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Le battage s'effectue d'une manière fort originale et qui, malgré sa simplicité, rend des services assez appréciables. Ce travail a lieu en plein champ, dans un espace circulaire assez souvent enclos avec des haies de branchages entrelacés. Le sol bien aplani, durci par le soleil, forme une aire égale et résistante sur laquelle on répand les céréales à battre. L’instrument employé consiste dans une sorte de traîneau (fig. 51, 52 et 53 [cette dernière est non reproduite ici]), attelé d’un cheval ou d’une paire de buffles.
Ce traîneau, formé de planches assemblées grossièrement, est armé à sa surface inférieure de lames de silex engagées dans le bois et dont la partie tranchante fait une saillie de 2 à 3 cm (fig. 52) ; dans certains pays, ces lames de silex sont remplacées par de petits couteaux en fer qu’on aiguise de temps en temps. Le traîneau porte en général un banc sur lequel s’assoit le conducteur ; c’est le plus souvent un vieillard, une femme, un enfant même qui sont chargé de ce travail très peu fatigant et assez récréatif. Pendant plusieurs heures, on fait circuler en tous sens le traîneau sur la paille étendue ; cette opération produit deux résultats : d’abord le grain sort de l’épi et est dégagé des balles ; en second lieu, la paille est coupée en tronçons de 4 cm de longueur. Ce modeste instrument fait donc l’office d’une batteuse et d’un hache-paille.
C’est un spectacle très pittoresque de voir les femmes turques aux longs voiles blancs pousser les attelages de grands buffles gris, à la tête longue, à la peau rugueuse et chargée de vase. Car le buffle a besoin de fraîcheur pour travailler ; il faut qu’il soit baigné au moins une fois par jour ; avec deux bains, un le matin et un autre le soir, on peut lui demander le travail d’un bœuf et demi ou de 2 bœufs. Afin de lui conserver la fraîcheur qu’il aime, les cultivateurs ont soin de lui jeter sur le dos des poignées de vase qui, en se desséchant, forment une carapace protectrice contre les rayons du soleil. Sitôt lâché, le buffle court au marécage voisin et s’enfonce dans la vase au milieu des roseaux. Une paire de buffles coûte 500 à 600 F.
Les attelages de buffles sont excellents pour ce travail de dépiquage qui s’effectue avec lenteur. Dès que la paille est suffisamment coupée, on la rassemble dans un coin de l’aire afin de procéder au vannage. […]
Malgré son aspect primitif, le système de dépiquage que nous venons de décrire se justifie assez dans un pays où le temps ne compte pour rien et où la main-d’œuvre est rare. Ce travail s’effectue après la moisson ou pendant la fin d’août et le commencement de septembre, à une époque où les cultivateurs ont peu de chose à faire ; ce sont les enfants et les femmes qui exécutent ce labeur qui peut passer pour une distraction. De plus, la paille se trouvant hachée est toute prête pour nourrir le bétail pendant l’hiver.
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E. CHESNEL
Source : Extrait de E. Chesnel , «L’agriculture en Turquie (2)»,
Journal d'agriculture pratique, 1883, vol. 2, p. 806-809