Louis-Marie-Joseph Ohier, comte de Grandpré, auteur d’un Répertoire polyglotte de la marine à l’usage des navigateurs et des armateurs publié en 1829, est un aventurier, bien qu’il refusait qu’on lui prête cette qualification. Pourtant sa vie tumultueuse, comme l’a si bien montré Mireille Lobligeois qui a étudié la vie de ce marin singulier, est pleine d’aventures et riches d’expériences professionnelles et personnelles les plus diverses : il fut successivement armateur, commerçant, agent secret, officier de la Marine royale française, inventeur, traducteur et écrivain. M. Lobligeois n’hésite pas à qualifier la personnalité d’Ohier de Grandpré de « pluridimensionnelle ».
Né à Saint-Malo le 7 janvier 1771 dans une famille de marins, Ohier de Grandpré est très jeune confronté aux voyages en mer, puisque dès l’âge de quinze ans il sert à bord du Sévère, navire négrier commandé par son père, et voyage en Afrique et Amérique. C’est à cette époque qu’il fait son apprentissage de marin. En 1782 et 1783, Ohier de Grandpré participe à la campagne du futur vice-amiral Pierre-André de Suffren en Inde, puis se retire du service afin de se livrer au commerce. Il est d’abord armateur à La Rochelle avant de faire du commerce avec l’île Maurice, appelée à cette époque Isle de France. Après la Révolution française, il rejoint, en 1792, les royalistes émigrés à Londres, et participe dans les années 1794-1795 à deux campagnes de Condé. Il essaie de réintégré la Marine en 1796, puis devient espion pour Louis XVIII, alors en exil, qui le fait colonel et comte. Tandis qu’il est à Paris en 1797, Ohier de Grandpré, considéré comme « émigré rentré », est arrêté. Il réussit à s’échapper et rejoint le roi en Allemagne.
Dès l’avènement du Premier Consul Bonaparte, en 1799, Ohier de Grandpré rentre à Paris, mais est arrêté en 1801 avant d’être libéré par Fouchet. Il se consacre alors à écrire le récit de ses voyages et, en 1801, paraissent deux ouvrages sur ses voyages en Afrique et en Inde : Voyage à la côte occidentale d’Afrique fait dans les années 1786 et 1787 et Voyage dans l’Inde et au Bengale fait dans les années 1789 et 1790. En 1803, il publie le Dictionnaire universel de géographie maritime, ou Description exacte de tous les ports, havres, rades, baies, golfes et côtes du monde…, en 3 volumes, puis en 1806, le Voyage dans l’Inde, ou travers au grand désert, par Alep, Antioche et Bassora…, traduit de l’anglais. Cet homme cultivé parle couramment l’anglais et possède des notions d’espagnol, d’allemand, d’italien et de portugais, langues qu’il devait pratiquer dans les différents ports d’Europe. En 1825, paraît un Abrégé élémentaire de géographie physique, puis en 1827, le Manuel théorique et pratique du serrurier, ou Traité complet et simplifié de cet art. Il publie finalement en 1829 le Répertoire polyglotte de la marine, à l’usage des navigateurs et des armateurs… en deux volumes. Il écrit également quelques articles, telle cette note de quatre pages sur le moyen de sonder l’océan pour reconnaître « les vallées sous-marines qui déterminent la direction des courants », publié en 1825 dans le Bulletin de la Société de géographie en 1825. Ohier de Grandpré reste avant tout un marin et dans les ouvrages de voyage, il s’attache à fournir des informations précises sur les conditions de navigations, les vents et les courants. La grande culture d’Ohier de Grandpré lui vaut d’être membre de plusieurs sociétés savantes, telles la Société de géographie et la Société des antiquaires de France. Après avoir cherché à s’établir en Russie, il termine sa carrière comme fonctionnaire des impôts à Rennes à partir de 1827. Marié deux fois, il meurt dans la misère à l’Hôtel des Invalides à Paris, le 7 janvier 1846.
Son Répertoire polyglotte de la marine, à l’usage des navigateurs et des armateurs reflète les préoccupations pratiques de son auteur. Il précise ainsi dans son avant-propos : « Nous avons voulu suivre une marche plus terre-à-terre, nous mettre à la portée de tout le monde, par un prix modéré… ». Il ne cherche pas à être lu par le monde scientifique qui pourrait trouver cet ouvrage trop simpliste, mais plutôt à faciliter le travail des marins en leur apportant des connaissances pratiques pour la navigation et le commerce maritime, fournissant par exemple des méthodes de calcul afin de déterminer la latitude et la longitude. Chaque terme est traduit en cinq langues les plus fréquemment employées dans les ports (anglais, espagnol, allemand, italien, portugais). Le dictionnaire d’Ohier de Grandpré se démarque de ces prédécesseurs, il ne s’agit pas d’un ouvrage à caractère encyclopédique rédigé par des officiers du « grand Corps » ou des ingénieurs, mais par un homme issu de la marine marchande qui s’est attaché à rédiger un dictionnaire multilingue utile pour les marins du commerce et les armateurs. Ce dictionnaire peut être considéré comme un modeste précurseur du dictionnaire d’Heinrich Paasch publié cinquante-six ans plus tard.
Michel Daeffler et Élisabeth Ridel-Granger
Orientation bibliographique : M. LOBLIGEOIS, « Louis Ohier de Grandpré (1761-1846) », dans Circulation des hommes et des idées à l’époque révolutionnaire, Paris, Éditions du CTHS, 2009, p. 113-120 (édition électronique) ; A. ROMAN, Mes ennemis savent que je suis breton… La vie d’Ohier de Grandpré, marin de Saint-Malo (1761-1846), Saint-Malo, Cristel, 2004.