in der österr. Literatur 1820-1880, Tübingen-Basel, A. Francke, 2002.
11 Wynfrid Kriegleder, « Die „Eigenen“ und die „Fremden“ in den historischen Romanen der Caroline Pichler », Paradoxien der Romantik. Gesellschaft, Kultur und Wissenschaft in Wien im frühen 19. Jahrhundert Christian Aspalter, Wolfgang Müller-Funk, Edith Saurer, Wendelin Schmidt-Dengler, Anton Tantner (dir.), Wien: WUV 2006, p. 401-420 (ici p. 402). Précisons également que l’Autriche n’est pas à l’époque une puissance coloniale, donc le discours sur l’Oriental est différent de celui proposé en France et en Angleterre ; on pourrait dire que l’image est globalement positive, marquée par le respect et la curiosité après que le danger a été définitivement écarté, mais reste un instrument de pouvoir et de contrôle par l’État pour rassembler contre un ennemi (réel ou imaginaire). Voir Edward Saïd pour qui la justification de la colonisation peut effectivement aussi avoir été un facteur dans l’image de l’Orient dressée par la discipline de l’orientalisme.
12 À partir du xixe siècle et en raison des guerres d’indépendance turques l’image change et prend un caractère nettement négatif et durera jusque dans les années 1850 malgré l’indépendance de la Grèce. Voir Susanne Greilich (« „Alles, was sich bei den Türken ereignet, ist immer bedeutend“ – Turkophilie und Turkophobie in der populären Presse », Barbara Schmidt-Haberkamp, Europa und die Türkei im 18. Jahrhundert / Europe and Turkey in the Eighteenth Century, Göttingen, Bonn University Press-V_R unipress GmbH, 2011, p. 177-190) qui souligne qu’il est question de plus en plus de leur cruauté, ignorance, superstition et crédulité (p. 187). Ainsi se met en place peu à peu l’antithèse chrétienté-civilisation-pitié/ islam-fanatisme-cruauté ou barbarie comme « quintessence de la nature turque » avec comme exemples les récits (et les reproductions) des massacres de Chios. Il se met en place une opposition entre les images romantiques des voyageurs découvrant l’Empire ottoman, en particulier Constantinople (voir notamment les récits de voyage d’Ida von Hahn-Hahn, Carl von Hügel et Ida Pfeiffer), et la presse populaire qui fait de la Turquie le lieu de la barbarie, de la superstition et de l’ignorance (p. 189). Le xixe siècle dans un retour de balancier ravive l’image repoussante du Turc qui permet de faire oublier que la réaction se joue aussi en Europe même après l’épisode napoléonien : la cruauté, l’ignorance et la superstition turque sont alors probablement à expliquer par un retour du religieux et du mysticisme obscurantiste véhiculé par une certaine forme du romantisme et par une position politique visant à faire oublier ce qui se passe sur le propre territoire : il y a une grande part d’instrumentalisation idéologique dans le retour des qualités négatives du Turc en Europe au xixe siècle.
13 Il ne s’agit pas ici d’émettre un jugement de valeur sur ce type de littérature, mais de comprendre qu’il y va d’une littérature produite rapidement, pour ne pas dire trop rapidement dans le cas de Joseph alois Gleich, et qui par conséquent n’atteint pas un degré de réflexivité suffisant pour remettre en cause les cadres de pensée existants, même si certains auteurs sont suffisamment habiles pour les manipuler, peut-être inconsciemment d’ailleurs, afin de jouir de la faveur du public.
14 Susanne Greilich, « „Alles, was sich bei den Türken ereignet, ist immer bedeutend“ – Turkophilie und Turkophobie in der populären Presse ».
15 Les caractéristiques de cette mode sont tout d’abord des chansons glorifiant la victoire sur les Turcs, puis le style musical alla turca, l’emprunt des chœurs de janissaires et de la musique militaire lui correspondant dans certaines cours européennes, le passage de l’image de l’antéchrist turc à celle du sultan libéral et enfin le traitement de la vie à la cour du Grand Turc comme littérature érotique.
16 Susanne Greilich, « „Alles, was sich bei den Türken ereignet, ist immer bedeutend“ – Turkophilie und Turkophobie in der populären Presse », p. 183 : « Bemühen um eine vorurteilsfreie Darstellung der Türken, ihre Gebräuche und Eigenschaften. »
17 Ibid., p. 185 : « virtutis exemplum ».
18 Voir Andrea Polaschegg, « Vom chinesischen Teehaus zu hebräischen Melodien. Parameter zu einer Gebrauchsgeschichte des deutschen Orientalismus », Klaus-Michael Bogdal (dir.), Orientdiskurse in der deutschen Literatur, Aisthesis Verlag, 2007, p. 49-80, et Der andere Orientalismus. Regeln deutsch-morgenländischer Imagination im 19. Jahrhundert. Berlin/ New York, De Gruyter 2005.
19 Felix Konrad, « Von der 'Türkengefahr' zu Exotismus und Orientalismus: Der Islam als Antithese Europas (1453–1914)? », Europäische Geschichte Online, hrsg. vom Institut für Europäische Geschichte (Mainz), 14. März 2011, URL: http://www.ieg-ego.eu/konradf-2010-en : « Die Desillusionierung begünstigte die Verwendung des Orients als Projektionsfläche für alles Negative, und es war ein Leichtes, den Islam für die negativen Eigenschaften des Orients verantwortlich zu machen », p. 35.
20 Ibid., p. 35 : « Althergebrachte Feindbilder wurden reanimiert, so lässt sich in der deutschen Unterhaltungsliteratur bereits in den 1820er Jahren eine Dominanz negativer, zum Teil religiös konnotierter Stereotypen beobachten, die die moralische Überlegenheit des Christentums und Europas postulierten. »
21 Il n’est bien entendu pas le seul, voir parmi la longue liste par exemple : Anon., Die Bäcker in Wien, eine Familiengeschichte aus den Zeiten der letzten Belagerung Wiens, 1802 ; Anon., Das Hüttchen auf der Türkenschanze. Eine romantische Geschichte aus den Zeiten Leopolds des Ersten, Leipzig, Joachim, 1802 ; Anon., Der Heidenschuss, eine romantische Geschichte aus der Zeit der letzten türkischen Belagerung Wiens, mit Kupf. Wien, Carl Haas, 1820.
22 Joseph Alois Gleich, Elise von Eisenthurme, oder das Georgshäuschen am Leopoldsberge. Magazin für Litteratur, Leipzig 1800 et Werno der Kühne. Eine Erzählung aus den Zeiten der 2ten Belagerung Wiens, als Gegenstück zur Elise von Eisenthurn vom nämlichen Verfasser. Eine Geschichte aus den Zeiten der Belagerung Wiens, vom Verfasser Waldrafs des Wandlers, Wien, Pichler 1800 (réédition 1801).
23 Recension in Neue allgemeine deutsche Bibliothek, Bd. 76 Erstes Stück. Erstes bis viertes Heft, Berlin und Stettin, bey Friedrich Nicolai, 1803, p. 102 : « Lokalinteresse für die Wiener Lesewelt, […] schwerlich ein allgemeines Interesse bewirken […], da der ihm zum Grunde liegenden Empfindung sowohl, [sic!] als der Einkleidung derselben, alles Anziehende und Gefallende durchaus abgeht. […] Provizialismen, Sprachfehler und Nachlässigkeiten im Style ». Rezension in der Allgemeine-Literatur-Zeitung vom 2. Jänner 1804 Nr. 1 p. 9 : « Die Belagerung Wiens von den Türken, am Schluss des 17. Jahrhunderts, hat schon mehrere Federn der fruchtbaren Wiener Romanschreiber beschäftigt; und auf einem Schmutztitel erwähnt auch der gegenwärtige Verfasser, dass er schon eine Elise von Eisenthurm aus dieser Epoche geschrieben habe. Hätte er es doch bey dieser bewenden lassen! » Le siège de Vienne est un topos dans le répertoire des auteurs de romans populaires viennois, c’est le côté local qui est mis en avant au détriment d’une portée éventuellement universelle. Mais les critiques mettent ici en avant les répétitions structurelles peu élaborées dues à la rapidité de production.
24 Die Belagerung Wiens durch die Türken, op. cit. D’autre part il est intéressant de signaler que Leander Russ (1809-1864), qui voyagea longtemps en Orient avec Anton Prokesch von Osten, exposa en 1837 son grand tableau historique « Sturm der Türken auf die Löwelbastei 1683 », huile sur toile, 203,5 x 283,5 cm (Österreichische Galerie, Belvedere, Wien). L’illustration du premier tome du roman est d’ailleurs une reproduction presque exacte du tableau (voir plus loin). Il serait d’autre part intéressant d’étudier le rôle des illustrations dans ce contexte, mais cela dépasserait le cadre de cet article.
25 Josef Aloys Gleich, Mahomed der Eroberer oder die Todtenbrücke in Konstantinopel. Liebes- und Gräuelscenen aus der blutbefleckten Zeit der Zerstörung des griechischen Reiches, Haas, Wien, 1841.
26 Peter Szapary, der Held im Sklavenjoche, oder: die Rache im unterirdischen Gefängnisse zu Ofen. Historisch-romantische Erzählung aus der früheren Geschichte Ungarns. Haas, Wien 1841. Peter Szapary est un héros hongrois de la lutte contre les Turcs: voir entre autres Franz Sartori, Romantischer Bildersaal großer Erinnerungen: Aus d. Geschichte d. österreichischen Kaiserstaates, Volume 2, Leipzig, Hartmann, 1819 et la pièce de théâtre Peter von Szapary oder: des Ungarn Rache (1838).
27 Elise von Eisenthurme, op. cit., p. 43, « Die Flammen, welche von Fischament und Schwechat zugleich hell aufloderten, ließen keinen Zweifel von der schreckenvollen Ankunft der Belagerer mehr übrig » et p. 45, « Das wilde Geschrey der herannahenden Tartaren ».
28 Ibid., p. 72.
29 Ibid., p. 74, « […] überdeckt mit Geschmeide und Kostbarkeiten, welche ihn mehr belasteten als schmückten ». La langue fleurie (métaphores et comparaisons) et obséquieuse utilisée par le vieux maure pour parler du vizir et de son pouvoir de vie et de mort sur ses sujets est un autre des clichés de la civilisation « turque ».
30 Werno der Kühne, op. cit., p. 188 : « Er gelobte beim Mahomed, dass er diesen Schimpf durch ganze Ströme Bluts rächen wollte. »
31 Elise von Eisenthurme, op. cit., p. 76.
32 Ibid., p. 63, « das eingeprägte Vorurteil ».
33 Mahomed, der Eroberer, op. cit., p. 5 : « Natur und geographische Lage haben die Griechen verweichlicht im Gegensatz zu den Österreichern, welche in den Bergen gesund leben und noch stark sind […] sie haben den Mut des Geistes erhalten. »
34 Die Belagerung Wiens durch die Türken, op. cit., tome II, p. 202.
35 Ibid., tome I, p. 197 : « dann wäre Wien in keiner Rücksicht mehr Konstantinopel würdige Nebenbuhlerin geblieben ».
36 Mahomed, der Eroberer, op. cit., p. 27, « alles staunte herrlichen arabischen Rosse mit ihrem von Gold strahlenden Gezäume und den mit Edelsteinen und Perlen besetzten Decken an, so wie die goldenen und silbernen Gefässe und prächtigen Shawls, welche zum Geschenke bestimmt waren. Roderich aber betrachtete mit Missfallen die stolzen Gesichter der Türken, welche mit verächtlichen, und deutlich den angeborenen Religionshass ausdrückenden Blicken das Volk bemaßen ». Voir aussi p. 60.
37 Ibid., p. 53, « mit ihrer gewöhnlichen Wollust des Nichtstuns ».
38 Die Belagerung Wiens durch die Türken, op. cit., tome I, p. 182 : « den Klauen des Tigers seine Beute zu entreißen » (enlever sa proie des griffes du tigre).
39 Ibid., tome II, p. 205 : « Am 12. September wich auf einmal der rohe Trotz und der Dünkel des Übermuthes; Kara Mustapha warf sich zur Erde, zerraufte sich Haar und Bart und fluchte dem Tage seiner Geburt. […] der Ruchlose, den Grimm, den er jetzt nicht an Freund und Feind auslassen konnte, zu kühlen und den gesunkenen Muth wieder durch vergossenes Blut aufzuflammen, ließ er die meisten Christensklaven in seinem Lager, bei 30 000 an der Zahl, unmenschlich niederhauen. »
40 Ibid., tome II, p. 15 : « die Befehle des asiatischen Weichlings ».
41 Mahomed, der Eroberer, op. cit., p. 116 : « Sein (Konstantins) Haupt wurde auf eine Lanze gesteckt, und zum Schrecken der Bewohner in der Stadt herumgetragen, in welcher nun alle Gräuel wüteten, welche nur der roheste Barbarismus den Tigerherzen der Sieger eingeben konnte. » Le narrateur ajoute plus loin que rien de sacré n‘arrêta les envahisseurs qui réduisirent une grande partie des survivants en esclavage.
42 Paula Sutter Fichtner, op. cit., p. 143.
43 Mahomed, der Eroberer, op. cit., p. 124 : « geißelt ihn bis zum letzten Atemzuge, dann aber lasse ich jedes Glied einzeln von seinem Körper lösen, bis er verzweifelnd in den Abgrund der unterirdischen Geister fährt. Er soll millionenfach fühlen, was es heiße einen Hypolit dem Verderben nahe zu bringen ».
44 Die Belagerung Wiens durch die Türken, op. cit., tome II, p. 75 : « den Glauben seiner Väter verleugnet, um hier ungestört in der Gemeinschaft der Heiden seinen Lüsten frönen zu können ». Malgré tout cela, Gleich n’est pas tendre non plus avec ses compatriotes : 1. Ils se précipitent sur le campement turc et le pillent frénétiquement, 2. le roi de Pologne n’est pas un ange, 3. l’empereur a laissé la ville se débrouiller seule, 4. la chance explique aussi la victoire (fatigue des Turcs qui en ont assez d’attendre la capitulation). Paula Sutter Fichtner, op. cit., mentionne que dans le roman de Gleich, Der Mohr von Semegonda, Wien, 1805, l’héroïne, Genoveva, trouve les hommes noirs du harem beaux (tome 2, p. 18 et 36) ; par conséquent la légende noire a aussi ses limites, notamment dans le désir des femmes.
45 Caroline Pichler, Die Belagerung Wiens, Wien, Pichler, 1824 et Die Wiedereroberung von Ofen, Wien, Pichler, 1829. Il existe une traduction française pour les deux ouvrages : Le siège de Vienne (trad. Isabelle de Montolieu), Paris, Arthus Bertrand, 1826 et La Délivrance de Bude : roman historique tiré des guerres des Allemands et des Hongrois contre les Turcs (trad. Edouard Lelièvre de La Grange), Paris, Lecointe, 1829 dont nous tirerons la plupart des citations.
46 Karin Baumgartner, « Staging the German Nation: Caroline Pichler’s Heinrich von Hohenstaufen and Ferdinand II », Modern Austrian Literature. 37.1/2 (2004): 1-20, ici p. 5. Et voir également lettre à Pichler du 25 octobre 1815. Voir aussi Joseph von Hormayr 1824 Taschenbuch für vaterländische Geschichte (p. 255 Belagerung Wiens, p. 312 Ofens Rückeroberung), son Histoire de l’Empire ottoman à partir de p. 403 pour le second siège de Vienne.
47 La Délivrance de Bude, op. cit., p. 26. Die Wiedereroberung von Ofen, op. cit., p. 9 : « Diese Unmenschen, die Heiden, die allen Leuten die Köpfe abschneiden? »
48 Ibid., p. 65/p. 38 : « Der Beg erschöpft die Tiefen seiner Grausamkeit und seines Hasses, um den Unglücklichen noch alle Schrecken der Gefangenschaft fühlen zu lassen. »
49 Ibid., p. 66/p. 39 : « Er (der Beg) hat ihn (Szapary) an den Pflug spannen lassen! rief Batthiany nun, mit gewaltsamer Anstrengung: Szapary, mein Freund, mein Bruder ist dem Vieh gleich geachtet, er arbeitet mit dem Ackerstier! ». Et p. 77-78/p. 47-48 : « da vernahm er die niedrige Grausamkeit, mit welcher Hamsabeg seinen Gefangenen behandelte, der krank und verwundet, bei elender Kost, welche kaum sein Leben erhielt, in einem feuchten Loche, das ihm zum Kerker diente, schmachtete, und dies nur verlassen durfte, um die niedrigsten Sclavendienste in der Küche seines Peinigers zu verrichten. Dieser war so unermesslich über seinen Triumph erfreut, dass er ein Freudenfest anstellte, als er seinen Feind in seine Macht bekam, und noch jetzt öfters sich die teuflische Ergötzlichkeit verschaffte, in hoch eigener Person, in seiner Küche zu erscheinen, um sich an dem Anblick seines entwürdigten Feindes , und an den entehrenden Diensten zu weiden, die jener sich zu verrichten gefallen lassen musste, um einer noch unmenschlicheren Behandlung zu entgehen. »
50 Die Belagerung Wiens, op. cit., Teil II, p. 87, Le siège de Vienne, op. cit., tome 2, p. 159-160 : « Die angstvollen Berichte von brennenden Dörfern, plündernden und mordenden Tartarn, und allen Gräueln eines Türkenkrieges. »
51 Ibid., Teil II, p. 195/ Ibid., tome 3, p. 47 : « Katharina stellt sich ein Dorf vor, „in dessen feurigen Schlund sie sich die erwürgten Säuglinge, die jammernden Mütter, die sterbenden Greise, denken konnte! Denn wer anders, als der barbarische Feind, der seine Verheerung bis an den Fuß des Kahlenberges ausdehnte, konnte diese Flammen erregt haben? » ou Teil II, p. 169/ tome 3, p. 21.
52 Ibid., Teil II, p. 108/ Ibid., tome 2, p. 180 : « Sein (des Kara Mustapha) Plan gehe dahin, durch die flüchtigen Tartarenschwärme, die er voraus senden werde, das Land zu verheeren und sich auch der Person des Kaisers selbst zu bemächtigen, wenn dieser seiner Sicherheit wegen Wien verlassen müsste », ou bien par exemple Teil II, p. 174/ tome 3, p. 25; Teil II, p. 263/ tome 3, p. 110-111; Teil III, p. 150/ tome 3, p. 64; Teil III p. 170/ tome 4, p. 84.
53 Teil II, p. 280/ tome 3, p. 126 (« avec un luxe asiatique ») ; Teil III, p. 164/ tome 4, p. 79; Teil III, p. 183/ tome 4, p. 96 ; Teil III, p. 184/ tome 4, p. 98; Teil III, p. 204/ tome 4, p. 116.
54 Ibid. Teil II, p. 82/ Ibid. tome 2, p. 154.
55 Teil III, p. 162/ tome 3, p. 76 ; Teil III, p. 163/ tome 4, p. 78-79 : « eine jener Verblendungen, in die der Hochmuth [...] manchmal verfällt, und die uns [...] mit Schaudern an jene Stelle der Bibel denken macht, wo Gott, wie es heißt, das Herz des Pharao verstockte, damit er seine Zeichen unter diesem Volke thun möge, und sie es erkennen, daß er der Herr sey »/ « Il croyait encore être supérieur en force et prédestiné à vaincre ; il espérait contraindre l’armée chrétienne à être témoin de la destruction totale des remparts de Vienne, et de la prise d’assaut de cette capitale. / C’est ainsi que l’orgueilleux se laisse souvent fasciner les yeux et croit pouvoir triompher lorsqu’il est à la veille d’être écrasé » Teil III, p. 164/ tome 4, p. 79 (on remarquera que la référence biblique est beaucoup moins déclarée dans le texte français).
56 Ibid., Teil I, p. 104/ Ibid., tome 1, p. 113 « Die Pforte ist in unseren Zeiten eben sowohl eine Europäische Macht, wie Frankreich oder Österreich, sieht ihren Vorteil eben so ein, wie diese, und wird lieber über zinsbare Christliche Provinzen als über eine menschenleere Wüste herrschen. »
57 Die Wiedereroberung Ofens, op. cit., Teil II, p. 12-13/ La délivrance de Bude, op. cit., tome 2, p. 82-83 : « In jener Zeit, wo diese Geschichte vorgeht, waren solche Begriffe, welche der christlichen Religion ihrer Wesenheit nach überhaupt nicht fremd sind, den allgemeinen Vorstellungen viel geläufiger als jetzt. Erzählungen von Gemeinschaft mit dem bösen Feinde, von Verschwörung desselben, von Menschen, denen jene Gemeinschaft übernatürliche Kräfte oder Kenntnisse mitgetheilt, Hexen- uns Schatzgräber-Prozesse, das Christophorus-Gebeth, usw. gehörten nicht wie jetzt zu den Dingen, welche die glänzende, gebildete Welt ins Reich der Träume und Mährchen verweiset, deren mögliches Dasein höchstens der bescheidenere Zweifler zugibt, und vor denen Mancher, der in Gesellschaft darüber unbändig lacht, in seiner einsamen Kammer heimlich zittert. »
58 Wynfrid Kriegleder, op. cit., p. 417 : « […] wesentlich mehr fasziniert scheint die Erzählerstimme aber von Katharines ungeratener Schwester Ludmilla zu sein […] » (Il s’agit malheureusement d’une simple impression comme nous le soulignons en italiques ; cependant cette impression n’est corroborée par aucun élément tangible du texte puisque Ludmilla disparaît de l’intrigue après la mort de Zriny. Cette idée ne vient que soutenir l’argumentaire préfabriqué de W. Kriegleder, qu’il emprunte aux Denkwürdigkeiten de Caroline Pichler selon lesquelles les idées des Lumières dans leur radicalité représentaient une menace pour l’intégrité du propre « autrichien », marqué par la loyauté envers l’ordre établi (et voulu par Dieu) et la monarchie).
59 Or, ce roman est beaucoup plus intéressant que le siège de Vienne puisqu’il ne traite pas d’un événement qui dans l’imaginaire collectif autrichien et européen ait eu autant d’importance que la fin du siège de la capitale impériale grâce à l’union des princes européens et d’autre part joue justement très habilement des quiproquos dus aux nationalités : ainsi Abdurrahman est en fait un Français qui s’est converti à l’Islam pour sauver la vie de la femme qu’il aimait (Teil I, p. 133/ tome 1, p. 170).
60 Dans les années 1810 et 1820 l’historiographie autrichienne a élaboré une image de l’Autriche comme le rocher dans la tempête qu’est le mouvement de l’histoire. Voir à ce sujet Lucjan Puchalski, Imaginärer Name Österreich. Der literarische Österreichbegriff an der Wende vom 18. zum 19. Jahrhundert, Wien Köln, Böhlau 2000 (=Schriftenreihe der österreichischen Gesellschaft zur Erforschung des 18. Jahrhunderts 8). À propos de la situation de la femme chez les Turcs, Caroline Pichler, qui ne renie pas les Lumières, tente de forger un compromis entre les principes fondamentaux de celles-ci et les valeurs traditionnelles qu’elle rattache à l’Église catholique tout en ménageant un espace possible à la femme. Cela étant, le cas de Ludmille et de Catherine est tout à fait éclairant quant à cet espace possible : il doit se situer dans les étroites limites de la famille et de la religion chrétienne.
61 Cependant, les Turcs ne sont pas présentés que de manière négative : dans La Délivrance de Bude (Teil II, p. 171/ tome 3, p. 178-179) l’un des personnages, le comte de Marsigli, a consacré sa vie à la connaissance de l’Orient qu’il présente comme complémentaire à la civilisation occidentale et il met en garde contre ceux qui ne prennent pas en compte l’évolution historique des civilisations avant de rendre un jugement.
62 Die Belagerung Wiens, op. cit., Teil II, p. 282/ Le siège de Vienne, op. cit., tome 3, p. 127 : « Die Türken ergossen sich durch alle Donauinseln »/ « Les Turcs se répandirent alors dans toutes les îles. » Devant cet enfer qui se dessine, le second tome s’arrête, incapable de mettre en mots l’horreur de la situation et l’épouvante des personnages, mais aussi du lecteur dans la remémoration romanesque de l’événement traumatique. Une ellipse hautement expressive, l’impossibilité de verbaliser le trauma « originel », le face-à-face avec l’ennemi par excellence, l’aphasie de la (pseudo-)reconnaissance de l’Autre comme autre face (possible) du Moi.
63 Voir Paula Sutter Fichtner, op. cit., p. 172.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Éric Leroy du Cardonnoy
Normandie Université, Unicaen, ERLIS
Éric Leroy du Cardonnoy est ancien élève de l’ENS, agrégé d’allemand et Professeur de littérature et civilisation XIXe-XXe des pays de langue allemande à L’Université de Caen depuis 2011. Ses travaux ont porté sur la littérature autrichienne (Les 'réflexions' d'Elias Canetti: une esthétique de la discontinuité, Bern, Peter Lang, 1997) et se concentre désormais sur l’histoire culturelle des pays habsbourgeois au XIXe siècle. Il a notamment publié Perceptions du congrès de Vienne: répercussions d’un événement européen (XIXe-XXIe siècle) tome I, (Éric Leroy du Cardonnoy et Herta Luise Ott eds.), Rouen, Austriaca n°79, 2015 ; Karl May en France : une réception manquée ? (Eric Leroy du Cardonnoy ed.), Revue Strenae n°9/ 2015. Il prépare actuellement Le congrès de Vienne en caricatures (Pascal Dupuy, Eric Leroy du Cardonnoy eds.), Rouen, PURH et Adalbert Stifter : la lettre et le monde ou les limites de la littérature, Paris, Belin, Collection « Voix allemandes ».