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Tractoir imaginé par Alfred Richon, d'Agen (Lot-et-Garonne), pour labourer les vignes

Cet instrument (fig. 35), imaginé par M. Alfred Richon, d’Agen (Lot-et-Garonne), a deux objets principaux. Le premier, de rendre possible le labourage dans les coteaux les plus escarpés, comme dans les rangs de vignes les plus rapprochés, et de diminuer ainsi considérablement les frais de main-d’œuvre en substituant la charrue à la bêche. Et le second, d’exécuter le labourage dans les vignobles soit de coteaux, soit de plaines, sans introduire les animaux de trait dans les rangs de vignes, et par conséquent d’éviter les dangers que ces animaux font courir aux vignes notamment au printemps, quand les bourgeons récemment sortis sont si exposés à être froissés et arrachés par les bœufs ou les chevaux qui traînent la charrue. M. Richon a obtenu ces deux énormes avantages par cet instrument auquel il a donné le nom de tractoir agricole, et qui est aussi simple que peu coûteux.

Il est inutile d’entrer ici dans une description minutieuse et détaillée de l’appareil qui d’ailleurs figurera à l’Exposition universelle. Contentons-nous de dire qu’à l’extrémité du rang de vignes, M. Richon place une sorte d’affût de canon, ce qu’il appelle le tractoir. Sur ce tractoir se trouve une poulie horizontale ; une corde de traction part de cette poulie d’un côté vers la charrue qui est à l’autre extrémité du rang de vigne, et de l’autre côté vers l’animal de trait placé dans une allée formant angle droit autant que possible avec le sillon. L’animal de trait exerce la traction dans cette allée ou ce chemin d’exploitation, et la charrue, munie d’une roue à l’avant, se trouve ainsi amenée jusqu’au tractoir.

Le laboureur ou vigneron redescend alors la charrue, en la trainant après lui par les deux mancherons comme une brouette, et revient au point de départ pour tracer un nouveau sillon à côté du premier. - Afin de modifier ainsi qu’il convient la direction du câble de traction ; il suffit de déplacer la poulie et d’introduire son arbre, de forme carrée, dans un autre des trous pratiqués à cet effet sur le tractoir. De cette sorte, dans les coteaux où les rangs de vigne sont perpendiculaires à l’horizon, comme cela a lieu dans beaucoup de contrées, le labourage se fait toujours de bas en haut, et par conséquent en remontant les terres.

Quand l’espace compris entre deux rangs de vignes est entièrement labouré, le tractoir qui est muni de roues en fonte, et qui est d’un poids très faible, de manière à être facilement manié par un homme seul, est avancé au rang suivant, en le plaçant toujours dans la diagonale de l’angle droit formé par le sillon et par l’allée dans laquelle se meut l’animal de trait. Ainsi placé dans la ligne où se trouve la résultante des deux forces de la traction d’un côté et de la résistance de la charrue de l’autre, le tractoir offre une solidité complète.

On pourrait croire que dans ce système l’effort de l’animal de trait doit être plus grand que dans l’ancien système, à cause du frottement de la poulie et du poids de la corde. C’est le contraire qui arrive. Et la raison en est que l’animal de trait, en traçant le sillon d’après l’ancien système, a le pied mal assuré, dans un terrain mouvant, en sorte que le travail utile qu’il donne est loin de correspondre aux efforts qu’il fait. Tandis que dans le système de M. Richon, l’animal a le pied parfaitement sûr, parfaitement solide, et que ses efforts sont complètement utilisés. Dans cette situation un cheval traînerait trois barriques de vin facilement, alors qu’il en traînerait à peine une dans la terre labourée.

De là, la conséquence que dans l’exploitation viticole, le cheval peut être substitué aux bœufs, ce qui est un avantage énorme, surtout quand la propriété est entièrement composée de vignes. Et il n’est plus nécessaire d’avoir des chevaux spéciaux, des chevaux dressés au labourage. N’ayant plus à circuler que dans une allée battue, n’étant plus exposé à endommager les pieds de vigne, le cheval peut être dételé de la calèche, de la jardinière, pour être attelé à la corde du tractoir au moyen d’un palonnier.

Sans doute dans ce système le laboureur ne conduit pas lui-même l’animal de trait comme cela a lieu dans certaines contrées. Il est difficile de ne pas recourir à un auxiliaire, une femme, un enfant pour conduire le cheval ; mais, outre les avantages plus haut énumérés qui ne permettent pas de s’arrêter à ce léger inconvénient, il convient de faire remarquer que le laboureur retrouve par là la libre disposition de ses deux bras ; qu’au lieu d’un seul mancheron à sa charrue il peut dès lors en avoir deux avoir ainsi plus du double de force et d’adresse pour le labourage et fournir un travail bien plus satisfaisant.

En résumé, cet instrument nous paraît devoir être de la plus grande utilité pour les viticulteurs surtout, tant comme économie de main-d’œuvre que comme perfection des labours, et surtout comme sécurité pour la culture des vignes.

TREPAGNE
membre de la Société des agriculteurs de France

Source : Trépagne , «Tractoir agricole», 
Journal d'agriculture pratique, 1878, vol. 1, p. 367-368.

 

lien: 
oui
n°: 
2
nom de la galerie: 
Galerie 2 : l’arrivée des moyens mécaniques (locomobiles, machines, tracteurs)