Histoire culturelle de l'Europe

Stéphane Gal

Quand un crétin voulait devenir roi des Alpes : la légende noire des Savoie de Charles-Emmanuel Ier à Victor-Amédée II

Article

Résumé

Stéphane Gal analyse l’image construite autour des ducs des Savoie, de Charles Emmanuel Ier à Victor-Amédée II. Le premier, qui régna sur la Savoie de 1580 à 1630, eut très vite la réputation d’un « petit duc » aussi ridicule qu’ambitieux. Cette caractérisation naquit de son vivant et fut propagée par les plumes au service du roi de France. Là encore, les racines politiques d’une réputation construite avec intention de nuire sont mises en évidence : le duc de Savoie était pour la France un obstacle dès la fin du XVIe siècle, et la prolongation de cette situation jusqu’au règne de Louis XIV explique que cette légende noire ne se limite pas à un seul individu mais atteigne aussi, quoique de façon atténuée, son descendant. Dans le cas de Charles-Emmanuel, les attaques font concorder tares politiques (le duc est un mauvais gouvernant) et tares physiques, puisqu’on lui prête une difformité (une bosse) ; elles empruntent par ailleurs des canaux originaux puisque, des chroniques et des mémoires de Richelieu, elles se sont propagées au folklore par le biais de chansons railleuses et autres quolibets qui servent et entretiennent la disqualification du « petit duc », dont la petite taille est inversement proportionnelle à ses ambitions. Bien que jouant davantage du rire que de l’effroi, cette représentation du duc de Savoie connaît, comme celle d’autres personnages évoqués plus avant, une pérennité soigneusement entretenue par les historiographes français d’une part puis par la littérature romantique (qui ajoute au XIXe siècle d’autres ingrédients en pratiquant une identification entre le naturel du duc et les « monts affreux » des Alpes, rudes et barbares à souhait) mais aussi par le folklore genevois, ce qui suggère l’existence d’une fonction identitaire.

Abstract

This article analyses the image of the dukes of Savoy, from Charles Emmanuel I to Victor Amadeus II. The first reigned over Savoy from 1580 to 1630, and was very quickly known as a « small duke », both ridiculous as well as ambitious. This characterization started during his lifetime and was propagated by people for the service of the French king. The political roots of a reputation built with ill-intent are shown : the duke of Savoy had been an obstacle for France since the end of the 16th century, and the prolongation of this situation until the reign of Louis XIV explains why this black legend is not restrained to one individual, but also reached his successor, although in a lesser fashion. In the case of Charles Emmanuel the attacks linked political flaws – the duke was a bad ruler – to physical ones – he was difformed by a hump ; they took original sources, from chronicles and memoirs by Richelieu, and were propagated by folklore through mocking songs and other gibes that served and sustained the disqualification of the « small duke », whose small stature was inversely proportional to his ambition. Although this representation of the duke of Savoy played more with laughter than terror, it enjoyed a longevity carefully maintained by French historiographs on the one hand, and by romantic literature on the other. In the nineteenth century other ingredients were added, such as the identification between the basic, primal behaviour of the duke and the « terrific mounts » of the Alps which were rough and barbaric, but also by Genevan foklore, which suggests its identificatory function.

Texte intégral

Ce prince inquiet, brouillon, mal fait, malfaisant, avait un démon en lui. Sa personne était étrange, comme son singulier empire, bossu de Savoie, ventru de Piémont. Et l’esprit comme le corps ; il semblait gonflé de malice, travaillé dans sa petitesse d’un besoin terrible de s’étendre, de grandir et de grossir1.

1Ce sinistre portrait de Charles-Emmanuel, brossé par l’historien Jules Michelet, tient plus des poncifs bien connus du crétinisme alpin, très en vogue au XIXe siècle, que de la réalité historique. Il reflète une histoire biaisée, qui renvoie à une certaine vision stéréotypée de son voisin, sinon de son ennemi. Ainsi, Michelet se faisait-il l’écho d’un long passé de flétrissures de la politique des ducs de Savoie, en lien avec les vieux ethnotypes associés aux Alpes sur lesquelles régnaient ces princes2.

2Charles-Emmanuel Ier, qui régna sur les États de Savoie de 1580 à 1630, est encore perçu, selon le versant des Alpes où se fabrique l’histoire, soit comme un « grand » prince, au-delà des Alpes, soit comme « un petit duc », en deçà. On retrouve dans les ouvrages les plus récents l’antonomase péjorative « du Savoyard », qui stigmatise un duc ambitieux et quelque peu ridicule, qui aurait dilapidé le capital de gloire et d’or amassé par son père, le duc Emmanuel-Philibert. Celui-ci, grand vainqueur des Français à la bataille de Saint-Quentin (1557), serait le seul vrai héros de l’Histoire3. Cette perception caricaturale apparaît comme l’écho lointain d’une propagande fort ancienne, née du vivant de Charles-Emmanuel Ier et propagée par les plumes chargées d’écrire l’histoire de la France des Bourbons, les « plumitifs de l’escharpe blanche », comme les qualifiait péjorativement un imprimé savoyard4, au tournant des XVIe et XVIIe siècles. Ainsi Michelet ne s’était-il pas beaucoup fatigué, qui s’était contenté de reprendre et de propager une légende noire beaucoup plus ancienne. Il a trempé sa plume dans l’encre qui a servi dès le XVIe siècle à flétrir l’image du duc de Savoie, en tant qu’il persistait à être un obstacle pour les Français, sous Henri III, puis sous Henri IV et encore sous Richelieu. La légende noire se prolongea sous Louis XIV, avec Victor-Amédée II qui, c’est bien connu, ne terminait jamais la guerre dans le camp dans lequel il l’avait commencée, le tout aux dépens des Français. Ce qui lui valut tout de même de gagner une couronne royale, à Utrecht, en 1713. Sans parler de la période révolutionnaire, qui qualifia le roi de Piémont-Sardaigne de vulgaire « roi des marmottes5 » !

3On s’intéressera ici principalement à la figure noircie de Charles-Emmanuel, puisque c’est à son époque que la légende noire, s’il en fût, commença à s’écrire. Le long règne de ce duc de Savoie a été en effet longtemps dénigré par une historiographie française et suisse6 fortement influencée par les campagnes anti-savoisiennes qui s’étaient déchaînées avec une violence peu commune à deux reprises : une première fois à l’époque d’Henri IV, entre 1589 et 1601, voire 1603 pour Genève, puis, une seconde, sous Richelieu, entre 1628 et 1630, lors de la réouverture des hostilités entre les deux couronnes. Au contraire d’une historiographie d’outremonts, trop louangeuse à l’égard de ses ducs, et en particulier de Charles-Emmanuel Ier, qui fut salué au siècle du Risorgimento comme le précurseur de l’unité nationale italienne. On le qualifia de « Charles-Emmanuel-le-grand », comme il l’avait été par ses historiographes dès son vivant7. Aujourd’hui encore les travaux italiens sur Charles-Emmanuel insistent beaucoup sur son extraordinaire activité, en particulier à travers le prestige de sa cour et son rapport privilégié aux lettres et aux arts8 !

Une galerie des horreurs : les Savoie entre bosses et rondes pour enfants

4Si les flétrissures dont Charles-Emmanuel fut l’objet du côté français furent si longtemps persistantes, c’est aussi parce qu’elles furent relayées par les plumes talentueuses des romanciers et historiens positivistes du XIXe siècle, comme Jules Michelet, certes, mais aussi Alexandre Dumas et Victor Hugo … L’important était de montrer que les tares politiques que l’on voulait dénoncer trouvaient un écho visible dans la chair (« mal fait ») et dans l’esprit du duc (« malfaisant ») : de ce mauvais duc, « petit », « bossu » et « plein de précipices », rien de bon ne pouvait sortir9 ! Faut-il le préciser, les accusations de difformité de ce duc ne reposent sur rien de véritablement fiable. Certes, des contemporains purent mentionner que, à sa naissance, le petit prince était un peu « rilevato nella schiena » (littéralement : « relevé de l’échine »), autrement dit un peu bossu, ce qui lui valut le méchant surnom de « il gobbo dei Savoia », « le bossu des Savoie10 ». Mais l’expression fut abusive, assurément, car rien par la suite n’atteste la persistance d’une malformation, ni dans les textes ni sur les portraits, pas même sur les armures portées par le duc et dont un certain nombre pourtant sont parvenues jusqu’à nous11.

5Quoi qu’il en soit, la critique s’empara de l’image du petit bossu de Savoie, dès la Satyre Ménippée, pour mieux brosser le noir portrait d’un Charles-Emmanuel que l’on voulait contrefait autant dans sa chair que dans son comportement12. Au-delà, ce fut toute la galerie des ducs de Savoie qui en pâtit, des ducs dont les ambitions furent systématiquement jugées disproportionnées, donc ridicules, au regard de leurs petits États. C’est ce que montrent encore certaines chansons satiriques, inspirées du temps de Charles-Emmanuel, composées originellement en dialecte franco-provençal, au XVIe ou au XVIIe siècle, puis traduites en français. Par le jeu de la folklorisation, elles passèrent ensuite du registre politique au registre enfantin, en France comme en Suisse, probablement au cours du XIXe siècle. « La chanson du roi de Sardaigne », ou « du duc de Savoie », voire du « roi de Savoie » ou même du « petit roi des montagnes », selon les multiples versions qui nous sont parvenues, que l’on trouve encore dans les recueils des chansons traditionnelles pour enfants, en est un bel exemple et mériterait à elle seule un article. Il en existe de nombreuses variantes, mais toutes concentrent un certain nombre de stéréotypes qui correspondent à des reproches politiques anciens forgés du temps de Charles-Emmanuel. Ils purent être repris et adaptés sous Victor-Amédée II, alors que le duc était en guerre contre Louis XIV, pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg et pendant la guerre de succession d’Espagne13. Ainsi, la chanson montre-t-elle un duc, ou un roi, batailleur, qui croit faire peur alors qu’il n’est en réalité qu’un « petit » prince ridicule et puéril. Son armée est une armée de théâtre, qui n’est composée que de piètres soldats, qualifiés péjorativement de Liaudé dans la version dialectale14, et de canons de fer blanc ; il rêve de croisade et de conquêtes aux dépens de son grand voisin, le roi de France Louis-le-Grand, mais se trouve terrorisé lorsque, parvenu aux limites de ses frontières étroites, il gravit ses montagnes et découvre la réalité du vaste monde :

C’était un roi de Sardaigne
Qui faisait si peur aux gens.
Il avait mis dans sa tête
De détrôner le sultan.
Rantanplan par derrière
Rantanplan par devant.

Le petit roi de Sardaigne
N’est-il pas bien bon enfant ?
Il se fit faire une armée
De quatre-vingt paysans.
Ran plan plan, la gar’ gare,
Ran plan plan, garde devant.

Et pour toute artillerie
Quatre canons de fer blanc.
Quatre ânons chargés de raves
Pour nourrir son régiment
Ran plan plan, la gar’ gare,
Ran plan plan, garde devant15.

6« La gar’ gare », ou « guerr’, guerr’, guerre », qui fait à chaque refrain rouler les « ran plan plan » ou « ran tan plan » des tambours militaires, donne un air faussement martial à la rengaine. Car, en réalité, c’est beaucoup de bruit pour rien, puisque tout se termine par du « vent » : « Ran tan Plan, guerr’, guerr’, guerre au vent ». Les raves, associées aux cochons et à la gloutonnerie (donc à l’ambition démesurée), étaient souvent la pitance attribuée aux moqués, Savoyards ou Espagnols, dans la tradition satirique16. « Paysans », « ânons17 », « raves » … l’armée chansonnée du duc de Savoie ressemblait donc à tout sauf à une véritable armée ! Parce que le duc lui-même n’était pas un véritable prince ! « Bon enfant », il n’était qu’un roi d’opérette, un simulacre, sinon un « singe » des vrais rois, comme le disait si bien le cardinal de Richelieu en son temps.

7On connaît également le roman d’Alexandre Dumas sur la comtesse de Verrue (de Verrua, en Piémont), « dame de volupté », repris par Jacques Tournier (Jeanne de Luynes comtesse de Verue, Mercure de France, 1984) et porté au cinéma en 1990, sous le titre La putain du roi18. L’histoire est celle de Victor-Amédée II, le duc devenu roi en luttant contre la France. Ici, le souverain n’est plus consumé uniquement par l’ambition politique, téléologiquement atténuée par l’obtention de la royauté, mais par la passion dévorante qu’il porte à une femme mariée, la belle Jeanne de Luynes, dont il fait sa maîtresse malgré elle. Dumas reconnaissait à ce prince des qualités éminentes dans la paix comme dans la guerre, mais, à ses yeux, il n’en restait pas moins perfide et rustique, voire ladre, en tant qu’il n’était qu’un pâle imitateur de Louis XIV « en toutes choses … jusque dans les moins louables » ; et qu’il était aussi « crédule comme un enfant et sujet aux superstitions les plus ridicules19 ». Le film de Corti, plus encore que le roman de Tournier, dépeint ce duc chasseur sous l’angle de l’animalité. En se faisant prédateur d’un cœur déjà pris, il devient sa propre proie, et sacrifie ses États, sa vie et son honneur à sa passion : « J’ai une bête sous ma chemise. Elle mord, dès que je pense à vous20 ». Il se prend tragiquement dans ses propres filets, « nœuds d’amour » fatals, et finit dans le dénuement21. Dans le cas du Victor-Amédée II des romans, comme dans le cas du Charles-Emmanuel Ier de l’historiographie, c’est en fin de compte toujours la même démesure tragique, sinon monstrueuse, qui est stigmatisée chez les Savoie.

8Enfin, la légende noire des Savoie put se nourrir d’un dernier épisode lorsque, le 10 juin 1940, Mussolini asséna le fameux « coup de poignard dans le dos », en déclarant la guerre à une France aux prises avec la débâcle. Ce fut alors un curieux rappel de l’invasion surprise du Marquisat de Saluces de 1588 qui, elle aussi, avait été perçue comme un coup déloyal et opportuniste, qui était venu frapper une France affaiblie par la guerre civile22 ! Et ce n’est peut-être pas sans avoir à l’esprit les anciennes réminiscences des critiques anti-savoyardes que, pendant la courte bataille des Alpes, l’on toisa les soldats italiens montant à l’assaut des forteresses françaises : des soldats mal équipés et mal commandés, contraints d’obéir à un Duce démesurément ambitieux, autrement dit des soldats dans le même état que celui des « Liaudé » de la milice ducale, et dont se moquait déjà la vieille chanson du duc de Savoie23 !

9Précisément, la légende noire des ducs va véritablement commencer en 1588, sous Charles-Emmanuel Ier. Il y a un véritable intérêt à comprendre les origines de cette légende et les différents critères qui ont servi à la construire, critères qui ont fini par installer des traits permanents qui ont franchi les siècles sous forme de stéréotypes que les enfants purent chanter, et chantent encore, tandis que leurs parents les sucent inconsciemment par les yeux et par l’esprit dans les romans ou dans les films. La légende noire se fabrique à l’aide de miroirs déformants, elle se nourrit de la satire, va donc se faire en réaction, voire en inversion d’une réalité qui dérange. Sa force consiste à effacer une réalité pour installer à sa place une illusion extrapolée de cette réalité. Écrite en négatif, la réalité initiale se retrouve à condition de la transcrire. Il faut savoir gratter le noir pour retrouver l’or que l’on a cherché à masquer. À ce titre, par son excès, la légende noire indique d’elle-même ses mensonges. D’un point de vue herméneutique, elle est donc un bon indicateur des pistes que le chercheur peut suivre. C’est précisément ce qui a motivé ma démarche en faveur de la rédaction d’un essai biographique portant sur la politique étrangère de Charles-Emmanuel Ier. Ce duc était décrit comme beaucoup trop crétin pour que la réalité soit aussi simple ! En ce qui concerne le duc de Savoie, on va voir que sa légende s’est construite en France et en Suisse en opposition directe à l’image identitaire que cherchait à promouvoir ce même prince, notamment par sa quête de grandeur et par sa référence aux Alpes. On peut également constater que la légende noire a un effet boomerang qui lui fait dire certainement davantage de vérités sur celui qui la construit que sur celui qui la subit. Dénigrer l’autre permet de valoriser ses propres qualités, dénoncer ses ambitions permet de mieux justifier, ou dissimuler, les siennes.

10La légende noire de Charles-Emmanuel comporte plusieurs strates ou niveaux d’altitude, pour prendre une comparaison de circonstance, qui correspondent également peu ou prou à une chronologie qui court de 1588 à 1630 : le premier niveau est composé des premiers reproches, ceux des ambitions et de la démesure ; le second niveau correspond à celui qui établit un lien analogique entre le territoire, les Alpes, et le duc de Savoie, enfin, le sommet de la dérision est atteint avec la disqualification politique qui transforme le duc de Savoie en une caricature de prince.

Le socle de la légende : ambitions et démesure

11L’attaque surprise de Saluces, à l’automne 1588, le soutien savoyard apporté aux ligueurs opposés à Henri IV, la guerre de dix ans qui s’ensuivit, ajoutée à la candidature savoyarde à la couronne de France après la mort d’Henri III … déclenchèrent une série de campagnes anti-savoyardes sans précédent en France au cours des années 1590. Elles s’inscrivaient dans la vaste entreprise de refondation bourbonienne du royaume de France sur des bases nationales et dynastiques nouvelles. L’image des « bons Français » guidés par leur bon roi s’opposait à celles des « mauvais Français », les Ligueurs, sujets dévoyés par leurs alliés étrangers qu’étaient l’Espagne et la Savoie. La construction nationale passait par la stigmatisation des ennemis de la nation France. De nombreux pamphlets furent imprimés, à commencer par le plus célèbre d’entre eux, la Satyre Ménippée, qui, la première, se gaussa d’un Charles-Emmanuel présenté comme boulimique, vomissant les excès de son ambition politique et religieuse24. D’autres suivirent, comme la première Savoysienne, vers 1600, qui pourfendaient l’ambition et la mauvaise foi ducales, exhortant à la nécessité de s’en « revancher » par une guerre qualifiée de « juste » :

Son fils, prince ambitieux, s’il en est nay en l’Europe depuis cinq cens ans, _ qui s’est fantasié la monarchie de la Chrestienté, fondée sur la mort de ses plus proches alliez sans enfans, que ses magiciens _ necromanciens luy promettent avec celle de sa Maiesté, que Dieu destourne par sa grace : Voyant en quatre vingts huict le feu Roy hors de sa capitale, l’estimant ruiné, _ mesprisant la loy Salique, se persuade incontinent qu’il avoit le plus apparent droit à ceste Couronne : ou pour le moins qu’il emporteroit une des meilleures pieces du navire brisé, _ que le Rosne couleroit sous ses estendars25.

12La prétendue démesure des objectifs de la politique savoyarde, reléguée au rang vulgaire des « ambitions », devint un des principaux arguments de l’entreprise de flétrissure du duc de Savoie, qui s’inscrivit dans la durée, de Charles-Emmanuel Ier à Victor-Amédée II, voire bien au-delà si l’on en croit la chanson. L’ambition, comme l’orgueil, pouvait être perçue comme un défaut noble26, du moins lorsqu’elle restait tournée vers une cause juste, mais pas quand elle sombrait dans la démesure dont on accusait Charles-Emmanuel. C’est dans son acception la plus basse qu’il faut la comprendre ici, celle que lui donne Furetière, lorsqu’il la définit comme la « passion déréglée que l’on a pour la gloire ». On retrouvait cette caractéristique de Charles-Emmanuel dans les imprimés français et suisses des années 1590, notamment dans un texte glorifiant la prise de Barraux, en 1598, par le futur connétable de France et duc de Lesdiguières. Le texte stigmatisait au passage ce « petit duc », qui brûlait « d’enjamber sur les estatz du Roy, lesquels il devore par espérance, comme si ce n’estoit qu’un poinct en la circonférence de son ambition27 ».

13Cette dénonciation des ambitions savoyardes dissimulait en réalité les propres ambitions italiennes de la France. Pour les opposants à tout accord au sujet du Marquisat de Saluces, comme le juriste dauphinois Claude Expilly, auteur d’un mémoire appuyé par Lesdiguières, alors lieutenant général du Dauphiné, sur la nécessité de conserver Saluces, le roi n’avait rien à négocier avec un duc qui avait, ni plus ni moins, usurpé une partie du royaume par une abominable forfaiture ! Brantôme, de son côté, réactiva les frustrations laissées par la paix du Cateau-Cambrésis. Dans tous les cas, il fallait non seulement récupérer le Marquisat, mais au surplus revenir sur ce qui avait été cédé au duc de Savoie en 1559. Ces critiques connurent un large écho, elles furent même relayées dans les Alpes (Dauphiné, Genève, Lyonnais …) par l’édition de plusieurs textes, sous forme de monologues, chansons ou saynètes de théâtre, écrits en dialectes de la langue franco-provençale, qui allaient installer une culture de la « moquerie » du duc de Savoie. Ces textes partagent tous le même thème consistant à ridiculiser le duc et ses « ambitions » de conquête sur la France et sur Genève28. Divers épisodes de cette guerre, qui dura jusqu’en 1601 avec la France (traité de Lyon) et 1603 avec Genève (traité de Saint-Julien), y sont ainsi relus à l’aide des lunettes déformantes de la dérision et de la satire, notamment dans le plus célèbre de ces textes, le Cé qu’é laino (« Celui qui est là-haut, le Maître des batailles »). Ce chant fameux, de soixante-huit couplets, mêle satire et récit historique en vue de commémorer la victoire providentielle de Genève sur ses ennemis savoyards lors de l’escalade de décembre 1602 :

Petis et grans, ossis an sevegnance: Petits et grands, ayez en souvenance
Pè on matin d’onna bella demanze Par un matin d'un beau dimanche

Et pè on zeur qu’y fassive bin frai Et par un jour où il faisait bien froid
Sans le bon Di, nos étivon to prai Sans le bon Dieu, nous étions tous pris (couplet 4).

14On y voit les Genevois triompher des « canailles » savoyardes, « qui contrefaisaient les grenouilles » pour passer inaperçus, tandis que leur duc, « vipérin Alexandre », devient la risée de l’Europe protestante : « I se riron du gran Duc de Savoi » (couplet 60). Celui-ci est ainsi contraint de rentrer dans sa coquille, de faire pénitence et de manger… des raves :

Iqué dedian, ze farai pénitance: Ici dedans, je ferai pénitence:
De tranta zeur ne mézerai pedance De trente jours ne mangerai pitance
Segno qu’y sai dé ravé u barbo Sinon des raves bouillies
Trémé de tiu avoi dés escargo Trognons de choux avec des escargots (couplet 63).

15Ce texte est chanté aujourd’hui encore à Genève lors de la fête annuelle de l’Escalade. Il ne s’agit donc plus dans ce cas seulement d’une folklorisation d’une ancienne satire politique, comme dans le cas de la Chanson du duc de Savoie, mais bien d’une patrimonialisation de la légende noire, en tant que celle-ci a été littéralement intégrée à la mémoire et à l’identité commune des Genevois. L’histoire officielle y a été écrite, jouée et chantée, contre le duc, ennemi héréditaire de la Cité, et vulgarisée en tant que telle, marmites en chocolat aidant ! D’autant que le Cé qu’é laino ne fut pas la seule composition patriotique tout à la fois informative, satirique et commémorative ; plus d’une vingtaine d’autres chants, en français mais aussi en patois, l’accompagnèrent par la suite29.

16Cette première volée de critiques anti-savoyardes, composée de textes courts, fut relayée par des épisodes plus longs intégrés à l’histoire officielle construite par les historiographes et mémorialistes du temps au service de la restauration bourbonienne. Parmi ces « plumitifs de l’écharpe blanche », quelques noms fameux comme celui de Brantôme, de Palma Cayet ou de Pierre Matthieu, lesquels, comme Matthieu, eurent connaissance des critiques amères formulées par un René de Lucinge30 à l’encontre de son ancien maître, et les intégrèrent à leur récit31.

17Autant de critiques qui se nourrirent les unes les autres et qui contribuèrent à forger le portrait lamentable de Charles-Emmanuel. Mais à ce premier niveau, il faut en ajouter un second, associant la démesure de la personne du duc à la démesure de ses États.

La légende par le territoire : les Alpes noires

18« La Savoie et son duc sont pleins de précipices », écrivait Victor Hugo32. Cette tirade célèbre de Ruy Blas, écrite au XIXe siècle, renvoie elle aussi à une réalité beaucoup plus ancienne, formée au XVIe et au XVIIe siècles, qui est celle d’Alpes perçues comme des « monts affreux » et celle de ducs de Savoie considérés comme versatiles, maîtres en duplicité, quasi janusiens, comme les montagnes qui ont elles aussi deux versants, l’un visible, l’autre dissimulé33. Ils seraient donc en tout point comme leurs territoires, des êtres bossus de montagnes et doubles, à la fois « deçà » et « delà », puisqu’à cheval sur les Alpes. La Savoie, qui se reconstruit au cours du XVIe siècle, avec notamment le déplacement de la capitale de Chambéry à Turin, va précisément chercher à faire un usage politique nouveau des montagnes, qui consiste à intégrer les Alpes à l’image identitaire du prince. Un regard mélioratif est désormais porté sur la montagne, une montagne perçue d’abord comme un rempart protecteur contre les envahisseurs français et hérétiques. Par ailleurs Charles-Emmanuel fait entrer la guerre à partir de 1588 dans les Alpes, qui deviennent un espace de conquêtes où il espère héroïquement défaire ses ennemis (comme le mythique Bérold). Enfin, le duc ambitionne le titre de roi, or celui de « roi des Alpes » ou de « roi des Monts », est parfois évoqué dans les textes de l’époque34. La politique de flétrissure orchestrée par ses ennemis va donc lui renvoyer l’image exactement inverse des Alpes, à savoir l’image traditionnelle de « monts affreux » auxquels correspondrait naturellement un prince repoussant. La légende noire va ainsi associer analogiquement le comportement des ducs de Savoie aux perceptions les plus extravagantes de la montagne, en tant que lieu barbare, infernal et dangereux.

19Ainsi, en 1600, lors de la guerre de Savoie, le poème conclusif du De Bello s’adressait-il à Henri IV pour lui reprocher respectueusement d’être venu en personne se battre dans des lieux aussi ignobles que les Alpes. Qui plus est pour y affronter non un égal, mais un « roitelet » et son armée « d’excréments de la terre » :

SIRE, que faites-vous, ô grand Mars de la France
Par ses rochers affreus, le repaire des ours?
Vous punissez grand Roy d'un Roitelet l’offence,
Et de tant de trophées vous allongez le cours.
SIRE, que faites-vous parmi ses precipices
Par ses Atlas seiour eternel des hivers? 

[…]

Mais que luy serviront les armes sans courage,
Les forces sans valeur, cent mille Savoyars
Excrements de la terre, allant contre l’orage
Des François indomptez, qui sont conduits d’un Mars35 ?

20Sous la plume de l’auteur du De Bello, les Alpes avaient un effet disqualifiant qui soulignait comme un dévoiement du roi et de sa noblesse. Le vocabulaire utilisé ici est celui qui évoque une image sombre, sinon noire, de la montagne, correspondant à la vision traditionnelle d’un univers sauvage et hostile, marquée par une prétendue barbarie associée à la rudesse des rochers et à la froidure du climat36 : « rochers affreux », « ours », « précipices », « hivers », « excréments » … auxquels correspondent des valeurs négatives et dégradantes pour le duc et pour ses sujets : « roitelet », « sans courage », « sans valeur » … Le « roi des marmottes », qui perdait sceptre et couronne pour chercher refuge en montagne au milieu des craintifs et écliptiques rongeurs, n’était pas loin, tandis que La chanson du roi de Sardaigne, sinon celle du Petit roi des montagnes37, fredonnait :

Ils allèrent sur la montagne.
Grand Dieu ! Que le monde est grand !
Faisons vite une décharge
Et puis retournons-nous en ...

21Les peuples qui résidaient dans de tels lieux, Suisses et Savoyards, étaient regardés comme des êtres rustres « dépourvus de clémences », juste bons à manger des raves, comme le soulignaient satires et chansons, et qui manifestaient moins de piété que les Turcs38. D’autres textes de l’époque, comme Le soldat français et la Savoysienne, élaborés dans le contexte de la guerre de Savoie et des enjeux de la paix de Lyon (1601), puisèrent très largement dans ce registre pour disqualifier le prince de Savoie et l’ensemble de sa politique. Ils associèrent directement son image à celle de ses territoires, c’est-à-dire qu’ils dénoncèrent un prince bosselé, qui semblait porter ses montagnes sur son dos, qui franchissait les précipices de l’audace, qui était lui-même plein de précipices (autrement dit de ruses et de feintes perfides) et qui s’enflait d’ambition pour atteindre des sommets auxquels sa naissance ne lui donnait pas droit : « franchir le precipice de toutes mesures, espandre ses ailes au delà de l’air _ de la raison, c’est obliger sa vanité aux vents _ aux tempestes... », proclamait Le Soldat français lors de sa charge contre Charles-Emmanuel. Aux yeux du Soldat, il était même dégradant pour le roi de France Henri IV d’être venu se battre en personne contre un tel duc :

Mais qu’en personne un Roy de France monte à cheval contre un duc de Savoye, c’est ravaler son autorité et mettre sa grandeur à pied et au décours [déclin] […]. Les rois sont sans pairs, et hors de combat sans autres rois, l’honneur ne s’en prend qu’à son égal39.

22Enfin, les Alpes franchies, on associait volontiers l’image du prince de Savoie à celle d’un Italien. En effet, aux yeux de ses détracteurs, ce duc était, par ses tares, tout autant alpin que transalpin. Il était ainsi souligné que les Savoie, et en particulier Charles-Emmanuel Ier, qui était pourtant petit-fils de François Ier par sa mère, la duchesse de Berry Marguerite de Valois, n’avait rien d’un prince français. Ses manières et sa duplicité politique le renvoyaient aux stéréotypes de l’italophobie la plus traditionnelle, qui vouait une haine féroce à l’encontre de ceux que l’on réduisait à des empoisonneurs de cour, à des accapareurs et à de mauvais chrétiens, sinon à des sorciers40. À ce titre, plusieurs textes prétendirent que Charles-Emmanuel se fiait davantage à ses astrologues et autres devins qu’à ses compétences politiques. Il s’agissait de démontrer qu’il avait bassement recours à des moyens occultes et diaboliques afin d’assouvir ses grandes ambitions et de parvenir à vaincre un plus puissant que lui, en l’occurrence le Très Chrétien roi de France :

[…] qui s’est fantasié la monarchie de la Chrestienté, fondée sur la mort de ses plus proches alliez sans enfans, que ses magiciens _ necromanciens luy promettent avec celle de sa Maiesté, que Dieu destourne par sa grace […] la fiance extreme qu’il avoit en ses devins, enchanteurs, _ piqueurs d’images de cire41.

23Être vénal et perfide par nature, implicitement disciple de Machiavel, comme tous les Italiens, le duc était accusé d’acheter les fidélités de la bonne noblesse de France pour mieux les détourner de leur vrai prince. Ainsi, son voyage diplomatique en France, effectué entre 1599 et 1600, fut-il regardé a posteriori comme une vaste entreprise non d’amitié, de libéralité et de noble séduction, mais de vile corruption dont la trahison du maréchal de Biron fut l’élément le plus visible :

Et encore ce banquier d’Italie venir en France pour cavaler les esprits, _ avec l’ameçon de ses largesses, leur vouloir faire avaller la trahison _ la perfidie; venir en France, _ accoster les meilleurs serviteurs avec paroles toutes luisantes de doublons42.

24Ces divers arguments, associés à celui d’un royaume de France naturellement bornés par les Alpes (Première savoysienne), qui justifiait la conquête de la Savoie aux yeux de certains nostalgiques des guerres d’Italie, connurent une postérité prolongée, laquelle nourrit l’historiographie et les motifs d’annexion qui trouvèrent leur épilogue autour de 1860, lorsque la Savoie devint française et que les Alpes se transformèrent en une frontière linéaire d’États-nations. Relai fut alors pris par les notions plus policées de « retard » et « d’archaïsme » dont on affubla les Alpes et leurs habitants relégués au rang de pittoresques crétins. Charles-Emmanuel semblait alors en offrir un spécimen historique de premier choix, Jules Michelet aidant !

Le sommet de la dérision : l’ombre d’un vrai prince

25Le troisième niveau de flétrissure correspond également à un troisième temps de la construction de la légende noire de Charles-Emmanuel Ier. Il s’agit de l’époque de la reprise des hostilités entre France et Savoie, sous le cardinalat de Richelieu, en lien avec la succession de Mantoue, qui explique la déferlante d’une nouvelle grande vague de pamphlets anti-savoyards. Ce fut ce troisième temps qui imprima pour longtemps l’image désastreuse du duc dans l’esprit des Français. Cette nouvelle vague d’écrits hostiles réanima la première et s’en inspira directement, comme en témoigne la publication d’une « Seconde Savoysienne », parue en 1630, en complément d’une réédition de la Première Savoysienne. Ces textes s’attaquaient férocement à la légitimité princière des Savoie, déconstruisant l’histoire de la dynastie en commençant par ses fondements puisqu’ils dénonçaient la « fable de Bérold », l’ancêtre mythique de la maison de Savoie et l’incarnation de toutes ses vertus, courage et foi. Ils décrivaient en particulier Charles-Emmanuel comme un prince névrotique, rongé par une insatisfaction perpétuelle, « accumulant dessein sur dessein _ ne faisant iamais la paix, qu’en mesme temps il n’ait veu une entrée à une nouvelle guerre43 ». Ces textes sortaient tous des ateliers d’écriture entretenus par le cardinal de Richelieu, qui s’était juré d’abattre le duc de Savoie dans lequel il voyait un obstacle à la politique qu’il entendait conduire en Europe, donc un ennemi mortel pour l’État, pour son roi et pour sa propre personne.

26À la vieille moquerie et à la déconstruction historique succéda l’assassinat de la mémoire opéré méticuleusement par le plus illustre des détracteurs de Charles-Emmanuel. Plus que tous les autres textes, ce furent les Mémoires de Richelieu qui fixèrent l’image du duc Charles-Emmanuel dans l’historiographie française. Dans la mesure où ils servirent largement de réservoir aux historiens des siècles suivants, ils achevèrent de construire les poncifs sur « le Savoyard », perçu comme une caricature de souverain : « comme un singe des grands rois44 », « plein de rage et d’envie contre la gloire du roi45 », prince sournois à l’esprit « faible et rusé », « sans foi », brouillon et fantasque, « cruel et ennemi du genre humain46 », dont les avis « diaboliques » étaient ceux d’un « petit démon47 », enfin, c’était un duc « dont la malice et l’industrie surpassaient celles de Lucifer48 ». Au-delà du « petit duc », la plume de Richelieu transforma le prince de Savoie en un démon plus mauvais que le Mal lui-même ! Le cardinal multipliait les images dégradantes, à commencer par celles tirées de la Bible dont la force évocatrice parlait à tous :

En quoi le cardinal remarqua la façon accoutumée de Savoie à traiter, qui est de cacher le serpent sous les fleurs, et essayer d’éluder toujours les occasions présentes par des espérances vaines49.

27On reconnaît ici l’image biblique du diable, serpent dont la tête doit être écrasée, « diviseur » qu’il faut expulser hors de l’échiquier politique européen, autrement dit hors de l’Eden politique que le cardinal s’efforçait à cette époque de bâtir autour de son roi. À lire Richelieu, on pourrait croire en effet que sa politique engagée contre le duc de Savoie, qui visait à le neutraliser et à en faire un prince docile, non un allié mais un vassal de la France, était une véritable œuvre sainte.

28Richelieu évoquait très clairement la méthode qu’il avait décidé de suivre face à Charles-Emmanuel. Puisque toute la politique de ce duc de Savoie était tournée vers la dilatation de son être et de ses États, il fallait le rabaisser en l’humiliant systématiquement et en le flétrissant sans merci aux yeux de la postérité. Ainsi, Richelieu expliquait-il que, face à la ténacité de Charles-Emmanuel, jugé « fier, orgueilleux et nourri dans les ruses », « on n’en aurait jamais raison qu’il ne fût premièrement humilié50 ». Ce faisant, il s’agissait pour le cardinal de valoriser sa propre maîtrise du jeu politique et militaire, au contraire d’un duc de Savoie, jugé médiocre homme de gouvernement et piètre stratège, dont les jugements étaient présentés comme mesquins et systématiquement erronés. Charles-Emmanuel était voué à l’échec par sa condition même puisque, n’étant rien de plus que lui-même, il « mesurait les desseins du Roi aux règles de la prudence d’un duc de Savoie, non pas à celle d’un monarque de France51 ». Le cardinal ramenait systématiquement le duc à sa condition, voire en deçà de sa condition, lui déniant toute capacité à prétendre résister à un roi de France et encore moins à rivaliser avec un lui : car « les grands rois ne doivent pas être traités de la sorte par les princes leurs inférieurs52 ».

29Le vocabulaire utilisé par Richelieu dans ses Mémoires est révélateur en tant qu’il est largement emprunté au registre du bestiaire traditionnel. Le duc y est ainsi qualifié de singe, de serpent, de baleine, mais aussi de « petit démon », de diable, etc. Autant de termes qui animalisaient et diabolisaient afin de ruiner l’image et le crédit de son adversaire, conformément aux leviers traditionnels de la satire. On retrouve ici l’encre noire dans laquelle Michelet trempa sa plume deux siècles plus tard ! La réussite de Richelieu, devenu le symbole de la raison au pouvoir et de l’intelligence politique triomphant des passions et de la vaine agitation, avait donné un écho exceptionnel et durable à ses critiques à l’encontre de tous ses opposants. Les « anti-Richelieu », perdants de l’Histoire au rang desquels fut relégué Charles-Emmanuel, eurent droit à leur légende noire. Conformément au principe de la damnatio memoriae, celle-ci ne condamnait pas à l’oubli total, mais à une éternité d’opprobre. Elle faisait de ses victimes des êtres relégués, rejetés par l’histoire officielle dans les recoins de la mémoire, un endroit où les perdants ne subsistent que sous la forme d’ombres repoussantes, d’autant que, c’est bien connu, les légendes ont la vie dure ! Comme l’a bien montré Sharon Ketterin dans le cas du duc de Luynes53, Richelieu avait bien compris que l’éclat de sa propre légende serait fonction de la noirceur de celle de ses ennemis. Ainsi, en flétrissant ceux-ci, c’était sa propre histoire, sinon sa propre légende, qu’il écrivait en lettres d’or !

30Les « ambitions » de Charles-Emmanuel furent jugées avec la plus grande sévérité par ses opposants et par les historiens, en particulier en Suisse et en France. On constate néanmoins que cette vision fut largement construite en réaction à l’obstacle que représentait ce duc aux yeux de ses voisins, puisqu’il s’obstinait à grandir et à vouloir être roi. Satyre, Moqueries savoyardes, Savoysiennes, Mémoires de Richelieu, bientôt relayés par des chansons et des romans …, s’acharnèrent, en plusieurs vagues successives, à rabaisser cet orgueil savoyard jugé aussi outrancier qu’illégitime.

31L’histoire aurait pourtant pu être un peu différente si les relations diplomatiques entre la France et la Savoie ne s’étaient fortement dégradées, notamment sous le ministériat de Richelieu. On retrouve en effet les traces de ce qui aurait pu constituer une « légende dorée » de Charles-Emmanuel, laquelle a été amorcée, en France, au début du XVIIe siècle, sous le règne d’Henri IV. La Savoysiade d’Honoré d’Urfé fut écrite sur le modèle de l’Enéide et de la Franciade, en l’honneur de la Savoie, de sa dynastie et de son duc régnant, Charles-Emmanuel Ier54. Dans son texte, Urfé célébrait avec enthousiasme le rapprochement entre la France et la Savoie, dont l’alliance fut scellée officiellement au traité de Brussol, en 1610. Le duc était salué comme un héros providentiel digne du fondateur de sa dynastie, le mythique Bérold, et de saint Maurice, dont le sang avait à tout jamais sanctifié le territoire des Alpes sur lequel régnait le duc. Urfé chantait dans sa Savoysiade un prince allié du grand Henri IV, comblé de vertu, et qui unirait tous les Italiens derrière son épée ... Mais le couteau de Ravaillac en décida autrement, qui trancha non seulement la vie du grand Henri, mais aussi le fil du destin de la maison de Savoie. La mort du roi fut immédiatement suivie de la rupture de l’alliance offensive qui venait d’être signée entre les deux pays. En mai 1610, la Savoysiade n’était déjà plus de saison, elle ne fut donc jamais éditée et Honoré d’Urfé entra dans la postérité pour son célèbre roman pastoral, L’Astrée, et non pour sa célébration avortée de Charles-Emmanuel de Savoie, prince au service duquel il mourut, en 1625, dans la guerre qu’il menait alors, conjointement avec la France, contre l’Espagne, en Italie du nord. Faute de Savoysiade, ce furent donc les Savoysiennes qui prirent toute la place et qui transmirent un noir récit, sinon une légende, qui tint lieu d’histoire officielle jusqu’à aujourd’hui.

Notes

1 Jules Michelet, Histoire de France au 17e siècle, Henri IV et Richelieu, Paris, édition de 1861, p. 60.

2 Je reprendrai ici certains éléments d’un article paru sous le titre « Charles-Emmanuel Ier ou les flétrissures du prince : la perception par la France du duc de Savoie et de ses « ambitions » (fin xvie-début xviie siècle) », La Savoie et ses voisins dans l’histoire de l’Europe, actes du 43ème Congrès des sociétés savantes de Savoie, réunis par Laurent Perrillat, Annecy, 2010, p. 109-128. Voir également notre essai biographique, Charles-Emmanuel de Savoie. La politique du précipice, Paris, Payot, 2012, 558 pages.

3 « L’homme est plein de lui-même et un peu ridicule ». Voir Jean-Pierre Babelon, Henri IV, Paris, Fayard, 1982, p. 851.

4 Le cavalier de Savoie ou response au Soldat françois, Bruxelles, chez les héritiers de Ian Reguin, 1606 (seconde édition), p. 165.

5 « La grande émigration du roi des marmottes » est un dessin anonyme pro-révolutionnaire qui tourne en dérision la fuite du roi de Piémont-Sardaigne, Victor-Emmanuel III, en 1792 (Chambéry, Musée savoisien, collection départementale). On voit celui-ci perdre sceptre et couronne dans sa fuite, et chercher refuge en montagne au milieu des marmottes.

6 « Mais aucun raisonnement n’avait prise sur la nature emportée du jeune souverain quand il s’agissait de Genève », Lucien Cramer, La seigneurie de Genève et la maison de Savoie, tome III, Genève, 1950, p. 102.

7 Samuel Guichenon, Histoire généalogique de la Royale maison de Savoie …, Lyon, Barbier, 1660, p. 708.

8 Claudio Rosso (dir.), Politica e cultura nell’età di Carlo Emanuele I, Torino, Parigi, Madrid, a cura di Mariarosa Masoero, Sergio Mamino e Claudio Rosso, Firenze, 1999 ; Pierpaolo Merlin, Tra guerre e Tornei, La corte sabauda nell’età di Carlo Emanuele I, Torino, Società Editrice Internazionale, 1991, p. 234.

9 Alexandre Dumas, qui écrivit complaisamment sur « la royale maison de Savoie » dans les années 1850, fut, lui aussi, à peine moins sévère que Michelet à l’égard de ce duc, qu’il n’évoqua que pour sa filiation avec Emmanuel-Philibert, le seul vrai héros romantique qui retint toute son intention : « Louis XIII avait été surnommé Louis le Juste, parce qu’il était né sous le signe de la Balance. Il y avait, comme on voit, une raison. Il n’y en a aucune à ce que Charles Emmanuel soit surnommé le Grand », La royale Maison de Savoie, 2. Emmanuel-Philibert Léone-Léona, Fontaine de Siloé, 1998, p. 304.

10 Cité par Carlo Moriondo, Testa di Ferro, Vita di Emanuele Filiberto di Savoia, Utet, Torino, 2007, p. 96.

11 Comme me l’a confirmé José Godoy. Pour plus d’information sur les armures de Charles-Emmanuel, on peut se reporter à José Godoy et Silvio Leydi, Parures Triomphales. Le maniérisme dans l’art de l’armure italienne, Musée de Genève, 2003, p. 489-491.

12 « Au demourant, il fera bonne bosse, aveq la desdaigneuse altesse de son infante… ». On se reportera à l’édition de 1593 établie et annotée par Martial Martin, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2010, p. 185.

13 Philibert Le Duc prétend avoir tiré cette chanson d’un manuscrit de 1715. Selon lui, elle se rapporterait bien initialement à Charles-Emmanuel et à ses diverses tentatives de conquêtes, contre la France pendant les guerres de Religion et contre les Turcs, afin de coiffer la couronne du royaume de Chypre dont les Savoie portaient le titre sans jouir du territoire. Philibert Le Duc, Chansons et lettres patoises bressanes, bugeysiennes et dombistses, avec une étude sur le patois du pays de Gex, Bourg-en-Bresse, F. Martin-Bottier, 1881, p. 49-54. Merci à Georges Delarue de m’avoir indiqué cette référence ainsi que pour ses précieuses indications en matière de chansons.

14 « Dio benisse n’tros Liaudos/Y é de bravos combattants ». Le Liaudé ou Liodo, autrement dit le Claude, était l’archétype du paysan. Le mot s’employait parfois avec le sens péjoratif de simple et de niais (A. Constantin et J. Desormaux, Dictionnaire savoyard, Annecy, 1902). Il figure ici le soldat amateur censé composer les rangs de la milice qui avait été mise sur pied par les ducs de Savoie à partir du règne d’Emmanuel-Philibert.

15 Je cite ici un mixte de paroles que l’on trouve tant dans les vieux recueils de chansons populaires que sur internet. Pour la version franco-provençale traduite, on se reportera au grand recueil de Julien Tiersot, Chansons populaires des Alpes françaises, Grenoble-Moutiers, 1903, p. 43-44.

16 Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 478-483.

17 Des mulets et des mules, capables de porter de lourdes charges, et non des ânons, étaient employés dans les armées de l’époque, en particulier lors du franchissement des Alpes.

18 Film d’Axel Corti, avec Timothy Dalton dans le rôle de Victor-Amédée II et Valeria Golino dans celui de Jeanne de Luynes, comtesse de Verrua, épouse du chambellan du « roi de Piémont ».

19 A. Dumas, La royale maison de Savoie, tome 3, Mémoires de Jeanne d’Albert de Luynes comtesse de Verrue, surnommée la Dame de volupté, La fontaine de Siloé, Montmélian, 2000, p. 85 et p. 101.

20 Jacques Tournier, Jeanne de Luynes, comtesse de Verue, réédition folio, 1993, p. 58.

21 Les « nœuds » ou « lacs d’amour » étaient un des grands symboles de la maison de Savoie. Ont-ils inspiré le cinéaste qui nous montre un Victor-Amédée liant les mains de sa maîtresse et terminant lui-même son existence paralysé, contraint de vivre suspendu par des sangles dans une cage mobile ?

22 « […] Petit audacieux, trop ouvert d’oreilles pour esveiller son ambition au triste son des sanglots de la France, lors qu’un mal furieux courant toutes ses veines, elle demeuroit estendüe de son long, couverte de sang _ de playes, _ frappée d'un grand coup au cœur… », Le soldat françois, s.l., 1604, p. 129.

23 Merci encore à Georges Delarue qui m’a confirmé que cette hypothèse est tout à fait plausible, notamment du fait que cette chanson figurait déjà dans le Roland, chansonnier initialement destiné aux mouvements scouts catholiques, mais que tous les mouvements de jeunesse français chantèrent abondamment, avant et après guerre.

24 « Le duc de Savoye en avait aussi pris [du catholicon, c’est-à-dire, d’après la Satyre, la poudre imaginaire vendue par les Espagnols et les Lorrains qui est censée transformer celui qui l’absorbe en zélateur de la Ligue], pour se guarir de la boulimie ; mais il revomit tout, le pauvre homme ! », Satyre Ménippée, édition citée, p. 34-35.

25 Première Savoysienne, s.l. n.d., p. 8.

26 Francis Goyet, Les audaces de la prudence, Littérature et politique aux xvie et xviie siècles, Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 28.

27 Brief discours de la reprinse faicte par monsieur de Lesdiguières du fort que le duc de Savoye avoit faict faire à Barraux, Lyon, chez Thibaud Ancelin, 1598. Imprimé édité dans Actes et correspondance du connétable de Lesdiguières, publiés par Douglas et J. Roman, tome III, Grenoble, Allier, 1884, citation p. 306.

28 Stéphane Gal, « Dialectes et construction territoriale dans les Alpes occidentales, l’exemple du franco-provençal de la fin du xvie au début du xviie siècle », Histoire des Alpes, 2005, n°10, p. 203-212 ; Gaston Tuaillon, La littérature en franco-provençal avant 1700, Grenoble, 2001, p. 90-142. Huit de ces textes ont été traduits dans l’ouvrage d’Anne-Marie Vurpas, Moqueries savoyardes, monologues polémiques et comiques en dialecte savoyard de la fin du xvie siècle, Lyon, La Manufacture, 1986, 222 p.

29 Gaston Tuaillon, La littérature …, op. cit., p. 120-121.

30 René de Lucinge avait été ambassadeur de Savoie en France sous Henri III, il fut l’un des négociateurs disgraciés de la paix de Lyon.

31 René de Lucinge, Les occurrences de la paix de Lyon, édition d’Alain Dufour, Genève, Droz, 2000, p. 12.

32 Victor Hugo, Ruy Blas, acte III, scène 2.

33 On retrouve cet aspect dans la vision des Alpes de Balthazar Gracian, qui les associe à l’hiver de la vie : « Ouvrant de grands yeux, _ pour examiner le petit nombre d’hommes qui arrivent à ce passage, _ pour regarder ces montagnes de neige, ils aperçûrent quelqu’un qui sembloit tantôt venir vers eux, _ tantôt s’en éloigner ; ils ne savoient s’il avançoit ou s’il reculoit. Ce qui augmentoit leur doute, c’est que cet homme avoit le visage tourné de leur côté, quoi qu’il semblât marcher de l'autre. Andrenius disoit qu’il aprochoit : Critile soutenoit le contraire. Voila ce qui arrive souvent dans le monde : on pense différemment sur le même sujet, _ quoi que tous les hommes soient éclairez de la même lumiere, rien n’est pourtant si diversifié que leurs opinions. La curiosité fit doubler le pas aux deux Voiageurs, _ ils firent si bonne diligence, qu’ils joignirent bientôt cet homme à marche équivoque. Mais quelle fut leur surprise en remarquant qu’il avoit deux visages ; _ que sa maniere de marcher étoit effectivement si extraordinaire, qu’on prenoit son éloignement pour son aproche, _ qu’il s’enfuioit quand on pensoit le tenir. Ne vous effraiez pas, leur dit- il, car vous saurez que sur ce sommet de la vie il n’y a personne qui n’ait deux visages : l’un est pour sourire, _ l’autre pour nous froncer le sourcil…», L’homme détrompé ou le Criticon, de Balthazar Gracian, Traduit de l’espagnol, tome troisième, à la Haye chez Jacob van Ellinckhuysen, 1708, p. 12-13. Merci à Pierre Nevoux de m’avoir signalé les possibles allusions à la Savoie chez Gracian.

34 Tommaso Campanella parle en effet de « roi des Monts » lorsqu’il évoque les perspectives politiques du duc de Savoie : « le duc de Savoie aura alors le titre de roi des Monts, titre noble et superbe qui sied à Son Altesse », Tommaso Campanella, Sur la mission de la France, Paris, ENS, 2005, p. 173. Merci à Jean-Louis Fournel de m’avoir signalé cette référence.

35 R. B. C., De Bello Sabaudico aliisque rebus, Gestis, Epistola, Lugduni, 1601, p. 17-19.

36 Philippe de Caverel, en 1582, expliquait l’altération progressive de la langue française qui se « barbarise en Savoye, et hume avec l’air froid la rudesse des rochers, approchant les Alpes ». Cité par Daniel Nordman, Frontière de France. De l’espace au territoire xvie-xixe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 464.

37 On trouve ce titre dans le recueil de V.-F. Verrimst, Rondes et chansons populaires illustrées, Paris, imprimerie générale, 1876, p. 78-80.

38 François Walter, Histoire de la Suisse, tome 1, Neuchâtel, Alphil-Presses universitaires suisses, 2011 (2009), p. 61.

39 Le soldat françois, s.l., 1604, p. 131-132.

40 Jean-François Dubost, La France italienne, xvie-xviie siècle, Paris, Aubier, 1997, p. 307-329.

41 La Première savoysienne, op. cit., p. 8 et p. 12. Voir également le texte franco-provençal Le plaisant discours d’un medecin savoyart emprisonné, pour avoir donné advis au Duc de Savoye de ne croire son devin, s.l., 1600.

42 Le soldat françois, op. cit., p. 131.

43 La premiere et la seconde savoysienne ou se voit comme les ducs de Savoie ont usurpé plusieurs estats apartenans aux rois de France …, Grenoble, par P. Marnioles, 1630, p. 100.

44 Richelieu, Mémoires, t. VIII, Paris, édition paleo, 2003, p. 134.

45 Richelieu, Mémoires, t. X, « La diplomatie du duc de Savoie », édition paleo, p. 128.

46 Ibid., p. 78.

47 Ibid., p. 81

48 Ibid., p. 171.

49 Ibid., p. 8

50 Richelieu, op. cit., t. VIII, p. 116.

51 Ibid., p. 98.

52 Ibid., p. 134.

53 Sharon Kettering, Power and Reputation at the Court of Louis XIII, The Career of Charles d’Albert, duc de Luynes (1578-1621), Manchester University Press, 2008, 265 p.

54 La « Savoysiade, Poeme heroique de Messire Honoré d’Urfé, marquis de Valromé et de Beaugé, baron de Chateaumorand etc. », est un poème en neuf livres et 205 folios. L’exemplaire qui est conservé à Turin est daté de 1606, à Virieu-le-Grand, dans le haut-Bugey, dont Urfé était seigneur. Archivio di Stato di Torino, Storia della real casa, Storie generali, cat II, mazzo 7. Ce manuscrit a été entièrement microfilmé par l’université de Tours en 2002.

Pour citer ce document

Stéphane Gal, «Quand un crétin voulait devenir roi des Alpes : la légende noire des Savoie de Charles-Emmanuel Ier à Victor-Amédée II», Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], Revue d'histoire culturelle de l'Europe, Légendes noires et identités nationales en Europe, Tyrans, libertins et crétins : de la mauvaise réputation à la légende noire,mis à jour le : 30/06/2016,URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=194

Quelques mots à propos de : Stéphane Gal

Université de Grenoble, LARHRA, UMR 5190

Stéphane Gal, enseignant chercheur de l’Université Grenoble Alpes, est spécialiste des sociétés en guerre aux XVIe et XVIIe siècles, de la noblesse et du territoire. Il a publié plusieurs ouvrages sur la question dont un Lesdiguières Connétable de France et prince des Alpes (PUG, 2007), un Charles-Emmanuel de Savoie : La politique du précipice (Payot, 2012). Dans le cadre du Labex ITEM (Innovation et Territoires de Montagne), de l’Association internationale de l’Histoire des Alpes et des Sabaudian Studies, il développe des travaux autour de la montagne et de ses identités : Les territoires du risque (PUG, 2015) ; La Maison de Savoie et les Alpes (Université de Savoie, 2015), Mountain Areas in Conflict (Journal of Alpine Research-Revue de Géographie Alpine, 2016).