Recherches à venir
Chasse et populations de loups
La dangerosité du loup sur les populations humaines
Les prélèvements opérés sur
les animaux domestiques et sur le gibier
Les séquences d'épidémies de rage
L'effort de destruction des loups par l'homme
Dans cette enquête sur la longue durée, le loup fournit un marqueur des confrontations entre homme et animal, mais aussi un révélateur original des types de gestion de l'espace. La méthodologie appliquée confronte deux approches : d'une part l'approche quantitative, qui passe par l'établissement de séries de données, dûment critiquées, et le traitement sériel des informations ; d'autre part l'approche qualitative, sensible à la spécificité des témoignages et à la valeur des représentations. Quelle que soit l'approche utilisée, la contextualisation spatiale à différentes échelles constitue un critère commun de validation. En mobilisant le corpus des victimes de loups rassemblé ici et en l'élargissant à d'autres séries de données, l'enquête pourra se diriger dans cinq perspectives d'avancement :
Chasse et populations de loups
Hormis quelques éclairages sur l'extrême fin du XVIIIe siècle, nous restons dans l'ignorance sur la densité et la fluctuation des effectifs des loups jusqu'à la régression de l'espèce au cours du XIXe siècle. Cette lacune handicape la réflexion sur l'impact de l'animal sur l'environnement ainsi que sur la « nuisance » qu'il occasionne sur les sociétés anciennes. Or, pour la période de l'Ancien Régime (XVIe- XVIIIe siècles) - voire la fin du Moyen Âge, dans certaines régions de France - il est possible d'apprécier l'effort de chasse au loup, les sources étant parfois aussi abondantes qu'au XIXe siècle. La précision des informations tirées des primes allouées pour la destruction des prédateurs permettra de sortir des simples impressions et d'évaluer l'impact des actions humaines sur le devenir de l'espèce (chasse et activités agro-pastorales), mais aussi de rendre compte de la perception ou de la représentation du risque que le loup faisait planer sur les troupeaux. En localisant les captures de louveteaux, on pourra esquisser une cartographie de la présence des meutes qui, avec l'analyse des effectifs de louves abattues sur plusieurs années consécutives, offrira un support à des hypothèses d'estimation des populations de loups lors de séquences historiques privilégiées par la documentation. On sera conduit à élaborer plusieurs bases de données indispensables pour des analyses à la fois cartographiques et quantifiées.
La dangerosité du loup sur les populations humaines
L'analyse impose ici d'identifier et d'évaluer l'évolution dans le temps et les variations dans l'espace des attaques constatées. À la source de ce travail, une analyse des décès attribués aux loups « carnassiers » et aux autres « bêtes féroces » dans tous les départements français depuis les premières indications localisables, à la fin du Moyen Âge. L'identification de prédateurs sains qui ont été effectivement nécrophages et surtout anthropophages suppose un examen approfondi et comparatif. Le filon documentaire, très dispersé, devient véritablement abondant à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Cette approche permet d'apprécier la nature et l'étendue des espaces conflictuels mais aussi de mesurer l'importance du risque selon les modes d'occupation et de gestion du territoire et d'en saisir les variations selon les situations chronologiques et les contextes socio-politiques. Les liens avec la mobilité des populations, les situations de malnutrition et les déplacements des armées demandent à être précisés. Une cartographie multiscalaire et une chronologie fine des foyers d'agression fourniront un dossier de référence du XVe au XXe siècle. Les comparaisons interrégionales franchiront les frontières nationales pour tenir compte des recherches existantes dans d'autres espaces européens.
Les prélèvements opérés sur les animaux domestiques et sur le gibier
Cette approche est nécessaire pour apprécier l'impact des prédations lupines sur l'agriculture en général, selon les systèmes agro-pastoraux (extensif ou intensifs) et les modes d'organisation de la garde du bétail (individuelle ou collective). En dehors de la menace sur l'homme, sporadique mais récurrente, les risques encourus par le bétail présentent une réalité plus générale, qui a perduré plus longtemps. Sur cet angle particulier, un examen est nécessaire. C'est très largement cette nuisance sur le bétail qui a justifié la lutte contre les loups. Il importe donc de la mesurer.
À partir des justifications de demandes de battues et des motivations des règlements sur la chasse au loup, une chronologie de la pression lupine sur l'agriculture est possible. À grande échelle, l'examen des dossiers de plaintes (dont les cahiers de doléances fournissent un exemple privilégié pour la fin du XVIIIe siècle) et des demandes d'indemnisation permet d'approfondir l'examen. La démarche conduit à identifier des seuils de tolérance dans la concurrence alimentaire (ou récréative) entre les chasseurs et les loups.
Les séquences d'épidémies de rage
La transmission par les carnivores sauvages d'une maladie mortelle sans traitement jusqu'en 1885 explique pour une part le danger que le loup a longtemps représenté pour l'homme. Le loup a longtemps constitué un vecteur dangereux de la rage : jusqu'en 1887 notre corpus fournit des données sur ce type particulier d'agressions, très visible dans la documentation. Les attaques mettent en cause hommes, animaux sauvages et domestiques. À la différence des attaques d'animaux sains, les agressions de loups enragés se sont étendues beaucoup plus largement dans le temps et dans l'espace. À l'échelle de la planète, ce risque a été reconnu par les biologistes. Les parcours des loups enragés méritent d'être observés : leur étude à petite comme à grande échelles intéresse au plus haut point l'histoire de la médecine. Contrairement à la rage d'espèces-réservoir comme le chien, le renard ou la chauve-souris, celle du loup n'a pas fait l'objet d'études approfondies. Notre enquête est une occasion unique de contribuer aussi au progrès de l'histoire de la médecine humaine et vétérinaire. L'approche choisie, à la fois clinique (relecture des descriptions anciennes de la rage) et quantitative permettra de circonscrire les modes de diffusion de la maladie et ses conséquences locales. Elle précisera l'évolution chronologique et spatiale des séquences rabiques et des années épizootiques. Un corpus de données peut être établi pour mesurer les durées d'incubation de la maladie chez l'homme en fonction des blessures infligées. Cette perspective d'enquête invite à mettre en relation la récurrence de cette maladie incurable jusqu'à Pasteur avec les séquences climatiques et les conditions agro-environnementales. Elle convie à associer des épidémiologistes et des vétérinaires, pour porter un diagnostic rétrospectif.
L'effort de destruction des loups par l'homme
Depuis l'Antiquité et sans doute auparavant, l'homme a cherché à contenir la menace que le loup représentait pour ses activités et accessoirement, pour sa sécurité. Des siècles durant, l'effort de destruction s'est maintenu. Il correspond à la politique officielle de battues et d'empoisonnements, établie au départ de manière circonstancielle avant d'être organisée par les pouvoirs publics, dans un cadre régional puis, à compter de la fin du XVIIIe siècle, à l'échelle nationale. Il rassemble aussi les gratifications accordées postérieurement aux destructeurs. L'ensemble a donné lieu à un enregistrement par les administrations dans la mesure où, jusqu'au XXe siècle, la « limitation » puis l' « éradication » des loups constituaient une mesure de salut public. Toutes ces données réunies éclairent indirectement la dynamique et les comportements des populations lupines à partir des variations saisonnières des prises par catégorie (mâles et femelles, louveteaux) et les lieux. Elles traduisent également la perception officielle de l'animal et l'ordre des priorités effectives, fixé par l'administration. Dans quels contextes s'effectue l'organisation des chasses, collectives ou individuelles, spécialisées ou non ? Quels sont les seuils de tolérance à l'égard de la population lupine selon les groupes sociaux, et la sélection des dangers prioritaires ? Les battues aux loups, scrutées du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle, renseignent sur la nature du risque et sa perception (et sur le seuil de réactivité propre aux sociétés). On suivra sur le long terme les politiques vis-à-vis des prédateurs et les techniques juridiques utilisées (contrats, règlements de police, réparation des dommages) : les mesures d'accompagnement - primes, indemnités et autres ressources versées par l'État aux populations - signalent ce qui est représenté longtemps comme un risque public. Au total, cette enquête conduite à l'échelle internationale et menée en partenariat avec des chercheurs européens permettra de construire des indices historiques des prédations sur le bétail ou sur l'homme, de les cartographier et les interpréter, avec deux types de préoccupations : l'évolution des réponses apportées par les sociétés à la présence du loup ; une contribution scientifique pour une réflexion préalable à une redéfinition progressive de la gestion du loup dans l'espace européen.