Histoire culturelle de l'Europe

Mathias Ledroit

La légende noire du Comte-Duc d’Olivares en Catalogne (XVIIe-XIXe siècles)

Article

Résumé

Cet article suit les différentes étapes de la légende noire du Comte-Duc d’Olivares, favori et ministre du roi Philippe IV d’Espagne, un personnage qui fut largement détesté en Espagne, et surtout en Catalogne. Il montre comment une mauvaise réputation latente a pris de l’ampleur à la veille du soulèvement des Catalans en 1640 et analyse les écrits et autres proclamations qui, en peignant Olivares en ministre tyrannique et en usurpateur en puissance, accusation qui atteint aussi un roi coupable de négligence, justifient la révolte et la déposition du monarque. Dans un second temps, on essaie de montrer que, si la légende noire d’Olivares paraît avoir disparu après sa chute en 1643, c’est pour mieux renaître au XIXe siècle, dans un autre contexte mais avec des enjeux politiques non moins importants. Le mouvement catalaniste s’appuie en effet sur le souvenir d’Olivares, qui incarne cette fois toute la politique centralisatrice menée par la monarchie espagnole vis-à-vis de la Catalogne depuis le XVe siècle, pour construire un nationalisme catalan. On se trouve donc face à une résurgence opportuniste, après plusieurs siècles, d’une légende noire qui dépasse l’individu autour duquel elle a été bâtie.

Abstract

This articles follows the different moments of the black legend of the Count-Duke of Olivares, the King’s favourite and minister of Philipp IV of Spain, a person who was widely detested in Spain, and particularly in Catalonia. It shows how a latent bad reputation took on importance in the wake of the uprising of 1640 in Catalonia and analyses the documents and other proclamations that depicted Olivares as a tyrannical minister and a potential usurper. This accusation reached also a king guilty of negligence and justified the uprising and deposition of the monarch. The article also shows that the black legend of Olivares seemd to have disappeared after his fall in 1643, but was reenacted with more strength in the 19th century in another context with less vital political stakes. The Catalanist movement was based on the memory of Olivares, who personified the whole centralist policy of the Spanish monarchy since the 15th century against Catalonia, in order to build a Catalan nationalism. This opportunistic resurgence of a black legend, after several centuries, exceeds the individual around whom it was constructed.

Texte intégral

Il existe un vertige de l’imaginaire et qui n’épargne pas ceux-là mêmes qui ne prétendent qu’à son étude désintéressée1.

5 avril 1626, dimanche des Rameaux. Le Roi notre seigneur, accompagné d’autres coches, est sorti se promener sur le quai du port. Devant lui, le Comte d’Olivares de Sanlucar, à cheval, commandait aux gens de se découvrir, car venait le Roi. Ceux-ci se moquaient de lui, voyant les coches venir sans la garde royale, jusqu’à ce que, dans la voiture du milieu, ils virent sa Majesté à l’avant et le prince don Carlos à l’arrière2.

1Rapportée par l’avocat barcelonais Jeroni Pujades sur un ton qui dissimule mal la raillerie, cette anecdote en dit long sur l’opinion que nombre de Catalans se forment du Comte-Duc déjà en 1626, avant même que cette mauvaise réputation ne cède le pas, en 1640, à une puissante légende noire dont il s’agira, ici, d’esquisser les contours. Jugé prétentieux et avide de pouvoir, on lui prête l’intention, sorte de vanité, de prétendre se trouver à la tête du convoi royal dans l’unique but de voir les Barcelonais se découvrir sur son passage. Bien qu’il s’agisse de la première visite du favori en Catalogne, sa réputation semble le précéder. Beaucoup estiment, en effet, que c’est lui qui, pendant cinq ans, a retenu Philippe IV à Madrid, loin de ses sujets catalans qu’il aurait dû visiter dès son avènement en 1621 pour entrer solennellement à Barcelone et y prêter le serment inaugural par lequel, traditionnellement, le nouveau monarque s’engage à gouverner conformément aux fueros, lois, privilèges et Constitutions du royaume.

2À cette mauvaise réputation s’ajoutent les tensions, palpables avant l’ouverture des Cortès, au sujet du projet d’Unión de Armas que Philippe IV et Olivares sont venus soumettre aux brazos catalans. Dans les quelques semaines précédant l’arrivée du roi, le vice-roi, Joan Sentís, avait pris soin de faire diffuser plusieurs relations de faits exagérant l’enthousiasme des Valenciens et des Aragonais au sujet de la Unión, conscient que celle-ci était perçue par beaucoup comme une manœuvre politique visant à homogénéiser la Monarchie Catholique et à faire de la Castille et de l’Aragon une unique Couronne sur laquelle le roi régnerait sans partage. Quelques jours avant l'arrivée du souverain, Jeroni Pujades note dans son journal que « le bruit courait qu’il [le roi] voulait que la Castille et l’Aragon forment une seule et même couronne, régie par une seule et même loi et disposant d’une seule et même monnaie3 ».

3Jesús Villanueva López a analysé les vives discordes auxquelles la Unión de Armas a donné lieu et a montré comment le dialogue entre les brazos et le roi s’était progressivement crispé, jusqu’à entraîner la paralysie des Cortès puis leur suspension dans les premiers jours du mois de mai 16264. Jugeant que Philippe IV n’obtiendrait plus rien des Catalans, pas même le donatiu5 qu’ils étaient venus récolter, Olivares convainc son roi de quitter au plus vite la Principauté catalane pour regagner la Cour, où, lit-on dans les relations de faits de l’époque, l’attendent des affaires d’importance6. Le 4 mai 1626, à la surprise générale, Philippe IV et son cortège sortent de la ville, aux alentours de six heures du matin, sans que les Cortès aient été conclues7. À la suite du départ précipité du roi, Jeroni Pujades écrit :

Ce Comte d’Olivares, Duc ou Diable de Sanlucar, n’est pas seulement, et depuis toujours, un persécuteur de notre nation catalane ; il est également un contempteur de sa réputation et du culte de ses Saints Martyrs8.

4Malgré les efforts de plusieurs historiens actuels, à l’instar de John H. Elliott, on n’a retenu d’Olivares que sa soif de pouvoir, son ambition et, osons le mot, sa tyrannie. Il est, de fait, difficile, encore aujourd’hui, de le dissocier de cette image d’infâme ministre machiavélique que ses contemporains lui ont forgée et qu’Olivares a personnellement, sans doute, contribué à alimenter par l’intermédiaire des complots auxquels il a pris part ou qu’il a lui-même fomentés9. Ce n’est, en effet, que très timidement, souvent au risque d’être taxé de révisionniste, que l’on s’aventure à lui reconnaître des qualités d’homme d’État ayant œuvré pour la conservation de la monarchie et la consolidation du pouvoir royal – une image qu’il aurait souhaité, à en croire El Nicandro, léguer à la postérité. Il semble condamné à être perçu comme ce

Don Gaspar – dont parlait Gregorio Marañón – qui […] devint le Valido d’un Monarque sans volonté. Roi d’un autre roi et, à travers celui-ci, maître absolu de l’Empire espagnol […] jusqu'à ce qu’advienne le démembrement péninsulaire10.

5Olivares est, à bien des égards, l’un des personnages politiques les plus vilipendés de l’histoire de l’Espagne et s’inscrit dans la droite lignée des hommes d’État qui ont fait l’objet d’une légende noire, laquelle, simultanément, a contribué à alimenter celle de l’Espagne. En Catalogne, il est, à l’époque moderne, le personnage le plus décrié, car considéré, et ce encore par certains historiens des XIXe et XXe siècles11, comme le principal ennemi des Catalans à qui l’on attribue le dessein d’avoir cherché à supprimer les fueros et ce trois quarts de siècle avant leur abolition effective en 1716.

6Il y a sans doute dans cette mauvaise réputation un soupçon de vérité, sans quoi la légende noire, dépourvue de ces fondements, n’aurait pas prospéré. Olivares lui-même reconnaît, dans El Nicandro, avoir souhaité l’abrogation des fueros, y voyant un obstacle à la conservation de la Monarchie :

Seigneur, vouloir comprendre qu’il convient de conserver cette Monarchie quand elle est en danger, du fait qu’elle soit composée d’autant de territoires de tailles disproportionnées, qui ne sont ni unis entre eux ni homogènes relève de l’impéritie, fût-elle gouvernée par des anges, tant que ces territoires n’auront pas été unifiés et tant que leurs lois, leurs coutumes et leur manière de gouverner n’auront pas été égalées. Les ennemis du Comte ont affirmé qu’il a tenté d’abolir les fors de la Catalogne : il ne fut pas le seul à avoir eu cette idée, car la grand-mère de Votre Majesté, Doña Isabel, estimait, pour sa part, qu’il valait mieux conquérir les Catalans12.

7Faut-il pour autant réduire cette légende noire à une simple distorsion du réel, à un simple effet de grossissement polémique ? Autrement dit : cette virulence exprimée à l’encontre du Comte-Duc ressortit-elle simplement à une campagne polémique visant à discréditer Olivares dans le but de l’évincer du pouvoir ou, au contraire, sert-elle d’autres fins politiques plus stratégiques ? Il s’agira dès lors d’exposer, dans les pages qui suivent, les principaux motifs de la légende noire du Comte-Duc telle qu’elle se constitue en 1640-1641 pour, ensuite, tenter de déterminer le rôle décisif qu’elle a joué dans la déposition de Philippe IV en janvier 1641 et la proclamation consécutive de Louis XIII comme Comte de Barcelone.

8La persistance et l’intensité, encore a posteriori, de cette légende noire invite à une étude sur la longue durée. À la lecture du corpus réuni, on constate une absence de pamphlets contre Olivares dans les années suivant sa chute survenue en 1643. Il faut en effet attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que resurgisse la figure du valido ennemi des Catalans dans l’historiographie catalaniste et notamment sous la plume de Víctor Balaguer, auteur d’une importante Historia de Cataluña y de la Corona de Aragón dont la première édition paraît à Barcelone entre 1861 et 1863. S’il est, pour l’heure, difficile d’expliquer le silence dont fait l’objet Olivares entre 1643 et 1861-1863, comment interpréter la résurgence de cette légende noire dans la seconde moitié du XIXe siècle ? S’agit-il d'une permanence ou d’une reprise ? Et quelle interprétation les historiens catalanistes font-ils de la figure du favori de Philippe IV ? Nous tenterons dans les dernières pages de cet article d’avancer quelques hypothèses de lecture sur l’historiographie catalaniste de la fin du XIXe siècle en nous appuyant sur l’Historia de Víctor Balaguer, un choix qui se justifie par le succès de l’œuvre dès sa publication – ce qui obligea l’auteur à en faire plusieurs rééditions – et par le rôle politique important qu’a eu Víctor Balaguer dans le travail de récupération et de diffusion du « passé national13 » en tant que chroniqueur officiel de Barcelone14.

Le tyrano privado : la légende noire du Comte-Duc à la veille de la révolte

Les origines de la légende noire

9Malgré sa très grande impopularité, voire sa mauvaise réputation, suggérée en introduction par les propos de Jeroni Pujades, la légende noire du Comte-Duc ne se développe à proprement parler que dans les derniers mois de l’année 1640, dans le contexte des troubles violents qui ébranlent la Principauté catalane, devenue, une fois encore, le théâtre des combats opposant, depuis 1635, la France et l’Espagne. Cinq ans après le début de la guerre, la monarchie se trouve dans l’incapacité de payer régulièrement ses soldats15 : les conflits entre ces derniers et les populations locales se multiplient et se propagent dans les campagnes pour progressivement gagner les villes et atteindre leur paroxysme entre les mois de mai et juin 1640, où éclatent à Barcelone deux insurrections dont l’une, celle du 7 juin 1640, rebaptisée « Corpus de Sang » au XIXe siècle16, se solde par l’assassinat du vice-roi Santa Coloma, ainsi que celui de plusieurs membres du Consejo Real17.

10La correspondance échangée entre les députés de la Generalitat et leurs ambassadeurs dépêchés à Madrid dans le courant de l’été 1640 nous renseigne sur la violence de la réaction qu’a provoquée, à la Cour, l’annonce de la mort du Comte de Santa Coloma18. Quelques semaines plus tard, le Comte-Duc fait voter au Consejo de Guerra l’invasion militaire de la Principauté au motif d’y rétablir l’ordre royal, une fermeté face à laquelle les institutions catalane  – la Generalitat et le Conseil des Cents – convoquent une assemblée générale réunissant les principaux représentants des trois ordres, les trois brazos de la Principauté19. Cette Junta exceptionnelle s’arroge, momentanément, tous les pouvoirs, dans le but de pallier l’effondrement de l’autorité royale et d’organiser la résistance face aux soldats royaux qui se massent aux frontières de la Principauté. Les brazos comprennent très vite l’importance d’engager une vaste campagne de propagande destinée à justifier cette prise de pouvoir et cette résistance qu’ils entendent opposer à leur roi et seigneur naturel. Il leur est en effet indispensable de se retrancher derrière un rempart idéologique qui les dédouanerait d’avoir cherché à fomenter une rébellion contre l’autorité royale. Ainsi commandent-ils la publication de manifestes

qui donneront de longues explications à sa Majesté au sujet des événements survenus en Catalogne afin de justifier les mesures que la Generalitat et la Ville de Barcelone ont prises et prennent dans les matières en cours20.

11On compte parmi ces opuscules, publiés ou manuscrits, deux manifestes qui ont donné corps à la légende noire du Comte-Duc : la Proclamación Católica, du frère augustin Gaspar Sala, et la Noticia Universal de Cataluña de l’avocat de Puigcerdà, Francesc Martí i Viladamor21.

12Les griefs retenus contre Olivares sont relativement banals et ne sont pas sans rappeler ceux formulés partout ailleurs en Espagne par les opposants au valimiento, d’où la rapidité avec laquelle cette légende noire se constitue. Toutefois, contrairement aux accusations lancées à la Cour sur les mœurs douteuses du Comte-Duc22, les critiques des propagandistes catalans ne concernent que ce qu’il faudrait appeler le « corps politique » du Comte-Duc et se fondent sur les théories politiques relatives à la tyrannie dont on sait, grâce aux travaux récemment menés sur ce sujet, qu’elles ont bénéficié d’un large écho dans toute l’Europe du XVIIe siècle23. L’Espagne n’est pas, tant s’en faut, restée en marge de ce mouvement intellectuel, auquel elle a pleinement participé24, et des théoriciens tels que Pedro de Ribadeneyra, Juan de Mariana ou Francisco Suárez ont contribué à redéfinir le concept de tyrannie dans leurs traités dont s’inspirent en grande partie Gaspar Sala et Francesc Martí i Viladamor.

13C’est, en effet, à partir des théories portant sur la tyrannie et sur le droit de la « République » à résister au tyran que se fonde la légende noire du Comte-Duc en Catalogne, au point que Francesc Martí i Viladamor emploie, le premier en Catalogne, la formule « tyrano privado » qui, ensuite, bénéficiera d’un large succès. L’expression a de quoi surprendre, du moins en Espagne où l’accusation de tyrannie sanctionne le plus souvent le roi, qu’il soit usurpateur ou tyran d’exercice. Pour autant, elle n’est pas totalement insolite, puisque Francisco Suárez, dans la typologie qu’il dresse des différentes formes de tyrannie, réserve un sort aux « seigneurs de rang inférieur qui, par leur comportement tyrannique, peuvent usurper une certaine forme de domination, de pouvoir ou encore de magistrature25 ». Francisco Suárez ne développe pas davantage cette dernière catégorie, mais l’on peut aisément comprendre, a fortiori dans le contexte où il écrit, les années 1610, que cette nuance concerne les validos qui gouvernent dans l’ombre du roi26.

Les principaux motifs de la légende noire

14Considéré comme le « deuxième Néron de l’humanité27 », Olivares est celui contre qui les Catalans s’élèvent en 1640. Dans un vibrant chapitre de la Noticia Universal, intitulé « Où est mise à jour l’intention du favori et où celle-ci est corroborée par les événements survenus lors de son gouvernement »28, Francisco Martí i Viladamor met en lumière les méfaits du gouvernement du Comte-Duc, dans le but de dévoiler les stratagèmes malfaisants dont il a usé et abusé pour s’emparer du pouvoir et gouverner à sa guise à l’insu de Philippe IV.

15Adulateur machiavélique, le Comte-Duc est soupçonné d’avoir incité son roi aux divertissements courtisans, à négliger sa santé fragile et à s’adonner aux plaisirs charnels. Rendu esclave de son corps et prisonnier de ses passions, Philippe IV ne peut faire autrement que de se détourner de ses obligations politiques qu’il laisse à la charge de son favori.

16Francesc Martí i Viladamor accuse également Olivares d’entretenir Philippe IV dans le mensonge en se présentant à lui comme l’homme providentiel de la Monarchie. Il n’hésite pas, pour ce faire, à employer des méthodes d’une rare violence, comme par exemple susciter des révoltes contre le pouvoir royal dans l’unique intention de les réprimer impitoyablement pour pouvoir, ensuite, convaincre le roi qu’il a rétabli l’ordre et, ainsi, œuvré pour la conservation de la Monarchie et la solidité du pouvoir royal :

[le favori exposait au roi] que par son gouvernement, certains royaumes ou certaines provinces de la monarchie, telles que le Portugal, la Biscaye et autres ont été réduits à son obédience, alors qu’ils tentaient, dans leurs insurrections, de s’opposer à la Couronne, de sorte que la restauration de l’ordre n’était due qu’au favori29.

17Afin de s’assurer de conserver son emprise sur le roi et pour empêcher que les sujets ne révèlent à ce dernier les agissements de son ministre, le Comte-Duc entretient la discorde entre le roi et ses sujets, rompant ainsi le lien d’amour qui les unissait. Il se dresse dès lors en rempart entre la tête et le corps du royaume, rendant, entre les deux, toute communication impossible30.

18Parvenu à capter la volonté de Philippe IV, à en faire sa principale « hechura » et à contrôler l’accès à sa personne, le Comte-Duc a ensuite pris le contrôle de tous les organes de gouvernement en remplaçant les Cortès, qui représentaient une source d’opposition trop grande, par un système d’assemblées – de juntas – dans lesquelles ne siègent que les flatteurs et les nobles lui étant dévoués. Olivares est, par conséquent, accusé d’avoir usurpé le pouvoir ; il ne se contente plus simplement de gouverner dans l’ombre du roi mais à sa place. Parvenu à se hisser par la ruse à la tête de la monarchie, il peut désormais consolider sa suprématie en s’assurant que les sujets ne lui résisteront pas. Afin de réduire ces derniers au silence, Olivares aurait volontairement rompu la pax hispanica dès 1621 afin d’affaiblir la population en la sollicitant constamment pour l’effort de guerre. Francesc Martí i Viladamor va jusqu’à écrire qu’Olivares aurait poussé la France à déclarer la guerre à l’Espagne en 1635 pour « rompre la paix intérieure dont jouissait l’Espagne31 » :

Alors que les vassaux étaient sur le point de déposer les armes, on fit en sorte d’introduire la guerre en Espagne en poussant l’ennemi à l’invasion par de viles méthodes32.

19Selon Francesc Martí i Viladamor, cette guerre permanente s’est avérée, pour Olivares, un efficace moyen de soutirer d’importantes sommes d’argent aux Espagnols en créant nombre de nouveaux impôts. Épuisés physiquement par la guerre et accablés financièrement par un système fiscal d’une extrême lourdeur, les sujets se trouvent dans l’incapacité de se révolter.

20À la lecture de ce réquisitoire, on est tenté de se demander ce que retire le Comte-Duc de cette mise à sac de la Monarchie. Il gagne certes du pouvoir ; toutefois, pour ses détracteurs ce n’est paradoxalement pas, du moins en 1640, tant sa soif de pouvoir qui explique ses agissements que le simple plaisir de laisser libre cours à sa cruauté innée, comme le mettent en lumière ces quelques vers extraits d’une satire poétique du tournant de l’année 1641 :

« Du foyer où je naquis,
la cruauté j’héritai.
Toujours je fus sans foi ni loi,
et ainsi je n’en fis qu’à mon bon vouloir33.

Le rôle de cette légende noire

21Ce portrait au vitriol semble, en première analyse, voué à discréditer le favori de Philippe IV et à lui attribuer l’entière responsabilité des maux qui s’abattent tant sur la Catalogne que sur l’ensemble de la Monarchie. Il s’agit, pour les institutions catalanes, de trouver, dans un premier temps, le principal coupable et de convaincre le roi et les Grands d’Espagne, à qui sont adressées la Noticia Universal et la Proclamación Católica, d’évincer le Comte-Duc. Dans son exhortation aux Grands d’Espagne, Francesc Martí i Viladamor avance que la Monarchie ne devra son salut qu’à la chute d’Olivares : « Ce n’est pas seulement la Catalogne mais toute l’Espagne qui se libèrerait si ce favori était déchu34. »

22Toutefois, ces accusations servent également un autre propos. La légende noire du ministre est intimement liée à l’image d’un roi faible, d’un rex inutilis représenté comme un pantin articulé dont les ficelles seraient tirées par le favori. Aussi cette légende noire constitue-t-elle, semble-t-il, un moyen détourné de formuler de sévères critiques à l’encontre de Philippe IV qui répond à des chefs d’accusation d’une extrême gravité : celui de négligence, de simulation et de parjure, ces deux derniers équivalant à une accusation de tyrannie d’exercice.

23Les propagandistes accusent en effet Philippe IV d’avoir renoncé au gouvernement de la Monarchie et de l’avoir abandonné aux mains de son favori. Précisons que ce n’est pas la fonction de ministre que critiquent les propagandistes : ces derniers reconnaissent que les ministres, un substantif qu’ils emploient toujours au pluriel, ont pour principale mission de conseiller et de seconder le roi dans ses nombreuses tâches administratives et politiques, a fortiori dans le cas d’un vaste ensemble territorial aussi éclaté et aussi divers que la Monarchie Catholique. Ce qu’ils reprochent à Philippe IV, c’est d’avoir manqué de discernement et de prudence – au sens aristotélicien du terme – au moment de choisir ceux, ou plutôt celui à qui il a confié les rênes du pouvoir. C’est donc lui qui est le premier responsable de l’incurie du ministre et, indirectement, qui a précipité le déclin de la monarchie espagnole, dilapidant ainsi l’héritage que ses prédécesseurs lui avaient légué :

C’est de ceux à qui Votre Majesté confie les affaires importantes que proviennent les maux qui affligent la Catalogne et les malheurs de la Monarchie, pendant que vous respirez du poids que font peser sur vous autant de royaumes35.

24L’accusation qui retient le plus l’attention des propagandistes est toutefois celle de parjure. Lors de l’annonce de l’invasion militaire de la Catalogne en août 1640, le bruit avait couru en Catalogne que l’envoi de soldats était un stratagème dont le but visé était, pour le pouvoir royal, de soumettre violemment la Principauté à l’autorité royale et de supprimer ses lois et ses privilèges. En menaçant d’abolir les fueros des Catalans, Philippe IV s’apprête à rompre le serment qu’il a prêté lors de son entrée solennelle à Barcelone en 1626 et par lequel il s’était engagé à gouverner en se conformant aux constitutions, aux libertés et aux privilèges de la Principauté, un serment prêté devant ses sujets et devant Dieu, la main posée sur la Bible et arborant, de l’autre, un crucifix36. Dès lors, les Catalans ont légitimement le droit de résister, voire de déposer leur roi et seigneur naturel, conformément à ce qu’écrit Francisco Suárez :

[...] si un roi gouverne tyranniquement et qu’il ne reste au pays aucun autre moyen pour se défendre que d’expulser et de destituer le roi, la communauté pourra déposer le roi en procédant comme un tout, par une décision publique et générale37.

25Pour autant, l’analyse ne saurait en rester là. En effet, dans les derniers mois de l’année 1640, les institutions catalanes entament des négociations avec la Monarchie Française qui s’est proposé d’envoyer des renforts chargés de repousser les soldats du roi d’Espagne. Le contenu de ces premières négociations nous est inconnu, mais les manifestes de propagande, et notamment la Noticia de Martí i Viladamor, indiquent que les émissaires de Pau Claris, président de la Generalitat depuis 1638, ont prévu que dans le cas où Philippe IV ne renoncerait pas à son invasion, la Catalogne pourrait le déposer en faveur de Louis XIII38. La légende noire agit, dès lors, comme une légitimation anticipée de l’éventuelle déposition de Philippe IV et sert, simultanément, à renverser l’image d’une Catalogne rebelle afin de diffuser celle d’une province qui en appelle au droit légitime d'une « république » à résister face au tyran.

26De surcroît, et c’est là une question qui mériterait d’être plus largement étudiée, les Catalans cherchent à obtenir le soutien de l’Église et notamment le consentement du Pape pour déposer légitimement Philippe IV, conformément aux exigences formulées, en la matière, par les théoriciens du droit de résistance face au tyran. Francisco Suárez insiste en effet sur le rôle déterminant du Pape dans les conflits opposant les sujets à leur roi. Pour lui, toutes les « républiques » sont subordonnées à l’autorité du Pape qui dispose d’un pouvoir spirituel sur les sujets à qui il peut interdire, ou commander, de se soulever contre le tyran39.

27Les historiens modernistes se sont beaucoup intéressés au rôle du clergé à l’époque de la révolte, mais très peu à celui de l’Église. Or, plusieurs documents datant de 1641, et notamment la Catalana Justicia contra las Castellanas Armas de José Font, indiquent que les institutions catalanes se sont adressées au Pape Urbain VIII en l’implorant d’arbitrer le conflit qui les opposait à Philippe IV, ce qu’il fit par une lettre datée du 12 janvier 1641, dans laquelle il ordonnait aux Catalans d’obéir à leur roi :

Nous vous avons envoyé, il n’y a pas si longtemps, une lettre faisant part de nos préoccupations et nous vous avons demandé expressément, concernant notre très aimé dans le Christ Philippe Roi des Espagnes, que vous donniez des preuves de votre loyauté et de votre obéissance, comme vous l’avez parfaitement fait jusqu’à présent40.

28Il importe donc, pour les institutions catalanes, de consolider la légende noire d’Olivares pour justifier la rupture politique et, plus encore, la déposition de Philippe IV, laquelle advient le 16 janvier 1641 au moment même où est proclamée la république catalane, quatre jours après la réception de la lettre du pape et une semaine avant l’acclamation, in absentia, de Louis XIII à qui revient le titre de Comte de Barcelone.

Après 1641

29La rupture entre la Catalogne et la Monarchie Catholique ne met pas un point final à la légende noire du Comte-Duc qui continue de bénéficier d’un large écho dans les manifestes de propagande datant des années 1641-1642. À vrai dire, elle est plus intense encore qu’au cours des derniers mois de 1640. Les accusations à l’encontre de Philippe IV demeurent dans les documents, parfois de façon bien moins dissimulée que dans les textes antérieurs à la rupture. Toutefois, c’est encore le Comte-Duc qui cristallise le ressentiment des propagandistes, lesquels relayent trois séries d’arguments, intimement liés entre eux, visant à dénoncer les manigances du valido qu’ils accusent d’avoir fomenté une conspiration contre la Catalogne et précipité la perte de la Monarchie Catholique.

30La thèse du complot ourdi par le Comte-Duc contre la Catalogne naît dans un opuscule de Gaspar Sala intitulé Secrets Públichs dans lequel l’auteur entreprend de révéler le contenu d’un ensemble de lettres saisies dans les archives personnelles du vice-roi Santa Coloma peu après sa mort. Elle repose sur l’idée selon laquelle Olivares aurait toujours éprouvé une profonde antipathie envers les Catalans, dont il aurait cherché, sans relâche, à abolir les fueros. Cet ensemble de 17 lettres montre que depuis le déclenchement de la guerre contre la France, le dessein d’Olivares a principalement consisté à traiter la Catalogne comme une terre conquise, dans l’intention de la réduire en esclavage. Son plan a consisté en premier lieu à encourager le roi à ordonner que les soldats soient logés dans les villages en très grand nombre, afin qu’ils soient plus nombreux que les villageois eux-mêmes. Ensuite, il a fait décréter au roi une forme de logements si permissifs qu’à côté, ceux dits à la Lombarde semblent un moindre mal. Enfin, pour s’assurer qu’aucune résistance ne puisse être organisée, le Comte-Duc a commandé la levée de 6 000 soldats dans le but de priver la Catalogne de ses forces vives41. Désormais sans défense et occupée par les troupes royales, la Principauté est à la merci d’Olivares et les soldats peuvent impunément, suivant ses ordres, « égorger les Catalans, profaner les églises et autres forfaits tellement barbares qu’Attila en désavouerait la paternité42 ».

31Quelle intention se cache derrière ce démembrement auquel se livre le Comte-Duc ? Que vise-t-il réellement ? En confisquant son pouvoir au roi, dont il a fait un rex inutilis, et en détruisant l’Espagne, Olivares cherche à diviser pour mieux régner. Parvenu à neutraliser, à briser ou à désarticuler toute forme d’opposition, il peut désormais instaurer et consolider ce que Josep Sarroca désigne par l’expression d’« oligarchie tyrannique43 ».

32L’expression peut paraître redondante, dans la mesure où, conformément à la classification des différentes constitutions établie par Aristote dans les Politiques, un ouvrage dont s’inspirent tous les propagandistes, l’oligarchie est déjà, en soi, une dérive tyrannique de l’aristocratie44. Il faut supposer qu’il s’agit, pour Josep Sarroca, d’une formulation hyperbolique. En tout état de cause, cette thèse se situe dans la droite lignée des accusations de tyrannie lancées à l’encontre du Comte-Duc ; elle en est, pour ainsi dire, l’aboutissement.

33Pour Josep Sarroca, en effet, bien que l’Espagne soit toujours en apparence une monarchie, sur laquelle règne encore Philippe IV, elle a, dans les faits, évolué vers l’oligarchie lorsque le valido a fait main basse sur les organes de gouvernement, régnant en lieu et place du monarque :

Car bien qu’il y ait encore [en Espagne] un monarque, chacun sait parfaitement que le gouvernement est soumis à la volonté du Comte-Duc et du Protonotaire et que la politique se fond dans celles de ces deux-là, dont le but visé est de traiter de tyrannie et de la mettre en œuvre45.

34Dans la première partie de son manifeste, Josep Sarroca entreprend de dévoiler les sept fondements de cette « oligarchie tyrannique » :

35le Comte-Duc a le projet d’uniformiser la Monarchie en instaurant des lois communes aux différents territoires qui la composent, ainsi qu’une monnaie unique et de faire en sorte que l’autorité du roi d’Espagne soit reconnue de la même façon par l’ensemble de ses sujets : en d’autres termes, le projet d’Olivares consiste à instaurer une monarchie absolue dont il prendrait ensuite le contrôle ;

36il met un point d’honneur à prêter serment de faire le contraire de ce qu’il a le projet de faire, c’est-à-dire qu’il « dissimule » ses intentions et force l’ensemble des agents royaux à en faire autant ;

37il inspire la peur aux sujets afin de conserver sur eux son emprise. Ainsi invente-t-il de fausses menaces militaires – l’Empire Ottoman ou la Franc – pour pouvoir imposer, de façon fallacieuse, la Unión de Armas en invoquant la nécessité de protéger la Monarchie, c’est-à-dire la raison d’État ;

38il s’attire le soutien indéfectible de personnages importants de la monarchie en distribuant les faveurs avec parcimonie pour s’assurer de conserver sur eux tout son ascendant ;

39il écrase militairement toutes les provinces qui auraient l’audace de s’opposer à lui, en l’occurrence la Catalogne pour laquelle il ne voit aucune autre solution que de « la faire disparaître de la surface de la terre46 » ;

40il confie l’administration de la Catalogne aux personnes manifestant publiquement une profonde antipathie envers les Catalans ;

41enfin, il assure à ceux à qui il confie le gouvernement d’une province qu’ils pourront s’enrichir sur le dos de leurs administrés47.

42Selon Josep Sarroca, le projet d’Olivares va bien au-delà de la simple suppression des libertés des royaumes de la péninsule Ibérique. Son but ultime est, pour employer un lexique aristotélicien, d’altérer la constitution de la monarchie espagnole en lui substituant un régime oligarchique dont il serait l’unique magistrat, ce qui, pour les propagandistes catalans, justifie amplement la rupture politique du mois de janvier 1641.

43La légende noire du Comte-Duc ne semble cependant pas survivre au-delà de sa chute. À peine a-t-il abandonné le pouvoir en 1643 que son nom disparaît des documents, du moins en Catalogne. Le dernier texte le mentionnant date précisément de 164348. Il s’agit d'un imprimé de quelques pages, attribué sans doute abusivement par les éditeurs à Quevedo, qui donne à lire un faux testament dans lequel le Comte-Duc confesse avoir œuvré toute sa vie pour le délitement de la Monarchie Catholique. Feliu de la Penya, auteur d’une monumentale chronique portant sur l’histoire de la Catalogne qui paraît en 1704, retrace la révolte de 1640 en s’appuyant sur les textes de Gaspar Sala et de Francesc Martí i Viladamor, sans pour autant s’attarder sur l’action politique du Comte-Duc.

L’historiographie catalaniste du XIXe siècle

44Après deux siècles de silence presque absolu49, la légende noire d’Olivares renaît dans la Catalogne de la Renaixança, dans les histoires générales qui fleurissent dès la fin des années 1840, dans la dynamique de récupération du passé patriotique à laquelle se livrent historiens et hommes de lettres, à l’instar de Víctor Balaguer, auteur d’une ambitieuse Historia de Cataluña y de la Corona de Aragón dont l’édition princeps date de 1863.

45Dramaturge et historien amateur, Víctor Balaguer s’inscrit dans la mouvance du catalanisme politique que Josep Termes i Ardèvol définit comme un « mouvement de revendication nationale qui promeut la reconnaissance politique et culturelle de la Catalogne50 ». De fait, dans son Historia, Víctor Balaguer se propose de récupérer et de divulguer le passé « national », dans le but de « diffuser dans toutes les classes l’amour du pays et le souvenir des exploits glorieux de son passé51 ».

46La première question que suggère l’analyse du portrait que Víctor Balaguer dresse d’Olivares concerne les canaux par lesquels les historiens ont recueilli l’histoire du XVIIe siècle et un travail sur les sources s’avère dès lors très éclairant sur la façon dont les Catalans du XIXe siècle, et plus particulièrement les historiens, ont pu percevoir et représenter le Comte-Duc. Víctor Balaguer s’appuie, lui, principalement sur les ouvrages des deux grands propagandistes des années 1640 : Gaspar Sala et Francesc Martí i Viladamor. Il reprend, sans jamais se livrer à une approche critique des textes, les arguments avancés dans la Noticia Universal et les Secrets Públichs. Rien d’étonnant donc à ce que la légende noire du Comte-Duc resurgisse avec autant d’intensité dans l’historiographie catalaniste de la seconde moitié du XIXe siècle. Toutefois, ce premier commentaire ne saurait tout expliquer.

47Víctor Balaguer, avec le recul dont il bénéficie, replace les origines de la révolte de 1640 dans l’ensemble du règne de Philippe IV et parvient à la conclusion que le soulèvement des Catalans est une réaction du peuple, en tant qu’agent historique, contre la politique vexatoire du pouvoir royal. Le Comte-Duc aurait, selon lui, tout mis en œuvre pour déclencher une révolte qui lui aurait permis d’abolir définitivement les lois et les privilèges catalans :

[…] Il n’était pas question d’occulter qu’en cela consistait l’idée, car elle était clairement exprimée […] dans les instructions reçues par les vice-rois à qui il était ordonné de, peu à peu, rogner les lois et les privilèges […]. Avant de se lancer dans la révolution de 1640, les Catalans burent jusqu’à la lie le calice amère que leur avait fait servir le Comte-Duc52.

48L’analyse de Víctor Balaguer repose sur la théorie du complot organisé, lequel aurait été manigancé par Olivares dès l’avènement de Philippe IV, si ce n’est plus tôt. La période allant de 1621 à 1640 est en effet chargée de très nombreuses polémiques opposant le gouvernement royal et les institutions catalanes : différends sur les prérogatives du roi et du vice-roi, affaires fiscales ou querelles de préséance, ces polémiques mènent à un progressif délitement du lien unissant le monarque et ses sujets au point qu’en 1632, pour des raisons difficiles à exposer en quelques mots, le dialogue entre le gouvernement de Madrid et les institutions catalanes se rompt sans qu’aucun compromis puisse être trouvé ni même, semble-t-il, envisagé.

49Voyant que ces vexations successives restaient sans effet, Olivares aurait fait en sorte que la France déclare la guerre à l’Espagne, ce qui lui fournissait un prétexte pour envoyer les troupes royales sur le front catalan, dans l’espoir que leur présence contribue à exaspérer encore davantage la population, d’où le silence du gouvernement royal face aux nombreuses plaintes que lui ont adressées les autorités locales catalanes à l’occasion des affrontements entre les soldats et les villageois :

Le Roi se contenta de rester les bras croisés et de permettre que se perpétuent voire se multiplient les violations des lois. Chaque courrier qui, alors, arrivait à Barcelone laissait entrevoir à la Ville un nouvel attentat criminel contre le Pays53.

50Víctor Balaguer décrit une Catalogne acculée par la politique que le Comte-Duc a menée contre elle. Les accusations qu’il porte à l’encontre d’Olivares sont identiques à celles qu’avaient déjà formulées Gaspar Sala et Francesc Martí i Viladamor deux siècles plus tôt. Il écrit en effet, que « Dom Gaspar de Guzman, Comte-Duc d’Olivares [était] celui qui, bien davantage que Philippe IV, était appelé à être le véritable monarque de l’Espagne54 ».

51L’historien voit, a posteriori, dans cette désolation - il a un style envolé bien caractéristique du XIXe siècle – la réalisation d’une prophétie qu’aurait faite le grand prédicateur valencien Vincent Ferrer : « Oh, pauvre de toi, Catalogne, car lorsque cet autre pan de mur s’effondrera, tu te verras affligée et prise entre les griffes de tes ennemis55. » Cette prophétie s’était en effet largement propagée dans le courant des années 1640, et Víctor Balaguer la reprend, il l’écrit lui-même, de l’opuscule Cataluña defendida de sus émulos56. Cette allusion à la prophétie de Vincent Ferrer nous fournit un indice important sur l’interprétation qu’il fait de la légende noire d’Olivares et mène à la conclusion que, malgré leurs nombreux points communs, la légende noire élaborée au XVIIe siècle et celle construite dans la seconde moitié du XIXe n’ont ni exactement le même sens ni exactement la même fonction. Si cette prophétie de Vincent Ferrer n’avait qu’un rôle providentiel au XVIIe siècle, Víctor Balaguer y voit la manifestation d’un coup du destin, de l’ironie de l’histoire, puisqu’elle a été révélée au XVe siècle par l’un des membres du Compromis de Caspe qui, en 1412, a voté en faveur de Ferdinand d’Antequera, candidat Trastamare à la succession de Martin Ier, dernier roi de la Couronne d’Aragon :

Quelle étrange et singulière coïncidence ! Qui d'autre que Saint-Vincent Ferrer, par ses efforts et sa voix au parlement de Caspe, a introduit en ces terres la domination castillane ? Et qui étaient ces ennemis sinon ces mêmes Castillans auxquels Saint-Vincent Ferrer avait abandonné le trône de la Couronne d’Aragon57 ?

52On perçoit à ce commentaire indigné de Víctor Balaguer que la légende noire ne sert plus à justifier un désir de rompre les relations politiques ni même l’engagement des institutions catalanes dans la résistance face à la tyrannie du favori ou d’un ministre. Elle pose l’épineuse question de la construction d’un nationalisme catalan en opposition à la Castille et au centralisme de l’État.

53Chez Víctor Balaguer et ses contemporains, le Comte-Duc d’Olivares n’est plus simplement un ministre tyrannique dont l’éviction aurait pu résoudre tous les problèmes de la monarchie espagnole. Sa présence aux côtés du roi, sa grande influence dans les affaires politiques et son acharnement face à la Catalogne ne sont que l’aboutissement de l’oppression que les Castillans exercent sur les Catalans depuis le XVe siècle. Or, le catalanisme, en tant que mouvement politique et culturel, contemporain de la Renaixença58 catalane, cherche à redresser le pays, à redéfinir le « particularisme » catalan, à extraire la Catalogne de la décadence dans laquelle elle a sombré depuis son union avec la Castille, comme l’écrit l’un des principaux théoriciens du catalanisme quelques années après la publication de la Historia de Balaguer, Valentí Almirall Llotzer :

L’union des États espagnols coïncida avec un profond changement du monde et comme tout ce que nous avions apporté à l'union [dynastique] se révéla plus encore qu’inutile, la logique des faits s’imposa : l’élément castillan commença à occuper la place principale et nous, nous courbâmes l’échine59.

54L’approche de Víctor Balaguer ne consiste pas uniquement à reprendre au pied de la lettre les principaux motifs de la légende noire telle qu’elle a été élaborée par les propagandistes du XVIIe siècle. Il entreprend, et il est sans doute le premier à l’avoir fait, d’élaborer une légende rose en mythifiant Pau Claris, ancien chanoine de la Seu d’Urgel, élu président de la Generalitat en 1638. Cette entreprise de mythification dépasse largement les limites de son Historia, puisqu’il a mené campagne pour convaincre la Députation de Barcelone de donner le nom du chanoine à une rue de Barcelone, ce à quoi il parvient en 1865, et tente même, mais en vain cette fois, de lui faire ériger une statut dans le sanctuaire de Montserrat60.

55Sous la plume de Víctor Balaguer, ainsi que sous celle de ses successeurs, Pau Claris apparaît comme le sauveur qui a su s’opposer à la tyrannie du Comte-Duc en précipitant la rupture politique et en scellant une alliance avec la Monarchie Française. L’émergence d’un homme providentiel pose à l’étude un ensemble de questions auxquelles il importe de répondre pour comprendre pourquoi les historiens, jusqu’au début du XXe siècle, ont cherché, par opposition à Olivares, à mythifier Pau Claris qui, pourtant, n’a fait l’objet d’aucune mythification de son vivant, ni même après sa mort en 1641.

56La première question concerne, une fois encore, les sources qui ont permis aux historiens d’en faire le père de la patrie catalane et, plus tard au XXe siècle, le premier président de la Catalogne républicaine61. Outre les textes de Gaspar Sala et de Francesc Martí i Viladamor, Víctor Balaguer s’inspire également de la Historia de los movimientos de Cataluña du Portugais Francisco de Melo, parue en 1645 à Lisbonne. Dans cette histoire, qui relate les événements du front catalan depuis la récupération de la place forte de Salses en 1639 jusqu’à la victoire de la coalition franco-catalane sur les flancs de la colline de Montjuich en janvier 1641, Melo retranscrit in extenso un discours que Pau Claris aurait prononcé lors de la session inaugurale de l’assemblée de Brazos en septembre 1640. Ce discours aurait été dicté à Melo par un compagnon de cellule, lors de son séjour en prison à Madrid où il avait été incarcéré pour intelligence avec les révoltés portugais62. L’authenticité de ce discours a été vigoureusement contestée. Antoni Bofarull, contemporain et grand rival de Víctor Balaguer, a démontré, preuves à l’appui, que ce discours était pure affabulation, une invention montée de toutes pièces par Melo lui-même63. Víctor Balaguer, pour sa part, ne conteste pas l’authenticité de ce discours qu’il retranscrit intégralement et qu’il analyse.

57Le texte occupe plusieurs pages et une analyse détaillée serait trop longue. Toutefois plusieurs points méritent commentaire. À la lecture de ce texte, Pau Claris apparaît comme le chef de file d’une classe dirigeante désireuse de se libérer du joug que fait peser sur elle la Couronne depuis plusieurs siècles. Face à une Catalogne insatisfaite mais divisée, Pau Claris apparaît comme celui qui parvient à canaliser les aspirations des Catalans et à les mener à la guerre et, grâce à l’alliance qu’il noue avec la France, à la victoire de Montjuich en janvier 1641.

58La deuxième question que suscite l’apparition de cette légende rose concerne davantage son rôle. Sert-elle simplement de contrepoint à la légende noire d’Olivares ? Il est fréquent que la réputation sulfureuse d’un personnage historique se consolide, voire s’intensifie si on lui invente, en miroir, un ennemi, a fortiori dans l’historiographie romantique pour laquelle l’histoire est principalement une affaire de passions humaines. Pau Claris apparaît donc comme le sauveur, celui-là même qui a empêché, du moins jusqu’à sa mort en 1641, la destruction de la Catalogne par les troupes de Philippe IV. Víctor Balaguer joue sur l’absence de documents et se fonde principalement sur ce discours inventé par Melo, ainsi que sur les panégyriques de Gaspar Sala et de Francesc Fontanella qui ont été publiés à l’occasion de ses funérailles64. Il amplifie les éloges et les actions héroïques attribuées au Président de la Generalitat. De même, il s’appuie sur les critiques qui ont été formulées à son encontre par les partisans de Philippe IV. En bref, Pau Claris a suscité une telle haine chez les philippistes65, catalans ou non, que l’on ne peut faire autrement que de lui reconnaître ce rôle saillant. Il est par ailleurs, et c’est sûrement ce qui importe le plus à Balaguer, celui qui a remis de l’ordre en Catalogne, celui qui en a empêché la destruction : les historiens de la Renaixença font endosser à Pau Claris le rôle de restaurateur et de père de la patrie qui a su défendre et protéger cette dernière contre l'oppression que faisaient peser sur elle les Castillans depuis le XVe siècle.

59Il n’est pas question, pour Víctor Balaguer, de contester l’alliance de la Catalogne et de la Castille ou encore d’avancer des thèses prônant la rupture politique. Son propos consiste davantage à chercher les causes historiques du long déclin, de la longue décadence de l’époque moderne, entre le flamboyant Moyen Âge où la Principauté catalane régnait en maîtresse sur le bassin méditerranéen, et la renaissance de la seconde moitié du XIXe siècle, à laquelle il entend participer. Chez Balaguer, tout comme chez ses contemporains, la légende noire du Comte-Duc devient l’outil revendicatif au service de la récupération du système « foraliste » que la castillanisation de la Monarchie Catholique – sans parler même de l’arrivée des Bourbons au XVIIIe siècle – a violemment réduit à néant.

60Étudier la légende noire d’un personnage historique tel que le Comte-Duc invite à réfléchir à ce que l’on désigne habituellement par l’expression ambiguë d’« imaginaire politique », que l’on n’approche que par la médiation des textes et, le cas échéant, des images. Une telle étude implique, en dernière instance, de poser la question non moins complexe de la force motrice des images politiques.

61Les travaux portant sur la légende noire de l’Espagne, depuis ceux, fondateurs, de Juan Valera et de Julián Juderías66, jusqu’à ceux, plus récents, de Ricardo García Cárcel et Joseph Pérez, ont souvent insisté sur la force motrice de ces images négatives qu’avaient véhiculées, à son propos et ce durant des siècles, les principaux opposants de l’Espagne67. Joseph Pérez souligne d’ailleurs que ce sont les Espagnols eux-mêmes qui, conscients des jugements négatifs qui étaient portés à leur encontre, ont entrepris de démystifier ces préjugés, de dénoncer leurs détracteurs, tout en prenant soin de leur opposer une légende rose68.

62Cette force attribuée aux images, au moment des faits puis a posteriori, soulève toutefois plus de problèmes qu’elle n’en résout, à plus forte raison quand on dispose d’un recul suffisant sur le devenir et le succès de la campagne de discrédit proposée à l’analyse. Ne considère-t-on pas, en effet, qu’une légende noire s’est révélée motrice du fait qu’elle a bénéficié d’un accueil favorable de la part de ses principaux destinataires ? Il ne s’agit pas ici de contester, et encore moins de nier la légitimité des approches visant à accorder une force motrice aux images qui fonctionneraient, dès lors, comme un appel au mouvement, comme une incitation à l’action. D’ailleurs, la légende noire de l’Espagne est un bon exemple de la façon dont une série d’images négatives assénées par l’étranger – et l’on serait tenté, même, d’ajouter depuis l’intérieur de ses frontières – « a affecté l'Espagne plus qu’aucune autre image de soi-même n’a affecté, dans le même temps aucune autre entité nationale69 ». Pour Joseph Pérez, « l’Espagne semble avoir voulu se définir comme le pays de l’intolérance, du fanatisme et de l’obscurantisme70 ».

63L’étude d’un certain nombre de ces textes du XVIIe siècle, qui ont fonctionné comme des imageries politiques, montre que la légende noire du Comte-Duc, plus qu’une force motrice, a eu une force mobilisatrice, fédératrice. Elle a permis – ou a été le résultat de – l’identification d’un ennemi commun, ce qui laisse entrevoir les linéaments d'un lendemain meilleur, autrement dit une source d’espoir, élément constitutif, s’il en est, de toute mobilisation : c’est en évinçant le Comte-Duc que Philippe IV parviendra à empêcher la destruction de la Catalogne et, conséquemment, à éviter la désintégration de la Monarchie Catholique. Ainsi la légende noire d’Olivares dépasse-t-elle les simples quolibets auxquels on l’a souvent réduite pour mieux en minorer l’influence71. Elle sert des fins tout autres qu’une simple campagne de dénigrement. D’ailleurs, fort peu de textes ont, au moment des faits, tenté de répondre à cette légende noire et de réhabiliter Olivares : l’essentiel de la contre-propagande, catalane ou courtisane, défend le roi et non son favori72.

64Mais en dressant, en creux, l’image d’un roi faible et passif face à l’incurie de son principal ministre, la légende noire du Comte-Duc agit, simultanément, comme « force légitimatrice », projetant ainsi, auprès des autres puissances européennes et auprès de la Papauté, l’image d’une province engagée dans une guerre juste et légitime comme le soulignent avec force et vigueur l’ensemble des manifestes de propagande, ce qui explique pourquoi la légende noire du Comte-Duc perdure et se consolide encore bien après la rupture politique consommée en janvier 1641. Déposer son roi légitime pour en « élire »73 un autre, appartenant, qui plus est, à une autre dynastie74, est un acte qui va non seulement à l’encontre de l’ordre politique temporel, mais également à l’encontre de l’ordre divin, dans la mesure où il est du devoir des sujets d’obéir à leur roi.

65C’est, enfin, ce qui permet de comprendre aussi pourquoi la légende noire du Comte-Duc s’estompe dès 1643. L’ennemi écarté, les propagandistes donneront corps à une autre légende noire : celle des malafectes, ces Catalans de l’intérieur œuvrant, en secret, pour la restauration de Philippe IV75.

66Malgré les grandes similitudes constatées entre la version du XVIIe siècle et celle du XIXe, il est difficile de conclure à une permanence de la légende noire d’Olivares, tout comme il est peu probable qu’il y ait eu strictement reprise. Certes les motifs sont, en apparence, semblables, et c’est chez les pamphlétaires qui l’ont édifiée que les historiens de la Renaixença ont puisé leur inspiration. Toutefois, la lecture qui en est faite deux siècles et demi plus tard diverge en bien des points, du moins pour ce qui concerne son interprétation et son rôle. Alors qu’il s'agissait pour les révoltés de justifier l’injustifiable aux yeux de l’Europe entière, les historiens de la seconde moitié du XIXe siècle cherchent à faire d’Olivares l'archétype de la frénésie centralisatrice des Castillans à laquelle a été soumise la Catalogne depuis le début du XVe siècle et dont elle doit se défaire pour pouvoir s’extraire de la longue nuit dans laquelle elle se trouve plongée depuis lors76, afin de rompre les chaînes auxquelles elle est attachée depuis son union avec la Castille : « Le programme du catalanisme, dans toutes ses manifestations, ne peut être qu’un : rompre les liens qui entravent et assujettissent notre région77. »

Notes

1 Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, p. 175.

2 Jeroni Pujades, Dietari, édition de J. Maria Casa i Homs, Barcelona, Fundació Salvador Vives Casajuanas, 1975-1976, 5 vol., vol. 4, p. 50 : « Diumenge del Ram a 5 de Abril 1626. Lo Rey nostre Senyor isqué ab altres cotxos a passejar-se per lo moll. Anava davant d’ell a cavall lo Comte de Olivares, Duch de Sant Lúcar, dient a la gent se llevassen los sombreros, que allí estava el Rey. Burlavan-se’n com veyan los cotxos sens la guarda, fins que en lo cotxo del mig, veyan a sa Mt. A la popa, y al Príncep Don Carlos a la proa. »

3  Jeroni Pujades, Dietari, op. cit., vol. 3, p. 236 : « [...] es deia volia [le roi] que Castella i Arago fos tot una corona, llei i moneda. »

4 Jesús Villanueva López, « El debat sobre la constitució de l’Observança a les Corts catalanes de 1626-1632 », Manuscrits, nº13, 1995, p. 247-272.

5  On appelle, en catalan, donatiu – du verbe donar, donner – la somme d’argent, souvent importante, que les brazos concèdent au roi à l’occasion de la clôture des Cortès, sorte de contribution au trésor royal en échange des avantages et des privilèges – de tout ordre – que leur a concédés le roi.

6 B.U.B. [B-59/3/42-67], Parciano Garrich, Quatro aviso de todo lo sucedido en esta ciudad de Barcelona, y de la partida de su Magestad, con el serenissimo Principe D. Carlos su hermano, y entrada en Monserrate, contiene tambien la embaxada que de parte de la Ciudad le dio el Conseller en Cap, presentandole sinquenta mil escudos, Barcelona, Sebastián y Jaime Matevat, 1626.

7  Idem.

8 Jeroni Pujades, Dietari, op. cit., p. 60 : « Aquest Conde de Olivares, Duque o Diable de Sant Lúcar, no solament és estat sempre un perseguidor de la Nació catalana, pero detractor de la honrra y culto dels Sants Màrtirs. »

9 John H. Elliott, Olivares (1587-1645). L’Espagne de Philippe IV, Paris, Robert Lafont, 1992. Voir plus particulièrement les p. 716-727.

10  Gregorio Marañón, El Conde-Duque de Olivares, Madrid, Espasa-Calpe, 1962, p. 15 : « que […] llegó a ser el Valido de un Monarca sin voluntad. Rey de otro Rey y, a través de él, dueño absoluto del Imperio español [...] hasta que sobrevino la desmembración peninsular ».

11  Voir Víctor Balaguer, Historia de Cataluña y de la Corona de Aragón, Barcelona, Salvador Moreno, 1861-1863, 5 vol., vol. 4, et Ferran Sagarra, Les Lliçons de la història: Catalunya en 1640, Barcelona, Llibreria Catalònia, 1930.

12  « El Nicandro. El Conde Duque a su Majd. sobre que todos los ministros obedezcan las órdenes que se les dan y respuesta del rey. 15 de diciembre de 1642 », dans John H. Elliott et José F. de la Peña, Memoriales y cartas del Conde Duque de Olivares, Madrid, Alfaguara, 1980, 2 vol., vol. 2, p. 251 : « Señor, querer entender que se ha de conservar esta Monarquía en los trances peligrosos estando compuesta de tan desproporcionadas partes, sin unión ni conformidad entre sí es ignorancia aunque la gobernaran ángeles, entre tanto que no se reduzcan a unión e igualdad en leyes, costumbres y forma de gobierno. Dicen los enemigos del Conde que procuró derribar los fueros de Cataluña, no ha sido sólo pensamiento suyo, que su abuela de V. Majd., doña Isabel, tuvo por mejor el conquistarlos. »

13  Ricardo García Cárcel, « La Revolució catalana i la seva historiografia », L’Avenç, nº40, 1981, p. 21-25.

14  Stéphane Michonneau, Barcelone. Mémoire et identité, Rennes, PUR, 2007, p. 35.

15  Eva Serra, « 1640: una revolució política. La implicació de les institucions », Eva Serra et al., La Revolució catalana de 1640, Barcelona, Crítica, 1991, p. 3-65.

16  Ricardo García Cárcel, « La Revolució catalana i la seva historiografia », op. cit.

17  Xavier Torres, La Guerra dels Segadors, Vic, Eumo Editorial, 2006, p. 80-90.

18 Mathias Ledroit, « Les Ambassadeurs catalans à Madrid en 1640 : chronique d’une guerre annoncée ? », Béatrice Pérez (éd.), Ambassadeurs, apprentis espions et maîtres comploteurs. Les systèmes de renseignement en Espagne à l’époque moderne, Paris, PUPS, 2010, p. 333-341. Voir plus précisément, p. 338.

19  B.U.B., Ms 211, « Copia de una carta estampada que los diputats del general de Catalunya envieren per convocar tots los tres estaments », fol. 245r.

20 Basili de Rubí, Les Corts de Pau Claris, Barcelona, Fundació Salvador Vives Casajuana, 1976, p. 186 : « donant llarga raho a sa Magt. de las cosas de Cataluña y en justificacio dels prossehiments que la provincia y ciutat de Barcelona han fet y fan en las materias corrents ».

21 Biblioteca de Catalunya [dorénavant B.C.], Gaspar Sala, Proclamación Católica a la Magestad Piadoso de Filipe el Grande, Barcelona, Sebastián y Jaime Matevat, 1640, Fons Bonsoms [dorénavant F. Bon.] 5229, et Francesc Martí i Viladamor, Noticia Universal de Cataluña, dans Xavier Torres (éd.), Escrits polítics del segle xvii, Vic, Eumo Editorial, 1996.

22 John H. Elliott et Laurence W. B. Brockliss, El Mundo de los Validos, Madrid, Taurus, 1999.

23  Monique Cottret, Tuer le tyran ? Le tyrannicide dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, 2009 et Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, Paris, Presses Universitaires de France, 2001.

24 Alexandra Merle, Tyrannie et pouvoir royal dans la pensée espagnole au xvie siècle. Ouvrage inédit de son dossier d’Habilitation à Diriger des Recherches soutenu le 29 novembre 2010 à l’Université Paris-Sorbonne Paris IV. Nous remercions Alexandra Merle de nous avoir permis de lire et d’utiliser son inédit, ainsi que pour ses très nombreux conseils en matière de tyrannie. Voir aussi, du même auteur, « La tyrannie du valido dans la pensée politique espagnole au temps de Lerma et d’Olivarès », xviie siècle, juillet 2012, n° 256, p. 391-409.

25 Francisco Suárez, De Juramento Fidelitatis, Madrid, CSIC, 1978, p. 79 : « señores de rango inferior, quienes pueden usurpar con su tiranía una forma de dominio, jurisdicción o magistratura ».

26 Éric Marquer, « La controverse entre Francisco Suárez et Jacques Ier d’Angleterre », Annie Molinié, Alexandra Merle, Araceli Guillaume-Alonso (dir.), Les Jésuites en Espagne et en Amérique, jeux et enjeux du pouvoir, Paris, PUPS, 2007, p. 167-178.

27  Biblioteca de la Universitat de Barcelona [dorénavant B.U.B.], ms. 211, Documentos relativos a la Guerra de Cataluña contra Felipe IV, fol. 234v. : « el segundo Nerón de la humanidad ».

28  Francesc Martí i Viladamor, Noticia Universal de Cataluña, op. cit., p. 83-88 : « Descúbrese la intención del Privado ratificada por los sucesos de su govierno ».

29 Ibid., p. 84 : « [le representaba] que por el govierno del mismo Privado algunos reynos y provincias de la monarquía, como son Portugal, Vizcaya y otras, se han reduzido a su obediencia, quando en sus alteraciones intentavan oponerse a la Corona, y assí que todo su restauro se deva al Privado. »

30 Ibid, p. 85.

31  Ibid., p. 86 : « romper la paz interior de que gozava España ».

32 Ibid. : « Quando ya estuvieron los vassallos en los últimos tercios de su valor, se ha de procurar poner la guerra dentro de España, obligando por vil vías al enemigo a la invasión. »

33  B.U.B, ms. 211, Documentos relativos a la Guerra de Cataluña contra Felipe IV, fol. 234v. : « De la casa en que nací/la crueldad heredé/nunca tuve ley ni fe/y ansí mi gusto cumplí. »

34  Francisco Martí i Viladamor, Noticia Universal de Cataluña, op. cit., p. 128 : « Redímese no sólo Cataluña, sino toda España, si descaece este privado. »

35 Gaspar Sala, Proclamación Católica, op. cit., p. 124 : « [...] proceden los daños de Cataluña y los males sucesos de la monarquía, de aquellos a quien V.M. fía los negocios graves, mientras respira del peso de tantos Reynos. »

36  Llibre de Solemnitats de Barcelona, Barcelona, Institució Patxot, édition réalisée par Agustí Duran i Sanpere et Josep Sanabre, 1930, vol. 2, p. 164.

37 Francisco Suárez, Juramentum Fidelitatis, op. cit., p. 87 : « Si un rey gobierna tiránicamente y no le queda al país ningún otro remedio de defenderse que expulsar y destituir al rey, podrá la comunidad destituir al rey, actuando como un todo por decisión pública y general. »

38 Òscar Jané Checa, França i Catalunya, Valencia, Afers, 2004.

39  Francisco Suárez, De Juramento Fidelitatis, op. cit., p. 80-88.

40  B.C., José Font, Catalana Justicia contra las Castellanas armas, Barcelona, Jaume Matevat, 1641, F. Bon. 6101, p. 38 : « Dedimus pridem, ad vos litteras nostres sollicitudinis, atque a vobis acurate postulavimos ; ut omnibus studijs Charissimo in Christo nostro Philippo Hispaniarum Regi, ea fidei et obedientiae documenta exhibeatis, quae summa plane cum laude, ante haec exhibuistis. » (nous remercions notre collègue latiniste Virginie Zanini pour ses commentaires sur la traduction de cette citation).

41  Gaspar Sala, Secrets Públics, Pedra de Toc, dans Eva Serra (éd.), Escrits polítics del segle xvii, Vic, Eumo Editorial, 1996, p. 32.

42 Ibid., p. 33 : « degollar los catalanes, assolar sacrilegament les isglésias i altras hostilitats tan barbaras, que Atila no les admetria lo crèdit ».

43  Josep Sarroca, Política del Comte de Olivares, contrapolítica de Catalunya y Barcelona, dans Eva Serra (éd.), Escrits polítics del segle xvii, op. cit., p. 60.

44  Aristote, Les Politiques, Paris, GF Flammarion, 1993, livre V, p. 344.

45 Josep Sarroca, Política del Comte de Olivares, op. cit., p. 60 : « Perquè encara que hi ha monarca, bé se sap que lo govern té dependència del Comte Duc i del protonotari, i que tota sa política consisteix ja en la d’aquells que tenen per objecte tractar de la tirania i obrar-la. »

46  Ibid., p. 66, « lo remei és traure-la del món ».

47  Ibid., p. 60-67.

48  B.C., Francisco de Quevedo (attribué à ?), Confesión consultática de Don Gaspar de Guzmán Conde de Olivares, echa en el transito de su caída, con el testamento al mismo propósito, año 1643, Barcelona, Jaime Matevat, 1643, F. Bon. 5957.

49  Narcís Feliu de la Penya, Annales de Cataluña, Barcelona, Josep Llopis, 1704. Dans ce monument de l’histoire catalane paru au xviiie siècle, lequel se caractérise par son silence, l’auteur s’inspire principalement des textes du xviie siècle contemporains de la révolte, sans y ajouter de commentaire ni d’analyse.

50 Josep Termes i Adrèvol et Teresa Abelló i Güell, « Catalanisme », dans Jesús Mestre i Campo, Diccionari d’Història de Catalunya, Barcelona, Edicions 62, p. 216-219 : « moviment de reivindicació nacional que propugna el reconeixement político-cultural de Catalunya ».

51 Víctor Balaguer, Historia de Cataluña y de la Corona de Aragón, Barcelona, Salvador Moreno, 1861-1863, vol. 3 : « difundir entre todas las clases el amor al pais y la memoria de sus glorias pasadas » (il s’agit du sous-titre de l’œuvre).

52 Ibid., p. 306 : « [...] No se trataba de ocultar que esta era la idea, pues bien a las claras se expresaba [...] en las instrucciones que recibían los virreyes para ir poco a poco cortando leyes y privilegios [...]. Antes de lanzarse los catalanes a la revolución de 1640, apuraron hasta la última gota el cáliz de la amargura que les hizo servir el conde-duque de Olivares. »

53 Ibid., p. 310 : « Lo que hizo el Rey […] fue cruzarse de brazos y permitir que prosiguiesen y aumentasen los desafueros. A cada correo que llegaba entonces a Barcelona podía esperarse la ciudad un nuevo criminal atentado contra el país. »

54  Ibid., p. 328 : « Don Gaspar de Guzmán, conde duque de Olivares (era) quien, más que Felipe IV, había de ser el verdadero monarca de España. »

55 Idem : « Ay de ti Cataluña, que cuando este otro pedazo de tapia cayere, te has de ver muy afligida y apretada de tus enemigos. »

56  B.C., Cataluña defendida de sus émulos, ilustrada con sus hechos, fidelidad, servicios a su Rey, Barcelona, s. n., 1641, F. Bon. 10 952.

57  Víctor Balaguer, Historia de Cataluña y de la Corona de Aragón, op. cit., p. 328 : « ¡Singular y rara coincidencia! ¿Quién sino san Vicente Ferrer, con esfuerzos y voto en el parlamento de Caspe, había traído a esta tierra la dominación castellana? ¿Y quiénes eran aquellos enemigos sino los mismos castellanos a los cuales san Vicente había dado el trono de la Corona de Aragón? »

58 Le terme « Renaixença » est formé sur le verbe catalan « renàixer », ou « renèixer », qui, en français, signifie « renaître ». On prendra soin de ne pas confondre la « Renaixença » qui désigne un mouvement politique, culturel et littéraire caractéristique de la seconde moitié du xixe siècle, et le « Renaixement », formé sur le même verbe, qui désigne la Renaissance du xvie siècle.

59 Valentí Almirall Llotzer, Lo Catalanisme, Barcelona, Edicions 62, 1979 : « La unió dels Estats espanyols va coincidir amb la conversió del món i com tot lo que nosaltres vam portar a la unió resultà inútil o poc menys, la lògica dels fets va imposar-se; l’element castellà va ocupar el primer lloc, i nosaltres vam abaixar lo cap. »

60  Ricardo García Cárcel, « La Revolució catalana i la seva historiografia », L’Avenç, op. cit. Voir également Stéphane Michonneau, Barcelone. Mémoire et identité, op. cit., p. 37.

61 Antoni Rovira i Virigili, El Corpus de Sang: estudi històric, Barcelona, Barcino, 1932 et Pau Claris: estudi biogràfic i històric, Barcelona, Associació Protectora de l’Ensenyança Catalana, 1922 ; Ferran Sagarra, Les Lliçons de la història: Catalunya en 1640, op. cit., et La Unitat catalana de 1640, Barcelona, Ateneu Barcelonés, 1931.

62  Francisco Manuel de Melo, Historia de los movimientos, separación y guerra de Cataluña, Madrid, Castalia, 1996. Voir l’introduction de Joan Estruch Tobella.

63  Antoni Bofarull, Historia critica (civil y eclesiástica) de Catalunya, Barcelona, Biblioteca Clàssica catalana, 1876-1878, 9 vol. Voir vol. 9, chapitre X, p. 460-518.

64  B.C., Francesc Fontanella, Occident, Eclipse, Obscuredat, Funeral, Aurora, Claredat, Belleza, Gloriosa Panegirica Alabança en lo últim vale, als Manes vencedors del Doctor Pau Claris, Barcelona, Gabriel Nogués, 1641, F. Bon. 6106 et Gaspar Sala, Lágrimas catalanas al entierro y obsequias del Illustre Deputado Ecclesiástico de Cataluña Pablo Claris, Barcelona, Gabriel Nogués, 1641, F. Bon. 2124.

65  Ricardo García Cárcel, Pau Claris, la revolta catalana, Barcelona, Deposa, 1980.

66  Juan Valera, Sobre el concepto que hoy se forma de España, dans Obras Completas, Madrid, Aguilar, 1953, vol. 3 ; Julián Juderías, La Leyenda negra. Estudios acerca del concepto de España en el extranjero, Junta de Castilla y León, 2003.

67  Ricardo García Cárcel, La Leyenda negra. Historia y opinión, Madrid, Alianza Editorial, 1998.

68  Ibid., p. 16.

69  Pierre Chaunu, « La légende noire antihispanique », dans Revue de psychologie des peuples, XIX, 1964, p. 88-233.

70  Joseph Pérez, La Légende noire de l’Espagne, Paris, Fayard, 2009, p. 7-16.

71  Eulogio Zudaire, El Conde Duque y Cataluña, Madrid, CSIC, 1964.

72  María Soledad Arredondo, Literatura y propaganda en tiempo de Quevedo: guerras y plumas contra Francia, Cataluña y Portugal, Madrid, Iberoamericana, 2011.

73  Le verbe « élire », placé volontairement entre guillemets, est ici utilisé sciemment, en référence à la théorie de la « monarchie élective » élaborée en 1640 par Francesc Martí i Viladamor dans sa Noticia Universal de Cataluña, où il démontre, par ailleurs, que Louis XIII est le candidat le plus légitime, du fait de son lien de parenté avec les Cardona, illustre famille de la haute noblesse catalane.

74  Sur la question du dynasticisme, voir Xavier Torres, Naciones sin nacionalismo: Cataluña en la monarquía hispánica (siglos xvi-xvii), Valence, Publicaciones de la Universidad de Valencia, 2008.

75  Mathias Ledroit, « Les Catalans partagés entre le Roi et la Terre. Orthodoxie et hétérodoxie politiques autour de la révolte de 1640 », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, juin 2009.

76  À ce propos, on constate, encore aujourd’hui, la force de ce sentiment de décadence qui caractérise, tant dans le domaine politique qu’artistique, l’époque moderne, depuis la fin du xve siècle jusqu’à la Renaixença, la Renaissance catalane, et ce en dépit des très nombreuses études qui, chaque année, mettent en valeur le patrimoine littéraire et artistique catalan des xvie et xviie siècles.

77  Valentí Almirall Llotzer, Lo Catalanisme, op. cit., p. 12 : « Lo programa del catalanisme en totas les seves manifestacions no pot ésser més que un: rompre las lligaduras que tenen a la nostre Regió agarrotada y subjecta. »

Pour citer ce document

Mathias Ledroit, «La légende noire du Comte-Duc d’Olivares en Catalogne (XVIIe-XIXe siècles)», Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], Revue d'histoire culturelle de l'Europe, Légendes noires et identités nationales en Europe, Tyrans, libertins et crétins : de la mauvaise réputation à la légende noire,mis à jour le : 30/06/2016,URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=198

Quelques mots à propos de : Mathias Ledroit

Paris-Sorbonne, CLEA

Mathias Ledroit, docteur en études romanes et diplômé de langue, littérature et civilisation catalanes, consacre ses recherches à l'histoire et à la littérature catalanes du XVIIe siècle, champ de recherche dans lequel se situent sa thèse soutenue en 2011 à l’Université Paris-Sorbonne, Philippe IV et les Catalans (1621-1659), et ses travaux récents. Il est membre associé du groupe de recherche CLEA de l'Université Paris-Sorbonne et collabore au projet ANR Culture des Révoltes et des Révolutions en Europe, au sein de l’équipe ERLIS de Caen.