Né le 8 décembre 1745 à Riom, Nicolas-Charles Romme est le fils d’un procureur au présidial de la sénéchaussée d’Auvergne. Il est décrit par sa nièce comme étant « grand, bien fait, de physionomie spirituelle, de jolies manières et le ton de la bonne compagnie... ». Il épouse, contre l’avis de sa mère, une protestante, fille d’un armateur rochelais et riche veuve d’un capitaine de vaisseaux. Contrairement à son frère Gilbert, grand mathématicien et conventionnel montagnard qui est guillotiné en juin 1795, Nicolas-Charles Romme ne prend pas part à la Révolution. Jusqu’à sa mort, il continue à donner des cours et poursuit ses recherches. Il devient membre de l’Institut en 1795 et décède à Rochefort le 13 mars 1805, après avoir été fait chevalier de la Légion d’honneur.
Nicolas-Charles Romme fait ses études à Paris et s’oriente vers les sciences et plus particulièrement l’astronomie, avec Jérôme de Lalande comme professeur. Il est remarqué par le mathématicien étienne Bézout qui devient son protecteur. De 1764 à 1767, Romme est envoyé en Guyane en qualité de géographe et lieutenant des troupes nationales de la colonie. En 1768, le poste de professeur de mathématiques des élèves officiers de la Marine de Rochefort, appelés Gardes de la Marine, est vacant. Bézout recommande alors son protégé au Secrétaire d’État à la Marine, Choiseul-Praslin. à la suite de cette démarche, Romme obtient le poste par brevet du 1er février 1769, lui assurant une situation stable et la possibilité d’associer son enseignement avec ses recherches scientifiques et ses publications.
En 1771, il imagine une méthode pour calculer la longitude en mer, problème complexe qui ne sera finalement résolu que par les montres marines de John Harrison en Angleterre et Ferdinand Berthoud en France. Ces travaux lui valent d’être nommé correspondant de l’Académie des Sciences en 1778. En 1776, il s’attèle à un autre problème : la détermination de la résistance hydrodynamique d’une carène de navire. Pour ce faire, il effectue à Rochefort plusieurs expériences consistant à remorquer différents modèles. Romme présente le résultat de ses expériences, en 1783, à l’Académie des Sciences, ses conclusions rejoignant celles du grand architecte naval suédois Henrik Af Chapman. Les recherches de Romme portent parfois sur des sujets très éloignés de la marine. Il participe notamment à un concours de l’Académie des Sciences portant sur le perfectionnement de la fabrication du soufre. Ses travaux lui valent une mention de l’Académie et ses travaux sont publiés. En 1789, un nouveau projet est proposé par l’Académie : expliquer les expériences faites sur la résistance des fluides. Romme obtient cette fois le prix de l’Académie avec M. de Gerlach, professeur de philosophie de l’Académie des ingénieurs de Vienne.
Les publications de Nicolas-Charles Romme reflètent ses intérêts pour les sujets maritimes et sont le fruit des différentes recherches qu’il mena dans ce domaine tout au long de sa vie. Tout d’abord, suite à ses recherches sur la détermination de la longitude en 1771, il publie un petit fascicule de 22 pages intitulé Mémoire où l’on propose une nouvelle méthode pour déterminer les longitudes en mer. Quelques années plus tard, il fait paraître deux ouvrages importants. Le premier, Description de l’art de la mâture, voit le jour en 1778. À part quelques traités manuscrits, il n’existait pas d’ouvrage imprimé sur ce sujet. Ce livre est donc un complément indispensable à l’ouvrage de Duhamel du Monceau Élémens de l’architecture navale, dont la deuxième édition paraît en 1758. En 1781, Romme donne une suite à sa Description de l’art de la mâture avec L’art de la voilure, qui aurait été commandé par l’Académie des Sciences. Encore une fois, il fait figure de précurseur, car le sujet n’a été abordé que par quelques manuscrits. En 1787, il publie un second ouvrage important : L’art de la marine, ou Principes et préceptes généraux de l’art de construire, d’armer, de manœuvrer et de conduire des vaisseaux. Cet ouvrage qui associe la théorie et la pratique se veut être un traité complet. Romme y présente en particulier ses expériences sur « l’action de l’eau sur les corps flottants », mais la majeure partie de ce livre est consacrée à l’architecture navale, le tracé des plans, au chargement et à l’arrimage ainsi qu’à la mâture, la voilure et au gréement. Un dernier chapitre est consacré à la manœuvre des vaisseaux.
C’est en 1792 qu’il publie un Dictionnaire de la marine françoise. Dans sa préface, Romme considère que le milieu maritime a développé un vocabulaire particulier que ce soit pour la construction des vaisseaux, sa mâture et son gréement, que pour la navigation. Il considère, en effet, que « les habitans des mers, qui vivent séparés du reste de l’univers pendant de longs voyages, qui toujours ne sont entourés que d’objets, ou occupés de travaux, différens de ceux qui appellent leur attention au centre de leur pays, ont dû par conséquent composer, pour la communication mutuelle de leurs idées et pour s’entendre réciproquement dans leurs manœuvres et leurs opérations, un langage étranger à celui de la Mère-Patrie ». Romme avait donc parfaitement conscience que les marins usaient de mots bien à eux et qu’ensemble, ils formaient une langue de spécialité. À la dimension évidemment technique de la langue des marins, Romme y ajoute la dimension sociale : la langue des marins est un technolecte partagé par une communauté bien définie, qui a ses propres usages et sa propre culture. Professeur à Rochefort, Nicolas-Charles Romme destine tout naturellement son œuvre à « satisfaire en même temps et la curiosité générale et l’intérêt particulier des élèves de la marine ». Il semble que ce dictionnaire ait d’abord été le fruit d’un projet personnel. Romme était bien placé à Rochefort pour recueillir les termes de marine auprès des professionnels de la mer : charpentiers, gréeurs et voiliers, mais aussi matelots, manœuvriers et tacticiens. Le ministre de la Marine, intéressé par ce projet, aurait lancé une enquête auprès des différents ports afin de compléter la nomenclature des termes établie par Romme. Le Dictionnaire de la marine françoise propose quelques traductions, très succinctes, en anglais. Romme paraie ce choix linguistique de la manière suivante : « Les voyages du célèbre Cook et de tant d’autres navigateurs qui ont attiré l’attention générale de l’Europe entière, auroient été lus avec encore plus d’intérêt si la connoissance des termes de marine eût été plus familière et aux traducteurs et aux lecteurs de toutes les classes18. » Il est vrai que le XVIIIe siècle est profondément marqué par des voyages d’exploration et de découverte, qui ont rendu célèbres des grands navigateurs et ont favorisé la production de récits maritimes (relations de voyage, mémoires). Pour paraier son projet de traduction, Romme évoque aussi une autre raison et insiste sur le contexte international de son époque : « Ensuite considérant combien sont multipliés les rapports commerciaux et politiques qui nous lient avec la Nation angloise, j’ai pensé qu’il seroit utile et intéressant de placer auprès des termes de la Marine françoise, les termes correspondants de la Marine angloise… » Cette prise en compte du contexte international est nouvelle dans la lexicographie maritime et ne cessera d’être au cœur des préoccupations des concepteurs des dictionnaires du XIXe siècle.
Loin de s’arrêter sur ce remarquable dictionnaire, Nicolas-Charles Romme publie en 1799 un ouvrage théorique intitulé La Science de l’homme de mer, ou Principes d’arithmétique, de géométrie, d’astronomie & de méchanique, dont l'application est nécessaire & utile à l'art de la marine. Cet ouvrage constitue un véritable cours de mathématique, de géométrie et de physique appliqués à la navigation et aux manœuvres des navires. Prolifique jusqu’à la fin de sa vie, Romme se consacre à l’écriture de trois nouvelles œuvres. Le première, intitulée Avis aux marins sur les mesures nouvelles adoptées par la République française, et sur leurs rapports avec les anciennes mesures, résulte de l’adoption du système métrique par la Convention le 7 avril 1795. La deuxième, publiée en 1803, sur l’ordre du ministre de la Marine, le contre-amiral Decrés, est en fait la traduction d’un ouvrage anglais : Description nautique des côtes méridionales d’Angleterre. Il est probable que la publication de cet ouvrage soit en relation avec la déclaration de guerre avec l’Angleterre en 1803 et le projet de débarquement à partir de Boulogne. Enfin la troisième œuvre, qui paraît en 1804, est un Dictionnaire de la marine anglaise et traduction des termes de la marine anglaise en français. Cet ouvrage se compose de deux parties : la première est une simple liste de termes de marine français suivis de leur traduction en anglais ; la seconde rassemble diverses notes sur « la marine anglaise sur ses règlements civils et militaires, et sur des procédés particuliers qui sont suivis dans les arts de la construction, de la mâture, de la voilure, et du gréement des vaisseaux ». Son tout dernier ouvrage est posthume, publié un an après sa mort. Il s’agit d’un livre consacré à l’hydrographie, qui compile les observations faites sur toutes les mers du monde des vents et courants, leurs forces et leurs directions. Cet ouvrage paraît en 1806 sous le titre Tableaux des vents, des marées et des courans qui ont été observés sur toutes les mers du globe.
Doté d’une grande capacité de travail et d’une vive intelligence, Nicolas-Charles Romme fut un professeur apprécié de ses élèves. Pour la préparation de ses ouvrages, il n’hésitait pas à consulter des hommes de l’art comme des simples matelots, des officiers de marine ou des maîtres de port. Pour la rédaction de son ouvrage sur la voilure, il consulta en particulier maître Target, maître voilier entretenu du port de Rochefort, afin de recueillir des informations de première main. Il était d’un esprit vif et gai, aimant la musique, qu’il pratiquait en amateur. Il nous laisse en héritage plusieurs ouvrages maritimes importants, sources essentielles pour notre connaissance de la marine du XVIIIe siècle.
Michel Daeffler et Élisabeth Ridel-Granger
Orientation bibliographique : R. Bouscayrol, « Origines familiales et sociales de Romme et de Soubrany », dans Gilbert Romme (1750-1795) et son temps (Actes du colloque tenu à Riom et Clermont, 10-11 juin 1965), Paris, PUF, 1966, p. 23-42 ; L.-D. FERREIRO, Ships and Science. The Birth of Naval Architecture in the Scientific Revolution (1600-1800), Cambridge (Massachusetts), Massachusetts Institute of Technology Press, 2010, 441 p. ; S. Llinares, « Le vaisseau de guerre : Nicolas-Charles Romme, L’art de la marine, Paris, 1787 », dans L’Europe des sciences et des techniques. Un dialogue des savoirs, XVe-XVIIIe siècle, L. Hilaire-Pérez, F. Simon et M. Thébaud-Soger (dir.), Rennes, PUR, 2016, p. 425-433 ; S. Llinares, Marine, propulsion et technique : l’évolution du système technologique du navire de guerre français au XVIIIe siècle, Paris, Librairie de l’Inde, 1994, 2 vol., 492 p.