Lorsque le voyageur s’éloigne des sites si riches et si pittoresques des Vosges et de l’Alsace, que la nature a jetés à pleines mains dans les vallées, sur les coteaux et sur les sommets escarpés, quand il laisse derrière lui et les Ardennes et leurs chevaux bien connus par leur agilité et leur énergie, et qu’il se dirige vers les rivages de la Manche, il ne constate plus ni les mêmes lieux, ni la même température, ni les mêmes instruments et machines, ni les mêmes procédés et systèmes de culture. Ici, tout est changé ; la terre est plus féconde, mais les plantes qu’elle produit ne développent plus ces odeurs qui parfument à l’envi la verdure des contrées méridionales ou alpines.
Cependant la nature n’a point été marâtre envers la région du Nord-Ouest; elle a composé ses draperies de couleurs non moins agréables, si elles sont moins éclatantes et moins variées. La plupart des plaines et des vallées offrent les sites les plus harmonieux. Vivifiée par de nombreuses rivières, des sources et des canaux, par des engrais liquides appliqués en temps utile et à des doses rationnelles, la végétation s’y développe avec une vigueur remarquable et couvre le sol d’une belle verdure dans les plaines de la Flandre et de l’Artois et dans les vallons fertiles du Soissonnais, de la Picardie et de la Normandie.
Là, la plaine apparaît ornée de remarquables cultures de colza,de pavot-œillette, de lin, de tabac, de belles récoltes de betteraves destinées à alimenter de nombreuses sucreries, et de brillantes cultures de blé ou d’avoine qui poudroient pendant
l’été sous l’influence d’un ciel bleu pâle et calme. Plus loin, plus au nord-ouest, les haies vives divisent et subdivisent la terre couverte de riches pâtures grasses, de verdoyantes et épaisses, dans lesquelles errent nuit et jour de nombreux et beaux animaux appartenant aux espèces bovine et chevaline.
La Flandre, la Picardie et l’Artois n’ont pas de vignobles, mais ces contrées possèdent des houblonnières dont les produits servent à aromatiser la bière qu’elles fabriquent. et qui est leur principale boisson, et elles renferment des tourbières qui ont ensemble une grande surface. Les tourbières assainies des environs d’Amiens sont converties en hortillonnages, et elles produisent annuellement de beaux et nombreux légumes. Ajoutons que la région cultive aussi le pois à purée, le haricot de Soissons et le haricot flageolet dans les terres du Laonnais, du Soissonnais et de la Picardie, le chanvre dans les vallées de la Somme et de l’Aisne, l’artichaut à Laon et à Chauny, l’asperge à Laon et à Dunkerque, le cresson à Senlis, l’osier à Hirson et à la Capelle, le houblon à Lille, Cambrai, etc. ; qu’elle possède de nombreuses mines de marne et de cendres pyriteuses ou cendres noires avec lesquelles les cultivateurs assurent la réussite et la productivité de la luzerne, du trèfle et du sainfoin ; que la Picardie opère des labours profonds avec la charrue dite double brabant, qu’elle produit, comme le Boulonais et la Flandre, des chevaux de trait qui ont leur utilité, et qu’elle élève aux environs de Saint-Valery des moutons de prés salés. Ces bêtes à laine, bien moins fortes que les moutons artésiens, que l’on allie aujourd’hui de plus en plus avec la race dishley, si bien multipliée à la bergerie nationale du Haut-Tingry, sont recherchées par la boucherie de Paris. Ajoutons encore que les prairies des environs de Lille, d’Hazebrouck et d’Avesnes nourrissent chaque année un grand nombre de vaches appartenant à la race flamande et à la race hollandaise. Le lait de ces vaches, qui sont très laitières, sert à fabriquer dans la Flandre et la Picardie le fromage de Marolles, le fromage de Rollot et lefromage de Compiègne. Disons enfin que le voyageur ne cesse d’admirer, dans les campagnes de Lille, le mode de récolte et d’emploi de l’engrais flamand, dans l’arrondissement de Dunkerque, les opérations à l’aide desquelles on a pu dessécher les petites et les grandes Moères et le pays des Wateringues, localités qui produisent annuellement de magnifiques récoltes de blé, de fèves. De colza et de trèfle et, aux environs de Boulogne-sur-Mer, les moyens mis en pratique pour fixer et utiliser les dunes que la mer ne cesse de former, chaque fois qu’elle déferle, sur la plage sablonneuse qu’on observe depuis Cayeux-sur-Mer (Somme) jusqu’aux: frontières de la Belgique.
La culture flamande, si remarquable sous tous les rapports et qu’on peut opposer à bon droit aux procédés les plus parfaits de l’Angleterre, doit son degré de perfection à l’activité et à l’intelligence des populations qui l’exercent et au climat sous lequel elles opèrent. Les plantes qu’elle fait naître et sème presque toujours en lignes, et qui frappent les regards de tous par leur végétation luxuriante, sont affranchies des chaleurs intenses si nuisibles pendant l’été à l’agriculture du Midi et de l’Ouest. Toutefois, si les froids à l’intérieur des terres sont souvent longs et rigoureux, et les automnes et les printemps parfois très-pluvieux, l’atmosphère sur les côtes est plus humide et les gelées moins intenses. C’est à l’excès de l’humidité de l’atmosphère, dû au voisinage de la Manche et de la mer du Nord, et surtout aux vents d’ouest, qu’il faut attribuer les orages violents, les pluies parfois continuelles, qui tantôt favorisent la verdure dans les belles campagnes de la Flandre, du Boulonais et de la Picardie, et tantôt portent la désolation au sein des familles agricoles qui habitent les plaines granifères et industrielles de la Flandre, du Santerre, etc.
La Picardie est peu accidentée, bien qu’elle soit traversée par une chaîne de collines, et que les cours d’eau y aient creusé des vallées assez profondes. Le Santerre est productif ; on y rencontre de belles sucreries de betteraves. Le Marquenterre, sol fertile conquis sur la mer, est situé entre les rives de la Somme et l’embouchure de l’Authie. Le Vermandois renferme des localités fertiles. C’est dans le Santerre et le Vermandois que sont principalement situées les fermes qui sont grevées du droit de marché ou mauvais gré, dont l’origine est encore inconnue.