LES PERSPECTIVES DE RECHERCHE

Les nombreuses informations recueillies sont regroupées dans une base de données, socle méthodologie d’une approche historique sérielle en matière de reconstruction du climat et d’analyse des événements extrêmes.

Reconstruire le climat

À partir des données collectées, une reconstruction du climat passé peut être réalisée sous la forme d’indices. Cette démarche initiée par Hubert Lamb dans les années 1970 consiste à évaluer les saisons passées à l’aune des informations recueillies. Plus récemment, l’historien suisse Christian Pfister a mis en place une série d’indices pour évaluer les précipitations et les températures (Pfister, 2001). Aujourd’hui reconnue comme référence dans le cadre d’une homogénéisation méthodologique européenne, cette grille indicielle s’échelonne entre les indices -3 et +3 (Brazdil, Pfister, 2005).

Tableau 1 : Méthode indicielle des températures et des précipitations
Indice Description Températures Précipitations
3 Extrêmes Extrêmement chaud Extrêmement humide
2 Beaucoup Très chaud Très humide
1 Au-dessus de la normale Chaud Humide
0 Normal Normal Normal
-1 Au-dessous de la normale Froid Sec
-2 Beaucoup Très Froid Très sec
-3 Extrême Extrêmement froid Extrêmement sec

À partir des données recueillies, il s’agit d’attribuer un indice saisonnier pour caractériser les précipitations et les températures. Les reconstructions ainsi réalisées ne sont pas exemptes de faiblesses imputables aux lacunes archivistiques et à la subjectivité des chercheurs. Nonobstant, cette méthodologie a le mérite de dégager les variations du climat sur la longue durée.

Figure 1 : Reconstruction du climat de Besançon (1525-1847)


Source : Garnier E., Daux V., Yiou P., Garcia de Cortazar-Atauri I., « Grapevine harvest dates un Besançon betwenn 1525 and 1847 : social outcomes or climatic evidence ? », Climatic Change, Vol. 104, n°3-4, 2011, p. 783-801.

L’analyse des événements extrêmes

Les événements climatiques extrêmes constituent le second volet de la recherche en histoire du climat. En effet, ceux-ci peuvent avoir d’importantes répercussions d’ordre économique, politique, sociale et sanitaire sur la vie des sociétés. Ainsi au-delà de l’analyse de la période de retour des événements extrêmes, il s’agit à partir des informations glanées dans les archives d’évaluer leur intensité en fonction des dommages et de l’espace touché. Pour ce faire plusieurs grilles indicielles ont été établies.

- Les inondations

La grille indicielle mise en œuvre par Emmanuel Garnier permet de qualifier ces phénomènes. L’objectif est de distinguer les épiphénomènes limités à un territoire des événements majeurs dont les effets s’inscrivent dans une dimension spatiale et économique de grande ampleur.

Tableau 2 : Méthode indicielle pour les inondations (E. Garnier)
Indice Description
5 Événement exceptionnel par son impact géographique et économique, pertes humaines, émeutes, disette
4 Gros dommages (terres et bâtiments)
3 Dommages conséquents (terres et bâtiments ; Inondations localisées
2 Quelques dommages (surtout agricoles) ; Inondations localisées
1 Mention dans les sources, peu de dommages ; Inondations très localisées
-1 Mention dans les sources, Informations insuffisantes

Les indices s’échelonnent de -1 à 5. Le plus faible correspond aux inondations pour lesquelles les sources ne permettent pas d’évaluer l’ampleur du phénomène. Les indices 1 et 2 sont attribués aux phénomènes mineurs. Pour les deux suivants, 3 et 4, les dommages apparaissent conséquents avec la destruction des infrastructures fluviales (ponts, moulins, pêcheries) et des bâtiments. À partir de l’indice 4, plusieurs villes ou bassins versants sont touchés par les débordements. Les phénomènes d’indice 5 se caractérisent par une intensité exceptionnelle avec des conséquences économiques et sociales durables pour les hommes et les territoires.

- Les sécheresses

Second extrême hydrologique particulièrement redouté par les populations, les sécheresses se caractérisent par une baisse notable des précipitations. Leur durée et leur intensité peuvent avoir des effets aussi bien sur l’agriculture que sur le niveau des eaux et donc sur les communications fluviales et la salubrité urbaine. Ainsi de la même manière que pour les inondations, les sécheresses peuvent être évaluées sous la forme d’indices.

Tableau 3 : Méthode indicielle de sévérité des sécheresses (J. Desarthe)
Indice Descriptions Type de sécheresse
5 Sécheresse exceptionnelle (pas d’approvisionnement en eau possible, récoltes compromises, impacts sanitaires, cherté, émeutes…) Sécheresse hydrologique
4 Étiage sévère (navigation impossible, chômage, tentative de captation d’eau) Sécheresse hydrologique
3 Baisse générale des cours d’eau et des réserves en eau Sécheresse phréatique
2 Baisse localisée des cours d’eau, premiers effets sur la végétation Sécheresse édaphique
1 Absence de précipitations Sécheresse atmosphérique
-1 Informations qualitatives et quantitatives insuffisantes

Dans un premier temps, l’absence de précipitations entrave essentiellement la bonne croissance de la végétation. Ensuite à l’indice 3, les ressources en eaux diminuent. Dans les villes, les puits se tarissent posant alors le problème d’un approvisionnement pour les populations. Aux indices 4 et 5, la navigation fluviale devient impossible. Le chômage des moulins empêche la production de farine. Les prix du pain augmentent fortement et sont susceptibles de conduire à de vives tensions sociales. La baisse de ressources en eaux ne tarde pas à occasionner des problèmes sanitaires importants à l’origine de maladies comme la dysenterie.

- Les tempêtes

Phénomènes brefs dont la durée excède rarement quelques jours, les événements extrêmes éoliens peuvent se révéler dramatiques pour les populations à l’image de la tempête Xynthia en février 2010. En l’absence d’informations précises sur la vitesse des vents, il est possible d’évaluer ces phénomènes en recourant à l’échelle de Beaufort (Garnier, 2004).

Tableau 4 : Échelle de Beaufort
Force Termes descriptifs Vitesse en Km/h Effets à terre États de la mer au large Hauteur des vagues
8 Coup de vent 62 à 74 Quelques branches cassent. Il est généralement difficile de marcher en avant. Lames de hauteur moyenne accompagnées de tourbillons d’embrun. 5,5
9 Fort coup de vent 75 à 88 Le vent peut endommager les bâtiments. Cheminées et ardoises arrachées. Grosses lames. Les embruns peuvent réduire la visibilité. 7
10 Tempête 89 à 102 Gros dégâts. Arbres déracinés. Toitures endommagées Très grosses lames à longue crête en panache. Visibilité réduite. 9
11 Violente tempête 103 à 117 Rare à l'intérieur des terres. Très gros dommages. Gros ravages sur les constructions, les cultures. Lames exceptionnellement hautes ; la mer est complètement recouverte de bancs d’écume ; la visibilité très réduite 11,5
12 Ouragan > 118 Très rare à l’intérieur des terres. Dommages très importants. La mer est entièrement blanche du fait des bancs d’écume dérivante ; la visibilité est très fortement réduite. > 14
(Sources : HONTARREDE M., « Echelle Beaufort et mesure du vent », Met-Mar, n°192, p. 15-17 ; MET OFFICE, Beaufort, National Meteorological library and archive, Fact sheet 6, 2010, 22 p.)

Mise en place au XIXe siècle par le britannique Francis Beaufort, l’échelle éponyme s’étend entre les forces 0 pour un temps calme et 12 pour les ouragans avec des vents supérieurs à 118 km/h. Pour l’étude des événements éoliens, seuls ceux qui occasionnent des dommages sont pris en compte, c’est-à-dire à partir de force 8. Grâce aux descriptions multiples et précises des tempêtes dans les archives, une évaluation relative des phénomènes éoliens est possible.

Le risque et sa mémoire

Les événements extrêmes constituent pour les sociétés un temps de crise durant lequel leur fonctionnement est altéré. Les tempêtes ou les inondations s’accompagnent bien souvent de destructions matérielles importantes (ponts, moulins, maisons, ouvrages de défense, …). Ils conduisent à appréhender les modes de gestion du risque et de réduction de la vulnérabilité.

Figure 2 : Processus et problématiques du risque climatique

Confrontées aux événements extrêmes et aux destructions, les sociétés ont très tôt compris l’importance de prendre en compte le risque climatique dans leur politique. Cette prise de conscience transparaît dans les sources émanant des autorités civiles et religieuses mais également dans les écrits du For privé. La dénonciation du risque donne lieue à une « expertise ». Celle-ci est alors confiée aux échevins, aux techniciens et aux scientifiques afin d’en évaluer l’importance. Les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées sont chargés de l’inspection des ouvrages d’art pour en vérifier la résistance dans la perspective d’une embâcle ou d’une inondation. Cette expertise révèle ainsi la vulnérabilité des sociétés. Dès lors, différentes mesures de prévention, alerte et secours sont mises en place formant ainsi un « Triptyque du risque ». Cette gestion du temps de crise en trois actes permet de saisir de manière objective la réalité de l’événement. Il s’agit également pour le chercheur de s’intéresser aux différents modes de gestion et à leur évolution au fil des siècles afin d’analyser la construction de la mémoire du risque et de déterminer son rôle dans les politiques mises en œuvre pour se prémunir contre les événements climatiques extrêmes (Garnier, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 2010).