Séance du 4 mars 1788


Séance tenue le 4 mars 1788, tenue Rue de Carême prenant. M. Clavière président.

M. le comte de Mirabeau a présenté M. de Bourges, comme souscripteur et membre du Comité ; lequel a été accepté par tous les membres présens.

M. de Warville a lu ensuite le discours suivant :

Je vous ai, Messieurs, exposé dans le discours du 19 février 1788, quels devaient être les objets de nos travaux futurs. Je me propose aujourd’hui d’entrer dans le détail de ces travaux ; on peut les diviser en trois classes.

  • Traduction et publication des Papiers anglais, en faveur de l’affranchissement des Nègres,
  • Correspondance avec le Comité de Londres,
  • Correspondance relative aux noirs de nos isles :

Vous avez senti comme moi, Messieurs, la nécessité de nous occuper promptement de la traduction et de la publication des ouvrages anglais : l’enthousiasme est général en Angleterre ; il va probablement le devenir en France ; il faut en profiter pour éclairer les esprits. Vous devez vous appercevoir tous les jours, aux objections répétées partout sur cette matière, combien la masse des hommes est encore enveloppée de ténèbres. Il faut les dissiper et profiter de l’intérêt général qui va fixer tous les regards sur cette matières.

C’est la marque qu’a suivi la Société de Londres ; elle a senti la nécessité de faire précéder par les lumières la réforme qu’elle demandait. Elle a multiplié les écrits. On a vu les gazettes se remplir de paragraphes de lettres qui, tous, avaient pour objet ou de soutenir l’intérêt ou de réfuter une objection dont la cupidité s’armait encore.

Cette Société nous a adressé la plus grande partie de ces ouvrages, qui, réünis, pourraient former 5 à 6 volumes.

Dès avant l’institution de notre Comité, j’avais pris des arrangemens pour en faire traduire les principaux, tels que ceux de Bénézet, de Clarzson, l’adresse des Quakers, &a.

Ces traductions existent, il ne s’agit plus que de les revoir et de les faire imprimer.

Ce travail doit être l’objet d’un comité particulier, qui sera
composé de membres versés dans les deux langues, et capables ou de traduire, ou de revoir les traductions, afin d’en corriger les fautes, d’en élaguer les longueurs ; continuer les traductions, revoir celles qui sont faites, veiller à l’impression, telles seront les fonctions journalières de ce comité, qui devra être dans une activité continuelle, car, ne l’oublions jamais, il ne faut point donner de relâche au public : il faut, sans cesse, entretenir son intérêt.

Avant d’entreprendre une traduction nouvelle, le comité devra faire examiner l’ouvrage par un ou deux membres, afin de juger s’il faut en changer l’ordre. Ces retranchemens, ces changemens seront peut-être souvent nécessaires. On sait assés que les auteurs anglais sont sujets à des répétitions, à des longueurs, qui nuieraient à l’effet que nous devons attendre de ces traductions, sur l’esprit de nos lecteurs français.

Ce Comité peut entrer en exercice dès que les membres en seront nommés ; je m’empresserai de lui remettre tous les livres et tous les papiers qui sont entre mes mains.

Ce comité devra s’occuper à mettre la plus grande célérité dans l’impression de ces ouvrages.

Imprimera-t-on avec permission ou sans permission ? Attendra-t-on pour publier que plusieurs volumes soient imprimés ? Ou bien publiera-t-on tant de feuilles par semaine ? Ouvrira-t-on une souscription ?

Après avoir mûrement examiné ces différentes questions, voici le parti qui m’a paru le plus propre à remplir notre objet. Je crois qu’il faut imprimer quant à présent sans permission. Je crois qu’il faut publier chaque semaine. Je crois qu’il faut ouvrir une souscription.

Mais, comment imprimer et ouvrir une souscription, sans remplir les formes ordinaires ? En voici le moyen infaillible.

Vous savez que M. le comte de Mirabeau a obtenu la permission du ministère, de publier un journal sans être astreint à la censure ; vous savez qu’en conséquence de ce privilège particulier, il a imprimé dans ses numéros1 partie du discours du 19 février, et ce membre dont le crédit peut nous être autant utile que son infatigable énergie pour le bien public, nous offre d’étendre au Recueil des ouvrages sur la traite des Nègres, le bienfait de son privilège. Il se charge de faire goûter cet arrangement au ministre2, en lui montrant cette publication comme une espèce de supplément ou appendix à son journal, comme un
développement nécessaire d’une grande question à la discussion de la quelle son journal est nécessairement consacré. Il se charge de prendre avec son libraire et son imprimeur des arrangemens tels qu’ils publient chaque semaine deux ou trois feuilles de cette collection ; il se charge de faire payer à la Société par le libraire le prix des traductions, sur un taux convenable et de la rendre indemne de tous les frais d’impression.

Il me semble, Messieurs, que cet arrangement ne peut qu’être avantageux pour la Société, en ce qu’il assure un prix régulier pour le travail des personnes qui voudront bien consacrer leur tems à ces traductions, en ce qu’il débarasse la Société du soin de tenir des comptes pour l’impression et les ventes, en ce qu’il accélère la publication de ces ouvrages ; enfin en ce qu’il remplit un des voeux de la Société de Londres, celui de donner à bon marché cette collection et par conséquent de la répandre dans un plus grand nombre de mains ; car le projet de M. le comte de Mirabeau est d’offrir à moitié prix aux souscripteurs de son journal ou à ceux qui le demandent cette intéressante collection. De ce plan résultent deux avantages, celui de procurer aux Noirs un plus grand nombre de lecteurs, et par conséquent plus de partisans, celui de propager l’ Analyse des Papiers anglais.

Et permettez cette courte digression, Messieurs, aucun de nous ne doit être insensible à ce dernier motif, aucun de nous ne doit être étranger au succès de ce journal. Ceux qui le connoissent ont dû voir qu’il était seulement consacré à naturaliser insensiblement en France ces grandes vérités politiques, qui ont assuré une constitution à l’Angleterre. Ils ont dû voir que c’était le seul où ces vérités fussent développées avec autant de force que de clarté, ils ont dû voir encore que ses rédacteurs étaient sans cesse occupés à combattre un triumvirat redoutable quoique lâche et servile d’écrivains3 qui semblent être soudoyés par le despotisme, qui, s’ils ne le sont pas, paraîtront encore bien plus coupables ; puisque sans aucune nécessité, et uniquement entraînés par la perversité de leurs principes, ils cherchent à retarder une révolution dans les idées publiques, dont ils sont loin d’ignorer les heureuses conséquences pour tous les états.

Or, s’il n’est entre nous aucun membre qui n’ait fait ou dû
faire intérieurement le serment d’accélérer de toutes ses forces cette révolution bienfaisante, s’il n’en est aucun qui ne doive chaque jour songer aux moyens de l’accélérer, qui ne doive faire de cette grande idée la baze principale de toutes les idées et de sa vie entière, il n’en doit être par cela même aucun qui puisse voir d’un oeil indifférent la stagnation ou les progrès d’un journal dont l’effet infaillible, s’il acquiert de la célébrité sera de rendre populaire les vérités qui sont encore malheureusement circonscrites dans un trop petit nombre d’esprits, qui même dans une grande partie de ces esprits, se trouvent étrangement mêlées avec les préjugés consacrés par l’éducation et l’opinion publique qui existait il y a dix ans, soyons-en bien persuadés, Messieurs, la popularité, la trivialité, si j’ose me servir de ce mot que le nouveau sens dont je le revêts annoblira peut-être ; la trivialité de ces grandes idées ne peut être que l’effet de la lecture des gasettes ; un bon livre formera lentement quelques bons esprits dont la traction sur les autres sera lente, foible ; une bonne gazette, un bon journal peut rapidement éclairer une masse d’hommes qui réagissent au même instant presque en tout sens dans une très grande sphère.

D’un bon livre, c’est à dire un livre sérieux, n’en intéresse que peu. Une gasette se présente toujours avec l’intérêt du moment : loin d’effrayer, elle pique la curiosité, et sous l’appât des nouvelles, l’adroit rédacteur peut distiller goute à goute dans l’âme de ses lecteurs les vérités politiques qui peuvent le tirer de leur abrutissement et de leur servitude. Enfin, qu’est-ce qui retarde la ruine de la liberté politique en Angleterre qui réprime les efforts du despotisme ministériel, qui fait un contrepoids à tous les abus de la constitution anglaise ? Les gasettes écrites sous l’égide de la plus grande liberté. Qui a fait la révolution des États-Unis ? Les gasettes. Le célèbre pamphlet intitulé : Le sens commun4 ne fit un si prodigieux effet que parce qu’il fut cent fois morcelé dans ces gasettes, dévorées avec avidité, par l’artisan, par le cultivateur par l’homme de toutes les classes ; qui a empêché le Canada de prendre sa part à cette heureuse révolution ? Le défaut de gasettes, l’attention tirannique qu’a toujours son gouvernement civil et sacerdotal d’empêcher la lecture, la propagation, la
multiplication des gazettes. Aussi, Messieurs, en Angleterre où cette oppression sur l’effet des gasettes est généralement répandue les meilleurs écrivains sont loin de dédaigner d’écrire pour les gasettes. Tous ont commencé, tous ont vécu, tous ont fini, en écrivant, suivant l’exigence des circonstances, pour les gasettes, tous pour produire un effet plus certain, pour éloigner la prévention que leur nom aurait pu inspirer, tous en écrivant ont pris le voile de l’anonime. Je ne vous en citerai qu’un pour exemple, mais il peut faire autorité, c’est le respectable Jebb, un modèle de patriotisme universel il regardait les gasettes comme des sentinelles chargées de veiller sur la liberté publique ; et il ne se lassa point de combattre les progrès du despotisme ministériel ou des factions qui déchiraient son pays. Je vous citerai même les Lettres de Junius5 qui ont opéré une si grande révolution dans cette isle. Si elles eussent parües comme aujourd’hui sous la forme de collection de livres, de pamphlets, cet effet eut été manqué. Ceux qui se rappellent l’enthousiasme excité par la cause de Wilkes peuvent mesurer par cet enthousiasme l’effet de la lumière répandue par les gasettes

Mais ici, Messieurs, faisons une distinction importante : n’attribuons cet effet qu’à celles qui s’écrivent, qui s’impriment sous l’empire de la liberté. Autant elles sont précieuses, autant elles sont respectables les auteurs qui y consacrent leur veille, autant les gasettes écrites, imprimées sous la dictée de l’autorité sont méprisables. Aussi quand on recherche la cause de l’opprobre dont l’opinion publique couvre par une sorte d’instinct les gasetiers français, on la trouve dans cette privation de la liberté, dans ces liens dont ils sont garottés. Quelle foi pouvez-vous donner à des écrits commandés, à des nouvelles fabriquées ou altérées par ordre ? Quel mépris ne devez-vous pas à des écrivains assez vils pour laisser enchaîner leur plume, pour subordonner, comme des valets, leurs opinions à celles des maîtres qui les salarient ; à des écrivains souvent assez scélérats pour les aider à tromper, à enchaîner le public ?

Gardons-nous de confondre parmi ces gasettes méprisables, celle pour laquelle je veux vous imprimer un grand intérêt, à laquelle je vous propose d’associer la distribution des ouvrages publiés
en faveur des Nègres. Loin de moi l’idée d’un pareil intérêt, d’une pareille association, si comme tous les autres journaux de ce genre elle était mutilée par la censure. Mais exempte de son inquisition, ses rédacteurs peuvent se livrer à leur énergie pour le bien public ; ils peuvent, en la tempérant par la sagesse, assurer à ce journal une longue durée, et par conséquent une longue et grande utilité, et notre devoir, Messieurs, le devoir de chacun de vous, je le répète, est de contribuer à sa propagation : nous y sommes, indépendament de l’intérêt général que je vous ai exposés, nous y sommes obligés par l’association qui va se faire de ce journal avec la collection des ouvrages sur l’esclavage.

Quand je vous conseille, Messieurs, de commencer à publier sans permission les premiers numéros de cette collection, je ne prétends pas vous inviter à ne jamais vous occuper de la demander. Par la nature des pièces qui doivent la composer, ce recueil n’offrira rien qui puisse effaroucher le Ministère, et par conséquent rien qui puisse lui faire refuser le privilège ordinaire. Mais la censure ordinaire, mais l’obtention de ce privilège entraînent des lenteurs, des formalités, et nous devons les éviter, pour ne pas laisser refroidir l’enthousiasme. Commençons sans permission, demandons la pour continuer. Nous en tirerons un grand avantage, celui de faire annoncer ce recueil dans les autres journaux qui n’ouvrent d’accès qu’aux ouvrages munis de ce passeport.

Après vous avoir exposé les travaux qui doivent occuper le premier Comité, je dois passer aux travaux de la seconde classe, ceux de la correspondance avec le Comité de Londres. Ils seront nombreux, quand cette correspondance sera établie, ils embrasseront d’une part les résolutions et les progrès de ce dernier Comité et de l’autre les développemens de tout ce qui s’imprime dans les gasettes anglaises ; de tout ce qui dira dans le parlement d’Angleterre, sur la cause des Nègres, quand elle sera soumise à sa décision.

Chaque jour voit éclore de nouvelles réflexions sur cette matière dans les gasettes anglaises, ces réflexions disparoissent avec
chaque jour, si l’on n’a pas le soin le plus vigilant pour les recueillir, elles seraient nulles pour la France, si vous ne chargiés pas un ou deux de vos membres pour rassembler ces réflexions éparses, les traduire, les insérer dans l’Analyse des papiers anglais ; il ne faudra pas même se borner à ce journal, le Comité doit faire faire différentes copies de chacun de ces articles et les adresser aux différents journaux, pour y être insérés, car souvenons-nous toujours qu’il faut tendre à la plus grande publicité possible.

Le travail de ce second département aura donc cinq parties. Communiquer nos travaux à celui de Londres. Recevoir et examiner les communications que nous fera le Comité de Londres. Recueillir et acheter tous les livres anglais qui paroissent sur cette matière. Suivre attentivement les progrès de cette affaire, soit dans le Parlement, soit dans les gasettes. Extraire ce qui paraîtra le plus frappant pour l’insérer immé- diatement, soit dans l’Analyse des papiers anglais, soit dans les autres journaux français.

J’ai fait quelques essais dans ce genre sur les dernières gasettes de Londres, que je m’empresserai de communiquer au Comité.

Le troisième Comité présente un ordre entièrement neuf de travail ; tout y est à créer. Il s’agit de connoître à fonds tout ce qui concerne la traite des Nègres, la culture de la canne à sucre dans les colonies françaises. Il s’agit de connaitre le commerce de notre compagnie du Sénégal6, des armateurs particuliers, notre situation sur la côte d’Afrique, le nombre de Noirs que nous en exportons, ce que cette exploitation nous coûte de matelots, les marchandises qui sont la baze de ce commerce, le nombre des Noirs qui existe dans nos isle, le produit de leur travail en masse et par tête, les produits de leur population, le rapport dans le nombre des deux sexes, la variabilité dans les recrues nécessaires aux différentes habitations occasionnées par la différence des traitemens, le nombre des Noirs marrons7, leur genre de vie, leurs moeurs, &a &a

Pour se procurer cette connaissance deux voies s’ouvrent à nous. Les ouvrages qui existent et qui ont rapport soit à l’Afrique, soit à nos isle, et les correspondances particulières qui peuvent nous donner des lumières.

A l’égard des ouvrages, il faut autoriser le Comité à les
acheter successivement. On vient par exemple d’en annoncer un sur l’isle de Domingue qui ne semble pouvoir donner des renseignemens sur cette isle8. Le Comité devra choisir ensuite un membre pour faire l’extrait de ces ouvrages et déterminer le parti qu’on en devra tirer pour l’instruction publique : car nous pourrons dans cette partie imiter un jour l’exemple de la société constitutionnelle de Londres, qui pour répandre parmi le peuple la connoissance de la constitution anglaise, extrait de chaque ouvrage nouveau les vérités relatives à la constitution, les adopte, et les publie par la voie des gazettes.

Le moyen le plus important et le plus difficile est celui des correspondances particulières. Il offre des obstacles ; mais il n’en sera point d’invincibles, si chacun de nous veut, pour se procurer ces connaissances particulières, y employer un zèle constant.

Par exemple, le gouvernement doit avoir des états des mémoires sur le commerce de l’Afrique et sur nos isle. Il faut en solliciter la communication. Voudrait-il nous la refuser ? Que prétendrons-nous ici ? Lui fournir des lumières en nous communiquant celles qu’il a déjà, il nous met à portée de comparer et de faire jaillir de ces comparaisons des vérités qui lui seront utiles.

Les marchandises importées de nos isle sont sujettes à des droits, le tableau de ces importations nous sera très utile, et je vous annonce avec plaisir, qu’un de nos membres, que sa place met à portée de connaître ces tableaux, s’empressera de nous les communiquer. Je ne fais sans doute que prévenir le voeu de la Société en témoignant d’avance à M. Brake notre reconnaissance.

Il existe une Compagnie du Sénégal dont le gouvernement vient de reconnaître le privilège jusqu’en 1796. Elle doit avoir des registres publiés qui pourraient nous donner de grandes lumières. Il faudra les consulter.

Enfin il faudra consulter et les grands propriétaires d’habitations résidents en France, et les colons et les personnes qui font de fréquens voyages aux isle et les officiers militaires ou civils que leur devoir y conduit. Les renseignemens de tous seront précieux quoique certainement ils n’offriront pas la vérité au même degré. Sans doute il faudra, nous défier de l’insatiable
cupidité des premiers, de l’habitude de cruauté des seconds, des rapports complaisans dictés par l’intérêt aux troisièmes, de l’habitude de subordination et de l’éloignement des grands principes que l’esprit de corps donne aux derniers. Mais malgré toutes ces tâches, il faudra recevoir de tous des communications, sauf ensuite à trier les faits et les objections.

Il n’est aucun de nous à qui le hasard n’offrira par la suite de ces connaissances particulières. Le soin de chacun sera de les rassembler et de les donner au Comité. Le soin de chacun sera de mettre ce Comité en rapport avec les personnes capables de lui donner des lumières et à cet égard il ne faut pas se borner aux connoissances qu’on peut se procurer sur l’esclavage des Noirs. Comme la Russie et la Pologne offrent aussi la triste image de la servitude, les connoissances sur ces deux pays seraient très utiles. On a fait suivant le voyageur Moïse des essais d’affranchissements en Pologne9. L’histoire de ses effets en serait intéressante et pourrait servir aux épreuves qu’on va tenter.

Telle est, Messieurs, l’organisation que je crois la plus convenable pour les travaux particuliers de notre Comité principal. Il me semble très important de bien diviser, afin qu’une tâche trop étendue, trop compliquée n’écrase pas deux ou trois individus ; dans les premiers tems ceux-ci pourraient suffire, mais à la longue l’insufisance de leurs efforts nuirait au succès de la chose publique. Observons encore que le travail de chaque comité s’augmentera par la nécessité de faire successivement des rapports au Comité général, arrêter des décisions fixes, sur le devoir de ce dernier ; il la joindra à celui de s’occuper de la société générale, de son organisation, de ses progrès &a. Nous n’avons point encore examiné cette partie importante. Je me propose de vous présenter quelques idées à cet égard lors de notre première séance.

En finissant, Messieurs, qu’il me soit permis de vous exprimer mes regrets, de la nécessité où je serai réduit dans deux mois de renoncer aux fonctions dont vous m’avez chargé et qu’il m’ si doux de remplir près de vous. Un long voyage va m’entraîner loin de ces lieux, mais je ne cesserai d’être en esprit avec vous de suivre de loin vos travaux, d’y coopérer autant que les circonstances me le permettront. Il est deux articles sur lesquels je me propose de rassembler les détails les plus autentique. L’un est
l’affranchissement des Noirs dans les États-Unis. Je chercherai comment il n’a pas été dangereux, combien il est utile dans les pays où il est total, par quels moyens on se propose de le rendre tel dans les autres. Mais je veux surtout me procurer par les Américains libres les plus grandes lumières sur l’état de toutes les isle à sucre, sur les rapports des États-Unis, et sur les changemens que doivent essuyer ces rapports. En me livrant certainement à ces recherches, en concevant l’espoir de rendre nos Noirs à la liberté. J’en conçois un plus grand encore, celui de contribuer et de faire contribuer notre société à rendre à nos isle la liberté de notre commerce. Cet objet, Messieurs, ne peut vous être étranger, soit comme Français, soit comme ami de la liberté.

Je vous propose les arrêtés suivans.

1°. Arrêté qu’il y aura un comité pour suivre la traduction et publication des ouvrages anglais en faveur de l’affranchissement des Nègres.

2°. Arrêté que ce Comité sera autorisé d’examiner le plan proposé par Mons. le comte de Mirabeau pour l’impression et la publication, et d’en suivre avec lui l’exécution.

3°. Arrêté que ce Comité sera composé de MM.10

4°. Arrêté qu’en attendant la nomination du Comité pour la correspondance avec celui de Londres. M. de Warville sera chargé de suivre cette correspondance, et que le Comité cy-dessus nommé s’occupera d’extraire les papiers anglais relativement à la cause des Noirs, et de faire insérer ces extraits soit dans l’Analyse des papiers anglais, soit dans les autres journaux français.

5°. Arrêté qu’en attendant la nomination du troisième Comité M. de Warville sera autorisé d’acheter pour la société tous
les ouvrages qui ont rapport, soit à l’Afrique, soit à nos isle et que chacun des membres de la Société devra procurer au Comité sur ces objets tous les renseignemens qu’il pourra.

Le premier arrêté ayant été mis en délibération a passé d’une voix unanime.

Sur le second, il a été délibéré en plusieurs tours relativement au plan à suivre pour l’impression et la distribution des ouvrages sur l’esclavage, et il a été ensuite résolu de renvoyer la décision de cette question au Comité particulier ci-après nommé pour faire son rapport au Comité général, mardi prochain.

Sur le 3ème les membres du Comité pour la traduction et publication ont été nommés ainsi qu’il suit MM. le comte de Mirabeau, Carra, Cerisier, de Bourges, et Brissot de Warville lesquels ont accepté.

La 4ème a passé ainsi qu’il est ci-dessus copié, et il a été en outre arrêté que M. Cerisier serait invité à communiquer aussitôt qu’il les recevrait au Comité cy-dessus les articles des gasettes anglaises qu’il recevrait.

Le 5ème a passé l’unanimité.

Sur la motion faite d’un ajournement pour le premier travail du Comité particulier a été arrêté qu’il était ajourné à jeudi prochain chez M. le comte de Mirabeau.

Une motion a été faite ensuite par M. Brack sur le logement futur du Comité ; il a dit qu’il en connaissait deux à louer dans le moment dont l’un pouvait convenir pour les assemblées du Comité. Il a été autorisé avec M. Brissot de Warville à prendre des arrangemens à ce sujet.

M. de Warville a lu ensuite la lettre suivante qui lui a été adressée par M. Granville Sharp, président du Comité institué à Londres pour l’abolition de la traite des Nègres.

Traduction de la lettre du Comité de Londres du 26 février 1788.

M.

M. Jacques Philipps ayant communiqué votre lettre du 14 courant au Comité ; je suis chargé de vous témoigner son approbation pour toutes les démarches que vous avez faites afin de faire réussir la cause dans laquelle vous vous êtes si généreusement engagé.


Nous désirons avec impatience de savoir le succès de la première assemblée de votre Société au berceau ; car nous étant embarqués dans cette cause, non pas simplement comme Anglais, mais comme citoyen de l’univers, nous souhaitons également que la traite des esclaves soit abolie dans les autres royaumes comme dans celui- ci. Dans la vérité nous considérons notre plan comme s’étendant à tout le globe, et nous ne le regarderons entièrement achevé qu’au moment où ces violations manifestes des droits de l’humanité cesseront universellement.

Nous vous apprenons avec satisfaction que plusieurs personnes de distinction en France sont disposés à donner leur secours dans cette affaire importante, ayant été assurés de manière à n’en pouvoir douter que le mis de La Fayette et son ami le chevalier de Ternaut sont portés de tout leur coeur à favoriser notre projet. Nous les avons élus membres honoraires de notre société et j’ai eu l’honneur de les en informer. D’après leurs dispositions à embrasser cette cause jointe au zèle de votre ami M. Clavière et au votre, nous augurons bien de ses progrès en France, et nous voyons avec satisfaction que des hommes d’un haut rang et d’une grande influence sont favorables à ce plan qui, s’il est effectué de concert par les deux nations, réfléchira un grand honneur sur leur caractère. Nous désirons voir exister entre elles, au lieu d’une rivalité pour les conquêtes, une émulation à répandre les bénédictions de la paix et de la civilisation sur leurs immenses possessions, et particulièrement sur la race opprimée des Africains, et si cet heureux événement pouvait avoir lieu, nous aurions tout lieu d’espérer que leur exemple serait bientôt imité par les autres nations.

Nous vous remercions pour les faits que vous nous avez communiqués relativement aux bons effets résultants du doux traitement des Nègres et nous vous prions de continuer vos efforts pour recueillir et nous communiquer les faits qui tendent à établir l’inhumanité et l’impolitique de la traite des esclaves et les bonnes conséquences de son abolition. Nous désirons être par la suite instruits sur les résultats de l’essai fait dans une certaine colonie française pour rendre graduellement aux esclaves la jouissance de la liberté et de la propriété.

Nous avons appris que des Anglais font maintenant la traite en France, sous le nom de Français afin d’obtenir la prime que votre
gouvernement accorde sur l’importation des Nègres dans vos colonies11. Nous vous prions de faire des recherches sur cet abus et de nous informer des résultats.

Afin de seconder votre marche, nous vous envoyons quelques traités sur cette matière. Quelques-uns d’entre eux, s’ils étaient traduits, pourraient produire en France un aussi bon effet qu’ils ont produits ici. Ils ont dessillé les yeux d’une foule de personnes et nous ont attiré beaucoup d’amis. Nous vous prions de prendre la première occasion de présenter une collection complette de ces traités au marquis de la Fayette au nom de la Société et c’est au même titre que je suis avec toute l’estime &.a" Granville Sharp président

et de la main de M. Granville Sharp est écrit le post scriptum suivant Nous vous prions lorsque vous verrez le mis de la Fayette, de vouloir bien l’informer de votre marche dans la nouvelle société puisqu’il est très bien disposé à favoriser ses efforts, et par le portrait que le marquis nous a donné du maréchal de Castries, nous avons raison d’espérer que votre société obtiendra probablement son approbation et son aide, peut-être n’y a-t-il pas d’indiscrétion à ce que vous priés le mis de la Fayette de s’adresser à lui en faveur de la nouvelle société

(La lettre adressée à M. de Warville)

Il a été délibéré sur la réponse à faire à cette lettre, et après avoir recueilli les opinions prises en plusieurs tours ; il a été arrêté que M. de Warville ferait, au nom du Comité, part à M. de la Fayette de ce que contient à son égard la lettre du Comité de Londres, qu’il lui témoignerait l’espérance qu’il a en conséquence des assurances contenues dans cette lettre, de le voir se joindre à la Société et de seconder ses efforts pour faire réussir cette entreprise, et comme la lettre adressée à M. de la Fayette, en vertu de la résolution du Comité dernier, n’est point encore partie, il a été arrêté que cette communication de la lettre du Comité de Londres, serait faite par un post scriptum ajouté à cette lettre.

À l’égard de la réponse à faire au Comité de Londres, il a été arrêté que M. de Warville en dresserait un modèle, lequel serait lu à la prochaine séance. Il a été arrêté d’après la majorité des avis que, dans cette lettre, on demanderait l’affiliation de cette Société à celle de Londres, et le
privilège pour chaque membre qui y serait reçu doresnavant d’être membre de celle de Londres.

Ensuite le comité s’est ajourné à mardi prochain.

Brissot de Warville E. Clavière

1. Le discours a paru dans les numéros 25 (p. 22-24), 26 (p. 41-48), 27 (p. 73-80) et 28 (p. 96-103).
2. Le privilège d’impression ou l’autorisation tacite de publier dépendait de la Chancellerie. En 1788, le chancelier en titre, René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou, était en disgrâce et c’est le Garde des sceaux, Chrétien-François de Lamoignon, qui en assumait les fonctions.
3. D’après M. Dorigny, sont ici visés Jacques Mallet du Pan, Simon-Nicolas-Henri Linguet et sans doute Charles Théveneau de Morande (UNESCO, 1998).
4. Thomas Paine, Common Sense, Philadelphia, 1776. La première traduction française date de 1791.
5. Série de lettres parues de janvier 1769 à janvier 1772 dans le Public Advertiser, dirigées contre le ministère de lord North. L’auteur reste inconnu même si plusieurs attributions ont été proposées.
6. Sur cette compagnie, chargée notamment de l’exploitation du comptoire de Saint-Louis, voir Abdoulaye Ly, La Compagnie du Sénégal, Paris, Karthala, 2000.
7. Esclaves en fuite.
8. Il est possible que l’ouvrage cité soit : Charles-Joseph de Bleschamp, Essai sur l’administration des colonies françoises. Et particuliérement d’une partie de celles de Saint Domingue..., Antonina, Paris, 1788.
9. Il pourrait s’agir d’une allusion à l’affranchissement en 1760 par le Grand-Chancelier Zamoyski de six villages dans le Palatinat de Mazovie, tel que rapporté par dans William Coxe, Voyage en Pologne, Russie, Danemarc..., Genève, 1786. Coxe indique tenir ses informations de l’auteur des Lettres patriotiques sur la Pologne, M. de Wiebitski.
10. Laissé en blanc.
11. Instaurée par le gouvernement par tête d’esclave importé sur des navires français exclusivement (UNESCO, 1998).