Né le 16 juin 1640 dans l’Ain, à Sainte-Olive, Jacques Ozanam est issu d’une famille aisée possédant plusieurs terres. Il est le cadet d’une fratrie de deux frères et d’une sœur. Son père le destine à la prêtrise, bien qu’il se sente fortement attiré par les mathématiques. À la mort de celui-ci, en 1660, Ozanam abandonne ses études en théologie et commence à donner des cours de mathématiques. Ses dons dans ce domaine sont tels qu’il rédige, à 15 ans, un traité de mathématiques. Alors que son frère ainé hérite de la fortune familiale, Jacques Ozanam cherche une source de revenus et commence à donner des cours payants. En 1670, tandis qu’il enseigne à Lyon, il publie la Table des sinus, tangentes et sécantes, contenant des tables trigonométriques plus précises que celles existantes jusqu’alors.
Un acte de générosité attire l’attention d’Henri d’Aguesseau qui l’invite à Paris. Il connaît alors la prospérité grâce aux leçons qu’il donne essentiellement aux étudiants étrangers. Il se marie le 4 février 1674 et aura quatre enfants. Son mariage le stabilise quelque peu car, à son arrivée à Paris, Ozanam fut pendant un temps tenté par le démon du jeu. Durant son mariage, il mène une vie aisée ; sa réputation d’enseignant et sa reconnaissance comme auteur sont bonnes. Sa femme meurt en 1701. Le déclenchement de la guerre de succession d’Espagne, la même année, provoque le départ des étudiants étrangers vivant à Paris. Jacques Ozanam perd là une source importante de revenus. Il continue cependant à publier ; en 1702, paraît les Nouveaux éléments d’algèbre. L’année 1701 n’est toutefois pas totalement défavorable à Ozanam, car il est admis comme élève à l’Académie Royale des Sciences, puis comme élève géomètre en 1707 et, enfin, comme académicien associé en 1711, après la mort de Jean-Mathieu de Chazelles en 1710. Après une vie bien remplie, Jacques Ozanam décède à Paris le 3 avril 1718.
Jacques Ozanam s’intéressa à toutes les applications des mathématiques, que ce soit pour le tracé des plans et des cartes avec son ouvrage Méthode de lever les plans et les cartes de terre et mer avec toutes sortes d’instrumens... publié en 1693 chez Jombert à Paris, ou pour les fortifications avec ses deux ouvrages : Traité de fortification contenant les méthodes anciennes et modernes pour la construction et la défense des places (1694) et La fortification régulière et irrégulière (1711). Il publie d’autres d’ouvrages sur les mathématiques qui sont généralement bien accueillis. Citons entre autres : le Traité de gnomonique ou de la construction des cadrans paru en 1673 ; La géométrie pratique, contenant la trigonométrie théorique et pratique… en 1684 et surtout ses Récréations mathématiques et physiques qui contiennent plusieurs problèmes d’arithmétique, publiés en 1694 et qui connaissent un grand succès.
L’un de ses ouvrages les plus réputés est son Dictionnaire mathématique ou idée générale des mathématiques publié en 1691. Dans sa préface, Ozanam explique que les mathématiques jouent un rôle de plus en plus important dans de nombreux domaines, que ce soit la justice pour déterminer les droits et les prétentions dans la vie civile, le commerce, les sociétés, ou encore afin de diviser des terrains litigieux ou assigner des héritages. Les mathématiques trouvent également des applications dans le domaine militaire, pour la construction de places fortes, dans celui de la navigation et de la construction navale. Ozanam n’a pas organisé son dictionnaire selon un ordre alphabétique, mais plutôt selon un ordre thématique. Celui-ci se compose de 32 parties, dont la « Navigation » qui fait suite à la « Géographie ». Cette partie se décompose elle-même en plusieurs sous-parties : « navigation », « liste de plusieurs termes de marine », « termes de vent », « termes appartenant aux vaisseaux », « termes de galères », « termes de corde », « termes d’ancre », « termes de mât », « termes de pavillon », « termes de voile », « officiers ». Les différentes entrées ne sont pas classées par ordre alphabétique. Dans l’ensemble, les définitions sont claires et exactes, ce qui suppose que Jacques Ozanam a disposé de bonnes sources et de bons informateurs, peut-être des officiers de marine qu’il a pu rencontrer dans la capitale. On remarque cependant quelques erreurs comme dans la notice consacrée au mot étrave où il précise : « ... Quelque fois l’Etrave est de deux pièces, & alors la plus haute s’apelle Brion ou Briou ». En réalité, le terme « brion » s’emploie pour désigner la pièce la plus basse de l’étrave qui s’assemble avec la quille. Bien qu’aucune des définitions ne soient directement copiées des premiers ouvrages consacrés à la marine tels l’Hydrographie universelle du père Georges Fournier ou du Dictionnaire des termes propres de marine de Desroche, Ozanam a pu s’en inspirer pour rédiger ses propres définitions. On peut remarquer la même erreur dans la définition de l’étrave où le père Georges Fournier et Nicolas Ozanam place le brion à l’extrémité supérieure de l’étrave. Il semble qu’Ozanam se soit également inspiré de l’Architecture navale du Sieur Dassié, publié en 1677, dont il a même recopié certaines définitions telles que contre-carène, bandins ou bitons.
Terme | Ozanam, Dictionnaire mathématique | Dassié, Architecture navale |
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Contre-carène | est une pièce de bois opposée au dessus à la carène | est une pièce de bois opposée au dessus à la carenne |
Bandins | Les bandins sont les lieux où l’on s’appuye étant debout dans la poupe. Ils sortent en dehors d’environ une toise, pour soûtenir les grandes consoles qui sont ordinairement formées en Hercules, en Amazones, en Turcs, etc, en façon de Banc fermé, par dehors, de petits Balustres qu’on apelle Jalousie de Mezze Poupe. | Bandins, sont les lieux où l’on s’appuye estant debout dans la Poupe, qui sortent outre la longueur du corps, d’environ une toise, pour soutenir avec les grandes consoles (qui sont ordinairement formées en Hercules, Amazones, Turcs ou autres figures) en espece de banc, fermé par dehors de petits balustres, qu’ils nomment jalousie de Mezze poupe, & d’une piece figurée à jour, qu’ils nomment Couronnement. |
Biton | est une piece de bois ronde et haute, de deux pieds & demy, par où l’on attache la Galere en terre. | est une piece de bois ronde & haute de 2 pieds & demi, par ou la Galere s’attache en terre. |
Une autre source d’inspiration est la grande ordonnance de la Marine de 1689 (Ordonnance de Louis XIV pour les armées navales et arsenaux de marine, Paris, Estienne Michallet, 1689), dans laquelle Jacques Ozanam a puisé pour rédiger sa partie sur les différents rangs de vaisseaux de la flotte française (p. 268-269 de son dictionnaire). Il s’est clairement inspiré du « livre treizième » et « titre II », Ozanam déclarant lui-même à la page 268 : « … selon l’ordonnance de Sa Majesté, donnée au mois d’Avril 1689 qui ordonne par différens Articles les proportions suivantes aux autres vaisseaux de differens rangs… ». Malgré ces quelques emprunts, les définitions fournies par Ozanam sont originales.
Mathématicien autodidacte, Jacques Ozanam fut avant tout un vulgarisateur des mathématiques. Il diffusa dans ces ouvrages des applications pratiques de cette science que ce soit pour le partage de domaine foncier ou le calcul d’héritages. Il s’intéresse également au domaine militaire pour le tracé de cartes ou la construction de forteresses. Concernant la marine, bien que des tentatives d’application des mathématiques à la construction navale soient effectuées à la fin du XVIIe siècle, Jacques Ozanam n’en fait pas état dans son Dictionnaire mathématique. Dans le chapitre dédié à la navigation, il se contente de rédiger un glossaire de termes consacrés à la navigation, aux manœuvres, à la construction navale et au commerce maritime. Le dictionnaire de Jacques Ozanam contribue néanmoins à enrichir notre connaissance du langage maritime du XVIIe siècle. Par son apport des termes de marine du Levant, il complète heureusement le Dictionnaire des termes propres de Marine de Nicolas Desroches.
L’intrusion de termes de marine dans un dictionnaire de mathématiques invite à se pencher sur l’usage des mathématiques dans la construction navale. Les premières tentatives remontent au XVIe siècle en Angleterre, sous le règne d’Elizabeth 1re. Le mathématicien Thomas Harriot et le constructeur Matthew Baker mettent au point une nouvelle méthode de conception des formes de carène fondée sur l’usage de formules mathématiques et de la géométrie. En France, les premières applications des mathématiques à la construction navale n’apparaissent qu’un siècle plus tard.
Vers 1679, Bernard Renau d’Eliçagaray, officier de la Royale, rédige un opuscule intitulé Mémoire sur les constructions des vaisseaux, dans lequel il propose une méthode mathématique pour tracer la carène d’un vaisseau. Il suggère d’utiliser un appareil appelé ellipsographe permettant de tracer les formes de carène au moyen d’ellipses. En pratique, cet appareil s’avère inutilisable sur un chantier car il serait de trop grande dimension et impossible à manipuler. Il ne peut donc être employé qu’à échelle réduite, sur le papier, pour le tracé de plans. En 1680, Renau Eliçagaray est envoyé dans les arsenaux royaux afin d’y enseigner sa méthode mathématique, tandis qu’un modèle de navire est même réalisé pour tester cette théorie. À la mort de Colbert, cette tentative de rationaliser la construction navale est abandonnée car trop compliquée pour des charpentiers dont certains sont illettrés.
Renau d’Eliçagaray n’est pas le seul à avoir cherché à appliquer les mathématiques à la construction navale. Le mathématicien Christiaan Huygens développe, en 1691, une théorie sur la vitesse des vaisseaux et le réglage de la voilure. Le père Paul Hoste de la Compagnie de Jésus poursuit également des recherches dans ce domaine, en collaborant avec le maréchal de Tourville, dont il est le chapelain, à un ouvrage de tactique navale. Cet ouvrage est publié en 1697 accompagné d’un fascicule intitulé Théorie de la construction des vaisseaux, où le père Hoste développe son approche mathématique dans la conception des formes de carène. L’ouvrage s’avèrant davantage un traité de mathématiques qu’un traité de construction navale, celui-ci reste hors de portée des constructeurs de navire. Toutefois, Paul Hoste peut faire figure de précurseur, même s’il ne maîtrise pas toutes les connaissances mathématiques de son époque. L’impulsion est cependant donnée : le XVIIIe siècle voit des avancées décisives effectuées par des hommes tel que le mathématicien Pierre Bouguer.
Michel Daeffler
Avec la collaboration d'Élisabeth Ridel-Granger
Orientation bibliographique : Michel DAEFFLER, Formes de carènes et navires de combat. L’invention du vaisseau de ligne en Angleterre (1560-1642), Caen, Centre de Recherche d'Histoire Quantitative (Histoire maritime, n° 1), 2004, 574 p. ; Michel DAEFFLER, « L’évolution des méthodes de conception des vaisseaux français durant le règne de Louis XIV », dans Des galères méditerranéennes aux rivages normands. Recueil d’études en hommage à André Zysberg, Caen, Annales de Normandie (Cahier des Annales de Normandie, n° 36), 2011, p. 209-222 ; Larrie D. FERREIRO, Ships and Science. The Birth of Naval Architecture in the Scientific Revolution 1600-1800, Cambridge (Mass.), The MIT Press Cambridge, 2010.
Références complémentaires sur Bernard Renau d’Eliçagaray : Jean-Jacques BRIOIST et Hélène VÉRIN, « Pour une histoire de la méthode de Renau d’Élissagaray », Documents pour l’histoire des techniques, n° 16, 2e semestre 2008, p. 112-142. Jean-Jacques BRIOIST, « L’ingénierie cartésienne de Renau d’Élissagaray », ibid., p. 169-186 ; Hélène VÉRIN, « La mise en œuvre de la méthode de Renau d’Élissagaray », ibid., p. 187-197.