Phénologie et météorologie chez
Henri-Louis DUHAMEL DU MONCEAU

Pour les historiens du climat, les données instrumentales et phénologiques constituent un précieux filon archivistique. Les premières se développent tout au long du XVIIIe siècle à la faveur de la révolution scientifique du XVIIe siècle et du goût pour les sciences naturelles. Elles permettent ainsi d’analyser précisément les variations saisonnières du climat et l’intensité des événements extrêmes. Les données phénologiques regroupent l’ensemble des informations sur les phénomènes périodiques de la nature (vendanges, bourgeonnement, épiaison…) qui sont fonction des températures et des précipitations. Les données recueillies dans son domaine de Denainvilliers (Loiret) pendant près de quarante ans par le savant Henri-Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) constituent alors un atout de taille pour comprendre le climat de la période 1740-1780.

Sources : à droite : Duhamel du Monceau
Portrait d'après François-Hubert Drouais (1727-1775), Paris, musée de la Marine ; au centre : Histoire et Mémoire de l’Académie royale des sciences, Année 1755, Paris, Imprimerie Royale, 1761, p. 496 ; à gauche : château de Denainvilliers, détail de la photographie de Gustave Lemaire, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine, Base Mérimée).

UN PRECURSEUR DE LA METEOROLOGIE

Si Henri-Louis Duhamel du Monceau est essentiellement connu pour son apport à la sylviculture ou à l’agronomie, il est également un des pionniers de la météorologie. Admis à l’Académie des sciences en 1728 comme adjoint chimiste, son parcours est révélateur de la curiosité scientifique qui anime les savants de l’époque. Les premiers travaux de Duhamel du Monceau sur la météorologie datent de 1729 au moment où il s’intéresse aux effets de la pluie sur la croissance des végétaux. En 1740, il se lance dans l’observation régulière des phénomènes de la nature. Dans le préambule de son premier résumé : « Il est certain que les biens de la campagne, ces biens si nécessaires qu’on peut les regarder comme les seuls vrais biens, les bleds, les vins, les chanvres, les fruits, les bois, etc. ne viennent pas tous les ans aussi abondamment ni d’aussi bonne qualité, et l’on sait en général que ces variétés dépendent de la différente température des saisons. Mais ces connoissances générales ne suffisent pas & on conviendra qu’il seroit également utile pour l’agriculture et pour la physique de connoitre plus positivement le rapport qu’il ya entre la température des saisons et les productions de la terre ». Ainsi dans une démarche utilitariste, Duhamel ambitionne d’améliorer l’agriculture. À Partir de 1748, les données thermométriques et barométriques viennent enrichir ce riche corpus d’informations. Vingt ans plus tard, l’installation d’un pluviomètre lui permet d’indiquer la quantité de pluie tombée mensuellement. Ce sont près de 30 000 données qui ont ainsi été publiées dans les Histoire et Mémoires de l’Académie des Sciences entre 1740 et 1780.

Figure 1 : Résumé des observations relevées par Duhamel du Monceau pour le mois de mars 1753


(Source : Histoire et Mémoire de l’Académie royale des sciences, Année 1755, Paris, Imprimerie Royale, 1761, p. 501-502)

LE TEMPS AU FIL DES SAISONS


À partir de ces données, il est possible de reconstruire les fluctuations du climat dans la région de Denainvilliers et plus largement pour le Centre de la France de la seconde moitié du XVIIIe siècle. En effet, les bans de vendanges sont considérés par les agronomes et les climatologues actuels comme de bons indicateurs des conditions météorologiques des mois printaniers et estivaux. Néanmoins, le facteur météorologique ne peut expliquer à lui seul le début des récoltes. Ainsi en 1745, l’aspect peu engageant des vignes incite les vignerons à envisager une récolte précoce « craignant qu’un ne survint des gelées » à même d’hypothéquer définitivement la récolte.

Figure 2 : Vendanges et températures chez Duhamel du Monceau (1740-1780)

Exprimées en fonction de leur moyenne sur la période 1740-1780, une bonne correspondance se dégage entre les dates de vendanges et les températures des mois d’avril à août. Dans le détail, ce graphique autorise la restitution de la variabilité du climat beauceron. Ainsi passé l’hiver rigoureux de 1740, les années suivantes se caractérisent par des récoltes tardives liées pour l’essentiel aux gelées et à un excès de pluie durant l’été. En revanche, en 1753, les fortes chaleurs printanières et estivales sont propices aux récoltes. Le raisin est récolté à Denainvilliers avec près de 40 jours d’avance le 20 août. Même constat dans la région où à Naveil comme à Bourges les récoltes se font en avance. S’ensuivent jusqu’en 1765 des récoltes précoces à quelques exceptions près comme en 1756.

A compter des années 1766-1767 se produit une dégradation des conditions printanières et estivales qui affecte la récolte du raisin jusqu’en 1777. A cette baisse des températures s’ajoutent de nombreux épisodes de fortes précipitations comme en 1768. Après une année 1767 particulièrement sèche et un hiver rigoureux ponctué par la débâcle de nombreux cours d’eau, les pluies commencent à tomber au mois de mai. Dès le mois suivant, les agriculteurs nourrissent de vives inquiétudes sur l’état des récoltes. Duhamel du Monceau écrit : « La terre est si molle qu’on a été obligé de discontinuer les labours pendant plusieurs jours, & les chemins étoient aussi mauvais qu’en hiver ; on espéroit que ces pluies laveroient les blés qui avoient été rouillés le mois dernier mais depuis ce mois jusqu’à la moisson, ils n’ont fait que dépérir ». L’appréhension d’une mauvaise récolte gagne les marchés urbains et le pain et la farine flambent. Fin juin, de nombreuses émeutes éclatent dans différentes villes du royaume et le recours aux expédients religieux (prières, processions) n’y change rien, la pluie continue de tomber.

Enfin, à partir de 1778, le Centre de la France renoue avec des températures plus chaudes et les récoltes plus précoces. Malheureusement, cette amélioration météorologique Il s’accompagne de faibles précipitations, propices à l’apparition de maladies comme la dysenterie.

LES CAPRICES DE LA NATURE


Au-delà des fluctuations saisonnières de la période 1740-1780, les données instrumentales recueillies à partir de 1748 autorisent une analyse des événements extrêmes. Parmi les différents événements extrêmes qui ont jalonné cette période, l’hiver 1776 est probablement le plus significatif.

Figure 3 : L'hiver de 1776 dans l'Ouest de la France

Les mois de novembre et de décembre sont conformes aux moyennes mensuelles de la période 1748-1780 avec, respectivement, 5,7°C et 3,2 °C. Les précipitations neigeuses font leur apparition dans le courant du mois de décembre. À compter du 12 janvier, le froid devient plus vif avec des températures inférieures à zéro pendant près de trois semaines. De manière générale, le mois de janvier, avec ses -4°C de moyenne, accuse une baisse de -5,6 degrés Celsius par rapport à la moyenne. Le maximum du froid intervient le 29 janvier avec -15°C. Le Loiret n’est pas la seule région touchée par la vague de froid. Le froid atteint ce même 29 janvier -22,5°C à Montdidier, -20°C à Paris et à Strasbourg.

Les effets du froid ne tardent pas à se faire sentir. Si le manteau neigeux met les céréales à l’abri des frimas en revanche, beaucoup d’arbres fruitiers sont fendus. Les cultures comme le lin et le chanvre ne résistent pas non plus. Dans les caves, les différents alcools gèlent. Les oiseaux sont retrouvés morts et des loups sont aperçus en plein jour dans les fermes où plusieurs attaques sur le cheptel ovin sont signalées. Les conséquences sociales de la vague de froid ne sont pas négligeables. Outre le froid, les plus démunis, comme à Tours, doivent faire face à un chômage généralisé. La comparaison avec l’hiver de 1709 ne tarde pas à réapparaître sous la plume de nombreux témoins comme le comte de Betz à Alençon.

Jérémy Desarthe

Bibliographie

DESARTHE J., « Duhamel du Monceau météorologue », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n°57-3, juin-sept. 2010, p. 70-91

DESARTHE J., Les caprices du bon vieux temps. Climat et sociétés dans l’Ouest de la France (XVIe – XIXe), Thèse de doctorat sous la direction de Vincent Milliot et d’Emmanuel Garnier, Université de Caen Basse-Normandie, 2011, 439 p.

Pour aller plus loin…

GARNIER E., Les dérangements du temps. 500 ans de chauds et froids en Europe, Paris, Plon, 2010, 245 p.

GARNIER E., DAUX V., YIOU P., « Grapevine harvest dates in Besançon between 1525 and 1847 : social outcomes or climatic evidence ? », Climatic Change, Volume 104, Numbers 3-4, p. 703-727.

Le coin des sources

L’hiver 1776 vu par l’Académie Royale des sciences
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3576k/f693