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Premier tracteur agricole Gougis

Ce nouveau tracteur peut s’appliquer à tout emploi nécessitant une force de traction à petite vitesse, mais il est supérieur à tout autre mode d’attelage, soit animal, soit mécanique, pour faire fonctionner tous les instruments dont les roues porteuses donnent en tournant le mouvement à un appareil opérateur quelconque et notamment les instruments de récoltes : faucheuses moissonneuses, moissonneuses-lieuses moissonneuses-batteuses, etc.

En effet, si l’on examine par exemple ce qui se produit dans le fonctionnement d’une moissonneuse-lieuse trainée par des chevaux, on voit que le mouvement de la scie n’est pas simultané avec le départ de ces chevaux, car il faut que l’attelage ait avancé du chemin nécessaire pour gagner le jeu de tout le mécanisme, chaînes, engrenages, etc... ; de plus, il se produit un certain glissement sur le sol, de sorte que la scie n’a toute sa vitesse que lorsque l’attelage a fait quelques pas, d’où mauvais départ et souvent bris de mécanisme à ce moment. Si le travail est difficile, dans des récoltes versées par exemple, il est fort rude et l’attelage ralentit, tandis que c’est à ce moment qu’il devrait activer au contraire ; d’où bourrage, arrêt, puis nouveau départ et, cela lorsque la difficulté de ce départ est encore augmentée de la difficulté du travail lui-même.

Lorsqu’on munit ces machines des releveurs nécessaires dans les récoltes versées, elles exigent tant de traction qu’il faut doubler l’attelage, ce qui complique encore le fonctionnement général : de plus, il arrive fort souvent, et ce n’est pas le moindre inconvénient, que la terre est humide ou molle, tandis que la récolte est bien sèche et se couperait facilement. Si l’on fait fonctionner la lieuse à ce moment, la roue motrice, ne trouvant pas l’appui nécessaire sur le sol peu résistant, glisse et rend le travail impossible. Enfin ces travaux se font toujours à des moments où l’on manque d’attelage, où la température étant fort chaude rend très pénible le service des animaux.

La traction mécanique utilisée jusqu’à présent supprime les inconvénients causés par le manque de force et la chaleur, mais augmente gravement ceux causés par les départs, les récoltes difficiles et le sol glissant, car il y a doubles roues motrices : celles du tracteur et celles de la lieuse.

J’ai tourné la difficulté de 1a façon la plus simple en scindant les deux travaux, avance et opération.

Mon tracteur A (fig. 41) a son mouvement d’avance absolument semblable à celui des autres tracteurs ou automobiles quelconques avec changement de vitesse, marche arrière, etc. ; mais, de son moteur part une transmission, b, légère (avec débrayage) qui, par le moyen de deux joints de cardan et d’une chaine, donne le mouvement à l’arbre de la bielle qui, dans toutes les lieuses, est l’arbre central d’où est distribué le travail des autres organes : élévateur compresseur, lieur et rabatteur. La lieuse M, tirée par la flèche a, est donc une lieuse quelconque, et c’est un grand avantage sur les instruments spéciaux automobiles, car cela permet avec le même tracteur de traîner des instruments divers, ceux d’ailleurs que le cultivateur possède et, qu’il pourra toujours utiliser avant comme après avec ses chevaux.

A la mise en marche, on fait fonctionner d’abord les opérateurs, puis en embrayant l'avance, on obtient un départ sans a-coups et très sur. Dans un endroit difficile, on peut changer la vitesse du tracteur, et comme les opérateurs tournent toujours à leur vitesse propre, l’on passe sans autre inconvénient. Si malgré tout, il y a bourrage, on débraye l’avance entièrement ( ce qui pourra se faire sur la lieuse elle-même), et la machine fonctionnant sur place se débarrasse en un clin d’œil. Si une récolte est tellement versée que l’on ne puisse aller que de trois côtés, on débraye les opérateurs, puis on fait le quatrième côté à vide en grande vitesse et sans inconvénient pour le mécanisme, car la terre est toujours très molle sous le grain versé (c’est une des raisons, d’ailleurs, qui rend fort difficile le travail des chevaux).

Afin de vérifier la justesse de ma théorie, j’ai construit un tracteur d’essai composé d’un moteur de 12 à 16 chevaux de pièces d’automobiles, puis ,j’ai pris le mouvement des opérateurs sur le moteur au moyen d’une courroie trapézoïdale (ce qui sera supprimé dans l’appareil définitif); je l’ai dirigé sur l’arbre de la scie d'une lieuse de 1,8 m, comme il a été expliqué ci-dessus, par deux joints de cardan et une chaîne, le tout par des moyens de fortune afin d’avancer le plus possible la date d’essai : la lieuse fut munie de 4 releveurs.

Le 27 juin tout étant enfin prêt, nous sommes allés dans une luzerne fort touffue, versée et mélangée ou l’on n’aurait jamais eu l’idée de faire fonctionner une lieuse attelée. Le moteur tout neuf n’était pas au point et ne produisait aucune force, ce qui m’a permis de voir dès le premier moment que mon intervention était bonne car nous avons bien fait en 20 mètres, 8 ou 10 arrêts : malgré le peu de force dont nous disposions à chaque départ, le travail se faisait très régulièrement jusqu’à ce que la force emmagasinée dans le volant étant absorbée le moteur nous laissait en panne. Le lendemain à 5 heures du matin, nous sommes repartis avec le moteur mieux réglé, et malgré la rosée nous avons très bien fonctionné.

Le mardi 12 juillet, nous faisons fonctionner l’appareil devant quelques agriculteurs afin de connaître leur opinion, et toujours dans la même prairie. En nous rendant au champ nous essuyons une forte averse, puis une autre en plein fonctionnement. Rien ne nous a arrêté, et les personnes présentes ont déclaré que le procédé appliqué était parfait, car il aurait été impossible de faire marcher dans cette récolte et par cette pluie, une lieuse attelée, et cela même par un temps très sec. Les visiteurs ont été extrêmement surpris de la façon dont la lieuse coupait en prenant sur le dos de la récolte, ce qui peut s’expliquer par la vitesse régulière de la scie et des toiles qui débarrassaient continuellement le tablier et permettaient de baisser les rabatteurs jusque sur les releveurs. Le 9 juillet je coupai un petit champ d’orge escourgeon très facile, puis le 18, du seigle très long et très mêlé, et enfin le 30, du blé versé complètement à plat.

Il est donc acquis que la moisson des récoltes difficiles est résolue, et il ne reste plus qu’à construire l’appareil définitif puis à faire les essais de rendement et de consommation. Ce sera la tâche de la moisson prochaine ; car si au point de vue agricole je suis satisfait du résultat, il n’en est pas de même au point de vue mécanique. Je prie donc les intéressés de ne pas juger mon œuvre sur le vu d’un tracteur construit à la hâte avec des pièces de rencontre, à grands renforts de courroies, chaînes, etc, en montant sur des bandages en fer des organes destinés à être montés sur des chassis avec ressorts et pneus, destinés à faire 50 ou 60 kilomètres à l’heure, tandis qu’il s agit de ne faire que 5 à 6 kilomètres. Cela est forcément disparate. Les études spéciales sont d’ailleurs fort avancées et j’espère bien présenter au concours de Paris de 1908, l’appareil, sinon définitif, du moins bien à point pour faire un service pratique.

A. Gougis
ingénieur constructeur

Auneau, le 31 juillet 1907

Source : A. Gougis , «Nouveau tracteur agricole», 
Journal d'agriculture pratique, 1907, vol. 2, p. 215-217.

lien: 
oui
n°: 
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