Séance du 8 avril 1788

Séance tenue le mardi 8 avril 1788 2 Rue de Grammont. M. Clavière, président.

Membres de la Société présens : MM.
  • Le marquis de La Fayette
  • Le duc de La Rochefoucauld
  • Petitval
  • Blair
  • Bouteiller
  • Volney
  • du Rouvray
  • Montcloux
  • de Funda.

M. le président a lu le discours suivant.


Messieurs

En nous félicitant de l’augmentation honorable et intéressante que notre Société a reçue dans sa dernière séance et dans celle d’aujourd’hui, permettez-moi de remarquer que nous nous y sommes attendus.

Notre Société repose sur les saints devoirs de l’humanité. Des actes de bienveillance sont l’unique travail qu’elle se propose, en faut-il davantage au coeur du Français ? Sa précieuse sensibilité ne le fait-elle pas accourir partout où il peut aider à la faiblesse, tarir les larmes des malheureux, en un mot faire le bien ?

Mais puisque nous avons le bonheur d’être assez nombreux pour soutenir les travaux commencés, puisque notre Société renferme tout ce qui peut donner de la confiance dans ses intentions, puisque tant de membres distinguées par leurs qualités, leurs lumières et leur rang, lui assurent les accroissemens dont elle a besoin, vous penserez sans doute, Messieurs, qu’il convient de prendre une détermination relativement à de nouveaux membres.

Vous voyez que dans une assemblée plus nombreuse, nos délibérations, renouvellées chaque semaine, deviendraient trop longues, et que si nous gagnions du côté des Lumières, nous risquerions de ne pouvoir rien résoudre qu’avec une décourageante lenteur.

Mais avant de passer aux arrêtés que la circonstance exige, il est peut-être utile de retracer en peu de mots l’objet de notre association. L’abolition de l’esclavage des Nègres est le but principal auquel nous tendons. Je crois pouvoir dire avec vérité, que si cet esclavage n’existait pas, dans ce siècle d’instruction sur les droits des hommes, celui qui proposerait de l’établir, encourrait un blâme universel, et sans doute des expressions plus fortes caractériseraient mieux les sentimens qu’un tel homme ne manquerait pas d’élever contre lui.

Mais l’esclavage existe et se trouve malheureusement lié à un ordre de choses, où l’on rencontre les impérieuses maximes de la politique, les intérest respectables de la propriété, et la persévérance d’une cupidité d’autant plus active qu’elle s’appuye sur une longue habitude de préjugés nombreux et commodes.

Cependant, Messieurs, ce que toute l’Europe rejetterait comme criminel, est
par cela même condamné à prendre fin. C’est de cette fin si désirable ; de cette fin que la sagesse humaine peut prévoir, et que plusieurs événemens ont préparé, que notre Société doit s’occuper.

Nous ne cherchons à provoquer aucune de ces révolutions qui commandées par la force, n’entraînent jamais la persuasion. Nous désirons suivre la marche de la raison universelle dont l’empire s’avance ; de cette raison que nous voyons porter les hommes, tantôt individuellement, tantôt en masse, et par le seul ascendant du vrai, vers une existence toujours meilleure, toujours plus propre à les faire jouir des avantages infini de la confraternité.

Recevoir nous-mêmes l’instruction et la répandre, voilà les deux points auxquels nos travaux se rapportent. À mesure que nous recueillerons des faits instructifs, et des discussions importantes sur tout ce qui est relatif à l’esclavage des Nègres, à la circonspection et à la sagesse, qui doit enfin leur donner le même état civil que les Blancs, nous publieront ces faits et ces discussions ; et il viendra enfin un moment où, résumant nous-mêmes tout ce que nous aurons publié, nous présenterons au Gouvernement, au public, aux planteurs, aux commerçans, aux armateurs et aux Nègres eux-mêmes, le véritable état de la question ; les vrais convenances de chacun, et peut-être l’unique plan, le seul sage à suivre pour concilier tous les intérest avec celui qui doit les dominer tous, l’intérest de la justice et de l’humanité. Et pourquoi ne nous en flatterions- nous pas ? Ce plan ne sera pas notre ouvrage, il sera le résultat d’une opinion prépondérante sur laquelle nous ne pourrons pas nous méprendre. Ce que nous publierons élèvera cette opinion, nous ne ferons que peser et enregistrer les suffrages qui constateront son existence.

Dans ce moment, Messieurs, nous ne sommes que les imitateurs des bons Quakers, que l’écho en quelque sorte d’une Société qui a mis devant elle un but semblable au nôtre et cette circonstance est heureuse. Nous nous aiderons de ses travaux ; elle nous y invite. La publier a du être notre première résolution, puisque cela seul suffit pour faire germer toutes les idées, pour que la liberté soit rendue aux Noirs dans les possessions françaises, non par une imitation ―
servile, mais par une conviction raisonnée qui fera de cette liberté un présent donné avec autant de joye qu’il sera reçu.

En même tems que nous nous occuperons de ces publications, nous nous instruirons nous-mêmes ; ainsi notre marche est tout à la fois simple et facile, elle n’exige de nous que de l’assiduité, de la persévérance et des règles strictement observées pour prévenir la confusion et le désordre dans nos délibérations. Car le sacrifice de tous ces mouvemens qui, malgré les meilleures intentions, détruisent ou retardent les succès les plus désirables, ne nous coûtera point : notre but nous rendra insensible aux épines de l’amour propre. Nous savons tous que sans cette condition le succès de toute réforme dans les objets de discussion publique sera toujours très incertain.

Ces règles qui doivent faciliter nos discussions, les premiers fondateurs de la Société ont cru devoir s’en occuper ; et former, en attendant qu’elle fut plus nombreuse, un petit corps de règlemens propre à diriger ses premiers pas.

Nul doute, Messieurs, que le lien de la Société sera plus ou moins fort selon la nature de ses règlemens, qu’ils doivent être faits avec soin et que pour cet effet ils doivent être l’expression de la volonté générale, mais nous devons attendre qu’une association plus nombreuse concourre à cette volonté. Ainsi, Messieurs, en vous proposant d’accepter la législation provisionnelle des fondateurs de la Société, quelque défectueuse qu’elle puisse être, nous ne faisons que nous conformer à la nature des choses, à l’époque où une Société se forme, elle peut se passer de la perfection dans ses règlemens.

Son but et le désir de s’accroître et de se fortifier ont plus d’efficacité pour la maintenir que les codes les plus parfaits. Nous nous bornerons donc, Messieurs, à vous faire la lecture de nos règlemens, et à recueillir les observations qu’ils vous feront naître en attendant le terme fixé pour leur révision, terme où cet ouvrage appartiendra sans doute à une Société plus nombreuse.

Qu’il me soit permis, Messieurs, avant de passer à la lecture des règlemens de témoigner à Mr le secrétaire mes regrets de voir interrompre ses travaux par une absence qui, nécessairement, sera longue. C’est à son zèle, à la chaleur généreuse de son âme pour le bien, que nous devons de nous voir rassemblés par la plus noble des intentions.

Il eut été à désirer qu’il ne s’éloignât pas de nous aussi promptement,
et que son activité infatigable veilla encore quelque tems sur le mouvement qu’il nous a communiqué. Le voyage intéressant qu’il va entreprendre et dont il ne peut que rapporter d’utiles instructions, doit nous faire résigner avec moins de peine à son absence. Mais il est important que nous profittions encore de tous ses momens. Pour cet effet nous devons nous hâter de lui nommer un successeur auquel il puisse transmettre les idées qu’il s’est faites de ses fonctions et les moyens qu’il avait de les remplir d’une manière aussi satisfaisante pour la Société.

M. Clavière a annoncé ensuite qu’on allait procéder à la lecture des règlemens.

M. Carra a demandé qu’auparavant la lecture des règlemens, il fut fait des remerciemens à M. le président, et que son discours fut porté sur le Registre de la Société, laquelle motion a été agrée.

Ensuite on a procédé à la lecture des règlemens arrêtés dans la précédente séance.

M. Bergasse a fait ensuite la motion que copie fut envoyée à chacun des membres présens desdits règlemens, et que les observations qu’ils feront sur ces règlemens fussent adressées dans la quinzaine au secrétaire pour en être fait rapport et délibéré.

Sur laquelle motion après plusieurs tours, il a été arrêté que lesdits règlemens seraient exécutés provisoirement, que copie serait envoiée à chaque membre de la Société pour pouvoir faire ses observations et les adresser dans la quinzaine au secrétaire du Comité, qu’il en sera ensuite délibéré dans une assemblée générale fixé au mardy 29 du présent mois.

Sur la motion faite par M. le président que tous les membres qui se présenteront jusqu’à l’époque de l’assemblée générale fussent admis, il a été agréé à l’affirmative.

Et attendu la résignation de M. Brissot de Warville à la place de secrétaire, il a été arrêté qu’il serait procédé mardi prochain à l’élection d’un secrétaire, et en même tems à celle des membres nécessaires pour compléter le Comité.

Arrêté que le secrétaire à élire doit être membre de la Société, savoir l’anglais recevoir des honnoraires lesquels seront fixés à 1800 lb. sauf à augmenter
par la suite, et qu’il ne pourra refuser ni rendre ces honnoraires sous quelque prétexte que ce soit. Arrêté qu’il aura un commis, lequel sera paié à raison de 600 lb. par an outre le logement. Arrêté que le secrétaire sera toujours membre du Comité.

M. de Warville a lu ensuite le discours qui suit.

Messieurs

Je me proposais aujourd’hui de vous entretenir de quelques uns des ouvrages qui nous ont été dernièrement adressés par la Société de Londres. Mais le défaut de tems m’a forcé de me restreindre à un seul qui n’ajoutera pas peu de poids à la cause des Nègres, et par le nom de son auteur et par la manière frapante dont elle y est défendue. C’est un sermon prêché sur la traite des Nègres dans une unitaire par le célèbre Priestley. Je n’ai pas besoin de vous observer ici, Mrs, combien il serait avantageux pour le succès de la cause que nous deffendons que nos ministres de l’Evangile adoptant la pratique des Protestans, emploiiassent tout l’ascendant de leur ministère pour persuader au nom de la religion des hommes que nous voulons ramener par le cacul de leurs intérest. L’influence de la religion a sans contredit, avec l’influence des papiers publics, de puissants ressorts pour opérer en Amérique la révolution heureuse qui rendra la liberté à une partie de ce continent et quel pouvoir n’aurait pas, parmi nous, sur des esprits encore attachés aux principes du christianisme, le prêtre qui montrerait toutes les vengeances du ciel suspendues sur la tête des hommes qui martyrisent des hommes. Faisons donc des voeux, faisons des efforts pour engager dans cette cause sainte les ministres de notre religion. Publions pour les y amener le discours de l’écrivain célèbre1, dont je veux vous citer quelques morceaux, écrivain qui ne laisse pas s’opérer une bonne action publique à laquelle il ne s’empresse de prendre une part active ; car voilà la vraie destination, le premier devoir du talent.

Ce n’est pas qu’on ne trouve quelques erreurs dans ce discours ; il en est une surtout que je dois remarquer, parce qu’elle me semble outrageante pour des hommes qui, quoique étrangers à notre religion, ont cependant rendu de grands services au genre humain soit en l’éclairant, soit en l’adoucissant.

Priestley fait hommage à la religion chrétienne de tous les efforts que
l’on fait de tous côtés pour étendre la liberté, pour élever la dignité de l’homme, pour abolir l’esclavage. Les païens n’avait point de semblables idées de nos droits.

Priestley oubliait dans ce moment tant de grandes vérités développées par le païen Sénèque, avec son énergie ordinaire sur la liberté et sur l’esclavage. Je ne vous en citerai qu’un fragment, mais il est décisif.

J’apprend avec plaisir, dit-il, à un de ses amis, que tu admets tes esclaves dans ta familiarité. Ta prudence exige cette conduite, elle honore tes lumières. Ce sont des esclaves ? Oui, mais des hommes. Ce sont des esclaves, oui, mais tes commensaux. Ce sont des esclaves, oui, mais d’humbles amis. Ce sont des esclaves enfin, oui, mais tes esclaves, car la fortune peut tout sur toi comme sur eux. Ils sont nos égaux, nos frères, et cependant comment les traitons-nous ? ― C’est avec les fouets qu’on appaise leurs trop justes plaintes. Les accidens même inévitables n’échappent pas au châtiment. Toussent-ils, éternuent-ils, sanglotent-ils, on les en punit : on les punit d’appartenir encore par quelque côté à la nature, aussi de là résulte que ceux qui sont forcés d’être muets devant leurs maîtres, parlent contre eux. Mais ceux qui ne sont pas condamnés au silence, ceux sur qui les maîtres laissent tomber des regards de bonté, se montrent leurs amis dans leurs malheurs, ils se jettent au devant du coup qui doit les percer. Ces esclaves parlent dans les repas ; mais ils se taisent au milieu des lectures. Que devient donc ce fameux proverbe ? Autant d’esclaves, autant d’ennemis. La Nature ne les a point faits nos ennemis, c’est notre cruauté seule...2

Sénèque présente ensuite l’image d’une foule de fonctions dégoûtantes auxquelles on condamne les esclaves à Rome. Il se récrie avec une vigoureuse indignation contre ces avilissement, contre ces atrocités... Croions donc que les philosophes de l’Antiquité avaient comme nous des idées saines sur les droits sacrés de chaque individu.

Je ne prétens pas vous offrir une analyse détaillée de ce discours, mais vous en présenter quelques idées ou neuves ou développées d’une manière frappante.

Priestley se plaint avec raison qu’on ait attendu si tard pour s’élever contre l’usage barbare de l’esclavage. Si les scènes révoltantes, dit-il, sur lesquelles l’attention publique se fixe maintenant, eussent étées depuis longtemps présentées au public, elles n’auraient pas sans doute existé jusqu’à nos jours. La nation indignée comme elle l’est aujourd’hui, eut depuis longtemps signifié
à ses représentans son opinion par la voie des remontrances et des pétitions, et la législature eut parlé. Peut-être même à l’aspect de tableaux aussi affligeans, beaucoup de planteurs, beaucoup d’armateurs eussent refusé de se jetter dans un commerce aussi atroce... La lumière a paru, s’écrie-t-il, et il ne reste plus d’excuse pour le crime. Qui le continue, qui tolère son existence, est également coupable. Nation, gouvernement, individus, tous ceux qui n’emploient pas leurs efforts pour le faire abolir à jamais, seront également condamnés par l’éternel. Et en effet reste-t-il une justification à ce crime ? Dira-t-on que les tableaux que j’ai présentés ne sont que des abus accidentels de ce trafic, et que ceux-là seuls méritent le blâme qui les occasionnent ?.. Vain sophisme ! Ici le trafic et l’abus sont si étroitement liés qu’il est impossible de les disjoindre, qu’authoriser l’un c’est authoriser les autres. Ainsi donc authoriser la traite, c’est authoriser le massacre des 100,000 hommes qu’il faut assassiner pour obtenir les 100,000 autres que vous exportez, c’est authoriser les incendies, les rapts, les violations de tous les droits de l’homme, c’est authoriser les suicides, la seule ressource du Noir énergique, l’infanticide le seul moien de soustraire à la torture son malheureux enfant. C’est authoriser la mort de 25,000 Nègres qui dans la traversée périssent soit de faim, soit de maladie, c’est authoriser la mort des 25,000 autres que le désespoir, le regret d’être à jamais privés de leur patrie enlève pendant les deux premières années de l’esclavage. Je dis plus, authoriser le trafic des Nègres, c’est authoriser l’atrocité calculée de ces planteurs qui, certains de trouver dans ce trafic des recrues perpétuelles, s’inquiètent peu d’adoucir, de prolonger l’existence de leurs esclaves, et ne cessent d’épuiser leur sang pour le convertir en or... Ne les traiteraient-ils pas au moins comme les animaux utiles si la recrue n’était pas si facile et si assurée. Encore une fois ce trafic ne peut pas exister sans ces abus, ils en sont le cortège inséparable. S’occuper d’abolir l’abus seul est donc une chimère, c’est le trafic qu’il faut abolir.

Ce serait en vain que nous prétendrions nous décharger de la part que nous avons à ce crime en le rejettant sur les armateurs, sur les planteurs. Il est bien d’autres coupables... Ils le sont ceux qui y prennent intérêt, sous quelque forme qu’ils le masquent ; ils le sont ceux qui le protègent par leurs armes ; ils le sont ceux qui prêtent leurs vaisseaux, qui les assurent ; ils le sont ceux qui, étant éclairés, n’emploient pas leurs lumières à éclairer leurs pas dans cet affreux trafic, ceux qui étant dans la législature, n’emploient pas leur
influence pour l’amener à l’abolition de ce trafic ; ils le sont surtout ceux qui étant à la tête du gouvernement protègent ce commerce. Ah ! S’ils résistaient au concours de lumières qui frappe aujourd’hui tous les yeux, de quelle masse effraiante de forfaits ils auraient à répondre au tribunal de l’Eternel. 150,000 hommes massacrés tous les ans pour en condamner 50,000 autres à un esclavage qui les précipite infailliblement tous au tombeau dans un espace de neuf ans : comment reposer à côté d’une image aussi épouvantable...

Détournons, Messieurs, nos regards de ce spectacle affligeant, et lisons ce que le bon Priestley nous raconte des heureux effets de l’abolition de l’esclavage entreprise par les Quakers... Guidés dit-il, par les plus purs principes de l’humanité et du christianisme, ils ont affranchi leurs esclaves et ils ont trouvé même à leur surprise qu’ils retiraient plus de proffits de leur travail libre et en leur paiant des gages, que lorsqu’ils les emploiaient comme esclaves et sans leur donner aucun salaire. Ces nègres travaillent avec satisfaction et gaité !

Ce qu’on propose à l’Angleterre d’exécuter, dit-il encore, l’a déjà été par divers États-Unis de l’Amérique. Notre patrie ne peut que s’honorer de suivre leur exemple, et tout individu qui emploiera ses talens ou son crédit à amener cette révolution, aura part à cette gloire. Mais à cet égard nous devons tous céder la première place aux Quakers qui ont été les premiers à se montrer les amis des droits de l’humanité et ce qui est plus encore, ceux qui ont été les premiers à rejetter les avantages qu’ils auraient pu, comme les autres, tirer du trafic inhumain de leurs semblables. Ajoutons, à ces Quakers, qui bien convaincus de l’injustice de l’esclavage, et du droit des Nègres lui ont sans calculer sacrifié leur propriété.

Vous partagez sans doute, Messieurs, l’impression douce que m’ont fait naître ces idées philanthropiques et religieuses. Puissions-nous les répandre partout les faire éclore dans les âmes de nos compatriotes. Ils ont le même germe que nous de sensibilité, d’équité : il ne faut que le féconder. Amenons-les par la sensibilité à s’occuper de cette cause, à vouloir la discuter : tel doit être notre but.

Pourquoi les circonstances me forcent-elle à suspendre en ce moment la part que je désirais prendre à une révolution aussi humaine ? C’est avec une véritable douleur que je me vois forcé de résigner la place à laquelle votre indulgence m’avait provisoirement apellé. Mais en la quittant, en m’éloignant
de ces lieux momentanément, j’emporte avec moi la douce pensée que j’ai contribué à remuer en faveur des Noirs, des hommes doués de talens, d’énergie, de sensibilité, que je laisse dans cette société respectable de vrais amis, de vrais frères, que j’en ai acquis de nouveaux. Loin de vous, j’habiterai parmi vous, j’assisterai en esprit à vos travaux. Loin de vous je tâcherai de me rendre encore utile à ces infortunés. Honoré de la mission dont vous voudrez bien me revêtir, je veux dans le nouveau monde découvrir de nouvelles preuves de la dureté des bourreaux des Nègres, de l’absurdité du calcul sur lequel est fondé l’esclavage. Je tâcherai de recueillir les moiens qui dans les états du Nord ont oté à l’affranchissement les inconvéniens qui le préparent dans ceux du midy. Enfin, je veux recueillir les faits qui doivent prouver irrésistiblement le principe décisif que le travail libre produit plus que le travail esclave.

Ô comme je vais réjouir l’âme des Américains, des quakers, en leur aprenant qu’il existe en France, à Paris même, un Société d’hommes qui s’empressent de suivre leur exemple ! Comme je réjouirai les Nègres que je rencontrerai en leur aprenant, que les maîtres de cette capitale d’où sort le tonnerre qui gronde sans cesse sur leur tête s’occupe des moiens d’adoucir leur sort, de les et de leur rendre un jour la liberté.

J’en suis sûr, des larmes de joye couleront de leurs yeux. Non, non, ce ne sont pas des vengeances qu’il méditeront quand ils verront tomber leurs fers. Donnons leur du pain, qu’ils goûtent enfin le repos, qu’ils aient enfin la liberté d’embrasser leurs enfants, de jouir avec eux et leurs épouses des douceurs de la vie domestique et ils seront loin de s’occuper de vengeances. Au contraire, ils nous regarderont, nous aimeront comme leurs libérateurs. Le Nègre est tendre marri, bon père, la vengeance n’habite pas dans une âme qu’animent ces sentimens, à qui on rend le droit d’en jouir.

Ô vous dont j’ai jusqu’ici secondé les efforts. Ô mes ami, mes frères, soutenez-vous dans votre ouvrage, n’abandonnez pas cette bonne oeuvre, que les obstacles ne vous découragent pas. Songez que dès à présent vous n’appartenez plus à vous-mêmes, que cette cause vous réclame à jamais ; songez qu’il est sans doute déjà dans les colonies, des Nègres instruits que des Sociétés s’occupent du soin d’adoucir leur sort, cette nouvelle a déjà peut être suspendu leurs larmes... Ne trompez pas leurs espoirs. Mettez-vous sans cesse à leur place. Oh ! Comme vous seriez ardens
à invoquer les défenseurs de la liberté, à les conjurer de redoubler de zèle et de constance... Faîtes donc ce que vous désireriez alors ; travaillez, et sous quelque prétexte que ce soit, ne désertez jamais votre poste.

En vous unissant à cette Société, vous avez fait tacitement le serment de défendre ces malheureux ; vous ne pouvez y renoncer qu’en devenant coupables, et vous le seriez d’autant plus qu’en trahissant cette cause, vous feriez rétrograder celle de la liberté en général, qui doit vous occuper. Car ne cessons de le dire : rien de bon durablement, hors de la liberté, elle est l’essence de l’homme, elle constitue sa dignité, sa grandeur, elle est la base de sa sociabilité, de sa perfectibilité ; voilà ce qu’il faut démontrer pour les Nègres, et ce qui est démontré pour eux ne peut qu’être utile aux Blancs de toutes les contrées de la terre.

Arrêté qu’il sera dressé un modèle de lettres à écrire au nom du Comité aux diverses Sociétés des États-Unis d’Amérique pour les engager à donner toute confiance à Brissot de Warville sur les arrangemens à prendre pour affilier notre Société aux leurs, pour établir une correspondance constante.

M. de Warville a lu ensuite l’avertissement suivant.

Abolition de la traite des Nègres. Comité pour l’abolition de la traite des Nègres établi à Londres. 18 mars 1788.

L’esprit de la Société ayant été malicieusement altéré et défiguré dans des
bruits publics, par lesquels on a voulu faire croire que l’objet de ses efforts actuels était le projet extravagant de faire affranchir immédiatement les Nègres des colonies anglaises ; la Société pense qu’il est de son devoir de déclarer publiquement publiquement, qu’elle adhère uniformément à la baze première de son institution savoir l’abolition de la traite, convaincue, comme elle l’est, que si cette abolition a lieu, non seulement on écartera un mal très allarmant, mais que même, il en résultera infailliblement dans les colonies des règlemens qui tendront immédiatement au bonheur des Nègres qui y existent, et à l’amélioration de leur état public civil et religieux.

Morning Herald 21 mars 1788

Arrêté que cet avertissement sera envoyé à tous les journaux français et qu’il sera inséré dans le registre des documens.

Monsieur le président a demandé ensuitte si quelcun des membres n’avait pas de propositions à faire. Mr Brack a dit que le procès de monsieur Cabrol, qu’il avait présenté comme souscripteur à une des dernières séances, s’instruisait ; que son avocat désirerait avoir des renseignemens du Comité. Arrêté qu’il lui sera fourni tous les renseignemens qui dépendront du Comité.

On a présenté ensuite les personnes suivantes comme souscripteurs. Monsieur Bréban a présenté : Mr de Piles. 19 rue de Grammont. Monsieur le marquis de la Fayette a présenté : Monsieur le marquis de Condorcet hôtel de la Monnaye. Mr de Warville a présenté : MM. Blot et du Rouvrai. M. de Bréban a présenté Monsieur Esmangard conseiller au parlement rue des Capucines M.3 a présenté : Monsieur d’Hières rue Jacob. M.4 a présenté : Monsieur de Menage vielle rue du temple vis à vis la Rue du roi de Sicile
M. de Montcloux a présenté : Monsieur des Faucheret rue du Paradis, M. de Gramagnac M. Brack a présenté : M. Moreau. M. de Warville a présenté : M. Garlike attaché à l’ambassade d’Angleterre à Madrid, M. Garail avocat au parlement rue de Bièvre N° 51.

Brissot de Warville E. Clavière

1. Joseph Priestley, A Sermon on the Subject of the Slave Trade ; Delivered to a Society of Protestant Dissenters, at the New Meeting, in Birmingham, Birmingham, 1788.
2. Sénèque, Lettres à Lucilius, V, 47.
3. Espace laissé en blanc.
4. Espace laissé en blanc.