Séance du 6 avril 1788

Séance du dimanche 6 avril. N° 2 rue de Grammont mr Brack, président pour l’absence de M. Clavière.

M. de Warville a lu la lettre suivante adressée au Comité par M. Clavière.

Messieurs Ne pouvant avoir l’honneur d’assister demain au Comité, permettez moi de vous tracer mon opinion sur la fin de votre travail et sur l’assemblée de mardi.
Jusqu’à ce qu’il y ait assez de membres pour composer une assemblée générale qui mérite ce nom, il me semble que nous devons traiter toute notre affaire comme nous pourrons. L’amitié et la bienfaisance en ont été jusqu’icy les uniques liens, et ces sentimens ont assez d’énergie dans un petit nombre pour surmonter les premières difficultés sans choc avec personne. Ils suffisent pour nous diriger encore quelques jours dans la formation du Comité, de la manière la plus propre à ses premiers succès. Mais je serais de l’avis de statuer, pour le tems où la forme est invariablement nécessaire ; que dans le cas d’élection des membres du Comité l’assemblée générale nommera dix de ses membres qui, joints au Comité, remplaceront les vacances.

On commencera par une indication que chaque électeur fera d’un nombre de personnes égal à celui des membres à élire.

On sortira ensuite de cette indication en prenant parmi les personnes qui ont eu le plus de suffrages, un nombre double de candidats ; et sur ce nombre, les électeurs choisiront à la pluralité des suffrages les personnes qui devront remplir les places vacantes.

En parlant de dix électeurs choisis par l’assemblée générale, je suppose que le Comité doit être porté à vingt-un membres. Ce nombre vous paraîtra nécessaire pour obtenir quelques personnes qui s’effraieraient de l’assiduité, lorsque le petit nombre en ferait un devoir absolu.

Je crois important de conserver aux membres du Comité qui auront fini leur tems, la faculté de rentrer par l’élection. Dans les corps politique, la rotation doit être sévèrement observé, mais dans les sociétés de bienfaisance et d’instruction, il faut, ce me semble, laisser un moyen ouvert à la continuation des services ; pourvu qu’elle soit approuvée. C’est une occasion de donner des marques d’approbation à un membre distingué, pourvu que sa réélection ne soit faite que dans la forme fixée pour l’élection, c’est-à-dire avec compétiteurs, sans cela elle devient l’habitude d’un fade et insignifiant compliment.

Au moyen de cet arrangement, on pourrait statuer qu’on ne sera membre du Comité que pour trois ans et que chaque année il y aura sept membres à élire. Mais comment établir l’ordre dès à présent ? Il me semble
qu’il faut statuer que l’année prochaine, 7 membres sortiront par le sort comme ayant fait leurs trois ans. L’année suivante, 7 autres de la même manière. Les 7 restants, arrivant à leur troisième année, se trouveront dans le cas du règlement ; et comme on aura la faculté d’être élu de nouveau, il me paraît que cette marche ne fera perdre à aucun des membres actuels du Comité l’agrément de payer pendant un certain tems son tribut de service.

À l’égard de l’assemblée de mardy, je désirerais bien que tout ce qu’il y a actuellement de personnes invitées ou prévenues y fussent admises, et que ce fut sur elles que la porte fut fermée pour ne plus recevoir de membres.

On prendrait cette résolution de concert avec elles, et ce serait l’objet d’un discours du président. Il féliciterait la Société de ce qu’elle a le bonheur d’être parvenue à un nombre suffisant pour ne plus douter de sa durée, et d’une rapide et considérable augmentation. Il en tirerait la raison de ne plus recevoir que des contribuans qui seraient invités à une assemblée générale aussitôt que l’on pourrait lui donner une solennité intéressante.

Il serait donc arrêté que la liste des membres actuels de la Société serait imprimée à la suite du discours avec leur demeure, et que chacun d’eux serait authorisé à recevoir des souscrivans et des souscriptions, en prévenant que les souscripteurs seraient membres de la Société et avertir du jour de la première assemblée générale. Par ce moyen nous serions débarassé d’une manière heureuse du choix d’un bureau de souscriptions.

Viendrait ensuite l’objet des règlemens. Le président préviendrait l’assemblée qu’ils sont l’ouvrage des fondateurs de la Société ; mais que la perfection des règlemens n’étant point une chose pressante et ceux qui existent ne renfermant aucune sanction pénible pour personne, l’assemblée serait priée de les admettre provisionnellement tels qu’ils sont, et de fixer le terme de six mois ou un an pour une révision : qu’en attendant chaque membre de la Société aurait le tems de réfléchir à tout ce qui peut donner à la Société une baze solide, agréable à tous ses membres et favorable à son but.

On parlerait ensuite du Comité dans lequel il est important de renfermer les discussions qui ont pour but des résolutions ; c’est à dire la voix délibérative ; et, quant à son nombre, on le laisserait à 15 pour à présent, ensuite il serait porté à vingt quelque tems après la publication du discours et de la liste des membres actuels de la Société. Ces 15 seraient chargés de s’assembler une fois la semaine.


Il y aurait un autre jour de la semaine désigné, où les membres de la Société pourraient se rendre au sallon et y prendre connaissance des affaires. Personne ne serait obligé de s’y rendre, si ce n’est le secrétaire pour donner la communication qu’on désirerait, et recevoir les mémoires, propositions ou observations qu’on jugerait à propos de faire passer au Comité.

Cette méthode ou une autre semblable vaudrait mieux que des assemblées où il y eut des délibérans et des consultans. Il n’en paraît résulter que gêne pour les uns ou les autres, et surtout une prérogative qui pourrait quelquefois occasionner des désagrémens.

Je soumets, Messieurs, ces idées à votre sagesse et vous prie de les accueillir avec votre indulgence ordinaire pour votre dévoué président

Signé É. Clavière.

Arrêté que cette lettre sera consignée dans le Registre de la Société

On a procédé ensuite à l’examen des derniers articles du règlement et après les avoir fixés, on a relu le règlement en entier tel qu’il suit, et il a été arrêté qu’il serait exécuté provisoirement et qu’il serait présenté à la séance de mardi, afin de le faire connaître de messieurs les membres de la Société qui pourront y assister.1

Règlement de la Société instituée à Paris pour s’occuper, avec celle d’Amérique et de Londres, de l’abolition de la traitte et de l’esclavage des Nègres.

Article 1er.

La Société sera composée de toutes les personnes, ou régnicoles ou étrangères, qui contribueront, en payant le montant de la souscription cy après, à l’abolition de la traite et de l’esclavage des Nègres.

2e.

Pour être membre de la Société il faudra souscrire au moins pour deux louis d’or et renouveller la souscription chaque année.

3e.

Tous ceux qui se présenteront pour souscrire seront admis indistinctement et sans aucun examen de quelque nation, de quelque sexe, de quelque classe et de quelque proffession qu’ils soient.


4e.

On publiera tous les six mois le total des souscriptions.

5e.

Tous les souscripteurs excepté les personnes du sexe pourront assister à l’assemblée générale.

6e.

Il y aura tous les mois une assemblée générale pour entendre les rapports du Comité de travail, et pour y délibérer d’objets généraux relatifs à la Société présentée d’abord au Comité et qui seront toujours désignés dans les cartes d’invitation.

7e.

Le Comité sera chargé de présider, par un de ses membres, l’assemblée générale et d’y proposer toutes les matières à délibérer

8e.

Les fonctions du membre chargé de présider, seront de maintenir l’ordre pendant les séances, de donner la parole, de poser les questions, de les résumer, de recueillir les opinions, de signer le Registre et les résolutions de la Société.

9e.

Les discussions se feront de la manière suivante. Le président indiquera la motion sur laquelle on doit délibérer ; ensuite il demandera les opinions en commençant à sa droitte. La discussion finie, le président résumera les opinions et ira aux voix pour déterminer celle qui doit l’emporter.

10e.

On ne pourra faire que deux tours sur chaque question, à moins que le président, ne jugeant pas la question suffisamment éclaircie, ne fasse un troisième tour par oui ou non. Nul ne pourra parler hors de son rang.

11e.

Tous les membres seront tenus d’obéir à l’ordre donné par le président


12e. Du Comité du travail.

Le Comité de travail sera composé de vingt-un membres de la Société qui auront payé la souscription, ils auront seuls voix délibérative.

13e.

Les fonctions de ce Comité seront de s’occuper à correspondre avec la Société de Londres, d’Amérique et des autres pays, de recueillir tous les renseignemens, ouvrages relatifs à la traite et à l’esclavage des Nègres ; d’examiner ce qui pourra être publié, de suivre, en un mot, toutes les démarches qui pourront tendre à effectuer cette abolition.

14e.

Sept de ces membres seront membres compétens pour décider une question ordinaire.

15e.

Le président du Comité sera pour trois mois.

16e.

Le président sera nommé par le Comité et jamais il ne pourra être continué ; mais il pourra être recréé après une interruption de trois mois ; tout membre devra accepter la nomination qui sera faite de sa personne, ou il sera obligé d’expliquer les raisons de son refus dont le Comité sera juge. Quand le président sera absent, il sera remplacé par un membre présent qui sera nommé président pour la séance.

17e.

Les fontions de président seront les mêmes dans le Comité que celles de président de la Société générale indiquées art. 8e.

18e.

Le secrétaire sera élu à la pluralité des voix par le Comité. Il devra remplir les fonctions de cette place pendant un an, et pourra être continué aussi longtems qu’il sera confirmé par le Comité. Le Comité pourra toujours le destituer en cas de motifs suffisans ; sur lesquels il devra préalablement être entendu, mais cette décision ne pourra être prononcée qu’à la majorité des deux tiers des membres présents qui devront être au moins au nombre de neuf.


19e.

Les fonctions de secrétaire seront d’entretenir les correspondances, d’en faire le rapport au Comité, de faire passer aux membres et aux étrangers les résultats des assemblées, de faire imprimer et distribuer ce que la Société ordonnera, d’envoyer les billets d’invitation pour les assemblées générale et particulières, de signer le Registre et les extraits, de veiller à la bibliothèque et aux archives de la Société.

20e.

Il y aura un trésorier nommé qui sera membre du Comité, chargé de recevoir les souscriptions, de payer les dépenses ordonnées par le Comité, et de rendre les comptes tous les six mois. Le trésorier sera en fonction pendant un an ; il pourra être continué au-delà. Il sera tenu d’apporter à la première séance du Comité de chaque mois un bordereau de la recette et de la dépense du mois, et chaque président sera tenu de vérfier avant de sortir de la présidence l’état de la caisse et d’en instruire le Comité.

21e.

Le Comité des vingt-un membres se recrutera de la façon suivante. Cinq sortiront tous les ans par le sort de la balotte. Ils seront remplacés par cinq autres dont trois nommés par le Comité et deux par l’assemblée générale. En cas de mort ou de démission d’un membre, le Comité en choisira un autre à la pluralité des voix.

22e.

Les discussions et délibérations du Comité se feront en la manière prescrite par les art : 9, 10, 11. Lorsqu’il s’élevera une discussion trop vive entre deux membres, qui pourrait troubler l’ordre, ils seront obligés de s’en rapporter au jugement du Comité et si dans le cas de pareille discussion le président n’interposait pas son authorité assez à tems, chaque membre, en s’adressant à lui, pourra demander l’ordre.

23e.

Les souscripteurs de la Société ne pourront être admis pour assister à une séance du Comité, qu’après une résolution préalable du Comité prise à la pluralité des voix sur une invitation du secrétaire ; on ne pourra admettre plus de cinq
à la même séance : y compris les membres des sociétés de Londres et d’Amérique qui pourront être à Paris.

24e.

Quand un membre de la Société aura quelque proposition à faire au Comité, il sera tenu de la lui adresser par écrit, le Comité lui indiquera le jour où elle pourra être discutée et le membre y sera appellé et entendu.

25e.

Si les circonstances exigeaient quelques réformes ou quelques innovations dans les règlemens, elles se feront dans un Comité qui ne sera pas moindre de treise membres, et dans ce cas à la pluralité de 9. Lorsque le nombre des opinans sera au-dessus de 13 le changement ne pourra être fait qu’à la majorité des deux tiers, et quand le nombre ne sera pas divisible par 3, le président départagera.

26e.

À la fin de l’année 1788, le présent règlement sera soumis dans totalité à la révision du Comité.


1. Cette version du règlement diffère de celle publiée et de la version manuscrite conservée dans les Papiers de Condorcet conservées à la Bibliothèque de l’Institut de France, Ms 857 (f. 250-274).