DIEU, LES HOMMES ET LE CLIMAT
LES PROCESSIONS METEOROLOGIQUES

L’histoire du climat s’intéresse également à la perception des colères de la Nature et, par conséquent, aux relations entretenues entre les hommes avec climat. Dans une société empreinte de religiosité, Dieu a une place et une responsabilité dans les manifestations atmosphériques. L’organisation de processions révèle pleinement l’inquiétude des populations à l’égard d’une météorologie défavorable. Par ce recours religieux, les chrétiens demandent l’intercession d’un saint local pour l’amélioration des conditions météorologiques.

Le reflet d’une vulnérabilité au mauvais temps

« Le dimanche vingt-unième jour dudict mois d'aoust audict an, il a esté faict une procession généralle qui est allée en l'église des Cordeliers de ceste ville d'Angers [...] pour prier Dieu nous donner de la pluye pour arrouzer les fruicts de la terre ». Cette déclaration de l’angevin Jean Louvet illustre l’importance du recours à la religion sous l’Ancien Régime. Les processions font parties intégrantes du calendrier liturgique, notamment lors de la fête du Saint-Sacrement ou à l’occasion de l’Assomption, cérémonies durant lesquelles toutes les composantes de la communauté sont réunies. A ces manifestations régulières s’ajoutent des processions extraordinaires organisées pour des raisons politique, sanitaire ou météorologique. Ainsi à Paris, 45% des processions recensées entre le XIIe et le XVIIIe siècle résultent d’un dérangement climatique.

Figure 1 : Répartition saisonnière des processions

La saisonnalité des processions reflète les craintes que font peser les caprices de la météorologie sur les biens de la terre. Ainsi, une grande partie de ces expédients religieux se déroule au printemps et en été, périodes déterminantes dans les cycles végétatifs. Les motifs d’invocation varient selon les régions et leurs caractéristiques climatiques. Ainsi à Toulouse, les sécheresses sont en cause dans 59 % des cas et les pluies excessives dans 33%. À l’inverse, dans la Capitale, 45 % des liturgies météorologiques ont pour origine pluviométrique alors que dans le Nord, à Lille, 65% d’entres elles sont motivées pour obtenir simplement « un temps plus favorable ».

La procession, un outil de pouvoir

La procession cristallise également des enjeux sociaux importants. En mettant les récoltes en péril, une météorologie défavorable entraîne une cherté des prix et peut susciter des tensions sociales. La procession est à la fois une réponse à l’aléa et un outil de contrôle des angoisses. Conscientes des troubles qui peuvent émerger, les autorités urbaines prennent en main ces manifestations publiques, appréciées de la population, qui font partie du paysage urbain de l’époque moderne. Ainsi, en 1620, les paysans angevins s’en prennent à l’archevêque qui refuse de faire des prières publiques et des processions pour lutter contre la sécheresse qui sévit dans une bonne partie de la région. Sous la pression populaire et les demandes répétées des édiles, le prélat se résout donc à organiser une cérémonie.

Figure 2 : Protocole d'organisation d'une procession météorologique

Une fois la décision prise par les édiles de recourir à l’intercession du saint local – considéré comme le protecteur de la communauté – des membres du Conseil de Ville sont envoyés auprès des autorités religieuses afin qu’elles procèdent à la descente et à l’exposition des reliques. Quelques jours plus tard, généralement le dimanche, la communauté se réunit dans l’église du saint. Après une première messe, le cortège composé des édiles et des religieux processionne dans la ville avec la représentation ou les reliques de l’intercesseur.

Figure 3 : Procession à Paris

Source : Bibliothèque de Sainte Geneviève, Est 192 RES (P2). Cette estampe représentant la procession de la chasse de sainte Geneviève à Paris en 1652 pour la paix. Une procession pour motif météorologique se déroulait de manière similaire

Le crépuscule d’une pratique

Si cette réponse religieuse se poursuit tout au long de la période, la fréquence diminue au XVIIIe siècle. Cette évolution ne s’explique pas par une baisse de la vulnérabilité météorologique. En effet, plusieurs événements extrêmes viennent éprouver les populations et remettre en cause l’approvisionnement en céréales. La désaffection pour les pratiques liturgiques ostentatoires et baroques du siècle précédent ainsi que l’émergence de la pensée rationnelle et naturaliste rendent souvent désuètes les processions météorologiques. En outre, le siècle des Lumières est marqué par la politisation des questions de subsistance. Un transfert de responsabilité déplace le problème frumentaire de la sphère divine à la sphère civile. Désormais, les autorités sont jugées responsables des épisodes de cherté.

L’année 1725 illustre cette évolution. « Année pourrie » par excellence à cause des précipitations, les récoltes s’annoncent mauvaises dès le mois de mai. En juin, la procession du Saint-Sacrement à Rennes donne lieu à une émeute. Les habitants s’en prennent aux membres du Parlement et du Conseil de Ville qu’ils jugent responsables de la flambée des prix des denrées. Quelques semaines plus tard, c’est au tour de Paris d’être en proie à des troubles. La procession du 5 juillet n’apporte aucune éclaircie sur le front météorologique. Quatre jours plus tard, une émeute éclate dans le faubourg Saint-Antoine, les insurgés reprochent aux autorités d’être incapables de gérer la crise frumentaire.

À partir de cette date, les processions se raréfient. Tout laisse à penser que les édiles appréhendent de plus en plus les attroupements qui sont susceptibles de dégénérer et réservent la procession à des circonstances exceptionnelles préférant recourir aux prières publiques.

Maria-Carmen Gras, Élise Hiram, Jérémy Desarthe

Bibliographie

GRAS M-C., « Les processions en l’honneur de sainte Geneviève à Paris, miroir d’une société (XVe - XVIIIe siècles) », Revue d’histoire urbaine, n°32, décembre 2011, p. 5-30

GRAS M-C., Les processions météorologiques en l’honneur de sainte Geneviève à Paris du Moyen Âge à la Révolution. Aspects climatiques, sociaux, politiques, économiques et culturels, Mémoire de Master 2 sous la direction de Vincent Milliot et de Emmanuel Garnier, Université de Caen Basse-Normandie, 2009, 207 p.

HIRAM E., « Les cérémonies religieuses face à la météorologie. Enjeux paléoclimatiques et rôle social : le cas de Salamanque au XVIIe siècle », Revue d’histoire urbaine, n°32, décembre 2011, p. 31-52

HIRAM E., De la pluie et du beau temps. Cérémonies religieuses et climatologie historique. L’exemple de Toulouse (fin XVIe – début XIXe siècle), Mémoire de Master 2 sous la direction de Vincent Milliot et de Emmanuel Garnier, Université de Caen Basse-Normandie, 2011, 190 p.

Pour aller plus loin

KAPLAN S., Le complot de famine. Histoire d´une rumeur au XVIIIe siècle, Paris, Edition EHESS, Coll. Cahier des Annales, vol. 39, 78 p.

BARRIENDOS M., « Les variations climatiques dans les péninsules ibérique : l’indicateur des processions (XVIe – XIXe siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, Belin, juillet-septembre 2010, p. 131-159.

LOUPES, P , La vie religieuse en France au XVIIIe siècle, Sedes, Paris, 1993, 230 p.

GUIGNET P. Le pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la société franco-belge. EHESS, Paris, 1990, 591 p.

Le coin des sources

Mandement de son éminence monseigneur le cardinal De Noailles, archevesque de Paris portant ordre de faire des processions pour implorer le secours du ciel sur les necessitez publiques & de faire la procession générale où la chasse de S. Marcel & de Sainte Geneviève seront portées, Paris, J-B Delespine, 1725.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8608896p