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Ces essais ont eu lieu dans une terre silico-argileuse appartenant à M. T. Ballu, ingénieur agronome, qui dirige une des belles fermes de Chelles. Cette terre, par suite de la sécheresse persistante de ces derniers temps, était aussi dure que du caillou. Les agriculteurs de la région et M. Ballu lui-même disaient qu'il leur aurait été absolument impossible de faire, dans ces conditions, le moindre labour avec leurs instruments et leurs attelages de bœufs ou de chevaux. D'aucuns se montraient même tout à fait sceptiques sur la réussite des essais entrepris par le tracteur «Pilter».
Le tracteur agricole Pilter (fig. 85, 86), possède un moteur à deux cylindres opposés avec bielles calées à 180 degrés.
Les têtes de bielles tournent dans un bain d’huile qui est alimenté par une petite pompe automatique. Il existe également une petite pompe à main pour suppléer au débit de la pompe automatique quand le moteur fait un travail fatiguant.
Le moteur tourne à une vitesse de 750 à 900 tours et accuse au frein une force de 18 chevaux. Le mouvement est transmis aux roues motrices, au moyen de roues dentées et chaînes, et l’embrayage se fait par cône à friction ; la marche arrière se fait également par un cône d’embrayage et par pignons et chaînes. II n’y a qu’une seule vitesse. Le refroidissement du moteur a lieu par thermosiphon. L’essence est contenue dans un réservoir au-dessous du siège du conducteur et tombe dans un carburateur, d’un modèle simple et très facile à visiter.
Les soupapes d’admission sont automatiques et leurs sièges sont mobiles ; les soupapes d’échappement sont commandées par des tiges actionnées par des cames sur l’arbre de distribution. L’allumage électrique est fourni soit par accumulateurs, soit par magnéto. Le régulateur, qui est à boules, commande l’arrivée des gaz afin que le moteur consomme proportionnellement au travail qu’il a à faire.
Tous les graisseurs sont à graisse consistante qui a le grand avantage, dans les machines agricoles appelées à marcher dans des poussières qui pénètrent partout, de chasser cette poussière des roulements.
Les différents organes du moteur sont supportés par un châssis en fer à U, châssis qui a la forme d’un obus moins la pointe. Il est lui-même porté par trois roues, dont les deux d’arrière sont motrices : la roue de devant, qui est directrice, est munie d’un bandage en caoutchouc pour amortir la trépidation lorsque le tracteur marche sur route. Les roues motrices ont de larges jantes en fer munies de saillies et peuvent être également munies de griffes pour augmenter l’adhérence s’il y a lieu. A l’arrière se trouve le siège du conducteur, qui a sous la main le volant de direction, le levier d’embrayage et les diverses manettes de commande du moteur.
La vitesse du tracteur au labour est d’environ 3 à 3,5 km à l’heure et la largeur du labour fait par charrue à disques à 4 socs est de 0m.90. Donc, en marche continue, la superficie labourée en dix heures serait de 3 hectares 15. La consommation d’essence pendant ce temps étant de 60 à 80 litres, soit au maximum 32 F, la dépense par hectare est approximativement de 10 F. Si à cette dépense du combustible on ajoute le salaire du mécanicien, les frais d’amortissement du tracteur, et si on calcule le prix de revient du labour par hectare, on trouvera que ce prix est encore inférieur au prix de revient par hectare du labour fait par des attelages de chevaux et même de bœufs. Comme force de traction au point de vue dynamométrique, le tracteur Pilter représente en effet un attelage de 6 à 8 bêtes, et comme il travaille à une vitesse à peu près double, il représente en réalité deux attelages de 6 à 8 bêtes.
D’autre part, dans le calcul des frais d’amortissement, il faut tenir compte de ce que le tracteur Pilter peut servir non pas seulement à des labours, mais aussi à tirer des moissonneuses, des faucheuses, etc., à des transports sur routes sur lesquelles il peut marcher à une vitesse de 4 à 4,5 km à l’heure. En outre, l’extrémité de l’arbre de transmission porte une poulie qui, par une courroie de commande, peut actionner les outils fixes de la ferme : batteuse, hache-paille, concasseur, moulin, presse à fourrages, etc. (A titre d’indication, nous pouvons dire que pendant la grève des électriciens de Paris, un tracteur agricole Pilter a servi à actionner une dynamo pour l’éclairage du Théâtre-Antoine.)
Un reproche que l’on pourrait faire aux tracteurs automobiles en général, est que leur conduite est difficile et, qu’ils ne peuvent pas être mis entre les mains d’un agriculteur non initié aux mystères de la mécanique. Or, je suis persuadé qu’il est aussi facile de trouver actuellement un mécanicien et même plus facile que de trouver un bon bouvier ou un bon charretier. Il n’existe d’ailleurs pas aujourd’hui une ferme un peu importante qui n’ait un mécanicien ou au moins un ouvrier au courant des moteurs : puis le tracteur Pilter est d’une mise en marche tout à fait facile : un tour de volant et le moteur est en route. Il est robuste, rustique, son entretien est d’une grande simplicité.
Grâce à tous ces avantages, je suis intimement convaincu que le tracteur Pilter est appelé à rendre de très grands services aux agriculteurs, tant par l’économie résultant de son emploi sur la traction animale que par la rapidité avec laquelle il permet de faire tous les travaux de la ferme.
A. QUINTIN
ingénieur agronome
Source : Extrait de A. Quintin , «Tracteur agricole Pilter»,
Journal d'agriculture pratique, 1907, vol. 2, p. 498-500.