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Dépiquage des céréales au rouleau par M. Vilallongue, de Perpignan

La séparation du grain de la paille des céréales s’effectue :

A bras, à l’aide de gaules ou de fléaux, et prend le nom de battage ;

Par le piétinement des animaux (dépiquage) ;

Par l’action d’un traîneau ou d’un rouleau déplacé par des animaux (égrenage) ;

A l’aide de machines à battre ou batteuses, et dans ce cas l’opération prend le nom de battage à la machine par opposition au battage au fléau.

Ces différentes méthodes doivent être employées suivant les diverses conditions : quantité de gerbes à battre, nature et état du grain, prix de la main-d’œuvre nécessaire, du travail fourni par le moteur employé, etc.

[...]

Le dépiquage par les chevaux, que Lullin de Chateauvieux dans ses lettres sur l’Economie rurale de la France conseillait déjà d’abandonner dans le midi, resta encore en usage dans le Languedoc et la Provence au milieu du siècle. Vers 1840, «les haras de Camargue étaient sans rivaux, au grand chagrin des agriculteurs que l’emploi de ce mode de battage livrait entièrement à la merci et aux caprices des propriétaires de ces animaux, représentés de droit par des gardiens exigeants et grossiers». - Les chevaux étaient répartis par rodets ; chaque rodet, composé de six couples d’animaux, ne dépiquait en moyenne, par journée, que 50 hectolitres de grain. L’emploi du rouleau en pierre ou en bois, tiré par des chevaux, des mulets ou des bœufs, affranchit les agriculteurs du haut et bas Languedoc, ainsi que ceux de la Provence, du dépiquage par les haras.

En 1838, le premier rouleau est introduit dans les Pyrénées-Orientales chez M. Flottes, en 1839 chez M. Bassal, de Rivesaltes; «en 1840, il y en a plus de 40 dans le département, et en 1845 on les compte par centaines».

En 1841, M. G. de Lalbaume, dans l’Hérault, constate que le prix de revient du dépiquage est de 2 F alors qu’avec le rouleau il s’abaisse à 1 F par hectolitre. Les frais s’abaissent même à 0,55 F l’hectolitre dans le Lot-et-Garonne par l’emploi d’un rouleau cannelé en bois dur (fig. 80 [non reproduite ici]) ; le chantier comprenant un cheval, un conducteur, un ouvrier et quatre femmes, égrenait 20 hectolitres par jour.

Cependant on objectait que la paille n’était pas aussi bien brisée avec le rouleau que par l’opération du dépiquage, et qu’elle occupait plus de place dans les greniers ; pour remédier à cette objection, on chercha à compléter le travail du rouleau par l’adjonction de lames ou couteaux destinés à hacher la paille, ou par l’emploi de deux rouleaux successifs, l’un chargé d’égrener la récolte, l’autre de briser la paille. On retrouve la trace de cette préoccupation dans les archives de la Société d’agriculture de l’Hérault (en 1842, MM. Vidal et Roqueblave, fermiers à Mermian, près Bessan, emploient deux rouleaux successifs ; en 1844, M. Alban Crassous, ancien ingénieur en chef, présente un rouleau modifié, muni de couteaux). Le rouleau en pierre (employé alors dans le Languedoc) tiré par deux ou trois animaux peut égrener 25 hectolitres par jour.

L’inconvénient du rouleau ordinaire, qu’on retrouve également dans le dépiquage avec les chevaux, est que les animaux salissent le paille avec leurs déjection ; leur piétinement donne beaucoup de poussières qu’il faut ensuite séparer du grain (il faut tenir compte que, dans le midi, la paille est destinée à l’alimentation des animaux de la ferme). Aussi on chercha à ce que les moteurs, attelés aux rouleaux à égrener, puissent se déplacer en dehors de l’aire sur laquelle est étendue la récolte.

La figure 81 [non reproduite ici] montre la disposition employée en Suède au début du siècle : le châssis des rouleaux est relié à une flèche qui tourne autour d’un pivot vertical. En 1859, M. Vilallongue, de Perpignan, adopte un manège représenté par la figure 82 ; d’après le rapport de M. Louis Fabvre, fait au nom d’une commission spéciale de la Société agricole des Pyrénées-Orientales, l’aire à battre a 12 mètres de diamètre ; la flèche, de 17 mètres de diamètre, est portée par deux roues, de 1,8 m, qui roulent sur une voie en planches de 0 m.20 de largeur. La flèche entraîne quatre rouleaux tronc-coniques en bois dur, et à chaque tour toute la surface de l’aire a reçu l’action uniforme des rouleaux (les rouleaux sont de même poids grâce à des surcharges en fonte).

Dans une expérience, l’aire reçut 260 gerbes de blé (probablement de 7,5 kg) ; la machine tirée par deux paires de bœufs faisait un tour par minute et on l’arrêtait toutes les huit à dix minutes ; puis pendant cinq minutes environ, six hommes retournaient la paille à l’aide de fourches ; « après une heure de travail, le blé est battu et égrené aussi complètement qu’avec un rouleau en pierre pendant un travail de huit heures ».

Avec cette machine les animaux, marchant sur une piste solide, ont moins de fatigue et ils ne risquent pas de souiller le grain ou la paille ; les repos multipliés, rendus obligatoires pour le retournement des gerbes, sont utiles aux animaux lors des chaleurs excessives qui règnent dans le midi à l’époque de l’égrenage des céréales. « Les praticiens du pays font deux opérations par jour ; M. Vilallongue en a fait six ou huit, et est arrivé à battre 2000 gerbes par jour en moyenne ; le grain est passé de suite au tarare et porté tous les soirs au grenier. » Terminons en disant que, dans les petites exploitations méridionales, où on aurait intérêt à se servir de rouleaux pour l’égrenage de la récolte, on pourrait faire établir par le charron du pays une machine analogue à celle que nous venons de décrire.

Max RINGELMANN

Source : Extrait de M. Ringelmann , «Dépiquage et égrenage des céréales», 
Journal d'agriculture pratique, 1899, vol. 2, p. 523-525.

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