« Au service de sa Majesté »… Voilà comment nous pourrions résumer la vie trépidante de Daniel Lescallier, qui fut à sa façon un James Bond du XVIIIe siècle ! Né le 5 novembre 1743 à Lyon, Lescallier entre au service de la Marine royale comme écrivain en 1764 et commence sa carrière à Saint-Domingue au Môle-Saint-Nicolas, petite ville nouvellement créée, où il est chargé de la comptabilité. à son retour en France, en 1766, il intègre l’administration de la Marine à Toulon. élève commissaire en février 1767, il est nommé sous-commissaire des ports et des arsenaux en février 1770. Il embarque, en 1773, à bord du vaisseau Le Languedoc, afin d’effectuer un voyage, sur ordre du ministre, à destination de l’Angleterre, de la Russie et de la Suède. Ce fut probablement une mission d’espionnage, car il était chargé de recueillir des informations sur les ports, les arsenaux et les chantiers navals des pays visités. Il transmet au retour un rapport manuscrit à Sartine, ministre de la Marine et des Colonies. Ces voyages sont publiés en 1799 sous le titre Voyage en Angleterre, en Russie et en Suède, fait en 1775. Commissaire des ports et des arsenaux en 1777, il est nommé, en 1780, commissaire des colonies à la Grenade, puis commissaire général à Cayenne en 1785, afin de mettre en valeur cette colonie. Sur ordre du ministre de la Marine, en 1788, il se rend de nouveau en Angleterre où, accompagné du jeune constructeur Alexandre Forfait, il effectue une mission de renseignement sur les techniques de construction navale. Ce voyage s’inscrit au sein des missions d’« espionnage » réalisées dans les arsenaux anglais et hollandais, depuis Colbert.
En 1792, Daniel Lescallier est nommé commissaire civil dans les colonies de l’Océan Indien. Il se trouve à Pondichéry, lorsque la guerre avec l’Angleterre éclate ; il est capturé lors de sa capitulation en 1793. Conseiller d’État en décembre 1799, il est nommé ordonnateur de la Marine pour l’arrondissement des îles Adriatiques, et en juillet 1801, préfet colonial de la Guadeloupe au moment du rétablissement de l’esclavage. Revenu en France en 1804, Lescallier est distingué par l’Empereur à deux reprises. Il est fait Commandeur de la Légion d’honneur le 14 juin 1804, puis baron d’Empire en avril 1810. Préfet maritime de Gênes en février 1806 et du Havre de mai 1808 à août 1810, il est nommé en octobre 1810 consul général des états-Unis. Remplacé après la chute de l’Empereur, il rentre en France en 1815 et quitte le service à l’âge de 72 ans. Il meurt à Paris le 14 mai 1822.
En plus d’une carrière bien remplie, Daniel Lescallier a écrit plusieurs ouvrages consacrés à la marine. En 1777, il publie un dictionnaire bilingue intitulé Vocabulaire des termes de marine anglois-françois, composés de deux parties. La première comprend la traduction des termes anglais vers le français et la seconde à la traduction inverse. Ce dictionnaire présente la particularité de ne comporter pratiquement aucune définition, seulement des traductions d’une langue à l’autre. Cet ouvrage contient également 297 figures qui permettent d’illustrer les thématiques suivantes : la construction navale, les pièces d’accastillage, l’artillerie, les ancres, la mâture, la voilure et le gréement. Ces planches sont abondamment commentées par des textes formant de petits articles. Cette première édition est dédiée à Antoine de Sartine, alors ministre de la Marine de Louis XVI. Dans sa préface, Lescallier explique les raisons qui l’on amené à entreprendre ce travail. Il désirait tout d’abord mettre à la disposition des professionnels du milieu maritime un dictionnaire bilingue pouvant les aider dans leurs activités, les seuls dictionnaires de marine anglais à disposition étant soit incomplets, soit erronés dans leurs traductions. Ayant habité l’Angleterre dans sa jeunesse, il est bilingue. Par ailleurs, grâce à ses fonctions dans la Marine et ses campagnes à bord des vaisseaux, il a acquis une bonne connaissance des navires, de leur construction et de leurs manœuvres. Aussi disposait-il des compétences nécessaires pour la rédaction d’un tel dictionnaire. Lorsqu’il fut envoyé en Angleterre par Sartine, il put rencontrer le premier Lord de l’Amirauté et le Vice-amiral d’Angleterre qui lui fournirent de précieuses informations. Il put même visiter un chantier de construction et y observer « tous les objets qu’on peut voir dans un arsenal royal de marine ». Il put également approfondir sa connaissance des termes nautiques et de navigation lors de son voyage vers la Suède et la Russie à bord de navires marchands anglais. Il semble que ce projet de dictionnaire l’ait également aidé dans sa mission de renseignement et lui aurait peut-être servi de « couverture ». Ce dictionnaire sera réédité à plusieurs reprises : en 1791, 1797, 1799 et même dans une édition londonienne en 1783.
En 1791, Daniel Lescallier publie un second ouvrage important, le Traité pratique du gréement des vaisseaux et autres bâtimens de mer, en deux volumes. Ce livre s’inscrit dans une série d’ouvrages d’instruction destinés aux élèves officiers de la Marine, commandés par le Maréchal de Castries, ministre de la Marine et comprenant entre autres le Traité élémentaire de la construction des vaisseaux de Vial-du-Clairbois ou le Traité élémentaire de la mâture des vaisseaux de Forfait. Le traité de Lescallier est abondamment illustré de planches dont certaines proviennent de son dictionnaire de Marine. Cet ouvrage est de nos jours une référence pour la connaissance du gréement des vaisseaux du XVIIIe siècle. Lescallier publie encore en 1791 un Exposé des moyens de mettre en valeur et d’administrer la Guiane, probablement inspiré par ses fonctions d’administrateur à Cayenne et où il expose ses vues, parfois utopiques, afin de mettre en valeur cette colonie.
Vers la fin de sa vie, Daniel Lescallier s’essaie à la traduction. Il traduit d’abord plusieurs ouvrages anglais dont un consacré à un épisode célèbre de l’histoire maritime, la mutinerie du Bounty. Cette traduction paraît en 1790 sous le titre Relation de l’enlèvement du navire Le Bounty… écrit en anglais par M. William Bligh (ancien commandant du Bounty). Un an plus tard, il publie la traduction de An essay on naval tactics, systematical and historical, with explanatory plates… de John Clerk sous le titre Essai méthodique et historique sur la tactique navale. Enfin, il s’attèle à traduire en française plusieurs récits légendaires persans, découverts lors d’un séjour en Inde. Ces traductions paraissent à New York en 1817. Outre sa carrière de « haut fonctionnaire », Daniel Lescallier a été un auteur prolixe. S’il s’est particulièrement intéressé au monde des marins, non seulement en publiant son dictionnaire et son traité du gréement mais aussi en traduisant des ouvrages maritimes anglais, il a également fait preuve de curiosité intellectuelle en traduisant des contes indiens. Espion, commissaire des ports ou des colonies, administrateur, préfet, consul, auteur d’ouvrages de marine, traducteur, Daniel Lescallier a mené une vie d’aventures, digne d’un roman.
Michel Daeffler
Orientation bibliographique : M. BRADLEY, Daniel Lescallier, 1743-1822, man of the sea – and military spy ? : maritime developments and French military espionage, Lewiston, Edwin Mellen Press, 2005, 224 p. ; Notice abrégée des services rendus à l’état, par M. Lescallier… dans l’administration de la marine et des colonies, Paris, imprimerie J.-M. Eberhart, s. d., 86 p. ; S. LLINARES, Marine, propulsion et technique : l’évolution du système technologique du navire de guerre français au XVIIIe siècle, Paris, Librairie de l’Inde, 1994, 2 vol. ; S. LLINARES, « Les mémoires et les correspondances des marins français voyageurs en Angleterre (1764-1785) », Documents pour l’histoire des techniques, n° 19, 2e trimestre 2010, p. 177-185 ; C. WANQUET, « La première abolition française de l’esclavage fut-elle une mystification ? Le cas Daniel Lescallier », dans Esclavage, résistances et abolitions (123e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques ; Antilles-Guyane, 1998), M. Dorigny (dir.), Paris, éditions du CTHS, 1999, p. 253-269.