HOMME ET LOUP

2000 ans d'histoire

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Les sources administratives

 

Les sources comptables ou statistiques
La correspondance des intendants
Les documents fiscaux et primes administratives
Notes et références

Les sources comptables ou statistiques

Une autre catégorie de sources résulte de l'activité même de l'administration publique chargée de veiller à la sécurité des populations et d'indemniser éventuellement les victimes. Depuis le Moyen Âge, ces sources comptables corroborent les témoignages des sources narratives. Pour l'année 1378, dans un compte des « escroes » de l'hôtel du duc de Bourgogne, on découvre « un pauvre homme qui avait le bras mangé des loups ». La même année, dans la « cherche des feux » de Dijon, en regard du nom de Jacotte de Fouvant, habitante de la ville dont on ne retrouve plus la trace, est écrit : « on ne sait ce qu'elle est advenue et on dit que les loups l'ont mangée »1. Au début du règne de Louis XI, les officiers de la chambre des Comptes attirent l'attention sur les ravages de loups aux environs de Melun : dans les années 1460, en six mois, loups et louves auraient étranglé et mangé dix-neuf personnes et blessé davantage encore. Les officiers des Comptes alertent alors le roi en raison de plaintes analogues venues d'ailleurs2.

 

La correspondance des intendants

L'institution des intendants de province au cours du xviie siècle traduit un effort d'information et de contrôle sans précédent. Elle suscite une correspondance administrative croissante avec la hiérarchie supérieure - le chancelier puis le contrôleur général des finances et les autres ministres du roi- et les agents subalternes - subdélégués, officiers divers, curés de paroisse, etc. Les menaces graves à la sécurité publique donnaient lieu à des enquêtes. Les attaques en série attribuées à des animaux anthropophages fournissent matière à une documentation qui gagne en précision à partir du règne personnel de Louis XIV. La correspondance des intendants, dont seule une partie est publiée, assure une vision intermédiaire entre celle, subjective, des témoins locaux qui fournissent les sources narratives dont on a mesuré l'intérêt, et la documentation plus générale comme les ordonnances royales ou les traités de chasse. Avec ces archives administratives, on peut mesurer parfois le décalage entre les événements et les réactions qu'ils suscitent. La documentation administrative comprend les enquêtes à l'échelle locale ou régionale, qui se développent à partir du règne de Louis XIV. La correspondance ou les rapports des intendants, comme celui de la généralité d'Orléans en 1691, livrent parfois une comptabilité des victimes.

La ressource est précieuse car elle révèle l'importance des simples blessés, une donnée qui échappe souvent à l'historien. Une génération plus tard, en 1765, c'est l'abondante correspondance entretenue par l'administration, et notamment celle du subdélégué Laffont, qui documente l'affaire de la Bête du Gévaudan. D'une province à l'autre, ces écrits permettent de localiser des vagues d'agression. Ils se poursuivent après la Révolution. Les dernières attaques en série que l'on constate en France, aussi bien en Nivernais qu'au sud du Gévaudan dans la seconde décennie du XIXe siècle, trouvent un vif éclairage dans la correspondance échangée entre les maires, les préfets et les sous-préfets concernés.


Noms de ceux qui ont été attaqués par la « bête » dans forêt d'Orléans en 1691

Source : Arch. Nat. G7 418/2

 

Paroisses

Fleury

Sébastien Martin âgé de 12 ans, blessé le 28 août 1691
Charles André âgé de 17 ans, blessé le 1er septembre 1691
Le fils de Louis Moizard âgé de 11 ans, mort l'année dernière
Le fils de Simon Le Roy âgé de 10 ans, mort l'année dernière
La servante de Pierre Merci, de 15 ans, blessée l'année dernière

 

Semoy

Le fils de Claude Texier de 10 ans, dévoré le 30 mai 1691
La fille de Barthélemy Colin de 14 ans, dévorée le 23 juin
Claude Martin âgé de 8 ans, dévoré
Jeanne Moisart de 11 ans, blessée le 29 août
Marguerite Dreux de 4 ans, blessée
Un valet de Nicolas Macias de 20 ans, blessé
Henry Tessonier de 18 ans, blessé
Claudine Bouchet de 7 ans, blessée, et depuis guérie.

 

Saran

Le fils de Robert Dumuid de 11 ans, dévoré l'an passé
La fille de Martin Breton de 13 ans, dévorée l'an passé
La fille de Marcou Roger de 14 ans, dévorée l'an passé
La fille de Mathurin Marché de 16 ans, dévorée l'an passé
Le fils de Louis Grison de 10 ans, dévoré l'an passé
Le fils de Guillaume Valin de 10 ans, dévoré le 3 de ce mois [de septembre 1691]
La fille d'Ambroise Vaillant de 22 ans, blessée
Le fils de Guillaume Butrot de 11 ans, blessé, et quelques autres.

 

Saint Jean-de-Braye

Marie Maréchal, blessée le 27 juin et morte le 14 juillet dernier [1691]

 

Saint-Lyé

Suzanne Blutet, de 18 ans, blessée le 1er juillet et morte le 29 août 1691

 

Chanteau

Antoine Louis, de 13 ans, blessé le 22 août 1691

 

Saint-Marc, dans la franchise d'Orléans

Le fils de Louis Moisard, de 10 ans, dévoré l'an passé
Le fils de Jean Landré, de 6 ans, dévoré à la Pentecôte 1691 [soit le 3 juin 1691]

Il y en a encore dans les paroisses de Cercottes, Saint-Lyé, Marigny, Rebrechien, Loury et autres de la forêt dont on n'a pu avoir les noms, mais on peut compter que depuis quinze mois et plus il y a eu au moins soixante enfants de tous âges et sexes dévorés et blessés par les loups. Les officiers des chasses estiment qu'il y en a une vingtaine dans la forêt n'étant pas possible qu'une ou deux bêtes eussent fait tant de ravages. »

Les documents fiscaux et primes administratives

Parmi les sources administratives, les documents fiscaux prennent acte d'attaques de loups quand le bétail des contribuables, voire ces derniers eux-mêmes, ont été mordus mortellement. Des enquêtes menées sur place donnent lieu à des dégrèvements d'impôts.

Les primes de destruction faisaient également l'objet d'une comptabilité minutieuse. Ces primes constituent une source ancienne puisqu'elle remonte au Moyen Âge et perdure jusqu'au xixe siècle. Elles procurent de bons indicateurs sur la relation homme-loup puisque ce sont des mesures modulables selon les régions et le moment, mais aussi selon le danger. En période de risque avéré pour l'homme, la prime pouvait être majorée. Toutefois, cette régulation de l'agresseur n'est motivée qu'occasionnellement par ses attaques sur l'homme. Elle intervient surtout pour limiter son impact sur le bétail. La dangerosité du loup qui transparaît à travers les primes doit donc s'entendre plus largement. L'information qui en résulte est aussi plus abondante puisque les gratifications viennent récompenser chaque année des milliers d'animaux détruits. Ces primes assurent ainsi une cartographie indicative de la répartition du loup, régionale puis nationale après 1789. À cet égard, l'uniformisation et la centralisation jacobines rendent un grand service au chercheur. C'est grâce aux statistiques départementales réalisées de l'an V (1796-1797) à l'an IX (1800-1801) qu'on a pu établir les premières cartes nationales de répartition du loup sur le territoire.

Doublement des primes en Bourgogne en raison d'attaques de loups sur les personnes (25 juillet 1745)

Sur les différentes plaintes qui ont été nouvellement faites que depuis quelque temps il s'était répandu dans la province de Bourgogne une quantité de loups ou louves qui attaquaient les passants et les habitants de la campagne, y ayant eu plusieurs personnes de tuées ou blessées, Les élus généraux des États de Bourgogne, comté et pays adjacents, ont délibéré et ordonné que pour encourager les habitants de la province à détruire ces animaux dangereux, il sera payé à compter du premier du mois d'aout prochain jusques et compris le dernier octobre la somme de 10 livres pour chaque tête de loup ou louve qui seront tués dans la province de Bourgogne, au lieu de 5 livres qu'on avait coutume de payer...


Notes et références

1 Étienne Picard, « La vénerie et la fauconnerie des ducs de Bourgogne », Mémoires de la société éduenne, t. ix, 1880, p. 367 ; Jean Richard, « Les loups et la communauté villageoise. Quelques documents », Annales de Bourgogne, t. xxi, 1949, p. 285 ; Arch. dép. Côte-d'Or, B 11574-2, f° 6v° d'après Corinne Beck.
2 Bibliothèque de l'École des chartes, 1885, p. 295, n° 1210.