Alors qu’il effectuait les ultimes corrections des épreuves de la seconde édition de son Dictionnaire de marine à voiles et à vapeur, écrit en collaboration avec son gendre Edmond Pâris (le futur amiral Pâris, à l’origine des premières études ethnologiques navales et premier conservateur du Musée de la Marine), Pierre-Marie-Joseph de Bonnefoux s’éteint à Paris le 14 décembre 1855, après une vie de marin bien remplie. Il laisse derrière lui une œuvre scientifique et littéraire remarquable, toute entière consacrée à l’art nautique.
Né à Béziers le 22 avril 1782, Pierre-Marie-Joseph de Bonnefoux est issu d’une famille noble de l’Agenais qui a fourni de nombreux officiers. Son père, baron du Languedoc et chevalier de Saint-Louis, était lieutenant-colonel au régiment de Vermandois. En 1786, celui-ci comptait trois de ses neveux officiers d’infanterie et un autre lieutenant de vaisseau. La mère de Pierre-Marie-Joseph était la fille d’un médecin distingué de Béziers, ancien consul et lui-même apparenté aux grandes familles du pays. Le jeune Bonnefoux passe ainsi une enfance heureuse au sein de sa famille. Poursuivant la tradition familiale, c’est tout naturellement qu’il fait ses études à l’École royale militaire de Pont-le-Voy, où, en tant que fils d’officier, il y entre en qualité d’élève du roi. Malheureusement, la Révolution sépare le jeune élève de sa famille, qui est ruinée. À la fin de l’année 1793, tous les fils d’officiers sont renvoyés du collège. À onze ans et demi, Joseph de Bonnefoux se retrouve seul, et lorsqu’enfin, il parvient à rentrer à Béziers, c’est pour y découvrir sa mère malade et son père jeté au cachot.
Au cours des cinq années qui suivent la Révolution, Joseph de Bonnefoux poursuit ses études sous la houlette d’un vieil officier. Puis, grâce aux conseils et au soutien de son cousin germain, Casimir de Bonnefoux, capitaine de vaisseau et major général du port de Brest, il entre comme novice dans la Marine, où il fait son apprentissage sur le lougre la Fouine. Après avoir passé ses examens avec succès, il obtient le grade d’aspirant de 1re classe, le 13 avril 1799. Il poursuit sa formation au cours de plusieurs embarquements. Peu après avoir été nommé aspirant, il est à bord du vaisseau le Jean Bart, où il y passe quatre mois ; puis il embarque comme second sur le cotre le Poisson-Volant, tandis qu’en 1801, on le retrouve sur le Dix-Août, sous les ordres des amiraux Ganteaume et Linois, qui ont pour mission de soutenir l’armée d’Égypte. Au retour, Bonnefoux se distingue lors du combat contre le vaisseau anglais le Swiftsure et gagne le grade d’enseigne de vaisseau, qu’il reçoit le 24 avril 1802. Il n’a que vingt ans.
Sa carrière décolle au début de l’année 1803, où il est officier de manœuvre à bord de la Belle-Poule, une frégate de l’escadre composée d’un vaisseau et d’une autre frégate et commandée par l’amiral Linois. L’escadre est envoyée aux Indes pour reprendre les possessions françaises dont la restitution avait été stipulée dans le traité d’Amiens. Ce voyage dure trois années. Malheureusement, parvenus aux Indes, les Français découvrent que les Anglais tiennent fermement Pondichéry, cependant qu’ils ont repris le Cap et l’île Maurice. Privés de ravitaillement, les Français décident de rentrer dans leur pays. Alors que l’escadre, qui n’est plus composée que du navire amiral et de la Belle-Poule, s’apprête à rentrer en France, elle est engagée dans une bataille aux Antilles contre neuf navires anglais, le 13 mars 1806. Bonnefoux est prisonnier des Anglais, comme les autres marins français encore en vie. La Belle-Poule est amarinée pour être ramenée en Angleterre, où elle mouille dans le port de Portmouth. Joseph de Bonnefoux est condamné aux pontons, des bateaux-prisons où les conditions de détention sont épouvantables. Malgré plusieurs tentatives d’évasion, il passe près de vingt mois sur les pontons anglais, en particulier à bord du Bahama où il doit supporter les cruautés du capitaine. Il en est retiré par le chargé d’affaire des États-Unis pour être enfermé à Lichtfield, où il passe trois années de détention. Par l’entremise d’un contrebandier, Joseph de Bonnefoux apprend par son cousin, devenu entre-temps amiral et préfet maritime, que depuis cinq ans, il avait été échangé contre un capitaine de vaisseau anglais et qu’il devait revenir dans son pays. Grâce au contrebandier chargé de le ramener en France, Bonnefoux débarque clandestinement à Boulogne le 28 novembre 1811.
Pendant ses longues années de captivité, Joseph de Bonnefoux avait reçu de l’avancement. Quand, à son retour de captivité, il débarque en France, il apprend qu’il avait été promu au grade de lieutenant de vaisseau, le 11 juillet de la même année. Il reprend du service. Entre 1812 et 1814, il sert à Rochefort auprès de son cousin, où il remplit des missions importantes. En 1814, il est envoyé à Bordeaux, afin de traiter de l’armistice avec le général anglais qui occupait la ville. En 1816, il est attaché comme chef de brigade à la Compagnie des élèves de la Marine. Sur le plan personnel, la vie de Joseph de Bonnefoux se fait discrète par rapport à la toute puissante Marine. En 1817, il avait épousé une jeune fille de dix-neuf ans qui l’avait laissé prématurément veuf, avec un fils de quelques mois. En secondes noces, il épouse Nelly La Blancherie, dont le père avait été officier de marine, elle lui donne une fille.
Il est fait chevalier de Saint-Louis en 1818. Cette reconnaissance honorifique ne l’empêche nullement de poursuivre sa carrière de marin. En 1820, il commande le Bayonnais et l’Adour, puis revient à la Compagnie des élèves. En 1821, il reçoit le commandement de la goélette la Provençale et de la station de la Guyane. À son retour, il reçoit la Légion d’honneur. Peu après, le 4 avril 1824, il est promu capitaine de frégate et nommé sous-gouverneur au collège royal de la Marine d’Angoulême. Il exerce cette fonction jusqu’en 1828, époque à laquelle le collège est transformé en école préparatoire. Il dirige cette école jusqu’à sa suppression, en 1830. En 1835, il reçoit, avec le grade de capitaine de vaisseau, le commandement de l’Orion, sur lequel était installée l’école navale de Brest. Mais l’appel du large se fait plus fort… En 1839, sa demande répétée d’exercer un commandement à la mer est enfin acceptée. L’année suivante, il reprend la mer à bord de l’Érigone. Ce sera son dernier commandement. Il termine sa carrière au conseil des travaux de la Marine, où il fut attaché au Dépôt des cartes et plans. Le directeur du Dépôt, l’amiral de Hel, lui confie la tâche immense de classer les documents de cet établissement. Joseph de Bonnefoux s’en acquitte de manière scrupuleuse jusqu’à sa retraite en 1848. La retraite est pour lui l’occasion de se consacrer à la rédaction de travaux scientifiques, avant que la maladie ne l’emporte sept ans plus tard.
C’est au cours de son voyage à bord de la Belle-Poule que Joseph de Bonnefoux développe des compétences scientifiques et pédagogiques : tandis qu’il effectue des observations hydrographiques, il instruit des aspirants dont il avait la charge. Après la reddition de la Belle Poule le 14 mars 1806, Bonnefoux met à profit son temps de captivité à bord du vaisseau qui l’emmène en Angleterre, pour observer la nouvelle télégraphie anglaise de mer, qui consiste à communiquer par signaux. Il la décrypte et envoie son étude à la Marine française qui l’introduira sept ans plus tard sur ses bâtiments. Les mois passés sur les pontons anglais sont consacrés à l’ébauche d’une grammaire anglaise, qui sera publiée bien des années plus tard.
Après sa réintégration dans la Marine, Joseph de Bonnefoux ne cesse de s’investir dans des missions pédagogiques et scientifiques ainsi que dans des travaux d’écriture. Alors qu’en 1816, il est nommé à Rochefort chef de brigade à la Compagnie des élèves pour l’instruction, il publie sa Grammaire anglaise, copieux manuel de 250 pages. En Guyane, il entreprend de lever les plans de toute la côte, dont on ne possédait jusqu’à présent que des cartes erronées. Cette mission lui prend deux ans, depuis son arrivée en 1821. Son travail est reconnu par le ministère de la Marine qui le publie sous le titre Guide pour la navigation de la Guyane.
Lorsque trois ans plus tard, il devient sous-gouverneur au collège royal de la Marine à Angoulême, Joseph de Bonnefoux possède déjà les dispositions naturelles pour diriger et instruire des jeunes gens destinés à la Marine. En marin pratique et officier instruit, il est soucieux de l’enseignement du matelotage tout autant que celui des mathématiques et des lettres. À cette époque, il publie deux ouvrages importants, dont le titre Séances nautiques montrent bien la portée pédagogique : ils paraissent respectivement en 1824 et 1827 et portent sur les manœuvres du vaisseau. Entre l’école préparatoire d’Angoulême et l’école navale de Brest, Bonnefoux exerce aussi, à deux reprises, les fonctions d’examinateur des capitaines de la marine marchande. Ces fonctions le conduisent sans doute à rédiger un Dictionnaire abrégé de marine, comportant les traductions en anglais et en espagnol, qui paraît en 1834. Pour exercer dans la marine marchande, il était, en effet, indispensable de maîtriser les termes de marine usuels dans les langues les plus parlées à l’époque, à savoir l’anglais et l’espagnol.
Mais c’est à la retraite que l’esprit scientifique de Joseph de Bonnefoux s’épanouit le plus. Il faut dire que sa santé ayant été irrémédiablement altérée par les mauvais traitements subis sur les pontons anglais, l’étude s’avérait être la meilleure occupation qui soit. Juste un an avant de se retirer, il fait paraître une monographie de 32 pages sur la tactique navale, où il traite surtout du problème des retraites dans l’armée de mer. Ce travail préfigure des années de travail dédiées à l’écriture d’œuvres monumentales consacrées à la marine. À l’année de sa retraite officielle, en 1848, il est particulièrement prolifique puisqu’il publie avec son gendre un Dictionnaire de la marine à voiles et à vapeur, en deux volumes. À l’origine, il s’agit de deux ouvrages écrits séparément et portant des titres distincts : l’un, de la main de Joseph de Bonnefoux, est le Dictionnaire de la marine à voiles ; l’autre, rédigé par le capitaine de vaisseau Edmond Pâris, a pour titre Dictionnaire de la marine à vapeur. Si ce dictionnaire est considéré comme l’œuvre majeure de Joseph de Bonnefoux, il ne doit pas occulter un ouvrage magistral publié en 1852. Il s’agit d’un volumineux traité de plus de 580 pages sur les manœuvres en mer. Le défi relevé par Bonnefoux a été de disserter sur les manœuvres à bord des bâtiments à voiles comme à vapeur. En 1854, comme si le temps le rattrapait, il fait à nouveau paraître une monographie sur un sujet aussi pointu que le gouvernail supplémentaire. Au cours de cette période de « retraité actif », il a aussi écrit un article sur Colbert dans les Nouvelles Annales de la Marine et publié une Vie de Christophe Colomb, qui lui vaut du roi de Sardaigne la croix de Saint-Maurice et Saint-Lazare. Malheureusement, la mort l’empêche de poursuivre son Catéchisme de l’homme de mer, qu’il laisse inachevé.
Grammaire anglaise, Rochefort, Jousserant, 1816, 250 p.
Séances nautiques, ou Exposé de diverses manœuvres du vaisseau, Paris, Bachelier, 1824, 370 p.
Nouvelles séances nautiques, ou Traité élémentaires du vaisseau dans le port, Paris, Bachelier, 1827, 367 p.
Dictionnaire abrégé de marine, contenant la traduction des termes les plus usuels en anglais et en espagnol, Paris, J.-A. Dezauche, 1834.
Des Retraites dans l’armée de mer, Paris, Imprimerie Veuve Bouchard-Husard, 1847, 32 p.
Dictionnaire de la marine à voiles et à vapeur, avec Edmond Pâris, Paris, A. Bertrand, 1848.
Manœuvrier complet, ou Traité de manœuvres de mer, soit à bord des bâtiments à voiles, soit à bord des bâtiments à vapeur, Paris, A. Bertrand, 1852.
Gouvernail-Fouque, ou Gouvernail supplémentaire remplaçant au besoin et instantanément le gouvernail véritable ou la garniture, Paris, A. Bertrand, 1854, 36 p.
Vie de Christophe Colomb, Paris, A. Bertrand, s.d., 468 p.
Élisabeth Ridel-Granger
Orientation bibliographique : Albert de CIRCOURT, « La capitaine de Bonnefoux », Nouvelles Annales de la Marine et des Colonies, mars 1856, réimprimé dans le fac-similé du Dictionnaire de la marine à voiles et à vapeur, de Joseph de Bonnefoux et d’Edmond Pâris, Paris, Éditions de la Fontaine du Roi, 1987, p. I-VIII ; Mémoires du Baron de Bonnefoux, capitaine de vaisseau, 1782-1855, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1900, œuvre posthume publiée avec une préface et des notes d’Émile Jobbé-Duval.